Communication et contrôle de la trypanosomose animale africaine : étude de cas des interrelations entre les agro-éleveurs et leurs prestataires de services vétérinaires dans la province du Kénédougou (Burkina Faso).( Télécharger le fichier original )par Der DABIRE Université de Ouagadougou, Département de Sociologie - Maîtrise en Sociologie 2005 |
2) les non professionnels.Ils sont composés de vaccinateurs et de vendeurs de médicaments de la rue. Ils regroupent les anciens auxiliaires de la santé animale, les éleveurs propriétaires de grands troupeaux, les marchands de bétails, les commerçants et de nouveaux acteurs. - les anciens auxiliaires : Ce sont d'anciens vaccinateurs formés par les services publics d'élevage et licenciés à la faveur de la libéralisation de la profession vétérinaire intervenue en 1991. Ce sont des acteurs formés et expérimentés. En effet, outre, la formation initiale reçue sur la vaccination, ils ont acquis des connaissances supplémentaires dans le domaine agro-pastoral. Ils ont en moyenne vingt (20) ans d'expériences dans le métier. Ils interviennent plus dans les traitements que la vente des médicaments ou l'information des éleveurs. Non reconnu par les textes et lois régulateurs de l'exercice de la médecine vétérinaire au Burkina, leur rôle actuel s'explique par l'insuffisance du personnel qualifié sur le terrain. Du reste, ces auxiliaires sont nés d'une volonté politique nationale de pallier à un déficit de professionnels sur le terrain à un moment donné de son histoire. C'est donc en 1963 que les services provinciaux en charge de l'élevage ont procédé au recrutement des premiers vaccinateurs pour la mise en oeuvre de la campagne internationale de lutte contre la peste bovine patronnée par la Hollande. Ils jouaient le rôle de vaccinateur au sens authentique du mot, c'est-à-dire inoculer le vaccin contre la peste dans l'organisme des bovins. Pour ce faire, ils ont reçu une formation sur le tas concernant la préparation, le dosage et l'injection du vaccin. Une fois, la campagne terminée, ils seront intégrés dans la fonction publique en qualité d'auxiliaire de la santé animale et participer aux différentes activités vétérinaires sur le terrain. De nos jours, ces derniers sont au centre d'une polémique comme l'écrit Omar Diall et al23(*) « ces agents issus des communautés d'éleveurs constituent une force supplétive pour les services vétérinaires. Mais l'existence même de ce corps est au centre de nombreuses controverses. Les vétérinaires privés voient en ces éleveurs formés des concurrents potentiels sur le terrain, tandis que les services de l'Etat les considèrent comme une certaine banalisation de la profession vétérinaire » - les commerçants : Ce sont des personnes associant la vente des médicaments vétérinaires à celle des biens de première nécessité. En nombre important dans le Kénédougou sud, certains sont installés sur place dans les villages ou dans le marché d'Orodara tandis que d'autres se baladent de village en village et font la ronde de tous les marchés locaux. Sans qualification ni formation en matière d'exercice de la médecine vétérinaire, ils interviennent significativement dans la vente des médicaments et l'information des éleveurs. La confiance réciproque et l'expérience quotidienne sous tendent leurs pratiques. Non prévu dans l'organisation actuelle des services vétérinaires, leur rôle actuel s'explique par le manque de pharmacies vétérinaires dans le Kénédougou sud. - les marchands de bétail : Ce sont les exportateurs d'animaux par la route vers les pays voisins tels que le Mali, La Côte d'Ivoire, le Ghana et le Nigeria. Ils interviennent dans la vente des médicaments, dans l'information et les traitements dans une moindre mesure, comme le disent les agro-éleveurs eux-mêmes « nous obtenons quelque fois aussi nos médicaments et nos informations avec les commerçants de boeufs ». Ils gardent toujours par devers eux des médicament (pour faire face aux cas de maladies urgentes) qu'ils emportent au cours des voyages. Mais, une fois de transit dans ces pays, ils profitent des facilitées d'achat de médicaments