UNIVERSITÉ DU QUÉBEC À MONTRÉAL
ESSAI DE SYNTHÈSE DES NOUVEAUX MODES DE
LÉGITIMATION DU RECOURS
À LA FORCE ET DE LEURS RELATIONS AVEC
LE CADRE JURIDIQUE DE LA
CHARTE DES NATIONS UNIES
MÉMOIRE
PRÉSENTÉ
COMME EXIGENCE
PARTIELLE
DE LA MAÎTRISE EN DROIT INTERNATIONAL (L.L.M)
PAR
ANIS
BEN FLAH
À la mémoire de mon père
À ma
chère mère
À mes chères soeurs
À tous ceux et celles dont l'oubli du nom n'est pas
celui du coeur
REMERCIEMENTS
Mes remerciements vont tout d'abord à M. Alejandro Lorite,
mon directeur de recherche, pour son excellent encadrement et son soutien
perpétuel.
Il m'est aussi très agréable de remercier tous mes
professeurs au département des sciences juridiques de l'UQAM.
Enfin, je voulais exprimer tous mes remerciements, mes respects
et mes hommages à tous ceux et celles qui ont collaboré et
aidé à la réalisation de ce travail.
TABLE DES MATIÈRES
LISTE DES ABRÉVIATIONS vi
RÉSUMÉ viii
INTRODUCTION 1
PREMIÈRE PARTIE
LE SYSTÈME INSTAURÉ PAR LA CHARTE DES NATIONS UNIES
8
CHAPITRE I
LA CONSÉCRATION NORMATIVE DU PRINCIPE DE L'INTERDICTION DE
LA MENACE ET DU
RECOURS À LA FORCE : L'ARTICLE 2 PAR. 4 9
1.1. LE CONTENU DE LA NORME 9
1.2. LA CONFIRMATION DU PRINCIPE DANS LES INSTRUMENTS
INTERNATIONAUX 11
1.3. LE STATUT JURIDIQUE DE L'ARTICLE 2 PAR. 4 15
CHAPITRE II
L'UTILISATION DE LA FORCE NON CONTRAIRE AU PRINCIPE 18
2.1. LA LÉGITIME DÉFENSE 18
2.1.1. Définition et conditions de la légitime
défense 19
2.1.2. Les problèmes d'interprétation 23
2.2. LA SÉCURITÉ COLLECTIVE 27
2.2.1. Le pouvoir de qualification du Conseil de
Sécurité 29
2.2.2. Le pouvoir d'action du Conseil de Sécurité
35
DEUXIÈME PARTIE
EXAMEN DE LA PRATIQUE ÉTATIQUE RÉCENTE EN
MATIÈRE DE RECOURS À LA FORCE : DES NOUVELLES ARGUMENTATIONS
42
v
CHAPITRE I
LE RECOURS À LA FORCE ARMÉE DANS UN BUT HUMANITAIRE
44
1.1. DROIT DE LA CHARTE ET INTERVENTION HUMANITAIRE 45
1.2. ÉTIREMENT DU CONCEPT DE LA DÉFENSE DES VALEURS
UNIVERSELLES : DROITS DE L'HOMME ET DÉMOCRATIE 52
1.2.1. L'invocation rituelle des droits de l'Homme 52
1.2.2. Le recours à la force au service de la
démocratie 58
CHAPITRE II
LÉGITIME DÉFENSE ET NOUVELLES MENACES CONTRE LA
PAIX ET LA SÉCURITÉ
INTERNATIONALES: LE CAS PROBLÉMATIQUE DE LA GUERRE CONTRE
LE TERRORISME 61
2.1. L'EXIGENCE D'UNE AGRESSION ARMÉE 62
2.2. L'IMPUTABILITÉ DE L'AGRESSION ARMÉE : LE CAS
DE L'AGRESSION INDIRECTE 66
2.3. LÉGITIME DÉFENSE OU REPRÉSAILLES
ARMÉES ? 73
CHAPITRE III
LE RECOURS À LA FORCE ET LE CAS IRAQUIEN 78
3.1. L'ARGUMENT DE L'AUTORISATION IMPLICITE DU CONSEIL DE
SÉCURITÉ 79
3.2. CRITIQUE DE LA THÈSE ANGLO-SAXONNE 83
3.3. LA PERSPECTIVE DE LA LÉGITIME DÉFENSE
PRÉVENTIVE 90
3.3.1. L'hypothèse du droit coutumier antérieur
à la Charte 93
3.3.2. L'interprétation extensive de l'article 51 98
3.3.3. La pratique étatique 102
3.3.4. Caducité de la Charte ou la théorie du
no Law 109
CONCLUSION 114
BIBLIOGRAPHIE 116
LISTE DES ABRÉVIATIONS
Ann. C.D.I Annuaire de la Commission de Droit International
A.F.D.I Annuaire français de Droit International
A.F.R.I Annuaire français des Relations Internationales
AG Assemblée générale des Nations Unies
A.J.I.L American Journal of International Law
Ann. I. D Annuaire de l'Institut de Droit International
A.S.I.L American Society of International Law
A.Y.I.L Australian Yearbook of International Law
B.Y.I.L British Yearbook of International Law
C.D.I Commission de Droit International
C.I.I.S.E Commission Internationale de l'Intervention et de la
souveraineté des États
CIJ Cour Internationale de Justice
CS Conseil de sécurité des Nations Unies
doc document
E.J.I.L European Journal of International Law
I. C.L. Q International and Comparative Law Quarterly
O.N. U Organisation des Nations Unies
R.B.D.I Revue Belge de Droit International
R. C.A.D.I Recueil des cours de l'Académie de
Droit International de La Haye
Rec. Recueil des arrêts de la Cour Internationale
de Justice
RES Résolution
R. G.D.I.P Revue Générale de Droit
International Public
S.D.I.L. jl San Diego International Law Journal
S.F.D.I Société Française de Droit
International
Y.I.L. C Yearbook of International Law Commission
RÉSUMÉ
Le droit international classique n'a jamais cherché
à restreindre l'usage de la guerre. Du XVIe au
XIXe siècle, les États jouissaient de la libre
appréciation du déclenchement des hostilités. Le recours
aux forces armées était alors considéré comme une
manifestation normale de leur souveraineté. Après le cataclysme
de la Seconde Guerre mondiale, la Charte des Nations Unies a été
conçue en 1945 dans le but de faire une coupure avec un passé
sanglant.
Depuis sa naissance, le système instauré par la
Charte a fait l'objet de critiques. Vers la fin du XXe siècle
-- et cela est toujours valable aujourd'hui --, on a assisté à
l'émergence de nouvelles justifications pour recourir à la force
dans le contexte des relations internationales. Ces modes de
légitimation du recours à la force remettent en effet en question
l'idée d'exhaustivité du système de la Charte en
matière d'usage de la force, ainsi que l'intégrité de la
Charte en matière de sécurité collective. Notre
étude vise donc à savoir si le droit international est promis
à une révolution en matière de recours à la force,
dans la mesure où la normalisation hypothétique de ces nouvelles
justifications -- qui sont parfois de nouvelles versions de justifications
antérieures à la Charte --remettent en question la place de
l'article 2 § 4 de la Charte dans le système juridique
international contemporain.
INTRODUCTION
Le droit international classique n'a jamais cherché
à restreindre l'usage de la guerre. Du XVIe au
XIXe siècle, les États jouissaient de la libre
appréciation du déclenchement des hostilités. Le recours
aux forces armées est considéré comme une manifestation
normale de la souveraineté des États1.
Un bref regard historique sur le recours à la force
dans les relations interétatiques nous fait constater que l'attitude du
droit international vis-à-vis de la guerre a vécu des changements
considérables au cours des siècles. Déjà en 1625,
en analysant la pratique étatique, Hugo Grotius distinguait
différents types de guerre selon que leur cause était juste ou
injuste. Pour être considérée comme juste, une guerre doit
avoir un but ou une prétention légitime et, de ce fait, seule la
guerre juste est légitime2.
Cependant, cette approche est restée purement
doctrinale dans la mesure où, selon une idée largement
partagée, les États ont toujours vu la guerre comme une
expression de leur souveraineté3.
Pour identifier les premières institutions
préfigurant le droit de la guerre moderne4, il faut remonter
au Moyen-Âge. À cette époque, il existait deux doctrines
totalement différentes : d'une part le « pacifisme » qui
s'oppose à toute sorte de violence, et d'autre part la doctrine de
« la guerre juste » qui légitime la guerre dès lors
qu'elle est fondée sur une juste cause et
1Ian Brownlie, International Law and the Use of
force by States, Oxford: Oxford University Press, 1963, pp.1 et ss.
2Peter Haggenmacher, Grotius et la doctrine de la
guerre juste, Paris : Presses Universitaires de France, 1983, pp. 250 et
ss.
3F.H. Hinsley, Sovereignty, Cambridge:
Cambridge University Press, 2e edition, 1986, à la page 230.
4Haggenmacher, supra note 2, à la page 277.
déclenchée loyalement, c'est-à-dire sur
la base d'une décision de l'autorité compétente. À
cette époque, l'évocation par les États des motifs de
justification des guerres entreprises ne relèvent pas d'une conviction
d'être lié juridiquement.
Au XIXe Siècle, on a enregistré
l'incorporation des premières notions limitatives du droit de recourir
à la guerre dans le droit positif. Cette évolution juridique
s'est surtout concrétisée dans le but d'éviter de donner
à toute action armée la connotation de guerre. En d'autres
termes, toute utilisation de la force n'est pas juridiquement synonymes de
guerre5. Dans beaucoup de cas, les États ont trouvé
refuge dans des notions comme les représailles armées,
l'autopréservation ou encore l'intervention dite d'humanité. On
est encore un peu loin d'une interdiction du recours à la force. Il
s'agit plutôt d'une forme de réglementation dans le sens où
l'on fait appel à des critères objectifs visant à limiter
les cas de guerre « légitime ». En d'autres termes, les
États doivent se justifier en des termes qui pourraient ouvrir la voie
à un litige et qui pourraient être arbitrés par une
personne tierce. Dans le même sens, on a commencé à
accepter l'idée selon laquelle la guerre doit être le moyen
extrême ; autrement dit il faut épuiser les procédures
pacifiques avant de faire appel aux armes. Il est à noter que cette
évolution a surtout touché la conduite des hostilités, ce
qui a donné naissance au droit international humanitaire.
Cependant, le caractère destructeur et
l'intensité des guerres du XXe siècle ont
poussé la communauté internationale à franchir un pas
décisif vers le bannissement de l'utilisation de la force dans les
relations interétatiques. Les premières tentatives de limitation
du recours à la force vinrent avec les conférences de la Paix de
La Haye, en 1899 et en 1907. La première convention relative au
règlement pacifique des conflits internationaux avait pour but «
[...] de prévenir autant que possible le recours à la force dans
les rapports entre les États »6. Parallèlement,
une utilisation jugée abusive des représailles armées a
donné naissance à une réaction à travers la
deuxième convention de La Haye de 1907, dite Convention Drago-
5Brownlie, supra note 1, pp. 40 et ss.
6Article 1er de la Convention pour le
règlement pacifique des conflits internationaux, conclue à La
Haye le 18 octobre 1907, [en ligne] : [http ://
www.admin.ch/ch/f/rs/i1/0.
193.2 12.fr.pdf] (page visitée le 25 juillet 2007)
Porter, dont l'intitulé officiel est «
Convention concernant la limitation de l'emploi de la force pour le
recouvrement des dettes contractuelles »7. Cette
initiative diplomatique a vu le jour suite aux opérations armées
exercées par l'Italie, l'Allemagne et le Royaume-Uni à l'encontre
du Venezuela, en 19028. Ce dernier, suite à une grave crise
financière, avait suspendu le remboursement de dettes contractées
auprès de ressortissants étrangers. Le ministre argentin des
affaires étrangères Drago avait formulé à cette
occasion un principe selon lequel le recouvrement coercitif des dettes
publiques était contraire au droit international. Le diplomate
américain Porter a essayé, avec succès, de donner un
caractère conventionnel à ce principe lors de la deuxième
Conférence de La Haye, d'où le titre donné à cette
Convention. L'article 1er de cette Convention stipule que : «
les puissances contractantes sont convenues de ne pas avoir recours à la
force armée pour le recouvrement de dettes contractuelles
réclamées au gouvernement d'un pays par le gouvernement d'un
autre pays comme dues à ses nationaux ».
Malgré sa portée limitée, cette
Convention constitua tout de même un point de départ pour le
bannissement progressif du recours à la force dans les relations
interétatiques.
Suite au désastre de la Première Guerre
mondiale, et bien que les États ne se soient pas prononcés en
faveur d'une interdiction drastique de l'emploi de la force, une volonté
de refouler la guerre a fait son apparition.
Dans le Pacte de la Société des Nations
(SDN)9, les États ont accepté, dans certaines
conditions, de ne pas recourir à la guerre (Préambule). Certaines
guerres sont expressément devenues illicites comme, par exemple, la
guerre d'agression, interdite en vertu de l'article 10 du Pacte.
7Voir Nico Schrijver, infra note 14, à
la page 440.
8Brownlie, supra note 1, à la page
53.
9« Pacte de la Société des Nations » dans
Annuaire de la Société des Nations, Genève,
Édition de l'Annuaire, 1939.
La première innovation du Pacte réside
essentiellement dans le fait que la guerre a été
stigmatisée comme un mal à caractère international.
L'article 11 par. 1 du Pacte énonce qu' : « il est
expressément déclaré que toute guerre ou menace de guerre,
qu'elle affecte directement ou non l'un des membres de la
Société, intéresse la Société toute
entière et que celle-ci doit prendre les mesures propres à
sauvegarder efficacement la paix des Nations »10. La
deuxième innovation du Pacte consiste en l'instauration d'une
procédure de règlement des différends (articles 12
à 15 du Pacte). La licéité de la guerre dans le Pacte est
devenue tributaire d'une procédure formelle.
Le pas décisif a été franchi par le Pacte
général de renonciation à la guerre du 26 août 1928,
dit Pacte Briand-Kellog11. Entré en vigueur le 24 juillet
1929, le Pacte s'appliquait à 63 États en 1939 et, de ce fait,
bénéficiait d'une incontestable universalité, compte tenu
du nombre des États à cette époque coloniale. L'article
1er du Pacte énonce que : « les Hautes Parties
contractantes déclarent solennellement qu'elles condamnent le recours
à la guerre pour le règlement des différends
internationaux et y renoncent en tant qu'instrument de politique nationale dans
leurs relations mutuelles ».
Quant à l'article 2, il stipule que : « Les Hautes
Parties contractantes reconnaissent que le règlement de tous les
différends ou conflits, de quelque nature ou de quelque origine qu'ils
puissent être, qui pourront surgir entre elles, ne devra jamais
être recherché que par des moyens pacifiques ».
Par sa formulation générale et son
caractère universel, cet instrument international a placé des
limites au caractère discrétionnaire du recours à la
guerre, en le soumettant à une norme
10Ibid.
11 Voir les Grands Traités de la France, [en
ligne] :
[http ://
www.diplomatie.gouv.fr/archives/dossiers/grand_traites/XXe/briand_kellogg/traite.htm]
(page visitée le 25 avril 2007)
En 1927, la France et les États-Unis ont entamé
des négociations dans le but de renouveler un traité d'arbitrage.
Briand, alors ministre français des affaires étrangères, a
proposé de joindre à ce traité un engagement des deux
États de renoncer à tout recours à la force dans leurs
relations mutuelles. Kellogg, son homologue américain, a ensuite
suggéré d'élargir la négociation à d'autres
États en vue de conclure un traité multilatéral
d'interdiction générale de la guerre.
conventionnelle multilatérale. Il est une affirmation
finale que la guerre et ses motivations ne sont pas la propriété
exclusive du souverain, mais qu'elles sont reconnues d'intérêt
international. En effet, « the 1928 General Treaty for the Renunciation of
War as an Instrument of National Policy became of almost universal application,
playing a considerable role throughout that era »12.
En pratique, on peut dire que ce Pacte a constitué un
précédent important pour l'idée que le droit international
pourrait réglementer l'usage de la force. C'est le tournant
définitif entre un ius ad bellum partiel annoncé dans le
Pacte de la SDN, et le ius contra bellum de l'après 1928. C'est
ainsi que les tribunaux militaires internationaux de Nuremberg et de Tokyo ont
pris ce pacte comme base juridique pour condamner les responsables politiques
allemands et japonais.
Cependant, bien que le Pacte ait posé le principe de la
recherche obligatoire d'un règlement pacifique, il contenait diverses
lacunes. La plus importante réside dans le fait qu'il n'a pas interdit
le recours à la force d'une façon générale, mais
seulement le recours à la guerre. En d'autres termes, les mesures
militaires en deçà de la guerre restaient licites. Quoi qu'il en
soit, malgré ces lacunes, il faut tout de même apprécier
les progrès du Pacte de 1928 par rapport à celui de 1919. En
effet, le pacte Briand-Kellog « revêt une importance historique
capitale dans le mouvement des peuples et des gouvernements en faveur de la
paix. Il consomme une rupture définitive avec la théorie
classique du justi hostes [...] Il crée un nouveau droit
international de la guerre pour l'éternité
»13.
À l'issu de la Deuxième Guerre mondiale, les
violations répétées du Pacte Briand-Kellog n'ont pas pu en
soi renforcer l'idée que l'emploi de la force est illégal : pour
cela, il a fallu « préciser l'obligation de règlement
pacifique des différends, interdire tout recours à la force
12Cançado Trindad, « Cours
général de droit international public », Académie
de droit international de La Haye, Recueil des cours, volume 316, 2005,
à la page 124.
13Hans Wehberg, « L'interdiction du recours
à la force. Le principe et les problèmes qui se posent »,
Académie de droit international de La Haye, Recueil des cours,
tome I, 1951, à la page 129.
et mettre en place un système effectif de
sécurité collective »14. C'est dans ce but que la
Charte des Nations Unies a été conçue en 1945. La paix et
la sécurité internationales constituent en quelque sorte la
raison d'être de cet instrument international. D'ailleurs, ces deux
termes ont été cités 28 fois dans le texte de la Charte.
Il n'est pas excessif de dire que le système instauré, en
matière de recours à la force, par la Charte en 1945 est d'une
importance majeure pour l'ensemble du système juridique international de
l'après-guerre.
Toutefois, la fin du XXe siècle a
soulevé, pour le régime du recours à la force, des
défis concernant son exhaustivité et sa pertinence à la
fois matérielle et temporelle. L'examen de la validité actuelle
du régime en tant que régime juridique intégré et
exhaustif implique de considérer de façon systématique
à la fois la mécanique du système -- en partant aussi de
l'existence de défis traditionnels posés au régime depuis
1945 -- et les développements récents. Ces derniers remettent en
question de diverses manières ce système d'une part, en ravivant
les critiques traditionnelles et les interprétations moins prohibitives
de la Charte en matière de recours à la force et, d'autre part,
en y ajoutant des formes de justifications hors Charte.
L'objectif est de voir de quelle manière la promesse de
la Charte est mise en jeu à la fois par les développements
récents de la politique internationale et les justifications juridiques
qu'ils ont fait naître. L'objectif plus circonscrit est de rechercher une
approche synthétique, qui part d'une vision systématique de la
question de l'usage de la force dans la Charte, pour ensuite rechercher le
caractère systématique des modes d'argumentation mettant en
question -- d'une manière ou d'une autre -- la compréhension
traditionnelle de la Charte. C'est dans ce sens que l'on pourra évaluer
si le système de la Charte, au-delà des critiques ponctuelles,
est à présent réellement en danger d'être mis dans
une situation de caducité.
14Nico Schrijver, « Article 2 paragraphe 4
», dans Jean-Pierre Cot, Alain Pellet et Mathias Forteau (dir. pub),
La Charte des Nations Unies, Commentaire article par article, Paris :
Économica, 3e édition, 2005, à la page 442.
La Charte a établi une sorte de « contrat social
international » en se fondant sur l'idée que la paix est un bien
indivis. Savoir si ce « contrat social international » traverse une
crise constitue une question très importante. En effet, les
récents modes de légitimation du recours à la force
montrent l'existence d'une tendance qui vise la mise à l'écart du
système de la Charte, au profit de l'action unilatérale. Plus
encore, ces nouvelles argumentations se veulent systématiques dans le
sens où l'on parle d'usage « légitime » de la force et
non plus seulement d'usage « légal » de la force.
Évidemment, cela aura un impact sur le caractère exhaustif de la
Charte. Aujourd'hui, le défi pourrait résider dans le fait que
toutes les nouvelles argumentations se présentent comme un
système alternatif.
D 'un point de vue purement méthodologique, notre
travail de recherche sera de type exégétique traditionnel. Il
s'agit essentiellement de se lancer dans un débat doctrinal
d'actualité et de systématiser la production doctrinale
récente en matière de réglementation de l'usage de la
force, en se fondant sur les interprétations classiques à la fois
du système et de ses critiques.
Pour mener à bien notre travail de recherche, nous
allons essayer, dans une première partie, de présenter le
système de la Charte, en développant les explications sommaires
présentées ci-dessus, tout en insistant sur son caractère
exhaustif, tel qu'il se manifeste dans les prises de positions des
États, des Nations Unies, de la doctrine et de la jurisprudence en la
matière. La deuxième partie sera consacrée à
l'analyse des nouvelles formes de légitimation, en mettant l'accent sur
leur caractère systématique, c'est-à-dire en les
considérant comme un ensemble de positions théoriques et
doctrinales pouvant être catégorisées, par rapport à
leur relation, au caractère exhaustif de la Charte. Cette analyse sera
abordée à travers trois domaines ou trois objectifs de
l'utilisation de la force : l'intervention humanitaire, la guerre contre le
terrorisme et la force préventive.
PREMIÈRE PARTIE
LE SYSTÈME INSTAURÉ PAR LA CHARTE DES
NATIONS UNIES
CHAPITRE I
LA CONSÉCRATION NORMATIVE DU PRINCIPE DE
L'INTERDICTION DE LA
MENACE ET DU RECOURS À LA FORCE : L'ARTICLE 2
PAR. 4
L'obligation imposée aux États de trouver des
solutions pacifiques à leurs différends, l'interdiction
générale de tout recours à la force ainsi que la mise en
place d'un système de sécurité collective
représentaient les trois éléments essentiels dans tout
projet concernant l'emploi de la force au lendemain de la Deuxième
Guerre mondiale.
L'établissement des Nations Unies a permis d'atteindre
ces objectifs. Pour les États, il y a eu une expropriation totale du
droit d'utiliser la force, sauf dans le cas de légitime défense.
Sur le plan international, le droit d'utiliser la force a été
centralisé au sein d'un organe représentant la communauté
internationale, à savoir le Conseil de Sécurité. En
d'autres termes, cette interdiction de recourir à la force a
été placée dans un système incluant des
méthodes de règlement pacifique des différends et des
mécanismes de sécurité collective.
1.1. Le contenu de la norme
Lors de la Conférence de San Francisco, le projet
d'article 2 § 4 fit l'objet de plusieurs discussions entre les
délégations participantes. La version finale de cet article fut
adoptée à l'unanimité, avec l'abstention de la
Norvège, le 5 juin 1945.
Sur le plan normatif, l'article 2 § 4 pose une prohibition
générale du recours à la force en
Les membres de l'Organisation s'abstiennent, dans leurs
relations internationales, de recourir à la menace ou à l'emploi
de la force, soit contre l'intégrité territoriale ou
l'indépendance politique de tout État, soit de toute autre
manière incompatible avec les buts des Nations Unies.
Cette interdiction lie tous les États dans la mesure
où elle constitue une règle générale de droit
international. En effet, « without any exaggeration, it may be stated that
non-use of force is the most important cornerstone of the present-day edifice
of international law »15. Avant toute considération,
l'interdiction générale du recours premier et unilatéral
à la force armée est aujourd'hui un principe central du
système juridique des relations internationales. Ce principe posé
par l'article 2 § 4 ne s'applique que dans le cas des relations
internationales des États. Il ne traite pas de la question de l'emploi
de la force par les États en vue du maintien de l'ordre public sur leur
territoire. L'article 2 § 4 qualifie par ailleurs l'interdiction de
l'usage de la force en l'interdisant soit contre l'intégrité
territoriale et l'indépendance politique de tout État, soit de
toute autre manière incompatible avec les buts des Nations Unies. Selon
l'interprétation traditionnelle, cela couvre toute utilisation
première de la force armée par un État contre un autre
État. Les contraintes d'ordre politique ou économique n'entrent
pas dans le cadre de la force prohibée.
Par ailleurs, les dispositions de l'article 2 § 4 ne
constituent pas les seules ayant trait au recours à la force dans les
relations interétatiques. En effet, l'alinéa 7 du
préambule de la Charte marque la résolution des Nations Unies
« à accepter des principes et instituer des méthodes
garantissant qu'il ne sera pas fait usage de la force des armes, sauf dans
l'intérêt commun ». Sur cette base, l'article 1 § 1
énonce parmi les buts des Nations Unies celui de « maintenir la
paix et la sécurité internationales et à cette fin :
prendre des mesures collectives efficaces en vue de prévenir et
d'écarter les menaces à la paix et de réprimer tout acte
d'agression ou autre rupture de la paix [...] ».
Quant à l'article 42, il donne au Conseil de
Sécurité la possibilité d'entreprendre « [...] au
moyen de forces aériennes, navales ou terrestres, toute action qu'il
juge nécessaire au maintien et au rétablissement de la paix et de
la sécurité internationales ». Autres dispositions
importantes, celles de l'article 51 qui énonce qu'
aucune disposition de la présente Charte ne porte
atteinte au droit naturel de légitime défense, individuelle ou
collective, dans le cas où un membre des Nations Unies est l'objet d'une
agression armée, jusqu'à ce que le Conseil de
Sécurité ait pris les mesures nécessaires pour maintenir
la paix et la sécurité internationales.
Malgré cette diversité d'articles traitant du
recours à la force sur la scène internationale, l'article 2
§ 4 détient la place centrale en la matière. Cet article est
considéré comme « la mère de toutes les dispositions
relatives au recours à la force dans la Charte »16.
En faisant donc disparaître le droit subjectif à
la guerre offensive dans les relations internationales au travers des termes
les plus généraux, la Charte a établi un régime qui
se veut, selon les interprétations dominantes, exhaustif concernant
l'usage de la force. Depuis 1945, la Charte et son régime sont devenus
le standard pour l'évaluation de tout usage de la force dans les
relations internationales.
1.2. La confirmation du principe dans les instruments
internationaux
Le principe instauré par l'article 2 § 4 a
été confirmé et précisé à maintes
reprises par les organes des Nations Unies, que ce soit dans les
résolutions des organes politiques, des prises de positions du
Secrétariat général ou des jugements de la Cour
internationale de Justice (ci- après CIJ).
16Schrijver, supra note 14, à la page
446.
L'Assemblée générale a
interprété et développé le sens de ce
principe17 dans de nombreuses recommandations spécifiques et
déclarations à caractère général.
Dans la Déclaration sur l'octroi de
l'indépendance aux pays et aux peuples coloniaux de 1960, on lit
qu'
il sera mis fin à toute action armée et à
toutes mesures de répression, de quelque sorte qu'elles soient,
dirigées contre les peuples dépendants, pour permettre à
ces peuples d'exercer pacifiquement et librement leur droit à
l'indépendance complète, et l'intégrité de leur
territoire nationale sera respectée18.
Quant à la Déclaration sur les relations
amicales de 1970 adoptée à l'occasion du 25e
anniversaire des Nations Unies, le premier des sept principes confirmés
est celui de l'article 2 § 4. Le recours à la force est
assimilé à une violation du droit international puisqu'il «
ne doit jamais être utilisé comme moyen de règlement des
problèmes internationaux »19. D'autres
résolutions peuvent être citées, comme la résolution
sur les éléments essentiels de la paix de 194920, la
Déclaration sur l'inadmissibilité de l'intervention dans les
affaires intérieures des États et la protection de leur
indépendance et de leur souveraineté de 196621, la
résolution intitulée Stricte observation de l'interdiction de
recourir à la menace ou à l'emploi de la force dans les relations
internationales et du droit des peuples à
l'autodétermination de 196622, la résolution
portant définition de l'agression de 1974, dans la quelle
l'Assemblée générale « demande à tous les
États de s'abstenir de tous actes d'agression et autres emplois de la
force contraires à la Charte des Nations Unies et à la
Déclaration relative aux principes du droit international touchant les
relations amicales et la
17Selon les articles 10 à 14 de la Charte,
les résolutions de l'Assemblée générale ne sont pas
obligatoires, elles ne sont que des recommandations sauf pour les questions
internes ou budgétaires. Toutefois, certaines résolutions,
à travers leur caractère général, peuvent
être considérées comme une source d'interprétation
et de clarification de la Charte.
18A/RES/1514 (XV), 14 décembre 1960,
adoptée par 89 voix et 9 abstentions.
19A/RES/2625 (XXV), 24 octobre 1970
20A/RES/290 (IV), 1er décembre
1949.
21A/RES/2131 (XX), 21 décembre 1965.
22A/RES/2120 (XXI), 30 novembre 1966.
coopération entre les États conformément
à la Charte des Nations Unies »23 ou encore la
Déclaration sur le renforcement de l'efficacité du principe de
l'abstention du recours à la menace ou à l'emploi de la force
dans les relations internationales de 198724.
Pour le Conseil de sécurité, bien que sa
pratique en la matière reste ponctuelle et assez largement
circonstancielle, on peut donner l'exemple de la résolution sur la
question de la Palestine de 196225 ou celle adoptée en 1985
suite aux bombardements de l'aviation israélienne du siège de
l'OLP dans la banlieue sud de Tunis26.
Ce même principe a été consolidé
par des décisions rendues par la CIJ, l'arrêt de principe en la
matière étant celui de l'affaire des Activités
militaires et paramilitaires au Nicaragua et contre celui-ci, où la
Cour avait décidé que le principe énoncé dans
l'article 2 § 4 est un principe affirmé dans la coutume
internationale ainsi que dans la pratique étatique27. On cite
aussi l'arrêt rendu dans l'affaire du Détroit de Corfou
où la Cour a décidé que le droit d'intervention est une
« [...] manifestation d'une politique de force, politique qui, dans le
passé, a donné lieu aux abus les plus graves et qui ne saurait,
quelles que soient les déficiences présentes de l'organisation
internationale, trouver aucune place dans le droit international
»28, ou encore l'avis consultatif sur la
Licéité de la menace ou de l'emploi d'armes
nucléaires29.
23A/RES/33 14 (XXIX), 14 décembre 1974.
24A/RES/42/22, 18 novembre 1987.
25S/RES/171, 9 avril 1962.
26Le Conseil de sécurité a
déclaré qu'« [...] aux termes du paragraphe 4 de l'article 2
de la Charte des Nations Unies, les Membres de l'Organisation s'abstiennent,
dans leurs relations internationales, de recourir à la menace ou
à l'emploi de la force, soit contre l'intégrité
territoriale ou l'indépendance politique de tout État, soit
d'agir de toute autre manière incompatible avec les buts des Nations
Unies [...] ». S/RES/573, 4 octobre 1985.
27Affaire des Activités militaires et
paramilitaires au Nicaragua et contre celui-ci, CIJ Rec. 1986, à la
page 90, par.189-190.
28Affaire du Détroit de Corfou, 9
avril 1949, CIJ Rec. 1949, à la page 35.
29Licéité de la menace ou de
l'emploi d'armes nucléaires, avis consultatif, CIJ Rec.
1996, pp.244-245, par. 38, 40 et 41.
Parallèlement aux prises de position des organes des
Nations Unies, on peut mentionner aussi une série de traités
multilatéraux qui font référence au principe. La plupart
des accords multilatéraux en matière de défense se
réfèrent au principe instauré dans l'article 2 § 4 de
la Charte. Par exemple l'article 1er du Traité de
l'Atlantique du Nord30, l'article I du défunt Pacte de
Varsovie31 ainsi que l'article 5 du Pacte de la ligue des
États arabes32 font une référence explicite
à ce principe33.
L'article 2 § 4 est donc, d'un certain point de vue,
l'aboutissement des efforts commencés en 1899. D'ailleurs le
bannissement du recours à la force « has been qualified as the most
remarkable feature of the UN Charter »34.
La Charte contient aussi un corollaire logique de cette
interdiction. C'est l'article 2 § 3 qui oblige les États à
régler pacifiquement leurs différends. Cet article impose aux
États une obligation de comportement afin d'éviter de mettre en
danger la paix et la sécurité internationale ainsi que la
justice. Quant à l'article 33, il s'inscrit dans la continuité de
ces dispositions : lui aussi énonce une obligation juridique qui
s'impose aux parties à un différend. Ces deux articles
influencent les comportements des États d'une façon profonde.
Toutefois l'article 2 § 4 reste la clef de voûte du système
de la Charte, dans la mesure où tout le système est construit
autour de l'interdiction du recours à la force.
30Cet article stipule que « Les parties
s'engagent, ainsi qu'il est stipulé dans la Charte des Nations Unies,
à régler par des moyens pacifiques tous différends
internationaux dans lesquels elles pourraient être impliquées, de
telle manière que la paix et la sécurité internationales,
ainsi que la justice, ne soient mises en danger, et à s'abstenir dans
leurs relations internationales de recourir à la menace ou à
l'emploi de la force de toute manière incompatible avec les buts des
Nations Unies ». [En ligne] : [http
://www.nato.int/docu/fonda/traite.htm] (page visitée le 13 mars
2007).
31Pacte de Varsovie du 14 mai 1955, RTNU, vol.219,
à la page 3.
32Cet article énonce que : « Any
resort to force in order to resolve disputes between two or more member-states
of the league is prohibited [...] ». [En ligne]
[http ://
www.arableagueonline.org/arableague/english/details
_en.jsp ?art_id=1 34&level_id=40&page_ no=2] (page visitée
le 10 juillet 2007)
33On peut aussi citer l'Acte constitutif de l'Union
africaine qui stipule dans son article 4 (f) que : « l'interdiction de
recourir ou de menacer de recourir à l'usage de force entre les
États membres de l'Union africaine ».
34Brownlie, supra note 1 à la page
144.
1.3. Le statut juridique de l'article 2 par. 4
Comme nous l'avons déjà indiqué,
l'interdiction de recourir à la force posée par l'article 2
§ 4 a été affirmée par les prises de position des
États, à la fois dans les traités internationaux et dans
les décisions judiciaires internationales.
L'article 2 § 4 est l'un des candidats les plus
consensuels au rang de jus cogens. Dans son commentaire sur le projet
d'articles sur le droit des traités la Commission du droit international
(ci-après CDI), l'organe de codification de droit international des
Nations Unies a déclaré que « le droit de la Charte
concernant l'interdiction de l'emploi de la force constitue en soi un exemple
frappant d'une règle de droit international qui relève du jus
cogens »35. Le jus cogens est défini comme
« une norme acceptée et reconnue par la communauté
internationale des États dans son ensemble en tant que norme à
laquelle aucune dérogation n'est permise et qui ne peut être
modifiée que par une nouvelle norme du droit international
général ayant le même caractère36 ».
Selon Pierre Marie Dupuy, les principes du jus cogens se situent
« dans le prolongement historique, logique et idéologique de la
Charte des Nations Unies »37.
Il faut reconnaître à ce niveau, malgré
que la Charte constitue un traité, elle reste exceptionnelle dans la
mesure où elle a renforcé certaines normes d'une part, en
consacrant leur valeur fondamentale et, d'autre part, en garantissant leur
suprématie au travers de leur introduction dans le droit
positif38. En effet, de la combinaison entre les dispositions de
l'article 103 de la Charte qui établissent une certaine
hiérarchie normative dans la mesure où les principes de la Charte
qui font partie intégrante du droit international général
doivent primer sur tout autre accord international et les dispositions de
l'article 53 de la Convention
35Annuaire CDI, 1966-II, à la page 270, par.
1.
Voir aussi Ronald Macdonald, « The Charter of the United
Nations in Constitutional Perspective », Australian Year Book of
International Law, vol 20, 1999, à la page 215.
36Article 53 de la Convention de Vienne sur le droit
des traités.
37Pierre Marie Dupuy, « L'unité de l'ordre
juridique international », Académie de droit
international, Recueil des cours, vol. 297, 2002, à la page 192.
38Ibid., pp. 285 et 303.
de Vienne de 1969 sur le droit des traités, nous
déduisons que les principes de la Charte et le jus cogens ne
font qu'un et que « les principes consacrés par la Charte se
placent au sommet de l'édifice normatif international dans son ensemble,
et non pas seulement au sommet de l'édifice du système des
Nations Unies »39. Bruno Simma a qualifié la relation
entre les deux concepts de « rencontre au sommet »40. Cela
a amené certains juristes à dire que la Charte et notamment ses
principes représentent une sorte de « constitution mondiale »
puisque « it has become obvious in recent years that the Charter is
nothing else than the constitution of the international community [...] Now
that universality has almost been reached, it stands out as the paramount
instrument of the international community, not to be compared to any other
international agreement »41.
Concernant l'interdiction du recours à la force
proprement dite, elle « [...] revêt un caractère d'ordre
public, ce qui entache de nullité toute convention qui la
méconnaîtrait, [...] et [...] sa violation est constitutive d'un
crime international »42.
Quant à la CIJ, elle a considéré cette
interdiction du recours à la force comme « un principe fondamental
ou essentiel [...] »43 du droit international.
On peut donc dire que « peu de principes ont joué un
rôle aussi fondamental en droit international contemporain que le
principe de l'interdiction du recours à la force »44.
Plus
39Luigi Condorelli, « La Charte, source des
principes fondamentaux du droit international », dans Regis Chemain et
Alain Pellet (dir.pub), La Charte des Nations Unies, constitution mondiale
?, cahiers internationaux, no 20, Paris, Pedone, 2006, à
la page 162.