trypanocides et en achètent une certaine quantité qu'ils ramènent. De retour, ces médicaments sont, soit autoconsommés, soit prêtés ou vendus aux autres éleveurs. De plus en plus, ce phénomène prend de l'ampleur, car avant de partir ces marchands procèdent à une évaluation des besoins réels des éleveurs afin d'acheter les quantités correspondantes. - les propriétaires de grands troupeaux : Ce sont les pasteurs peulh et certains agro-éleveurs ayant une longue expérience dans la pratique pastorale. Perçus comme les détenteurs des savoirs locaux en santé animale, ils possèdent toujours des trypanocides pour usage personnel en cas de besoin urgent, surtout lors des mouvements de transhumance. Impliqués dans une forte automédication, ces derniers contribuent à la distribution des médicaments, à leur application et à l'information des agro-éleveurs. Mais, dans les discussions de groupe les agro-éleveurs soutiennent ceci : « nous obtenons aussi nos médicaments, nos soins et nos informations avec les peulhs et ceux qui ont duré dans ce travail d'élevage » pour montrer leur rôle non négligeable dans les soins et l'information. Symbole de la persistance de la tradition et des coutumes, le recours aux propriétaires de grands troupeaux ne saurait être déterminé seulement par l'inaccessibilité et l'indisponibilité des autres acteurs. Il semble que cela traduit une certaine fidélité des agro-éleveurs à leurs coutumes agro-pastorales. En effet, dans leur organisation sociale, les propriétaires de grands troupeaux représentent les spécialistes de la santé animale. Ainsi, dans la division sociale du travail, ils s'occupent de toutes les questions relatives à l'élevage, en particulier la santé animale. - les nouveaux acteurs sont des éleveurs qui ont appris à vacciner les animaux par imitation au contact d'un spécialiste de la santé animale et ceux qui ont été choisis dans leurs communautés respectives pour être formés par des Projets ou ONG . Qualifiés de vaccinateurs locaux ou d'agents communautaires de santé animale, ils ont été formés sur le tas dans les domaines de l'élevage de la volaille, des petits ruminants, de l'embouche bovine, de l'entretien des bovins et de la santé animale (vaccination). En la matière, le Projet BMZ2, dans sa phase d'activité sur le terrain a formé vingt deux (22) vaccinateurs locaux sur : - la lutte intégrée contre la TAA, prenant en compte le contrôle contre les vecteurs, l'utilisation des trypanocides et l'élevage du bétail trypanotolérant ; - l'utilisation rationnelle des trypanocides ; - le diagnostic et les soins de la TAA ; - le diagnostic et les soins des maladies additionnelles ; - la médecine traditionnelle ; - l'alimentation des animaux. Ils sont peu expérimentés (3 ans de pratique vétérinaire), car entrés récemment dans le métier de vétérinaire. Non autorisés à pratiquer les injections trypanocides, ils interviennent fortement dans la vente, le traitement et l'information des éleveurs. Mais, selon l'un d'eux les traitements dépassent la vente et la sensibilisation : « dans tout ce village de Kotoura et environnant c'est moi qui fait les traitements. Et chaque fois, je leur dit de me prévenir tôt quand ça ne va ». Parmi cette pluralité d'acteurs sociaux qui interviennent dans l'offre des services vétérinaires, cinquante cinq (55) personnes appartenant à huit (8) catégories de prestataires ont répondu à nos questions selon la figure suivante. Mais sur le terrain, ils sont tous qualifiés de vétérinaire. Ce qui crée une confusion dans les esprits des agro-éleveurs qui ont du mal à distinguer le vrai vétérinaire du faux. Il s'en suit une crise de confiance entre les agro-éleveurs et leurs prestataires de services entraînant un contexte défavorable à une communication efficace. Figure 4: proportion des prestataires de services enquêtés. Source : résultat d'enquête.
Ils sont en majorité instruits, soit 63,6% de notre échantillon dominé par 40% de scolarisés ayant au moins le niveau primaire. Le tableau suivant donne plus de détails en la matière. Tableau 9: Distribution des prestataires par niveau d'instruction.
Source : résultat d'enquête.