40Bruno Simma, « La Charte des Nations Unies
et le jus cogens », dans Regis Chemain et Alain Pellet (dir.pub), La
Charte des Nations Unies, constitution mondiale ?, cahiers internationaux,
no 20, Paris : Pedone, 2006, à la page 207.
41Christian Tomuschat, The United Nations at Age
Fifty, A Legal Perspective, The Hague; Boston, Kluwer Law
International, 1995, à la page 9.
42Joe Verhoeven, Droit international public,
Bruxelles : Larcier, 2000, à la page 671.
Voir aussi Patrick Daillier et Alain Pellet, Droit
international public, L.G.D.J, 7e éd., 2002, à la
page 967, par.576.
43Nicaragua c. États-Unis, supra note
27, à la page 90, par.190.
44Schrijver, supra note 14, à la page
437.
encore, il a constitué « une véritable
mutation du droit international, un changement qu'il n'est pas excessif de
qualifier de révolutionnaire [...] »45.
De façon très générale, la
doctrine et la jurisprudence, ainsi que les États eux-mêmes au
travers en particulier des organes politiques des Nations Unies et des accords
internationaux ont reconnu à l'article 2 § 4 un caractère
fondamental, traduit parfois en qualité normative
distincte46. La question reste néanmoins de savoir, comme
nous l'avons déjà mentionné, quelle est la portée
exacte de cette interdiction, dans la lignée des efforts entamés
dès le tournant du siècle passé. Dans ce contexte,
l'article 2 § 4 a été encadré, en 1945, de
dispositions concernant l'obligation du règlement pacifique des
différends (articles 2 § 3 et 33) ainsi que d'articles concernant
la sécurité collective (Chapitre VII). En particulier, la Charte
a, dans le cadre du Chapitre VII, organisé l'utilisation de la force
collective par le Conseil de Sécurité, tout en réservant
aux États le droit de légitime défense.
45Michel Virally, « Article 2 paragraphe
4 », dans Jean-Pierre Cot et Alain Pellet, La Charte des Nations
Unies, Commentaire article par article, 2e édition,
Paris, Économica, 1991, à la page 115. 46Voir Prosper
Weil, « Vers une normativité relative en droit international ?
», R.G.D.I.P, Paris, tome 86-1,1982-1, pp.5-47.
CHAPITRE II
L'UTILISATION DE LA FORCE NON CONTRAIRE AU PRINCIPE
La règle posée par l'article 2 § 4 ne
signifie pas que tout emploi de la force est illégal dans les relations
interétatiques, puisque la Charte des Nations Unies prévoit deux
cas d'utilisation de la force non soumis à l'interdiction de cet
article. Il s'agit d'une part, de la légitime défense et, d'autre
part, de l'usage de la force armée dans le cadre du maintien de la paix
et de la sécurité internationales par le Conseil de
sécurité.
2.1. La légitime défense
Contrairement au Pacte de la SDN et au Pacte Briand-Kellog qui
ne reconnaissent la légitime défense qu'implicitement, le
chapitre VII de la Charte se clôt sur l'article 51 qui énonce qu
:
Aucune disposition de la présente Charte ne porte
atteinte au droit naturel de légitime défense, individuelle ou
collective, dans le cas où un membre des Nations Unies est l'objet d'une
agression armée, jusqu'à que le Conseil de sécurité
ait pris les mesures nécessaires pour maintenir la paix et la
sécurité internationales. Les mesures prises par les membres dans
l'exercice de ce droit de légitime défense sont
immédiatement portées à la connaissance du Conseil de
sécurité et n'affectent en rien le pouvoir et le devoir qu'a le
Conseil, en vertu de la présente Charte, d'agir à tout moment de
la manière qu'il juge nécessaire pour maintenir ou
rétablir la paix et la sécurité internationales.
La légitime défense est considérée
comme un droit inaliénable appartenant à tout État. Elle
est la conséquence du droit à la vie et à
l'autopréservation ; il s'agit en d'autres termes, de donner aux
États la possibilité de se défendre tout en restant dans
le cadre de la légalité. À
19 travers l'article 51, la légitime défense se
trouve réglementée, pour la première fois, comme
corollaire de l'interdiction générale de l'usage de la force de
l'article 2 § 4.
Il est à noter que certains juristes considèrent
la légitime défense comme une exception, c'est à dire
qu'elle est susceptible de suspendre l'effet obligatoire de la règle
imposée dans l'article 2 § 4. À notre avis, cette conception
est cependant inadmissible dans la mesure où la légitime
défense est uniquement, comme le précisent les professeurs Sur et
Combacau, une :
Conséquence de l'interdiction de certains recours
à la force et spécialement de l'agression armée contre
laquelle elle constitue une réplique justifiée. C'est parce que
l'agression armée est prohibée que la légitime
défense est autorisée et non en dépit de l'interdiction du
recours à la force que la légitime défense est
tolérée47.
En d'autres termes, il n'y a aucune contradiction normative
entre les deux articles, au contraire, « ils n'en constituent qu'un seul
»48 puisque la légitime défense « ne porte
atteinte ni à l'indépendance politique ni à
l'intégrité territoriale d'un État. Elle n'est pas non
plus contraire aux autres buts des Nations Unies. Elle rentre donc pleinement
dans le cadre de l'article 2 § 4, qui n'est qu'interprété ou
précisé, et non pas contredit par l'article 51
»49.
2.1.1. Définition et conditions de la
légitime défense
La légitime défense n'a pu acquérir un
véritable sens juridique et technique qu'à partir du moment
où le recours à la force a été interdit.
47Jean Combacau et Serge Sur, Droit International
Public, Montchrestien, 6e édition, 2004, à la
page 619.
48Ibid.
49Ibid.
La CIJ, à travers trois décisions, a
précisé la signification pour les Nations Unies des
paramètres de l'article 5150. Selon l'acception doctrinale
classique, le coeur du principe est le « droit de réaction
armée dont dispose, à titre individuel ou collectif, tout
État qui a été victime d'une agression armée
»51.
Pour ce qui est de « l'agression », lors de la
Conférence de San Francisco, les États ont renoncé «
à établir une telle définition parce qu'une liste des
actes devant être considérés comme des actes d'agression
aurait risqué de ne pas être exhaustive et qu'une
définition abstraite aurait risqué de se révéler
inadaptée devant la complexité des situations internationales
»52. La définition donnée dans la doctrine est
celle d'« [a]ttaque armée déclenchée par un
État agissant le premier contre un autre État en violation des
règles du droit international »53. Par ailleurs, la
résolution 3314 (XXIX) du 14 décembre 1974 sur la
définition de l'agression a opté pour le fait de faire
coïncider les articles 2 § 4 et 51 de la Charte, ceci en
définissant l'agression dans les termes suivants : « L'agression
est l'emploi de la force armée par un État contre la
souveraineté, l'intégrité territoriale ou
l'indépendance politique d'un autre État, ou de toute autre
manière incompatible avec la Charte des Nations Unies
»54.
À travers ces définitions, de même
qu'à la lumière des dispositions de l'article 51, on constate
qu'au départ la qualification d'un état de légitime
défense se fait par l'État agressé mais que cette
qualification sera vérifiée, par la suite, par le Conseil de
sécurité. Il faut, par ailleurs, qu'il y ait une agression
armée pour se situer dans le cadre d'une légitime
défense,
50Il s'agit des affaires Nicaragua c.
États-Unis, supra note 27, à la page103, par.194,
Licéité de la menace ou de l'emploi d'armes
nucléaires, supra note 29, à la page 245, par.41,
et de L'affaire des plates formes pétrolières,
infra note 313, pp. 35-37, par. 73-77.
51Jean Salmon, Dictionnaire de droit international
public, Bruxelles : Bruylant, 2001, à la page 642.
52Marc Perrin de Brichambaut, Jean François Dobelle et Marie
Reine d'Haussy, Leçons de droit international public, Paris :
Presses de sciences PO et Dalloz, 2002, à la page 284.
53Ibid., à la page 52.
54Supra note 23.
On peut aussi compléter l'article 51 avec la
Résolution 2625 de l'Assemblée Générale, qui est
considérée comme une interprétation quasi authentique de
la Charte. Supra note 18.
cette dernière ne devant être entamée ni
avant le début ni après la fin de l'agression
armée55. Enfin, la légitime défense
disparaît si le Conseil de sécurité agit en vue du maintien
de la paix et de la sécurité internationales. Par
conséquent, « [L]e droit de légitime défense
individuelle présente un caractère subsidiaire, dans la mesure
où il ne peut être invoqué qu'aussi longtemps que le
Conseil de sécurité n'a pas pris les dispositions
nécessaires au maintien de la paix et de la sécurité
internationales »56. Pour Linos-Alexandre Sicilianos, la
légitime défense a un caractère inaliénable
affirmé, entre autres, par l'article 51 lui-même quand il la
qualifie de « droit naturel » mais cela ne signifie pas pour autant
qu'elle soit illimitée, dans la mesure où son exercice est soumis
au contrôle du Conseil de sécurité57. La
liberté d'action dont les États jouissent au moment où ils
sont victimes d'une agression armée n'est, du point de vue de la Charte,
que temporaire. En effet, lorsque le Conseil de sécurité se
saisit d'une affaire, il peut adopter toute décision en vertu des
pouvoirs qu'il tient de la Charte. Cela vise essentiellement à «
préserver le rôle du [Conseil de sécurité] en tant
qu'organe ayant la responsabilité principale pour le maintien de la paix
et de la sécurité internationales »58.
Concernant le contrôle exercé par le Conseil de
sécurité, tout État est obligé de porter à
sa connaissance les mesures prises au titre de la légitime
défense, même si, en pratique, il est relativement rare qu'un
État le fasse. Pour certains auteurs, cela constitue un indice de
mauvaise foi de l'État prétendant avoir agi en légitime
défense59. Par exemple, dans l'affaire des
Activités militaires et paramilitaires au Nicaragua et contre
celui-ci, la CIJ a mentionné le non-respect des États-Unis
de l'obligation d'informer le Conseil de sécurité de leurs
opérations au Nicaragua pour corroborer son jugement sur
l'illicéité de leurs activités60.
La légitime défense peut par ailleurs être
individuelle ou collective. Dans le deuxième cas, elle constitue une
création de la Charte et obéit fondamentalement aux mêmes
conditions
55Nicaragua c. États-Unis,
supra note 27, à la page 103, par. 194.
56Salmon, supra note 51, à la page
642.
57Linos Alexandre Sicilianos, Les réactions
décentralisées à l'illicite. Des contres mesures à
la légitime défense, Paris : L.G.D.J, 1990, pp. 304-306.
58Ibid., à la page 306.
59Don Greig, « Self-Defense and the Security
Council : what does Article 51 Require ? », I.C.L.Q, 1991, pp.366-402.
60Nicaragua c. États-Unis,
supra note 27, à la page 121, par.235.
22 que l'invocation de la légitime défense
individuelle. Elle vise le cas où un État non directement
agressé intervient pour assister l'État agressé, soit
à la suite d'une demande ponctuelle soit en vertu des accords de
défense qui le lient au pays agressé. À titre d'exemple,
l'article 5 du traité de l'Atlantique du Nord du 9 avril 1949
énonce que :
Les parties conviennent qu'une attaque armée contre
l'une ou plusieurs d'entre elles survenant en Europe ou en Amérique du
Nord sera considérée comme une attaque dirigée contre
toutes les parties et en conséquence elles conviennent que, si une telle
attaque se produit, chacune d'elles, dans l'exercice du droit de
légitime défense, individuelle ou collective reconnu par
l'article 51 de la Charte des Nations Unies, assistera la partie ou les parties
ainsi attaquées en prenant aussitôt individuellement et d'accord
avec les autres parties, telle action qu'elle jugera nécessaire, y
compris l'emploi de la force armée, pour rétablir et assurer la
sécurité dans la région de l'Atlantique du nord.
Toute attaque armée de cette nature et toute mesure
prise en conséquence seront immédiatement portées à
la connaissance du Conseil de sécurité. Ces mesures prendront fin
quand le Conseil de sécurité aura pris les mesures
nécessaires pour rétablir et maintenir la paix et la
sécurité internationales61.
Le Traité de l'Atlantique du Nord se place clairement
dans le cadre de la Charte et reconnaît de façon expresse sa
subordination à cette dernière62.
De plus, la légitime défense, qu'elle soit
individuelle ou collective, doit obéir aux conditions de
proportionnalité et de nécessité. Dans l'affaire des
Activités militaires et paramilitaires au Nicaragua et contre
celui-ci, la CIJ a énoncé que la règle
spécifique selon laquelle « la légitime défense ne
justifierait que des mesures proportionnées à l'agression
armée subie [est] bien établie en droit international coutumier
»63. Il est à noter que l'examen
61Le texte intégral du Traité de
l'Atlantique du Nord est disponible [en ligne] : [http
://www.nato.int/docu/fonda/traite.htm] (page visitée le 21 novembre
2006).
62L'article 7 du traité stipule que : «
le présent Traité n'affecte pas et ne sera pas
interprété comme affectant en aucune façon les droits et
obligations découlant de la Charte pour les parties qui sont membres des
Nations Unies ou la responsabilité primordiale du Conseil de
sécurité dans le maintien de la paix et de la
sécurité internationales ».
63Nicaragua c. États-Unis,
supra note 27, à la page 94.
23 de la proportionnalité ne peut être
déterminant pour apprécier la licéité d'une action
de légitime défense que si les autres conditions
susmentionnées sont remplies. Le principe de proportionnalité ne
peut, en aucun cas, transformer une réaction illicite en soi en
réaction licite. C'est dans ce sens que la CIJ a déclaré
que :
Même si les activités des États-Unis
avaient respecté strictement les exigences de proportionnalité,
elles n'en seraient pas devenues licites pour autant. Si, par contre, tel
n'était pas le cas, il pourrait y avoir là [c'est-à-dire
dans le non-respect du principe de proportionnalité] un motif
supplémentaire d'illicéité64.
Pour revenir aux termes de la Charte, toute utilisation de la
force qui obéit aux paramètres susmentionnés n'est pas
illégale, dans la mesure où la légitime défense est
une circonstance excluant l'illicéité du recours à la
force65. En effet, « une réaction au titre de
légitime défense n'est pas licite en soi. Elle ne le devient que
par rapport à l'illicéité de l'acte qui l'a
motivée»66.
En fait, l'article 51 a constitué un progrès
incontestable en matière d'exercice du droit de légitime
défense. Ses dispositions constituent une soupape de sûreté
du système général de maintien de la paix et de la
sécurité instauré par la Charte des Nations Unies.
Toutefois, dans la pratique étatique, on a assisté à une
utilisation abusive ou à des tentatives d'élargissement de ce
concept visant l'extension de sa portée.
2.1.2. Les problèmes d'interprétation
L'interprétation de la notion de légitime
défense par les États et par la doctrine, depuis l'adoption de la
Charte des Nations Unies, n'a pas été des plus heureuses
malgré la clarté de l'article 51. En effet, on a assisté
à un certain élargissement de ce concept.
64Ibid., à la page 122, par. 237.
65Voir ONU, Doc, A/56/10 août 2001.
Commentaire de la Commission du droit international sur le projet
d'articles sur la responsabilité de l'État pour fait
internationalement illicite.
66Sicilianos, supra note 57, à la page
44.
Comme on l'a déjà mentionné la
légitime défense consiste en une riposte armée face
à une agression armée, toutefois certains auteurs
considèrent que l'agression armée ne constitue pas une condition
sine qua non pour se situer dans le cadre de l'article 51 puisque
« whilst it is conceded that the right of self-defence generally applies
within the context of force, it is neither a necessary nor accurate conclusion
that the right of self-defence applies only to measures involving the use of
force »67. C'est dans ce sens que l'on commencé à
parler de « légitime défense économique »,
d'embargo ou de boycottage comme mesures de légitime défense.
Cette thèse extensive n'est qu'une simple confusion conceptuelle, et n'a
pas de base dans la pratique étatique. Elle revêt malgré
tout un caractère dangereux car elle étire
considérablement et d'une façon potentiellement illimitée
la notion d'agression et, par conséquent, la notion de légitime
défense qui en est un corollaire. D'ailleurs, dans l'affaire des
Activités Militaires et paramilitaires au Nicaragua et contre
celui-ci, la CIJ a refusé d'une part, d'assimiler l'embargo
à une mesure de légitime défense et, d'autre part, de
donner à cette dernière une portée englobant des mesures
à caractère économique68.
Dans le même ordre d'idées, on a essayé de
multiplier les faits illicites ouvrant la voie à la légitime
défense et ce, en cherchant des fondements et des arguments en dehors du
système de la Charte. C'est ainsi qu'a été
évoqué en particulier le droit coutumier antérieur
à l'adoption de la Charte. En d'autres termes, selon cet argumentaire,
cette dernière n'aurait pas affecté le droit coutumier de
légitime défense qui lui est antérieur69. Pour
les défenseurs de cette interprétation, les États ont, par
exemple, le droit de recourir à la force non seulement pour se
défendre contre une agression armée, mais encore pour
protéger leurs ressortissants à l'étranger et leurs
biens70. Or, dans le droit international classique, aucune place
n'était, à proprement parler, réservée pour la
notion de légitime défense, puisque le recours à la force
était permis dans n'importe quel but. De ce fait, selon les termes du
professeur Sicilianos, cette interprétation :
67Derek Bowett, Self-defence in International
Law, Manchester : Manchester University Press, 1958, à la page
270.
68Nicaragua c. États-Unis,
supra note 27, pp. 377-378.
69Bowett, supra note 67, pp.22-25.
70Ibid., à la page 11.
[s]e fonde sur des prémisses douteuses [...] [L]a
quasi-totalité de la pratique étatique citée à
l'appui de l'idée selon laquelle la Charte n'aurait pas
reflété le droit coutumier antérieur, se situe au
XIXe siècle, c'est-à-dire à une époque
où la notion de légitime défense n'avait pas acquis une
autonomie conceptuelle et juridique. Étant donné que ladite
notion n'a pu émerger en tant que justification de l'emploi de la force
qu'a partir du moment où celui-ci venait précisément
d'être réglementé [...] plusieurs éléments
conduisent à penser que durant la période critique de l'entre
deux guerres la légitime défense était
généralement conçue comme une réaction face
à une attaque, une invasion ou une agression
armée71.
L'exigence d'une agression armée formulée par
l'article 51 comme critère nécessaire de la légitime
défense ne « faisait que traduire et cristalliser la tendance
claire »72 qui se dégageait de la pratique
étatique entre les deux guerres, et que cette période a
été critique pour la formation du droit coutumier en la
matière73. Cela nous pousse à affirmer qu'il existe,
sous le régime de la Charte, un lien indissoluble entre l'agression
armée et la légitime défense comme faculté. Cette
manière de voir a été corroborée par
l'évolution contemporaine du droit de légitime défense. En
effet, dans l'affaire des Activités Militaires et paramilitaires au
Nicaragua et contre celui-ci, la C.I.J a déclaré que :
Si un État agit d'une manière apparemment
inconciliable avec une règle reconnue, mais défend sa conduite en
invoquant des exceptions ou justifications contenues dans la règle
elle-même, il en résulte une confirmation plutôt qu'un
affaiblissement de la règle, et cela que l'attitude de cet État
puisse ou non se justifier en fait sur cette base74.
En d'autres termes, il n'est pas nécessaire « pour
qu'une règle soit coutumièrement établie, [que] la
pratique correspondante doive être rigoureusement conforme à cette
règle»75. Les propos de la Haute Juridiction viennent
infirmer l'idée selon laquelle le droit coutumier, en matière de
légitime défense, s'est modifié dans un sens plus
permissif depuis l'adoption de la Charte des Nations Unies.
71Sicilianos, supra note 57, à la page
297.
72Ibid., à la page 299.
73Ibid., à la page 298. 74Nicaragua
c. États-Unis, supra note 27, à la page 98, par.
186.
75Ibid.
L'arrêt de la C.I.J a également clarifié
un autre point d'une importance capitale, à savoir la mention dans
l'article 51 du « droit naturel » (en anglais « inherent right
») de légitime défense puisque, pour la Cour, l'article 51
de la Charte n'a de sens que s'il existe un droit de légitime
défense « naturel » ou « inhérent », dont on
voit mal comment il ne serait pas de nature coutumière, même si
son contenu est désormais confirmé par la Charte et
influencé par elle76. Certains auteurs ne partagent pas
l'avis de la Cour et considèrent que « la qualification du droit de
légitime défense comme "naturel", "inherent" ou "immanente" [en
espagnol] n'a pour but que de souligner dans ce contexte son caractère
fondamental »77. Pour Sicilianos, cette minimisation de
l'importance de la mention du « droit naturel » de légitime
défense, dans l'article 51, vise essentiellement à repousser le
point de vue opposé qui fait de ce terme son principal
argument78.
Toutefois, nous sommes d'avis que reconnaître un
caractère coutumier à la légitime défense ne
signifie pas que l'on doit accepter son invocation en dehors d'une agression
armée. Autrement dit, le droit coutumier continue d'exister à
côté du droit conventionnel.
L'autre problème ayant suscité la controverse au
sein de la doctrine est celui de la valeur juridique de l'article 51 ou, en
d'autres termes, la question de savoir si les dispositions de cet article sont
impératives ou non. D'une façon plus claire il s'agit de
répondre à la question suivante : Peut-on écarter le jeu
de la légitime défense ?
Étant donné que la légitime
défense implique toujours le recours à la force, et que le
principe de non-recours à la force constitue une règle de jus
cogens par excellence c'est-à-dire qu'on ne peut y déroger
ou le modifier en aucun cas, nous pouvons arriver à la conclusion que
les deux ont la même valeur juridique. Tout traité qui
écarte la légitime défense en cas d'agression armée
serait frappé d'une nullité absolue. On trouve la confirmation de
ce point de vue dans le projet de la CDI sur la responsabilité des
États et, plus précisément, dans son
76Ibid., à la page 94, par.
176.
77Jaroslav éourek, L'interdiction de
l'Emploi de la Force en Droit International, Genève : Institut
Henry-Dunant, 1974, à la page 97.
78Sicilianos, supra note 57, à la page
302.
commentaire de l'article 34 puisque « se sont aussi
créées les conditions de l'affirmation définitive de
l'autre règle, parallèlement et également
impérative, qui prévoit que la légitime
défense comme limitation à l'interdiction dictée par la
première règle [interdiction du recours à la force]
»79.
Il est à préciser que dire que la règle
autorisant la légitime défense revêt un caractère
impératif ne signifie en aucun cas qu'elle soit illimitée,
puisque sa portée s'étend « jusqu'à ce que le Conseil
de sécurité ait pris les mesures nécessaires pour
maintenir la paix et la sécurité internationales
»80, comme nous l'avons déjà vu.
2.2. La sécurité collective
Le deuxième cas d'utilisation de la force non contraire
à l'article 2 § 4 est consacré dans les mécanismes de
sécurité collective institués par la Charte des Nations
Unies en 1945. Le professeur Serge Sur a défini la
sécurité collective comme étant « une vision globale
de la sécurité internationale, qui vise à assurer la
sécurité pour tous sur la base de l'égalité de
chacun en termes de sécurité »81.
Pour Jean-Marc Sorel, la sécurité collective
« est un système où chaque État a un droit
égal à la sécurité [...] la sécurité
collective constitue donc une sorte de contrat social international
»82. Il est utile de rappeler que la Charte a été
essentiellement conçue comme un instrument de paix et de
sécurité internationale. Cette tâche a été
confiée à un organe permanent, à savoir le Conseil de
sécurité83. Sa composition, ses fonctions et ses
pouvoirs
79Annuaire de la CDI, 1980, vol. II,
2ème partie, à la page 56, par. 18.
80Article 51 de la Charte des Nations Unies.
81Serge Sur, Relations internationales, Paris
: Montchrestien, 2e ed., 2000, pp. 413-416.
82Jean-Marc Sorel, « L'élargissement de
la notion de menace contre la paix » dans S.F.D.I, Le Chapitre VII de
la Charte des Nations Unies, Colloque de Rennes, 2-4 juin 1994, Paris :
Pedone, 1995, à la page 17.
83Article 24 par. 1 de la Charte des Nations Unies.
sont contenus dans les dix articles du Chapitre V de la
Charte. Il est l'organe politique exécutif de l'ONU.
Le Conseil de sécurité est aussi un organe
restreint, avec ses cinq membres permanents, mais en même temps
représentatif de l'ensemble des États membres. Cette
représentativité est renforcée par la présence de
membres non permanents, au nombre de dix. Chaque membre non permanent est
élu pour deux ans par l'Assemblée
générale84 sur une base géographique
équilibrée. Quant à la présidence du Conseil de
sécurité, elle est assurée par un État membre par
rotation mensuelle entre les États sur une base alphabétique.
La volonté des rédacteurs de la Charte
était donc de créer un organe puissant, disposant des moyens de
mener des actions efficaces en cas de besoin. C'est pour cela que l'on a
investi le Conseil de sécurité de pouvoirs considérables,
notamment ceux qui découlent du Chapitre VII de la Charte. L'article
3985, qui ouvre le Chapitre VII, habilite le Conseil de
sécurité à constater l'existence d'une menace contre la
paix, d'une rupture de cette dernière ou d'une agression. Il
prévoit ensuite que le Conseil de sécurité, ayant
constaté l'une des trois situations mentionnées, fasse des
recommandations ou qu'il décide des mesures à prendre pour
maintenir ou rétablir la paix et la sécurité
internationales.
Il reste à préciser que l'examen des
dispositions du Chapitre VII présente une certaine difficulté
dans la mesure où les questions qui seront traitées ne
dépendent pas exclusivement de l'analyse de leurs aspects juridiques.
84Article 23 par. 1 et 2 de la Charte des Nations
Unies.
85L'article 39 énonce que : « Le
Conseil de Sécurité constate l'existence d'une menace contre la
paix, d'une rupture de la paix ou d'un acte d'agression et fait des
recommandations ou décide quelle mesures seront prises
conformément aux articles 41 et 42 pour maintenir ou rétablir la
paix et la sécurité internationales ».
2.2.1. Le pouvoir de qualification du Conseil de
Sécurité
Pour se situer dans le cadre du Chapitre VII, le Conseil de
sécurité doit constater l'existence d'une menace contre la paix,
d'une rupture de la paix ou d'un acte d'agression : ce sont les trois
hypothèses de l'article 3986 . Le pouvoir de constatation de
ces trois situations trouve ses origines dans une légitimation
collective donnée par les États, dans l'article 24 § 1 de la
Charte. Les États membres y « confèrent au Conseil de
sécurité la responsabilité principale du maintien de la
paix et de la sécurité internationales et reconnaissent qu'en
s'acquittant des devoirs que lui impose cette responsabilité le Conseil
de sécurité agit en leur nom ». L'article 39 habilite donc
le Conseil de sécurité de ce pouvoir tout en lui laissant une
grande liberté. D'ailleurs, ni la Charte ni les travaux
préparatoires ne définissent les trois situations
susmentionnées87. Le pouvoir discrétionnaire du
Conseil de sécurité n'est limité a priori par
aucun contrôle juridictionnel ou autre. Les rédacteurs de la
Charte ont en effet choisi des formules très générales.
La notion de menace contre la paix peut renvoyer bien
sûr à un conflit international mais aussi à une situation
intérieure qui peut avoir des répercussions au niveau
international. L'indétermination de cette notion vise à
élargir le champ d'action du Conseil de sécurité.
D'ailleurs, « la seule définition d'une menace contre la paix qu'on
puisse actuellement donner est celle-ci [...] : une menace pour la paix au sens
de l'article 39 est une situation dont l'organe compétent pour
déclencher une action de sanctions déclare qu'elle menace
effectivement la paix »88. En d'autres termes, « il s'agit
d'une hypothèse vague et élastique qui [...] n'est pas
nécessairement caractérisée par des opérations
militaires ou en tout cas
86La première véritable application
de l'article 39 était lors de la résolution 54 du 15 juillet
1948, puisque le Conseil de Sécurité « constate que la
situation en Palestine constitue une menace contre la paix au sens de l'article
39 des Nations Unie ». S/RES/54, 15 juillet 1948.
87Mirko Zambelli, La constatation des
situations de l'article 39 de la Charte des Nations Unies par le Conseil de
sécurité : le champ d'application des pouvoirs prévus au
chapitre VII de la Charte des Nations Unies, Genève, Helbing &
Lichtenbahn, 2002, à la page 102.
88Jean Combacau, Le pouvoir de sanction de l 'O.N.
U. Étude théorique de la coercition non militaire, Paris :
Pedone, 1974, pp. 99-100.
30 impliquant l'utilisation de la force, et qui par
conséquent peut correspondre aux comportements les plus variés
des États »89.
Quant à la rupture de la paix, c'est :
Une notion très générale et, en principe,
très neutre dans la mesure où elle n'oblige pas à
désigner l'État responsable de cet acte ou de la situation qui en
résulte. [...] L'expression s'applique dans tous les cas où des
hostilités ont éclaté sans qu'il soit
allégué que l'une des parties est l'agresseur ou qu'elle a commis
un acte d'agression90.
Concernant les termes « guerre » et « agression
», et bien que lors de la Conférence de San Francisco, certains
États aient proposé de dresser une liste non exhaustive dans
laquelle l'intervention du Conseil de sécurité serait
automatique, on a conclu que l'évolution des techniques de guerre
rendait une définition exhaustive impossible. Pour certains, le but
était d'éviter les erreurs du Pacte de la SDN, puisque
l'utilisation de ces mots dans ce dernier avait conduit à des
débats juridiques prolongés ; par ailleurs, les tentatives de
définir les mots « guerre » et « agression »
n'avaient conduit qu'à de la confusion et à des
désaccords91. Ce n'est qu'avec l'adoption par
l'Assemblée générale de la résolution 3314 (XXIX)
du 14 décembre 1974 que l'on a donné une définition
à l'agression en la considérant comme « la forme la plus
grave et la plus dangereuse de l'emploi illicite de la force
»92, mais cela n'a amoindri en rien le libre pouvoir
d'appréciation du Conseil de sécurité. En effet, d'une
part il n'est pas lié par les résolutions de l'Assemblée
générale et, d'autres part, les articles 2 et 4 de l'annexe de la
résolution réservent le pouvoir d'appréciation du Conseil
de sécurité93.
89Benedetti Conforti, « Le pouvoir
discrétionnaire du Conseil de Sécurité en matière
de constatation d'une menace contre la paix, d'une rupture de la paix, ou d'un
acte d'agression », dans R.J. Dupuy (ed), Le développement du
rôle du Conseil de Sécurité. Peace-keeping and
Peace-bulding. Colloque de l'Académie de droit international de La
Haye, La Haye :Martinus Nijhoff, 1993, à la page 53.
90Gérard Cohen-Jonathan, « Article 39
», dans Jean Pierre Cot et Alain Pellet (dir.), La Charte des Nations
Unies : Commentaire article par article, 1991, Paris :éditions
Économica à la page 658.
91Ruth Russell, A History of the United Nations
Charter. The Role of the United States (1940-1945), Washington DC :The
Brookings Institution, 1958, à la page 1.
92Supra note 23.
93Aux termes de l'article 2 de l'annexe, le Conseil
de Sécurité peut décider de ne pas intervenir,
même
face à des comportements considérés comme
agression par la résolution. Quant aux dispositions de
l'article 4 de
l'annexe, elles donnent la possibilité au Conseil de
Sécurité de considérer comme une
D'ailleurs, on a constaté une hésitation de la
part du Conseil de sécurité lorsqu'il s'agit de qualifier une
situation d'« agression », même dans les cas où cette
dernière est flagrante. Il n'a, en fait, utilisé que des notions
s'en approchant telles que « action militaire »94 et
« attaques armées »95.
La volonté était donc de mettre le Conseil de
sécurité au sommet de la pyramide du système international
et ce, en étendant son pouvoir discrétionnaire le plus possible,
puisque l'absence de définition permettrait théoriquement
à ce conseil de s'occuper de n'importe quelle crise.
Toutefois, dans la pratique96, cela peut avoir des
résultats contraires dans la mesure où l'absence de
définition a donné aux États une plus grande marge de
manoeuvre quand il s'agit de définir une menace ou une rupture de la
paix -- évidemment au gré de leurs intérêts -- et,
par conséquent, de faire prévaloir leur droit à la
légitime défense. Dans le même ordre d'idées, cette
absence de définition a, d'une part, rendu le Conseil de
sécurité assez réticent lorsqu'il est amené
à qualifier une situation d'une façon précise97
et, d'autre part, elle lui a laissé la porte ouverte pour prendre des
décisions conformes aux intérêts propres de ses membres. Il
est à noter qu'en pratique, aucune constatation n'est possible si
l'agresseur est l'un des membres permanents, ou même un État
protégé par l'un d'eux.
Pour Denys Simon, cette absence de définition peut aussi
conduire à une certaine confusion entre les dispositions du Chapitre VI
et celles du Chapitre VII dans la mesure où :
agression des actes que la résolution 3314 ne
considère pas comme telle puisque l'énumération des actes
à l'article 3 n'est pas limitative.
94S/RES/248, 24 mars 1968.
95S/RES/387, 31 mars 1976.
96Pour une analyse systématique du contenu
pratique des situations de l'article 39, jusqu'en 2002, voir M. Zambelli,
supra note 87, pp. 94 et ss.
97Dans une interprétation optimiste, on peut
dire que parfois cette réticence ou prudence est justifiée dans
la mesure où, en s'abstenant de déterminer l'auteur d'une
agression, le Conseil de Sécurité laisse toutes les chances
à un règlement politique de l'affaire.
le caractère approximatif des qualifications et
l'absence de distinction nette, dans le vocabulaire du Conseil de
sécurité, entre menace potentielle, future ou éventuelle,
et menace actuelle, réelle ou réalisée [est] une confusion
permanente entre les situations justiciables de l'article 34 et celles qui
relèvent de l'article 3998.
Cette action de qualification du Conseil de
sécurité soulève aussi d'autres questions, d'une part sur
la nature de l'opération, c'est-à-dire de savoir si cette
qualification est juridique ou simplement politique. D'autre part, cette
qualification constitue-t-elle un jugement sur la responsabilité
étatique au sens du droit international ?
Ces deux questions, qui sont intimement liées, sont
aussi fortement controversées. Pour certains auteurs :
L'exercice par le Conseil de sécurité de ses
pouvoirs au titre du Chapitre VII ne suppose ni n'implique l'hypothèse
ou la constatation de la violation d'une obligation internationale, la
sauvegarde du droit ne contribuant pas toujours au maintien de la paix, et vice
versa. La Charte ne fait donc pas du Conseil de sécurité un
organe chargé de sanctionné les violations du droit [...] La
qualification n'a en soi aucune conséquence aussi longtemps que le
Conseil de sécurité lui-même n'y donne pas de suites [...]
L'opération de qualification est donc toute relative99.
Les buts des pouvoirs accordés au Conseil de
sécurité vise « not to maintain or restore the law, but to
maintain, or restore peace, which is not necessarily identical with the law
»100. Cela veut dire, selon Kelsen, que « the enforcement
actions under article 39 are purely political measures, that is to say,
measures which the Security Council may apply at its discretion for the purpose
to maintain or to restore international peace »101.
Dans l'affaire des Activités militaires et
paramilitaires au Nicaragua et contre celui-ci, en répondant
à l'argument américain selon lequel la Cour doit se prononcer
incompétente,
98Denys Simon, « Article 40 », dans Jean
Pierre Cot et Alain Pellet (dir.), La Charte des Nations Unies :
Commentaire article par article, 1991, Paris, Économica, à
la page 675.
99Pierre D'Argent et al. « Article 39 »,
dans Jean Pierre Cot, Alain Pellet et Mathias Forteau (dir.), La Charte des
Nations Unies : Commentaire article par article, 2005, Paris :
Économica, 3e édition, pp.1 137-1138.
100Hans Kelsen, The law of the United
Nations, A critical analysis of its fundamental problems, London:
Institute of World Affairs, 1950, à la page 294.
101Ibid., à la page 733.
33 pour éviter de se prononcer sur les notions de
« menace contre la paix » et de « rupture de la paix », qui
relèvent exclusivement de la compétence du Conseil de
sécurité, la Cour a répondu que ce dernier avait des
attributions politiques qui ne préjugeaient pas de ses fonctions
judiciaires102. Dans la même logique et concernant l'impact de
cette qualification sur la responsabilité de l'État, il est admis
que :
Le Conseil de sécurité, lorsqu'il qualifie une
situation, n'entend nullement porter un jugement sur la responsabilité
internationale de l'État à l'origine de la situation
qualifiée. Il pourrait d'ailleurs exister des situations constitutives
de menace contre la paix n'emportant aucune illicéité et ne
soulevant aucune question d'imputabilité étatique [comme] les
catastrophes naturelles. [D'ailleurs] même si l'on s'accorde pour dire
que la qualification d'une situation par le Conseil de sécurité
comporte un jugement sur la responsabilité internationale de
l'État concerné, il faut alors admettre que ce jugement demeure
une simple opinion politique qui ne préjuge pas, en droit, de la
question de la responsabilité internationale de l'État
concerné [...] il faut encore remarquer que si la qualification par le
Conseil de sécurité ne préjuge pas de la
responsabilité internationale de l'État auquel la situation
qualifiée est imputable, il en va logiquement de même lorsque le
Conseil s'abstient de qualifier103.