Ils sont composés en majorité de non professionnels n'ayant aucune qualification sur la santé animale, soit 78,19% contre 21,81% de professionnels selon le tableau ci-dessous. Tableau 10 : répartition des prestataires par niveau de qualification.
Source : résultat d'enquête. Il faut toutefois remarquer qu'il existe plusieurs types de qualification, car selon le diplôme obtenu, on distingue des agents techniques d'élevage, des techniciens et techniciens supérieurs d'élevage, des ingénieurs d'élevage, des ingénieurs zootechniques et des docteurs vétérinaires. Ils se répartissent comme le montre le tableau ci-dessous. Il se dégage nettement une prédominance des docteurs vétérinaires parmi les professionnels du privé mais ils sont absents sur le terrain et relayés par les vaccinateurs qui sont sans diplôme. A l'opposé les agents publics sont présents mais peu fréquentés par les agro-éleveurs. En conséquence, on se demande quelle est la qualité des messages sur la TAA reçus par les agro-éleveurs qui sont permanemment en contact avec des informateurs sans véritable culture vétérinaire ? Tableau 11: distribution des prestataires professionnels selon le diplôme obtenu.
Source : résultat d'enquête.
Certains ont reçu au moins une formation complémentaire tandis que d'autres n'ont reçu aucune formation avant de se lancer dans l'exercice de leur activité. Selon la figure ci-dessous, environ 41,8% de prestataires ont reçu au moins une formation complémentaire contre 27,3% qui s'appuient sur leur formation de base et 30,9% n'ont aucune formation. Les sujets de formation sont variés et relatifs ou non à la santé animale.
Figure 5: répartition des prestataires suivant le niveau de formation. Source : résultat d'enquête.
Enfin, la majorité des prestataires de services ont acquis des expériences dans le domaine de la santé animale. Ces expériences sont diverses et variables dans le temps. Mais, les agents publics restent les plus anciens (23 ans d'expérience) dans la profession vétérinaire devant les vaccinateurs (21 ans) et les docteurs vétérinaires (17 ans). Quant à la majorité des non professionnels, ils demeurent les nouveaux acteurs avec 4 à 5 ans d'expérience dans la vente et les traitements vétérinaires. A ces acteurs de terrain, s'ajoutent les fabricants de médicaments, les chercheurs, les décideurs, les services d'appui sociaux. A l'exception des fabricants, ils sont représentés dans le Kénédougou sud à travers les structures suivantes : - le CIRDES pour la recherche ; - le PNGT2 pour l'appui aux éleveurs ; - la DPRA, LA DRRAHB et l'ONV pour les décisions politiques. De tout ce qui précède, il existe une pluralité d'acteurs sociaux qui interagissent dans l'offre des soins vétérinaires dans la province du Kénédougou. Ce qui a été confirmé par les acteurs eux-mêmes dans les discussions de groupe. Du reste, l'importance et la position de chaque groupe ont été perçues par ces acteurs en l'affectant un score d'importance. Ces scores vont de 1 à 10. Les scores moyens qui traduisent les différentes perceptions sont représentés à travers le tableau ci-dessous. Selon lequel, les différents acteurs estiment en majorité que les vendeurs de trypanocides, leurs consommateurs et les autorités de régulation sont les principaux groupes en présence. Ce sont en l'occurrence les agro-éleveurs, les vétérinaires privés, les vendeurs de médicaments de la rue, les vaccinateurs locaux et les agents publics d'élevage. Cependant, les fabricants sont perçus comme importants par les vétérinaires privés et les agents publics d'élevage. Les décideurs sont seulement importants aux yeux des agents publics. L'autorité de régulation et de contrôle, les ONG et les services d'éducation sont perçus comme moins importants par l'ensemble des acteurs. Enfin, les agro-éleveurs accordent beaucoup d'importance à tous les acteurs issus des communautés villageoises. Leurs perceptions s'expliquent par la présence ou l'absence de l'acteur en question sur le terrain. C'est pourquoi l'on remarque que les acteurs les plus importants sont les acteurs existants et actifs sur le terrain. Tandis que les moins importants sont ceux qui restent méconnus sur le terrain. Tableau 12: perceptions liées à l'importance de chaque groupe d'acteur chez les agro-éleveurs, les agents publics d'élevage et les vétérinaires privés.