Cet avis n'est pas partagé par toute la doctrine
puisque, pour certains auteurs, l'acte de constatation est une fonction
essentielle du droit international et, par conséquent, il a une
signification juridique. Pour J. Combacau, le Conseil de sécurité
exerce « une double fonction d'exécution de la loi dans la mesure
où elle lui confère une compétence et où elle
dispose au fond, et de création de droit dans la mesure où il
reconnaît dans les faits de l'espèce un cas d'application de la
loi et concrétise ainsi ce qu'elle avait laissé dans le
vague»104.
Les partisans de cette doctrine avancent aussi l'argument de
l'obligation tirée de l'article 39 de s'abstenir de tout acte
constitutif d'une menace ou d'une rupture de la paix. Cette obligation pour
eux, bien qu'elle soit imprécise, reste incluse dans la
Charte105.
102Affaire des activités militaires et
paramilitaires au Nicaragua et contre celui-ci, Recueil 1984, arrêt
du 26 novembre, à la page 431, par.89.
103Supra note 99, pp.1139-1 140.
104Combacau, supra note 88, à la page
15.
105Ibid., à la page 16.
Quoi qu'il en soit, la Charte a investi le Conseil de
sécurité d'une discrétion pour qualifier une situation ou
de s'abstenir, mais la question demeure de savoir si cette qualification peut
faire ensuite l'objet d'un certain contrôle.
Il n'est contesté par personne que lorsqu'il qualifie
une situation, le Conseil de sécurité est tenu à respecter
les principes et les buts de la Charte, conformément à l'article
24 § 2 de la Charte. En effet, « le respect de la Charte et du droit
n'est pas l'ennemi de la paix et ne compromet pas nécessairement la
priorité à lui accorder »106.
Le Conseil de sécurité est soumis donc au
respect de la Charte qui est le fondement de son existence. Pour certains, il
est aussi tenu au respect du droit international, notamment le jus
cogens. Cela veut dire à notre sens que le Conseil de
sécurité n'est aucunement placé au- dessus du droit et
que, par conséquent, son pouvoir n'est pas absolu, bien qu'il reste tout
de même discrétionnaire. Le respect du droit d'une part, et
l'accomplissement de la mission du maintien de la paix d'autre part, ne sont
pas opposés mais au contraire conciliables.
On peut dire donc que le Conseil de sécurité :
Joui[t] d'une discrétion illimitée, non
seulement dans le fait même de qualifier une situation ou de s'en
abstenir, mais aussi dans la manière dont il la qualifie. Telle est en
tout cas la logique de la Charte, qui s'abstient de définir les trois
notions précitées, précisément pour laisser au
Conseil une entière liberté
d'appréciation107.
La qualification d'une situation constitue donc une
étape logique dans le processus de la Charte. Selon les dispositions de
l'article 39, une fois l'existence d'une menace contre la paix, d'une rupture
de la paix ou d'un acte d'agression constatés, le Conseil de
sécurité peut
106Mohammed Bedjaoui, « Un contrôle de
la légalité des actes du Conseil de Sécurité est-il
possible ? », dans S.F.D.I, Le Chapitre VII de la Charte des Nations
Unies, Colloque de Rennes, 2-4 juin 1994, Paris, Pedone, 1995, à la
page 295.
107Supra note 99, à la page 1141.
35
prendre certaines mesures afin de maintenir ou de rétablir
la paix et la sécurité internationales : c'est le pouvoir
d'action du Conseil de Sécurité.
2.2.2. Le pouvoir d'action du Conseil de
Sécurité
Ce pouvoir d'action, qui découle directement du pouvoir
de qualification, constitue une partie intégrante de la fonction de
police et de la capacité d'intervention du Conseil de
sécurité. Là aussi, ce dernier jouit d'une grande
discrétion puisqu'il peut agir ou non, choisir le moment de l'action
ainsi que la nature des mesures à prendre.
Le chapitre VII a mis en place un mécanisme progressif
de sanctions, allant des sanctions économiques et diplomatiques (article
41) jusqu'aux sanctions proprement militaires (article 42)108. Il ne
faut pas oublier que le Chapitre VII est entouré d'autres chapitres,
notamment les Chapitres VI (règlement pacifique des différends)
et IX (coopération économique et sociale internationale) qui
favorisent les solutions autres que militaires. Ces chapitres forment le noyau
de l'effort de « paix positive » fourni par la Charte109
par opposition à la « paix négative », qui
découle du Chapitre VII110. Il ne faut pas oublier que la
philosophie et le but principal de la Charte sont la prévention des
crises et des conflits.
Mais en pratique, cela ne veut pas dire que le Conseil de
sécurité doive passer par les mesures non militaires avant de
décider de l'emploi de la force. En effet, le Conseil de
sécurité n'est pas « obligé de suivre une gradation,
en commençant par les mesures les plus bénignes pour terminer par
les mesures militaires si les précédentes n'ont pas produit
l'effet escompté : il peut se placer immédiatement sur le plan
militaire, s'il estime que la situation le
108On peut aussi intégrer les dispositions
de l'article 40, qui permettent au Conseil de Sécurité
d'appliquer des mesures provisoires afin d'empêcher la situation de
s'aggraver dans le cadre de ce mécanisme progressif de sanctions. Pour
J. Combacau, l'article 40 « atteste la possibilité d'une pause
entre la constatation de la situation et le déclenchement des mesures
», supra note 88, à la page 12.
109Zambelli, supra note 87, à la page
157.
110Ibid.
36 commande »111 et, de ce fait, l'application
de l'article 41 -- qui prévoit des mesures coercitives n'impliquant pas
l'envoi de la force militaire -- ne constitue pas un préalable à
celle de l'article 42. Malgré l'existence de cette possibilité,
la réaction armée reste néanmoins une solution
extrême, notamment dans une société internationale
où le recours à la force a été banni.
Dans la même logique, on doit donc se questionner sur le
moment adéquat pour passer des mesures non militaires à l'action
armée ?
Loin de toute apologie du militarisme, lorsque toutes les
mesures de pressions échouent, le Conseil de sécurité peut
passer à l'action militaire, tout en prenant en compte des facteurs
déterminants comme l'échec de toutes les options non militaires
pour faire face à la menace, la gravité de la menace, la
proportionnalité des moyens et la mise en balance des
conséquences de l'action militaire et de celles de
l'inaction112.
Pour les actions militaires proprement dites, l'article 42
prévoit que le Conseil de sécurité :
[...] peut entreprendre, au moyen de forces aériennes,
navales ou terrestres, toute action qu'il juge nécessaire au maintien ou
au rétablissement de la paix et de la sécurité
internationales. Cette action peut comprendre des démonstrations, des
mesures de blocus et d'autres opérations exécutées par des
forces aériennes, navales ou terrestres de Membres des Nations Unies.
La Charte prévoit que les États membres doivent
mettre à la disposition du Conseil de sécurité les forces
armées, les facilités ainsi que l'assistance nécessaires
au maintien de la paix et de la sécurité internationales. Cela se
fait sur invitation du Conseil de sécurité et sur la
111Michel Virally, L'Organisation mondiale,
Paris : Armand Colin, 1972, à la page 462.
112Cette conclusion concerne essentiellement les cas
les plus graves comme par exemple un acte d'agression ou un génocide.
base d'accords spéciaux (article 43)113
négociés entre le Conseil et les États membres ou un
groupe de membres114.
Quant à l'article 45, il avise les États membres
de maintenir des contingents nationaux de forces aériennes
immédiatement utilisables en vue de l'exécution combinée
d'une action coercitive internationale. Les plans de celle-ci seront
établis par le Conseil de sécurité avec l'aide d'un
comité d'état-major, composé des chefs d'état-major
des membres permanents du Conseil de Sécurité.
L'article 48 évoque « les mesures
nécessaires à l'exécution des décisions du Conseil
de sécurité pour le maintien de la paix et de la
sécurité internationale qui doivent être prises par tous
les membres des Nations Unies ou certains d'entre eux, selon
l'appréciation du Conseil»115. En d'autres termes, le
Conseil de sécurité a le libre choix des modalités
d'exécution de ses décisions. La mise en oeuvre d'une
décision du Conseil de sécurité peut être
assurée par un seul État, ou plusieurs, au nom des autres
membres. Il peut même répartir les tâches entre quelques
membres. À ce titre, le Conseil de sécurité, a
habilité en plusieurs occasions des États membres à faire
usage de tous les moyens nécessaires -- y compris la force -- afin
d'atteindre des objectifs fixés par lui. Lors de l'invasion du
Koweït par l'Irak en 1990-1991, en Somalie en 1992, en Haïti en 1994,
ou encore en Albanie en 1996, pour ne
113L'article 43 stipule que : « 1. Tous les
Membres des Nations Unies, afin de contribuer au maintien de la paix et de la
sécurité internationales, s'engagent à mettre à la
disposition du Conseil de sécurité, sur son invitation et
conformément à un accord spécial ou à des accords
spéciaux, les forces armées, l'assistance et les
facilités, y compris le droit de passage, nécessaires au maintien
de la paix et de la sécurité internationales.
2. L'accord ou les accords susvisés fixeront les
effectifs et la nature de ces forces, leur degré de préparation
et leur emplacement général, ainsi que la nature des
facilités et de l'assistance à fournir.
3. L'accord ou les accords seront négociés
aussitôt que possible, sur l'initiative du Conseil de
sécurité. Ils seront conclus entre le Conseil de
sécurité et des Membres de l'Organisation, ou entre le Conseil de
sécurité et des groupes de Membres de l'Organisation, et devront
être ratifiés par les États signataires selon leurs
règles constitutionnelles respectives ».
114Dans la pratique, les accords spéciaux
prévus à l'article 43 n'ont jamais vu le jour.
115Selon le compte rendu des travaux du
Comité de coordination, « l'article 48 ne s'appliquera que
lorsqu'il s'agit de fournir des forces armées, et non dans le cas
où d'autres formes d'assistance devront être fournies » ;
voir les Travaux du Comité de coordination, « Compte rendu de la
vingt-huitième séance du Comité de Coordination », ZD
428 CO/192, 20 août 1945. Doc. UNICO, San Francisco, 1945, tome
XIX, à la page 214.
38
citer que ces exemples, des États membres ont
formé des coalitions avec l'autorisation du Conseil de
sécurité pour entreprendre des actions militaires. Autrement dit,
la pratique du Conseil dans le cadre du Chapitre VII consiste, en termes
d'utilisation de la force, à autoriser l'utilisation de la force par les
États membres, selon une formule adoptée lors de la Guerre du
Golfe en 1990-199 1.
Il est à noter que les décisions du Conseil de
sécurité s'imposent aux États qui ont pris, en vertu de
l'article 25 de la Charte, l'engagement d'accepter et d'appliquer les
décisions du Conseil. Mais il reste aussi à remarquer que, suite
au désaccord entre les membres permanents du Conseil et pour des raisons
essentiellement politiques, le Conseil n'a pu exercer ses pouvoirs pendant la
guerre froide116. Il n'a surtout pas pu fonder jusqu'à
aujourd'hui ses actions sur les articles 43-47 de la Charte, qui envisageaient
la mise en place de ressources militaires à la disposition permanente du
Conseil.
Pour résumer, on peut dire que la Charte a investi le
Conseil de sécurité d'un pouvoir discrétionnaire en
matière de sécurité collective et ce, que ce soit lors de
la qualification d'une situation ou lors de l'action. Le Conseil de
sécurité est libre d'agir ou non, et il peut seulement se
contenter de constater l'une des trois situations de l'article 39 sans y donner
suite. Enfin, ce pouvoir discrétionnaire concerne la forme et
l'opportunité de l'action. Les dispositions de la Charte en
matière de sécurité collective et, plus
particulièrement, celles du Chapitre VII, constituent un progrès
par rapport à celles de la SDN.
Après avoir analysé le rôle de l'organe
central en matière de sécurité collective, on peut poser
brièvement la question du rôle de l'organe plénier en la
matière. En effet, il ne faut pas oublier que l'Assemblée
générale occupe une place centrale dans la Charte des Nations
Unies. Cette dernière lui confère une compétence
ratione materiae très étendue. En matière de
maintien de la paix et de la sécurité internationales, l'article
10 de la Charte stipule :
L'Assemblée générale peut discuter toutes
questions ou affaires rentrant dans le cadre de la présente Charte ou se
rapportant aux pouvoirs et fonctions de l'un quelconque des organes
prévus dans la présente Charte, et, sous réserve des
dispositions de l'article 12, formuler sur ces questions ou affaires des
recommandations aux Membres de l'Organisation des Nations Unies, au Conseil de
Sécurité, ou aux Membres de l'Organisation et au Conseil de
sécurité
Quant à l'article 11, il se lit comme suit :
1. L'Assemblée générale peut
étudier les principes généraux de coopération pour
le maintien de la paix et de la sécurité internationales, y
compris les principes régissant le désarmement et la
réglementation des armements, et faire, sur ces principes, des
recommandations soit aux Membres de l'Organisation, soit au Conseil de
Sécurité, soit aux Membres de l'Organisation et au Conseil de
sécurité ».
2. L'Assemblée générale peut discuter
toutes questions se rattachant au maintien de la paix et de la
sécurité internationales dont elle aura été saisie
par l'une quelconque des Nations Unies, ou par le Conseil de
sécurité, ou par un État qui n'est pas Membres de
l'Organisation conformément aux dispositions du paragraphe 2 de
l'article 35, et, sous réserve de l'article 12, faire sur toutes
questions de ce genre des recommandations soit à l'État ou aux
États intéressés, soit au Conseil de
Sécurité, soit aux États et au Conseil de
sécurité. Toute question de ce genre qui appelle une action est
renvoyée au Conseil de sécurité par l'Assemblée
générale, avant ou après discussion.
L'article 10 établit la compétence
générale de l'Assemblée générale de discuter
et de faire des recommandations sur tout ce qui touche à la
réalisation des buts et principes de l'ONU ainsi que sur les pouvoirs et
les fonctions des autres organes de l'Organisation. « L'article 10
n'interdit aucunement à l'Assemblée de discuter la manière
dont le Conseil s'acquitte de ses pouvoirs et de lui adresser des
recommandations à cet égard »1 17.
L'article 11 attribue à l'Assemblée
générale un double mandat : d'une part, elle peut étudier
les principes généraux de coopération pour le maintien de
la paix et de la sécurité internationales et faire des
recommandations. D'autre part, elle peut discuter toutes questions se
rattachant au maintien de la paix et à la sécurité
internationales dont elle est saisie, et faire
40 des recommandations à cet égard soit aux
Membres de l'Organisation, soit au Conseil de sécurité, soit
à ces deux parties.
Malgré la primauté du Conseil de
sécurité en matière de maintien de la paix et de la
sécurité internationales, les articles 10 et 11 de la Charte ont
conféré à l'Assemblée générale une
compétence parallèle, par rapport à celle du Conseil de
sécurité.
Après avoir exposé le système de la
Charte (principes de non-recours à la force et de sécurité
collective), on peut conclure en disant que l'article 2 § 4 est, d'un
certain point de vue, l'aboutissement des efforts commencés en 1899. Il
consacre l'obligation du règlement des différends par des moyens
pacifiques en garantissant la renonciation à la guerre par un
système de sécurité collective où le Conseil de
sécurité possède, en quelque sorte, un monopole de la
force au plan international.
Partant de l'idée que la paix est un bien indivis, le
système établi par la Charte présente une certaine
cohérence puisqu'il a établi une :
Sorte de contrat social international, aux termes
duquel chaque État membre [...] doit, d'une part, renoncer à
l'usage de la force dans ses relations avec les autres États (art.2,
§ 4) ; d'autre part, contrepartie logique de cet abandon individuel,
reconnaître à l'organe principal du maintien de la paix, le
Conseil de sécurité, véritable agent de
sécurité collective, les moyens de la coercition militaire
nécessaire à l'accomplissement de sa mission de police
internationale118.
En faisant disparaître le droit de faire la guerre dans
les relations internationales à travers les termes les plus
généraux, la Charte a établi un régime qui se veut
exhaustif concernant l'usage de la force. Depuis 1945, la Charte et son
régime sont devenus le standard pour l'évaluation de tout usage
de la force dans les relations interétatiques. C'est donc selon ce cadre
traditionnel de la Charte que toute argumentation juridique se développe
sur le recours à la force dans les relations internationales.
118Dupuy, supra note 116, à la page
587.
Cependant, les développements récents visent
soit à élargir l'interprétation des paramètres du
cadre juridique soit à en contester certains. Ces développements
récents remettent en question de diverses manières ce
système, en ravivant les critiques traditionnelles et les
interprétations moins prohibitives de la Charte en matière de
recours à la force, mais aussi en y ajoutant des formes de
justifications hors Charte.
DEUXIÈME PARTIE
EXAMEN DE LA PRATIQUE ÉTATIQUE RÉCENTE EN
MATIÈRE DE RECOURS
À LA FORCE : DES NOUVELLES
ARGUMENTATIONS
Les deux premières guerres de ce XXIe
siècle (celles de l'Afghanistan et de l'Irak) ainsi que la
dernière guerre du XXe siècle (l'intervention de
l'OTAN au Kosovo) ont soulevé des questions quant à leur
légalité en vertu des dispositions de la Charte en matière
de recours à la force. Elles ont en même temps donné lieu
à des justifications qui ne respectent pas toujours la logique
traditionnelle de la Charte telle qu'elle vient d'être
présentée.
L'émergence de ces nouvelles justifications pour
recourir à la force pose des questions très fondamentales par
rapport à l'idée que le système de la Charte visait,
à savoir d'une part, faire une coupure avec le passé et le droit
international classique concernant le lien entre souveraineté et usage
de la force et, d'autre part, couvrir l'ensemble des problèmes dans ce
domaine. Ces modes de légitimation du recours à la force
remettent en effet en question l'idée d'exhaustivité du
système de la Charte en matière d'usage de la force, ainsi que
l'intégrité de la Charte en matière de
sécurité collective. Il s'agit donc de savoir si le droit
international est promis à une révolution en matière de
recours à la force, dans la mesure où la normalisation
hypothétique de ces nouvelles justifications -- qui sont parfois des
nouvelles versions de justifications antérieures à la Charte --
remettent en question la place de l'article 2 § 4 de la Charte dans le
système juridique international contemporain.
Cela nous pousse à nous demander si l'on s'achemine
vers une certaine réinstallation d'une forme d'anarchie dans
l'utilisation de la force, parallèlement à l'ordre collectif des
Nations Unies.
Ces argumentations se développent en relations avec
trois domaines ou trois objectifs de l'utilisation de la force : l'intervention
humanitaire (chapitre I), la guerre contre le terrorisme (chapitre II) et la
force préventive (chapitre III)
CHAPITRE I
LE RECOURS À LA FORCE ARMÉE
DANS UN BUT HUMANITAIRE
Le recours à la force dans un but humanitaire a connu
un regain d'intérêt suite aux frappes aériennes
menées par l'OTAN à partir du 24 mars 1999, en vue de mettre un
terme à la catastrophe humanitaire au Kosovo. La question qui s'imposait
était de savoir si, en cas d'inaction du Conseil de
Sécurité, un ou plusieurs États pouvaient recourir
à la force armée dans un but humanitaire119.
En fait, l'idée selon laquelle l'emploi de la force
militaire pourrait faire partie des moyens coercitifs utilisés pour
assurer le respect des droits de l'Homme s'est développée tout au
long de la première partie des années 1990, notamment sous
l'influence de la pratique du Conseil de sécurité en
matière de maintien de la paix et de la sécurité
internationales. Lors de la crise somalienne, le Conseil de
Sécurité a adopté une multitude de résolutions sous
le chapitre VII, dans lesquelles il se déclare «
profondément troublé par l'ampleur de la tragédie humaine
causée par le conflit et préoccupé par la menace que la
persistance de la situation en Somalie fait peser sur la paix et la
sécurité internationales »120. Il en est de
même pour la crise haïtienne121. Ce cycle a donc
trouvé son apogée dans l'intervention de l'OTAN au Kosovo.
119Fernando Tesón, Humanitarian
Intervention: An inquiry into law and morality, New York: Transnational
Publishers, 1988, pp. 127 et ss.
120S/RES/746, 17 mars 1992 ; voir aussi S/RES/733,
23 janvier 1992 ; S/RES/751, 24 avril 1992 ; S/RES/765, 16 juillet 1992 ;
S/RES/767, 27 juillet 1992 ; S/RES/775, 28 août 1992 ; S/RES/794, 3
décembre 1992 ; S/RES/814, 26 mars 1993 ; S/RES/946, 30 septembre 1994 ;
S/RES/953, 31 octobre 1994 ; S/RES/954, 4 novembre 1994.
121S/RES/841, 19 juin 1993 ; S/RES/861, 27
août 1993 ; S/RES/862, 31 août 1993 ; S/RES/867, 23 septembre 1993
; S/RES/873, 13 octobre 1993 ; S/RES/875, 16 octobre 1993 ; S/RES/905, 23 mars
1994 ; S/RES/944, 29 septembre 1994.
Dans notre analyse, l'accent sera mis essentiellement sur les
arguments avancés que l'on peut diviser dès le départ en
deux types : le premier type se fonde sur le droit positif, tandis que le
deuxième le dépasse en prenant l'élargissement du concept
des valeurs universelles (droits de l'Homme et démocratie) comme point
de départ. En d'autres termes, la justification de ce type
d'intervention armée se situe sur deux terrains : celui de la
légalité et celui de la légitimité. Plus
clairement, on se trouve dans le cadre d'une variété de
stratégies argumentatives qui peuvent être résumées
comme suit : il ne s'agit pas d'une violation de l'article 2 § 4, c'est
une violation dudit article qui est autorisée implicitement par la
Charte. Enfin, nous nous entendons dire qu'il s'agit d'une violation de la
Charte mais qu'elle est justifiée par une nouvelle norme.
1.1. Droit de la Charte et intervention
humanitaire
Les débats entourant l'intervention de l'OTAN au Kosovo
ont mis en évidence une tendance visant à écarter le
principe de non-recours à la force ainsi que le principe de non-
ingérence lorsque les droits de la personne sont gravement atteints, ce
qui correspondait pour certains « à l'état actuel du droit
international »122.
La détérioration de la situation humanitaire au
Kosovo pendant l'année 1998 a amené le Conseil de
Sécurité à prendre plusieurs
résolutions123 dans lesquelles il constatait une menace
envers la paix internationale, sans donner une habilitation à prendre
des mesures coercitives militaires à l'égard de
Belgrade124. Ceci est contraire à ce qui s'est passé
lors de la crise du Golfe, avec la résolution 678 de 1990 qui a
explicitement habilité les États membres à prendre toutes
les mesures requises -- y compris le recours à la force armée --
si l'Irak ne respectait pas l'ultimatum fixé.
122Selon les termes du Juge Valticos, « Un devoir
d'État », Le Monde, 10 janvier 1990, à la page 2.
123S/RES/1160, 31 mars 1998 ; S/RES/1199, 23 septembre 1998 ;
S/RES/1203, 14 octobre 1998.
124Il est à noter que deux membres
permanents du Conseil de Sécurité, en l'occurrence la Chine et la
Russie, ont exprimé leur refus contre toute résolution
d'habilitation au recours à la force et ont menacé d'utiliser
leur droit de veto.
Le Conseil de l'Europe a adopté une déclaration,
le 25 mars 1999, dans laquelle il déclare
qu':
À la veille du XXIe siècle, l'Europe
ne peut pas tolérer que se déroule en son sein une catastrophe
humanitaire [...] Nous les pays de l'Union Européenne, avons
l'obligation morale de veiller à ce que ne se répètent pas
des actes de violences aveugles comme le massacre de Racak en janvier 1999
[...]125.
Cette argumentation fait de l'opération militaire au
Kosovo un exemple de
Ce fameux droit d'ingérence humanitaire, qui exprime
l'idée selon laquelle les sujets de droit international auraient, en
l'absence de tout consentement du souverain territorial, un titre juridique
à commettre une ingérence sur le territoire d'un État,
pour venir au secours d'une population en détresse humanitaire,
notamment lorsque cette population est victime de violation massive des droits
de l'Homme126.
Soucieux de donner une certaine légalité
à l'action de l'OTAN au Kosovo, les partisans de cette intervention
armée ont essayé de trouver des justifications juridiques en
partant d'une certaine relecture des normes en vigueur du droit international.
Le premier argument avancé visait à écarter le jeu de
l'article 2 § 4 à travers une interprétation restrictive.
Selon cette interprétation, ledit article n'interdit pas l'emploi de la
force armée dans toutes ses formes. Pour être plus clair, tant que
cette intervention armée n'est pas dirigée contre
l'intégrité territoriale ou l'indépendance politique d'un
État, et tant qu'elle n'est pas incompatible avec les autres buts des
Nations Unies, elle est conforme au droit de la Charte en la matière.
L'ajout de ces qualifications dans le texte de l'article 2 § 4 doit
être compris comme une restriction de sa portée. L'article 2
§ 4 pose donc trois conditions pour qu'un recours à la force soit
interdit. Dans l'affaire relative à la licéité de
l'emploi de la force, la Belgique a adopté
125Déclaration du Conseil de l'Europe, Berlin,
25 mars 1999. [En ligne] :
[http ://
www.diplomatie.gouv.fr/actual/dossiers/kossovo/kossovo1
7.html] (page visitée le 29 mars 2007)
126Jean-Denis Mouton, « Libertés
publiques et droit à la guerre : une évolution du droit
international ? » dans Droits de la personne : Éthique et
mondialisation, Actes des journées strasbourgeoises de l'Institut
canadien d'études juridiques supérieures, Strasbourg,
Éditions Yvon Blais, 2004, à la page 515.
cet argument lors de ses plaidoiries, en affirmant que
l'intervention au Kosovo n'était pas dirigée contre
l'intégrité territoriale et l'indépendance politique de la
République fédérale de Yougoslavie et que, de ce fait,
elle ne devait pas être considérée comme contraire à
l'article 2 § 4127 . En réalité, la Belgique ne
faisait que s'aligner sur l'interprétation adoptée par
l'Assemblée parlementaire de l'OTAN avant les frappes
aériennes128.
On peut donc dire, toujours selon la doctrine favorable
à l'intervention humanitaire, que cette dernière est
légale dans la mesure où elle n'est pas dirigée contre
l'intégrité territoriale de l'État visé.
L'intervention vise essentiellement le rétablissement des droits de la
personne enfreints et non l'appropriation du territoire. Il est à noter
qu'on est dans le cadre d'un vieil argument129 qui est ici repris
pour un nouvel objectif.
Cependant, pour qu'une atteinte à
l'intégrité territoriale d'un État soit établie, il
n'est pas requis que l'État intervenant prétende annexer ou
détacher une partie du territoire de l'État victime. Lors de
l'intervention au Kosovo, l'ampleur de l'attaque de l'OTAN n'a pas
été sans conséquences sur l'intégrité
territoriale de la Yougoslavie. En effet, il paraît « difficile de
prétendre que la vague des bombardements massifs
déclenchée par les forces de l'OTAN n'ait pas abouti à
affecter l'intégrité territoriale de la Yougoslavie ; de plus, en
fait, le Kosovo est aujourd'hui soustrait à l'administration des
autorités de Belgrade »130.
Théoriquement -- et pratiquement --, on voit mal
comment le passage des troupes armées dans le cadre d'une
opération armée à travers les frontières de
l'État visé, s'opère dans le respect de son
intégrité territoriale, ceci sans son consentement. Ce qui
compte, c'est le fait
127Intervention du conseil de la Belgique à
l'audience publique de la C.I.J. tenue le 10 mai 1999 dans l'affaire relative
à la licéité de l'emploi de la force, CR 99/15.
[En ligne] : [http ://
www.icjcij.org/docket/files/105/4515.pdf]
(page visitée le 20 juin 2007).
128Résolution sur l'OTAN et l'intervention
humanitaire, n° 286, 15 novembre 1999. [En ligne] : [http
://www.nato-pa.int/archivedpub/resolutions/99-amsterdam-286-f.asp] (page
visitée le 20 juin 2007).
129Voir, par exemple, Anthony D'amato, «
Israel's air strike upon the Iraqi Nuclear Reactor », AJIL, vol.
77, 1983, à la page 584 ; Rosalyn Higgins, « General course on
public international law », RCADI., tome 230, 1991, à la
page 313.
130Dupuy, supra note 116, à la page
613.
lui-même et non l'intention réelle ou
présumée de l'auteur de l'intervention. Comme nous l'avons
déjà signalé, cette argumentation n'a rien de nouveau. En
fait, elle ne fait que raviver une argumentation ancienne donnée lors de
l'opération de Suez en 1956131, de l'opération
israélienne sur l'aéroport d'Entebbe en 1976132 et
lors de l'intervention américaine à Grenade en
1983133, pour ne citer que ces trois exemples.
À ce niveau de l'analyse, il est utile de se
questionner sur l'utilité ou l'apport des termes « emploi de la
force qui ne met pas en cause l'intégrité territoriale ou
l'indépendance politique d'un État ». Il est évident
que ces termes ne signifient pas seulement les actes d'agression les plus
caractérisés. Cela est d'autant plus vrai si l'on se
réfère à l'esprit de la Charte, dans la mesure où
l'ajout de ces caractéristiques ou de ces précisions lors de la
Conférence de San Francisco, sur proposition de
l'Australie134, avait pour but d'expliciter l'interdiction du
recours à la force plutôt que de l'affaiblir135.
Après un examen des travaux préparatoires de la
Charte136, Ian Brownlie avait conclu que l'inclusion du membre de
phrase « contre l'intégrité territoriale ou
l'indépendance politique de tout État » suite à la
demande des petits États, avait pour but de restreindre l'utilisation de
la force et de barrer la route devant les ambitions des grandes
puissances137.
131Documents officiels de l'Assemblée
Générale, 1ère session extraordinaire
d'urgence, 1er au 10 novembre 1956, 562e séance,
1er novembre 1956, p. 22, §105.
132Dans sa déclaration au Conseil de
Sécurité, le représentant israélien déclara
que : « le paragraphe 4 de l'article 2 doit être
interprété comme interdisant le recours à la force contre
l'intégrité territoriale et l'indépendance politique des
nations mais non point comme interdisant un recours à la force,
limité dans son but et dans ses effets à la protection de
l'intégrité d'un État et des intérêts vitaux
de ses ressortissants lorsque le mécanisme prévu par la Charte
des Nations Unies est inopérant dans une situation donnée »,
S/PV.1942, 13 juillet 1976, § 103. Voir aussi S/PV.1942, 9 juillet 1976,
§ 115.
133 Devant le Conseil de Sécurité, Mme
Kirkpatrick, ambassadrice des États-Unis, a déclaré que :
« L'interdiction de l'emploi de la force à laquelle se
réfère la Charte doit être replacée dans le
contexte. Elle n'est pas absolue [...] ». S/PV.2491, 27 octobre 1983, p.
41.
134UNCIO, vol 3, à la page 543 ; vol 6 à
la page 607.
135Sicilianos, supra note 57, à la
page 465.
136Les travaux préparatoires des traités
peuvent être utilisés comme moyen d'interprétation selon
les dispositions de l'article 32 de la Convention de Vienne sur le droit des
traités de 1969.
137Ian Brownlie, « Humanitarian Intervention
», dans John Norton Moore (ed), Law and civil war in modern
world, London : John Hopkins University Press, 1974, pp.217-228.
Il ne fait aucun doute que les dispositions de la Charte ne
permettent aucune échappatoire à l'interdiction
générale de l'article 2 § 4, sauf celle contenue dans
l'article 51 en ce qui concerne l'usage unilatéral de la force.
L'interprétation littérale de l'article 2 § 4 n'est rien
d'autre qu'un argument qui n'a rien à voir avec le caractère
humanitaire de l'intervention en soi et, de ce fait, il doit être
rejeté.
Un autre argument a été avancé par les
tenants de ce type d'intervention et particulièrement par quelques
membres permanents du Conseil de Sécurité. Selon ce dernier, la
simple référence au Chapitre VII dans les résolutions du
Conseil de Sécurité peut être une base légale au
recours à la force notamment dans les situations persistantes.
Toutefois, cette analyse n'est pas conforme avec
[...] la pratique antérieure du même Conseil de
Sécurité, inaugurée précisément durant la
crise du Golfe avec la résolution 678 en 1990. Cette dernière ne
se contentait pas d'une simple référence au Chapitre VII. Elle la
comportait mais pour habiliter ensuite explicitement les États membres
à prendre toutes les mesures requises [...] si la situation
créée par l'Irak perdurait au-delà d'une certaine date.
[De plus] l'attitude de deux des membres permanents, la Russie et la Chine,
durant l'opération entreprise par les pays de l'OTAN au Kosovo,
caractérisée par leur veto à l'égard de toute
résolution d'habilitation au recours à la force, interdit qu'on
puisse voir dans la pratique durant cette crise une consécration de
[cette] thèse138.
En dehors du cas du Kosovo, et toujours dans le cas de
l'utilisation de la force dans un but humanitaire, on a invoqué dans le
passé l'article 51 comme justification. En effet, celui-ci a
été invoqué pour justifier des interventions militaires,
pourtant à forte résonance humanitaire, menées dans les
années 1970, comme celles de l'Inde au Bengladesh en 1971, celles du
Vietnam au Kampuchéa en 1978, ou encore celles de la Tanzanie en Ouganda
en 1979. Lors de l'intervention indienne au Bengladesh, le représentant
indien a invoqué devant le Conseil de Sécurité l'argument
de la légitime défense puisque, pour lui, son pays avait
été victime, premièrement d'une agression armée
suite aux « bombardements des villages situés près de la
frontière pakistanaise » et, deuxièmement, d'une autre forme
d'agression causée par l'afflux d'une dizaine de millions de
réfugiés qui ont fui le Pakistan suite aux exactions
138Dupuy, supra note 116, à la page
610.
commises par ce dernier139. Quant à
l'affaire de Kampuchéa, le Vietnam a invoqué comme seule
justification de son action militaire l'article 51 de la Charte contre «
la guerre d'agression » entreprise par les khmers rouges140.
Pour le dernier exemple cité, la Tanzanie affirmait avoir agi en
légitime défense face à « l'occupation », par
l'Ouganda, d'une partie de son territoire depuis le 31 octobre 1978. Le
président tanzanien déclara que : « [This war] that being
conducted by Tanzania in southern Uganda, was presented as being the
«continuation» of the action in self-defence against the aggression
committed by Uganda against Tanzania at the end of 1978
»141.
Néanmoins, il s'agit dans les trois cas d'une
interprétation extensive de l'article 51 puisque aucun des États
n'avaient été victime d'une agression armée proprement
dite. Cela nous pousse à dire que le recours à la légitime
défense pour justifier une intervention humanitaire est dépourvu
de tout fondement juridique. En d'autres termes, les États se fondent
sur l'argument de la légitime défense pour pallier la faiblesse
de l'argument de l'intervention humanitaire, qui est étranger à
la Charte. C'est pour cela que nous pensons devoir nous rallier à
l'idée selon laquelle « dans le droit international en vigueur
aujourd'hui, qu'il s'agisse de droit coutumier ou du système des Nations
Unies, les États n'ont aucun droit de riposte armée collective
[ou autre] à des actes ne constituant pas une agression armée
»142 et, d'autre part, « aucune action coercitive ne sera entreprise
en vertu d'accords régionaux ou par des organismes régionaux sans
l'autorisation du Conseil de Sécurité »143.
Quoi qu'il en soit, les partisans de l'intervention
humanitaire n'ont jamais réussi à présenter une doctrine
cohérente et argumentée. Cela est essentiellement dû
à l'absence du
139Nations Unies, Conseil de Sécurité,
Documents officiels, 1606e séance, 4 décembre 1971,
§ § 160- 163.
14034 SCOR (XXXIV), 2108e séance, 11
janvier 1979, § 115-116 ; § 120 ; § 126 ; § 128 ; §
130. 141Tel que cité dans Natalino Ronsitti, Rescuing
Nationals Abroad Through Military Coercition and Intervention on Grounds of
Humanity, Dordrecht : Martinus Nijhoff Publishers, 1985, à la page
102.
Lors de la réunion de l'Organisation de l'Union
Africaine, en date du 17 juillet 1979, le président tanzanien conclut
dans un rapport écrit : « The war between Tanzania and Ibi Amin's
régime in Uganda was caused by the Ugandan army's aggression against
Tanzania and Ibi Amin's claim to have annexed part of Tanzanian territory.
There was no other cause for it », Ibid., à la page 105.
142Nicaragua c. États-Unis, supra note
27, à la page 105, par. 211.
143Alinéa 1 de l'article 53 de la Charte.
cadre légal, c'est-à-dire l'absence d'un cadre
juridique qui se fonde sur des textes incontestables, notamment la Charte des
Nations Unies -- instrument de référence essentiel en la
matière. On « conviendra [donc] qu'il demeure malaisé de
justifier l'intervention en restant dans le cadre de la Charte des Nations
Unies »144. En effet, « si aucune argumentation juridique
pleinement convaincante permettant de justifier en droit l'intervention
militaire de l'OTAN au Kosovo n'a été trouvée, c'est qu'il
n'en existe vraisemblablement pas »145. Soucieux de cet
obstacle, les défenseurs de ce type d'intervention ont essayé de
pousser l'argument en déclarant que la Charte ne constitue pas l'unique
source du droit international146 et que, par conséquent, les
dispositions de la Charte qui limitent le recours à la force ne doivent
pas être considérées comme absolues lorsque ce recours a un
but humanitaire. Ce malaise dans l'argumentation juridique a poussé ces
mêmes partisans à changer de registre pour se situer sur le plan
de la légitimité. D'une part, cette dernière, il faut le
dire, laisse une large place à la subjectivité et, d'autre part,
elle est nettement moins saisissable que la légalité.