Source : résultat d'enquête. Des rapports d'échanges économiques caractérisent les relations entre les différents acteurs. Même si cet échange reste symbolique entre les agro-éleveurs et les vaccinateurs locaux, il est monétaire pour la majorité des acteurs. En outre, les différents acteurs sont soumis à des jeux d'influence réciproque dont les appréciations données par les agro-éleveurs, les agents publics d'élevage et les vétérinaires privés se présentent de la manière suivante : - Les agro-éleveurs estiment qu'ils sont fortement influencés par les agents publics d'élevage et tous les non professionnels issus de leurs communautés. A l'opposé, ils exercent une influence sur tous les vendeurs de médicaments à travers leur pouvoir d'achat et n'ont aucune influence sur les agents publics d'élevage. - Ayant une forte influence sur les agro-éleveurs, les agents publics d'élevage ont moins d'influence sur les autres acteurs et moins influencés également par eux en dehors du service. - Les docteurs vétérinaires sont influencés par leurs clients, les grossistes, les fabricants et les autres concurrents. Inversement, ils influencent sur leurs clients et les autres pharmacies. Chaque groupe subi ces jeux d'influences réciproques à l'exception des décideurs politiques et des services d'éducation et d'appui-conseil. Ce qui crée nécessairement des interrelations entre les acteurs dans la mesure où chaque acteur se sent interconnecté à l'autre. Il s'ensuit l'idée qu'au-delà des échanges économiques, les agro-éleveurs et leurs prestataires de services vétérinaires entrent respectivement en contact avec les uns et les autres. Ainsi, ils ne se limitent pas seulement à échanger des médicaments ou des traitements contre de l'argent mais ils échangent aussi des choses immatérielles parmi lesquelles des politesses, des questions-réponses, des informations et des conseils. Ce qui s'inscrit dans la thèse de Jean Baudrillard qui soutient que la consommation est un système d'échange. Et par là, il développe l'idée selon laquelle la consommation n'est pas seulement l'achat d'un bien ou d'un service pour satisfaire un besoin, c'est aussi l'achat de signes (distinctifs) destinés à rentrer en contact avec les autres. Pour ce faire, il compare la consommation à un langage et il pense que l'achat d' un vêtement, d'une voiture, d'un meuble permet à l'individu de communiquer ses valeurs aux autres et de s'intégrer à l'intérieur d'un groupe. Ainsi, il tisse un lien étroit entre la communication et la consommation dont les codes sont transmis par la famille, la publicité et les media. Mais, il faut se situer dans une société de haute consommation dans laquelle les individus cherchent à se faire distinguer les uns des autres à travers les biens et les services achetés pour comprendre tout le sens de ces propos. Dans le contexte social des agro-éleveurs et leurs prestataires de services, ils permettent de fonder la relation qui existe entre la consommation et la communication et par la même occasion, soutenir l'existence d'un système de communication pour le contrôle de la TAA. Du reste, la communication est indissociable de la consommation dans la mesure où l'information est à la base de toute transaction commerciale. En effet, tout vendeur a besoin de communiquer à ses clients et au public toute information relative à ses produits. Tout comme un acheteur a besoin de toute information relative au produit qu'il désir. D'où, il s'établit entre vendeur et acheteur un processus d'échange d'informations dont le nombre et la fréquence des contacts fondent son efficacité. Entre les agro-éleveurs et leurs prestataires de services, cette communication est l'ensemble des activités, des procédures et des structures par lesquelles ils s'échangent les informations sur la TAA. Dans l'utilisation des trypanocides, les procédures de vente et de traitements trypanocides dans les cabinets de soins vétérinaires, dans les services publics d'élevage et dans la rue constituent les activités et lieux de contact entre agro-éleveurs et prestataires de services vétérinaires. Ce qui fonde l'idée d'une communication dont il est question d'analyser les stratégies, les objectifs et les difficultés y afférentes chez les prestataires de services. * 23 (In Manuel de l'auxiliaire vétérinaire, SPANA (Mali), 2001) |
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