Dans le cas du Kosovo, le débat juridique a
dérapé vers une argumentation fondée sur la
légitimité avec l'invocation de notions telles que l'esprit du
droit international, la protection des valeurs fondamentales. On a même
invoqué la possibilité d'écarter les normes positives pour
protéger ces valeurs. Le professeur Serge Sur a bien décrit cette
situation puisque, pour lui, « derrière chaque type d'argumentation
juridique flotte l'ombre de la légitimité, qui peut
144Dupuy, supra note 116, à la page
611.
145Philippe Weckel, « Interdiction de l'emploi
de la force : de quelques aspects de méthode », dans Les
métamorphoses de la sécurité collective, S.F.D.I,
Paris : Pedone, Journée franco-tunisienne, 2005, à la page
189.
146Le représentant des Pays-Bas au Conseil
de Sécurité a déclaré que : « Nous
espérons [...] que les quelques délégations qui ont
soutenu que les frappes aériennes de l'Organisation du Traité de
l'Atlantique Nord (OTAN) contre la République fédérale de
Yougoslavie ont été opérées en violation de la
Charte des Nations Unies commenceront un jour à se rendre compte que la
Charte n'est pas l'unique source du droit international [...] la Charte est
bien plus précise sur le chapitre de la souveraineté que sur
celui du respect des droits de l'Homme, mais, depuis le jour de sa
rédaction, le monde a connu un déplacement progressif de cet
équilibre, qui a rendu le respect des droits de l'Homme plus obligatoire
et le respect de la souveraineté moins absolu ». S/PV/401 1, 10
juin 1999, p.1 3.
séduire à défaut de convaincre, persuader
que l'action est juste même si elle ne correspond pas à une
appréciation vétilleuse de la légalité
»147.
1.2. Étirement du concept de la défense des
valeurs universelles : droits de l'Homme et démocratie
Pendant la crise du Kosovo, l'ex-président
français Jacques Chirac a affirmé dans une déclaration
attribuée au journal Le Monde que « la situation
humanitaire constituait une raison qui peut justifier une exception à
une règle, si forte, si ferme soit elle »148. Il ne fait
aucun doute que la règle visée est celle de l'interdiction du
recours à la force. Il y avait donc « une véritable
obligation d'intervention »149.
En termes juridiques, pour exclure la régulation
juridique ordinaire, on invoque des circonstances exceptionnelles, une sorte de
circonstances excluant l'illicéité en ressemblance avec le Projet
d'articles de la CDI sur la responsabilité étatique. De cette
façon, l'« obligation d'intervenir » sera ajoutée
à la légitime défense et à l'état de
nécessité.
1.2.1. L'invocation rituelle des droits de l'Homme
Chronologiquement, le cas kosovar a constitué
l'apogée d'un cycle d'opérations coercitives militaires ayant
comme motif la protection des droits de l'Homme. On invoque de plus en plus les
progrès de la réglementation internationale en faveur des droits
de l'Homme comme, par exemple, les deux Pactes des Nations Unies sur les droits
civils et politiques et sur les droits économiques, sociaux et
culturels, la Convention internationale contre la torture, les Conventions
européenne et interaméricaine des droits de l'Homme et la
Charte
147Serge Sur, « Le recours à la force dans
l'affaire du Kosovo et le droit international », Les Notes de l'I.F.R.I,
n° 22, septembre 2000, à la page 19.
148Le monde, 8 octobre 1998.
149 Intervention de la Belgique, CR 99/15, supra note
127.
africaine des droits de l'Homme. On mentionne également
le progrès en matière de droit international pénal en se
référant à la reconnaissance progressive d'une
compétence universelle conférant à des juridictions
nationales la possibilité de juger les crimes les plus odieux
indépendamment du lieu du crime et de la nationalité des auteurs
ou des victimes150. Tout cela en soutien à l'idée d'un
retrait progressif de la souveraineté dans le domaine des droits de
l'Homme, et d'une responsabilité croissante de protection de la part de
la communauté internationale151. Plus clairement, la
souveraineté sera contournée par
l'universalité152. L'idée centrale de cette
construction est que, en cas de violations massives des droits de l'Homme, les
sujets de droit international bénéficient d'un titre juridique
pour intervenir, même par la force armée.
Dans le cas kosovar, la référence aux droits de
l'Homme a été invoquée de façon
répétitive et rituelle pour justifier l'intervention militaire.
Les défenseurs de cette intervention soutiennent qu'en cas de violation
massive des droits de l'Homme et qu'en l'absence de toute alternative, le
recours à la force armée peut être envisagé et le
silence du Conseil de Sécurité ne devrait pas empêcher une
telle intervention. Par ailleurs, certains ont tenté de tirer des
bénéfices du cas kosovar en essayant d'inscrire cette
intervention dans la durée, tout en lui donnant un caractère
éthique153, indépendamment de l'attitude
hésitante de quelques pays participants. C'est dans ce sens que
plusieurs juristes de renom ont utilisé le cas du Kosovo pour produire
a posteriori une doctrine de l'intervention humanitaire qui pourrait
ensuite être appliquée à d'autres cas, bien qu'à
notre humble avis, la formulation de cette doctrine doit précéder
son application et non le contraire. C'est dans ce sens que le juge et ancien
président du TPIY, Antonio Cassese, affirme en se référant
au cas du Kosovo, que la pratique récente témoigne d'une
règle coutumière émergente qui n'attend que sa
cristallisation. Il avance un certain nombre de conditions qui devraient
être réunies et qui justifieraient ainsi le recours à la
force. Selon Cassese, la violation massive des droits de l'Homme et la
paralysie du Conseil
150Rapport de CIISE, infra note 161, à
la page 7.
151Ibid., à la page 9.
152Mario Bettati, Le droit
d'ingérence, Paris : Odile Jacob, 1996, à la page 38.
153On verra par la suite comment certains juristes,
américains dans leur majorité, ont pris l'intervention de l'OTAN
au Kosovo comme base pour justifier en partie l'intervention américaine
en Irak. Voir infra, partie II, chapitre 3.
54 de Sécurité par le droit de veto peuvent
constituer une base pour un recours proportionné à la force
armée afin de faire cesser ces atrocités154 dans la
mesure où :
[...] le développement et la propagation rapide dans la
communauté internationale des doctrines des droits de l'Homme... ont
apporté des changements significatifs au droit international, en
particulier dans l'approche des problèmes qui assaillent la
communauté mondiale. Une approche axée sur la souveraineté
de l'État a été progressivement supplantée par une
approche axée sur les droits de l'Homme. Progressivement, la maxime de
droit romain Hominum causa omne jus constitutum est, (tout doit
être créé au bénéfice des êtres
humains) a acquis également un solide ancrage dans la communauté
internationale155.
Cependant, selon des auteurs plus critiques, cette
thèse « consiste, d'une certaine façon, à faire
prévaloir un argument de légitimité, fondé sur la
prééminence de certaines valeurs éthiques,
incorporées dans des normes juridiques estimées
impératives, sur la légalité stricte établie dans
le texte de la Charte quant aux conditions du recours à la force
»156. Dire que « l'intervention d'humanité n'est
contraire à aucune règle prohibitive et répond même
à des règles positives de portée générale
»157 n'est pas concevable, à notre sens, surtout
après l'examen de la jurisprudence de la CIJ en la matière.
Déjà en 1949, lors de l'affaire du
Détroit de Corfou, la Cour a estimé que le
prétendu droit d'intervention n'a aucune place dans le droit
international158. Cette position a été
actualisée lors de l'affaire des Activités militaires et
paramilitaires au Nicaragua et contre celui-ci, lorsqu'elle a
déclaré que « le recours unilatérale à la
force ne saurait être une méthode appropriée pour
vérifier et assurer le respect des droits de l'Homme
»159. Enfin, dans une ordonnance du 2 juin 1999 dans les
affaires relatives à la Licéité de l'emploi de la
force,
154Antonio Cassese, « Ex iniuria ius
oritur : Are we moving towards International legitimation of forcibal
Humanitarian Counter measures in the World Community ? », E.J.I.L,
1999, vol. 10, n°1, pp. 23-31.
155Affaire Tadic, TPIY, Chambre
d'Appel, 2 octobre 1995, D-88-86/6491 BIS.
156Dupuy, supra note 116, à la page
612.
157Jean Combacau et Serge Sur, Droit international
public, Paris : Montchrestien, 6e éd, 2004, à la
page 631.
158Détroit de Corfou, supra
note 28, à la page 35.
159Nicaragua c. États-Unis,
supra note 27, à la page 178, par. 268.
elle déclara qu'elle « [...] est fortement
préoccupée par l'emploi de la force en Yougoslavie ; dans les
circonstances actuelles, cet emploi soulève des problèmes
très graves de droit international »160.
Dans le même ordre d'idées, au sein de l'ONU,
l'intensité des débats entourant l'intervention de l'OTAN au
Kosovo -- et les controverses qu'elle a suscitées sur la scène
internationale -- ont donné naissance à la Commission
internationale de l'intervention et de la souveraineté des États
(CIISE) suite à une proposition du Canada. Cette commission avait comme
tâches de réfléchir sur le concept de l'intervention
humanitaire et, surtout, de le réconcilier avec les dispositions de la
Charte relatives au recours à la force. Ses travaux ont abouti à
l'adoption d'un rapport intitulé « La responsabilité de
protéger »161 . Dans ce rapport, on peut lire
« [...] que l'expression « intervention humanitaire » ne
contribuait pas à faire progresser le débat, la Commission
[préfère] parler non pas d'un « droit d'intervention »
mais plutôt d'une responsabilité de protéger
»162.
De notre point de vue, il paraît clair que la Commission
est en train de chercher un cadre systématique d'application de
l'intervention humanitaire à travers l'adoption d'une terminologie plus
éthique (la responsabilité).
Pour la Commission, « L'intervention militaire à
des fins de protection humaine doit être considérée comme
une mesure exceptionnelle et extraordinaire et, pour qu'elle soit
justifiée, il faut qu'un préjudice grave et irréparable
touchant des êtres humains soit en train -- ou risque à tout
moment -- de se produire »163. En d'autres termes, il y a une
obligation d'agir lorsqu'il s'agit d'arrêter ou d'éviter
160Licéité de l'emploi de la
force, mesures conservatoires, ordonnance du 2 juin 1999, CIJ
Rec. 1999, par.16.
161Commission internationale de l'intervention et
de la souveraineté des États, « La responsabilité
de protéger », Centre de recherches pour le
développement international, Ottawa, décembre 2001. [En ligne] :
[http ://
www.ciise.ca/pdf/Rapport-de-la-Commission.pdf]
(page visitée le 13 février 2007).
162 Ibid., à la page 12.
163Ibid., à la page 37.
des pertes considérables en vies humaines, effectives
ou appréhendées, qu'il y ait ou non intention génocidaire,
qui résultent soit de l'action délibérée de
l'État, soit de sa négligence ou de son incapacité
à agir, soit encore d'une défaillance dont il est responsable ;
ou un « nettoyage ethnique » à grande échelle, effectif
ou appréhendé, qu'il soit perpétré par des tueries,
l'expulsion forcée, la terreur ou le viol164.
Si l'une de ces conditions est satisfaite, le critère
de la « juste cause » est rempli, par référence
à la théorie de la guerre juste. En d'autres termes, la
légitimité de l'opération doit l'emporter sur sa
légalité ou, au moins, remédier à son
éventuelle illégalité dans la mesure où « en
matière d'action militaire transfrontière, l'appartenance
à l'ONU impose aux grandes puissances l'obligation de s'abstenir de
toute intervention militaire au profit d'interventions internationales
collectives autorisées »165 par le Conseil de
Sécurité « qui détient une autorité
universelle acceptée pour valider ces opérations
»166 . Mais, de l'avis de la Commission, « il serait
irréaliste de s'attendre à ce que les États
concernés renoncent à tout autre moyen de faire face à la
gravité et à l'urgence de ladite situation »167.
Sur ce point, on remarque que la centralité du Conseil de
Sécurité a été réaffirmée. Toutefois,
dans le cas où
le Conseil ne p[eut] pas, ou ne veu[t] pas, assumer le
rôle qu'il était censé jouer, on peut difficilement
écarter complètement toute possibilité de recours à
d'autres moyens d'assurer la responsabilité de protéger lorsqu'il
rejette expressément une proposition d'intervention alors que des
questions humanitaires et de droits de l'Homme se posent très
clairement, ou qu'il ne donne pas suite à cette proposition dans un
délai raisonnable168.
Dans ce cas, l'une des solutions proposées par la
Commission consiste à « confier à une organisation
régionale ou sous-régionale le soin de mener l'action collective
»169 par référence au cas kosovar. Quant à
l'exigence de l'article 53 de la Charte de l'autorisation préalable du
Conseil de Sécurité, la Commission nous indique qu'« il est
arrivé dernièrement que cette approbation soit sollicitée
ex post facto, ou après les faits [...] et il pourrait y
avoir
164Ibid.
165Ibid., à la page 53.
166Ibid.
167Ibid., à la page XIII.
168Ibid., à la page 57.
169Ibid., à la page 58.
57 une certaine marge de manoeuvre à cet égard
pour les actions futures »170. Cette éventualité
évoquée par la Commission remet en cause le système de
sécurité collective dans la mesure où l'argumentation
glisse en dehors du cadre de la Charte.
On peut donc conclure que le rapport de la CIISE n'a pas
réussi à réconcilier ses principes avec les dispositions
de la Charte en matière de recours à la force. Toutefois, la
proposition faite par la Commission aux cinq membres permanents du Conseil de
Sécurité de renoncer à exercer leur droit de veto lorsque
leurs intérêts ne sont pas en jeu -- afin de permettre l'adoption
de résolutions autorisant des interventions militaires dans un but
humanitaire dans les cas où celles-ci recueilleraient la majorité
des voix171 -- nous parait très judicieuse même si ses
chances d'être acceptée par les principaux
intéressés sont quasi nulles.
Avant de conclure sur l'invocation des droits de l'Homme comme
motif pour recourir à la force armée, une précision
s'impose puisque :
Sur le plan juridique, cette invocation relevait d'une
confusion, confusion entre droits de l'Homme et droit humanitaire, qui sont
pourtant philosophiquement et surtout techniquement différents.
Philosophiquement : le droit humanitaire, concrètement universel,
protège la personne humaine dans son intégrité physique et
morale contre les tortures, les traitements inhumains et dégradants
[...]. Les droits de l'Homme, produit des conceptions politiques occidentales,
organisent son insertion ordinaire dans la cité, protègent sa vie
privée et déterminent les conditions de sa participation à
la vie publique. Ils n'ont donc pas le même objet [...]. Les manquements
aux droits de l'Homme [...] ne sauraient justifier une action militaire contre
l'État qui s'en rendrait coupable, faute de quoi la porte serait ouverte
à la guerre de tous contre tous, ou peu s'en faut. Techniquement, le
droit humanitaire est un droit des circonstances exceptionnelles, un droit
applicable en cas de conflit armé [...]. En revanche les droits de
l'Homme sont les droits de la vie quotidienne, simple et tranquille [...]. Les
deux types de droits sont donc de nature différente et ne sont pas mis
en oeuvre par les mêmes techniques. L'universalité du droit
humanitaire contraste enfin avec les interprétations différentes
des droits de l'Homme172.
170Ibid., à la page 59.
171Ibid., à la page 82. 172Sur,
supra note 147, à la page 18.
Au-delà de cette précision, si importante soit
elle, et toujours dans le domaine de la protection des valeurs universelles, la
défense de la démocratie comme motif de recourir à la
force a connu le même développement que celui de la défense
des droits de l'Homme.
1.2.2. Le recours à la force au service de la
démocratie
L'intervention américaine et celle de ses alliés
en Irak, en mars 2003, a été argumentée, en partie, et
légitimée a posteriori par la défense de la
démocratie. On trouve les fondements de cette tendance dans le document
publié par la Maison Blanche, intitulé The National Security
Strategy of the United States of America173. Celui-ci donne le
cadre général de la politique étrangère
américaine pour les prochaines années, en particulier suite
à une reformulation des paramètres de la sécurité
nationale américaine en réponse aux attentats du 11 septembre
2001. Exprimées par ce que l'on a appelé la « doctrine Bush
», les nouvelles préoccupations sécuritaires incluent des
considérations morales, comme l'indique le discours sur « l'axe du
mal »174. Selon cette doctrine, les États qui abritent
des terroristes ou qui tolèrent que leurs territoires soient
utilisés par eux comme base d'opération ou sanctuaire, ne seront
pas à l'abri d'une action coercitive, dans le sens où leur
attitude vis-à-vis des terroristes fournirait la base pour une
intervention militaire légitime. Le document de la Maison Blanche
indique aussi que « nous défendrons la paix en combattant les
terroristes et les tyrans »175. C'est dans cette perspective
que la « doctrine Bush » peut se traduire par des ingérences
militaires, en faveur de la démocratie, qui doivent permettre de
libérer des peuples opprimés dans le monde entier. Dans un
article intitulé « Ending Tyranny in Iraq »176,
Fernando Tesón plaide que « The war against Iraq has an
unmistakable humanitarian component [...] The
173The National Security Strategy of the United
States of America, 17 September 2002. [En ligne] : [http ://
www.whitehouse.gov/nsc/nss.pdf]
(page visitée le 22 octobre 2006).
Ce document est une sorte de recueil de discours du
président Bush, tenus après le 11 septembre 2001.
174Dans son allocution de West Point du 1er juin 2002, le
président Bush a insisté sur l'émergence de nouveaux
dangers après la fin de la guerre froide, ces dangers sont
véhiculés par les « rogue states ». [En ligne] [http
://
www.whitehouse.gov/news/releases/2002/06/20020601-3.html]
(page visitée le 13 février 2007).
175Supra note 173, à la page 6.
176Fernando Tesón, « Ending Tyranny in
Iraq », Ethics & International Affairs, vol. 19, no.
2, 2005.
59 removal of Hussein was central in the minds of political
leaders throughout the whole exercise. [...] the fact that the target of
military action was such a notorious tyrant was a reason in favor of
the war »177. Toujours selon Tesón, la guerre contre
l'Irak entre dans le cadre d'un « grand plan » envisagé
après les attentats du 11 septembre 2001. Ce « grand plan »
consiste à combattre les ennemis des États-Unis, la
réalisation de ce but
requires promoting liberal reforms in the Middle East and,
indeed, the entire world. Removing the regimes in Afghanistan and Iraq is part
of that strategy [...]. This grand strategy is humanitarian in a broad sense,
because it involves fighting tyranny by peaceful and (where required) military
means178.
Concernant l'autorité légale qui doit autoriser
ce type d'intervention, l'auteur considère que « [t]he UN Security
Council is inadequate as the guardian of human life and
freedom»179, dans la mesure où il contient des membres
qui sont eux-mêmes gouvernés par des tyrannies (la Chine). Il
conclut que ce type d'intervention « should in principle be approved or
supported by a democratic alliance or coalition »180.
Toutefois, nous sommes d'avis que la manière de voir de
Tesón correspond « plus à un retour au XIXe
siècle qu'à une avancée dans le troisième
millénaire »181 dans la mesure où l'on peut
assister à une réhabilitation du concept de la guerre juste,
concept que le droit international positif était censé avoir
évacué au cours du XIXe siècle. En effet, de
cette façon « on est loin du système de la Charte qui
prévoit des arbitrages destinés à départager les
prétentions contradictoires d'États porteurs d'idéologies
ou de religions différentes par le biais de procédures, au
Conseil de sécurité notamment »182 puisque cette
doctrine « en revient à
177Ibid., à la page 10.
178Ibid., à la page 11.
179Ibid., à la page 17.
180Ibid., à la page 18.
181Olivier Corten, Le retour des guerres
préventives : le droit international menacé, Bruxelles :
Éditions Labor, 2003, à la page 24.
182Ibid.
une conception de la justice axée sur une distinction
essentielle et radicale entre le bien et le mal, avec une connotation
religieuse presque affichée »183.
Le problème que pose ce type d'argumentation se
résume à un évincement du système de la Charte au
profit de l'action (offensive) unilatérale hors du système de
sécurité collective centré sur le monopole du Conseil de
sécurité quant à la définition des menaces à
la paix et à la sécurité internationales. Cette tendance
porte aussi atteinte à l'intégrité du système de
sécurité collective, ainsi qu'aux fondements de la Charte
(notamment aux articles 2 § 1 et 2 § 7). Cela peut amener la
communauté internationale à « une période de
bella hostilia en contradiction absolue avec les valeurs fondamentales
affirmées par la Charte en 1945 »184.
183Ibid.
184Schrijver, supra note 14, à la page
464.
CHAPITRE II
LÉGITIME DÉFENSE ET NOUVELLES MENACES
CONTRE LA PAIX ET LA
SÉCURITÉ INTERNATIONALES : LE CAS
PROBLÉMATIQUE DE LA GUERRE
CONTRE LE TERRORISME
Au lendemain des attentats du 11 septembre 2001, le Conseil de
sécurité a adopté une résolution185 dans
laquelle il associait le droit inhérent à la légitime
défense individuelle ou collective -- conformément à la
Charte à une condamnation dans les termes les plus forts de ces attaques
-- et qualifiant ces actes comme une menace à la paix et à la
sécurité internationales. Toutefois, le Conseil de
sécurité n'a pas qualifié ces attaques d'agression
armée, ceci sans compter que le jour de l'adoption de cette
résolution, on ne connaissait pas encore l'identité des
responsables de ces actes. Ce n'est qu'après quelques semaines que l'on
a pu retracer les origines de ces événements aux activités
du réseau Al Qaïda. Le Conseil de Sécurité n'a donc
autorisé ni explicitement ni implicitement une opération
militaire dans la mesure où il n'a pas été saisi d'une
quelconque demande d'autorisation.
La question qui se pose à ce niveau est de savoir si
l'on se trouve dans le cadre d'un cas de légitime défense aux
termes de l'article 51 de la Charte qui peut être une base à un
recours à la force, ou dans un cas de réaction collective
à une menace à la paix, ou encore dans une situation autre et en
principe exclue par le système de la Charte ?
Comme nous l'avons déjà précisé,
en droit international, la légitime défense n'est admise qu'en
cas d'agression armée. De plus, pour qu'il y ait agression, plusieurs
conditions doivent
185S/RES/1368, 12 septembre 2001.
être remplies, notamment celles dictées par la
résolution 3314 (XXIX) du 14 décembre 1974, à savoir
l'emploi de la force armée, par un État, agissant le premier et
contre un autre État.
2.1. L'exigence d'une agression armée
L'intervention américaine en Afghanistan a
soulevé des interrogations au sujet de la qualification juridique des
faits survenus le 11 septembre 2001, notamment car l'action du Conseil de
sécurité semble être une application hybride du Chapitre
VII. En d'autres termes, « l'intérêt est [...] de
vérifier si [les conditions de la légitime défense] ont ou
non été respectées et plus encore si, ne l'ayant pas
été pleinement, elles annoncent ou non des changements dans le
droit applicable qui puissent perdurer au-delà de la crise qui les a
suscitées »186. Plus précisément, la
question est de savoir si le Conseil de Sécurité, sur la base du
Chapitre VII, peut autoriser une extension de l'article 51. Dans la lettre
adressée par le représentant permanent des États-Unis au
président du Conseil de sécurité, on comprend que :
In accordance with article 51 of the Charter of the United
Nations [...] the United States of America, together with other states, has
initiated actions in the exercise of its inherent right of individual and
collective self-defence following the armed attacks that were carried out
against the United States on 11 September 2001 187.
Pour Pierre Michel Eisemann, les attentats du 11 septembre qui
ont eu lieu à New York, Washington DC et en Pennsylvanie, donnaient lieu
à une situation de légitime défense. La reconnaissance
d'un droit naturel à la légitime défense individuelle ou
collective, dans le texte de la résolution 1368 adoptée au
lendemain des attaques, doit être perçue comme une
186Joe Verhoeven, « Les étirements de
la légitime défense », A.F.D.I, Paris : CNRS
Éditions, XLVIII, 2002, à la page 50.
187Letter dated 7 October 2001 from Permanent
Representative of the United States of America to the United Nations addressed
to the President of the Security Council, S/2001/946, [en ligne] : [http
://
daccessdds.un.org/doc/UNDOC/GEN/N01/567/85/PDF/N01
56785.pdf ?OpenElement] (page visitée le 20 mars 2006).
63 acceptation de la prétention du gouvernement
américain à se trouver en situation de légitime
défense et, par conséquent, à recourir à l'emploi
de la force :
Ce n'est donc pas de manière
inconsidérée, mais bien au contraire de façon volontaire
et réitérée que des États -- au nombre desquels les
membres permanents du Conseil de sécurité -- ont
décidé que l'attaque de bâtiments privés et publics
situés sur le territoire des États-Unis, ayant provoqué un
grand nombre de victimes dans la population, conduite au moyens
d'aéronefs civils par des personnes soupçonnées
d'appartenir à un groupe armé non étatique, ouvrait
à l'État visé le droit de réagir dans le cadre de
la légitime défense alors même que la
répétition d'actes similaires n'était pas
exclue188.
Pour lui, les termes de la Charte permettent à tout
pays victime d'une telle attaque de réagir de manière à
protéger son intégrité ainsi que la vie des personnes
résidant sur son territoire, dans la mesure où « à
l'heure où les forces transnationales viennent concurrencer les
États -- y compris sur le terrain du recours à la force --, il
serait pour le moins paradoxal d'imputer à ces derniers la
paternité de règles les paralysant et les livrant aux effets de
la violence privée »189.
Contrairement à Eisemann, d'autres juristes affirment
que, comme la légitime défense revêt un caractère
naturel, l'autorisation du Conseil de sécurité ne constitue pas
une condition nécessaire à son exercice, bien qu'elle soit
soumise à son contrôle a posteriori : contrôle de
la qualification, contrôle des modalités de son exercice ainsi que
le contrôle de sa durée.
Pour Pierre Marie Dupuy, la référence faite au
droit naturel de légitime défense, dans la résolution 1368
du Conseil de sécurité, constitue simplement un rappel
très général190. En d'autres termes, le Conseil
de sécurité n'a rien fait d'autre que de rappeler un droit qui
existe dans la Charte sans y ajouter quoi que ce soit191.
D'ailleurs, ni la résolution 1368
188Pierre Michel Eisemann, « Attaques du 11
septembre et exercice d'un droit naturel de légitime défense
», dans Le droit international face au terrorisme, Paris :
Pedone, Cahiers Internationaux, 2002, à la page 240.
189Ibid., à la page 241.
190Dupuy, supra note 116, à la page
616.
191Il faut remarquer que ce n'est pas la
première fois que le Conseil de sécurité rappelle ainsi le
droit
naturel de légitime défense. Dans la résolution
661 (1990) du 6 août 1990, il a affirmé « le droit
susmentionnée ni la résolution 1373
adoptée le 28 septembre 2001 ne comportent une autorisation formelle de
recourir à la force192. Cette deuxième
interprétation de la référence faite à la
légitime défense dans la résolution 1368 nous paraît
plus conforme avec le droit de la Charte vu que la légitime
défense, par définition même, ne nécessite pas
d'autorisation préalable du Conseil de Sécurité mais
qu'elle reste sous son contrôle à posteriori193. Cela
nous incite à nous questionner sur l'utilité du rappel d'un
concept que nul État n'est censé ignorer.
Sur ce point, nous partageons l'avis de Joe Verhoeven, pour
qui l'intérêt d'un tel rappel dans le cas d'espèce est
purement politique et vise essentiellement à « donner par avance
à l'action qui serait entreprise un surcroît de
légitimité »194. De ce fait, « il est
singulièrement plus aléatoire d'y découvrir juridiquement
un premier élément de preuve de la licéité de
l'exercice de la légitime défense dans un cas particulier
»195.
Concernant les conditions de son exercice, le droit de
légitime défense n'est envisageable que dans le seul cas d'une
« agression armée ». Bien qu'en droit international, on ne
trouve pas une définition de ce qui serait considéré comme
une arme, l'ampleur et la gravité exceptionnelle des attentats -- ainsi
que le nombre élevé des victimes -- peuvent en effet faire penser
que l'on est dans le cadre d'une agression « armée ». Il est
vrai que :
naturel de légitime défense, individuelle ou
collective, face à l'attaque armée dirigée par l'Irak
contre le Koweït, consacré par l'article 51 de la Charte ».
192Dans l'article 3, c) de la résolution
1373 du 28 septembre 2001, le Conseil de Sécurité a simplement
demandé à tous les États de coopérer afin de
prévenir et de réprimer les actes de terrorisme. Cette demande ne
peut en aucun cas être assimilée à, ou comprise comme, une
autorisation explicite. L'argument d'une autorisation implicite est peu
défendable étant donné le caractère fondamental de
la règle d'interdiction du recours à la force
193 Il s'agit du contrôle de la qualification faite par
l'État concerné, des modalités d'exercice de ce droit, et
de sa durée.
194Verhoeven, supra note 241, à la
page 54.
195Ibid.
Des avions commerciaux ne sont pas par nature des armements et
leurs pilotes des militaires. [Toutefois les faits ont] démontré
qu'ils peuvent le devenir par destination, qu'ils soient ou non remplis de
kérosène. Il n'y aurait dès lors pas de fondement
juridique à la proposition qui nierait l'existence d'une
attaque/agression armée motif pris de l'étrangeté des
instruments utilisés à cet effet196.
En d'autres termes, « il serait [...] oiseux de contester
qu'un aéronef aux réservoirs remplis de kérosène
utilisé pour provoquer le maximum de destruction n'ait pas
été une arme par destination »197. En effet,
« la violence destructrice des attaques terroristes du 11 septembre peut
[...] a priori faire penser que les États-Unis se sont
trouvés, et pour la première de leur histoire sur leur propre
sol, victimes d'une véritable agression »198. Comme le
souligne Linos A. Sicilianos, l'ampleur des actions « [...] constitue un
élément inhérent à la notion d'agression en tant
que condition d'invocation de la légitime défense [...] la
gravité des actions armées est le facteur qui distingue
l'agression d'un simple incident de frontière en faisant de l'emploi de
la force un crime international »199. C'est dans ce sens que
l'article 2 de la résolution 3314 (XXIX) stipule que :
L'emploi de la force armée en violation de la Charte
par un État agissant le premier constitue la preuve suffisante à
première vue d'un acte d'agression, bien que le Conseil de
Sécurité puisse conclure, conformément à la Charte,
qu'établir qu'un acte d'agression a été commis ne serait
pas justifié compte tenu des autres circonstances pertinentes, y compris
le fait que les actes en cause ou leurs conséquences ne sont pas d'une
gravité suffisante.
Dans le même ordre d'idées, le paragraphe 3 du
défunt article 19 de l'ancien projet de la CDI sur la
responsabilité des États a mis l'accent sur
l'élément de gravité dans la mesure où :
196Ibid., à la page 55.
197Eisemann, supra note 188, à la page
242. 198Dupuy, supra note 116, à la page 617.
199Sicilianos, supra note 57, à la page 327.
[...] un crime international peut notamment résulter :
a) d'une violation grave d'une obligation internationale
d'importance essentielle pour le maintien de la paix et de la
sécurité internationales, comme celle interdisant
l'agression200.
C'est dans ce sens aussi que la CIJ a fait la distinction
entre « les formes les plus graves de l'emploi de la force et d'autres
modalités moins brutales »201. Celle-ci trouve son
utilité dans l'idée que les formes moins graves d'utilisation de
la force ne donneraient pas droit à la légitime défense.
De plus, la légitime défense de plein droit signifierait que tous
les moyens nécessaires peuvent être utilisés pour repousser
une attaque, alors que dans les formes moins graves, les moyens de
résistance seraient limités par la gravité relative de
l'attaque.
Cependant, pour être acceptés juridiquement comme
étant une agression, ces actes doivent être imputables à un
État selon la logique du droit de la responsabilité
internationale, qui considère que « l'illicéité du
fait de l'État est exclue si ce fait constitue une mesure licite de
légitime défense prise en conformité avec la Charte des
Nations Unies »202.
2.2. L'imputabilité de l'agression armée : le
cas de l'agression indirecte
Partons du principe que le droit international régit
seulement les relations entres les sujets du droit international, au premier
rang desquels figurent les États. Suivant les définitions de
l'agression données par la doctrine203 et la
résolution 3314 (XXIX)204, on peut donc dire que pour se
situer dans le cadre de la légitime défense, il faut que l'auteur
et la victime de l'agression soient des États. Ce sont là, par
voie de conséquence, également des exigences juridiques de
l'article 51.
200A. C.D.I, 1976, vol II, 2e
partie, à la page 89
201Nicaragua c. États-Unis,
supra note 27, à la page 101.
202Rapport de la CDI, commentaire de
l'article 21, supra note 65. pp.191 -192.
203Supra note
53.
204Supra note 23.
Dans le cas d'espèce :
Pour désigner comme agression l'attaque du 11
septembre, il faut soit considérer qu'on peut assimiler le réseau
transnational terroriste Al Qaïda à un État, ou, à
tout le moins, à un sujet de droit international, soit assimiler son
action à celle menée par cet État de fait que constituait
alors vraisemblablement l'Afghanistan sous contrôle des
Talibans205.
Puisque Al Qaïda ne constitue pas un État selon la
définition de l'État en droit international, peut-on
alternativement considérer l'Afghanistan des Talibans comme responsable
indirect par complicité ?
Dans sa lettre adressée au président du Conseil
de Sécurité, le représentant permanent des
États-Unis déclarait que son gouvernement :
has obtained clear and compelling information that the
Al-Qaeda organization, which is supported by the Taliban regime in Afghanistan
has a central role in the attacks [...] The attacks on 11 September and the
ongoing threat on the United States and its nationals posed by Al-Qaeda
organization have been made possible by the decision of the Taliban regime to
allow the parts of Afghanistan that it controls to be used by this organization
as a base of operation206.
Pourtant, avant les attentats, certains responsables de
l'administration américaine avaient déclaré que le
réseau Al-Qaïda agissait de façon autonome. Le coordinateur
du Département d'État américain écrivait, en 1999,
que « Bin Laden's organization operates on its own, without having to
depend on a state sponsor for material support. He possesses financial
resources and means of raising funds-often through narcotrafficking, legitimate
« front » companies, and local financial »207.
205Ibid.
206Letter from the U.S. Permanent Representative to
the UN, to the president of the Security Council (Oct. 7, 2001), UN
Doc.S/2001/946.
207Hearings Before the Subcomm. on Near E. and
S. Asian Affairs of the Senate Foreign Relations Comm., 1 06th
Cong. (Nov. 2, 1999) (testimony of Ambassador Michael A.Sheehan, coordinator
for counterterrorism, U.S. Dept of State).
Il est juridiquement primordial de déterminer si la
nature du soutien de l'Afghanistan des Talibans à Al-Qaïda suffit
pour leur imputer les attaques du 11 septembre. L'article 3 g) de la
résolution 3314 (XXIX), portant définition de l'agression,
stipule que constitue un acte d'agression :
l'envoi par un État ou en son nom de bandes ou de
groupes armés, de forces irrégulières ou de mercenaires
qui se livrent à des actes de force armée contre un autre
État d'une gravité telle qu'ils équivalent aux actes
énumérés [aux paragraphes précédents], ou le
fait de s'engager d'une manière substantielle dans une telle action.
La lecture de cet article montre qu'il existe des conditions
très strictes pour imputer un acte perpétré par des forces
irrégulières à un État. C'est sur cette base que
dans l'affaire des Activités militaires et paramilitaires au
Nicaragua et contre celui-ci, la CIJ a déclaré que :
[L]'accord parait aujourd'hui général sur la
nature des actes pouvant êtres considérés comme
constitutifs d'une agression armée. En particulier, on peut
considérer comme admis que, par agression armée, il faut entendre
non seulement l'action des forces armées régulières
à travers une frontière internationale mais encore "l'envoi par
un État ou en son nom de bandes ou de groupes armés, de forces
irrégulières ou de mercenaires qui se livrent à des actes
de forces armées contre un autre État d'une gravité telle
qu'ils équivalent" à une véritable agression armée
accomplie par des forces régulières, "ou [au] fait de s'engager
d'une manière substantielle dans une telle action". Cette description
qui figure à l'article 3, alinéa g), de la définition de
l'agression annexée à la résolution 3314 (XXIX) de
l'Assemblée Générale, peut être
considérée comme l'expression du droit international coutumier
[...] Mais la Cour ne pense pas que la notion d'agression armée puisse
recouvrir non seulement l'action de bandes armées dans le cas où
cette action revêt une ampleur particulière, mais aussi une
assistance à des rebelles prenant la forme de fourniture d'armements ou
d'assistance logistique ou autre. On peut voir dans une telle assistance une
menace ou un emploi de la force, ou l'équivalent d'une intervention dans
les affaires intérieures et extérieures d'autres
États208.
En reprenant in extenso les situations figurant dans
l'article 3 g), la Cour a considéré cet article comme une
disposition clef dans la mesure où il constitue « l'expression du
droit international coutumier »209. Toujours selon la Cour,
« si la notion d'agression armée englobe
208Nicaragua c. États-Unis,
supra note 27, p.103 par.195. 209Ibid.
l'envoi de bandes armées par un État sur le
territoire d'un autre État, la fourniture d'armes et le soutien
apporté à ces bandes ne sauraient être assimilés
à l'agression armée »210. La Cour a donc
précisé d'une façon claire quelles sont les conditions
auxquelles un soutien à des forces armées qui commettent un acte
de terrorisme peut être qualifié d'acte d'agression
armée.
Pour L.A. Sicilianos, les forces irrégulières
constituées et envoyées par un État en territoire
étranger, ou qui agissent en son nom, remplissent « une mission
publique » même « si ses membres n'ont pas officiellement le
statut de fonctionnaire ou d'agent de cet État »21
1. C'est ce que la CDI a appelé « la théorie des
organes de fait »212. En d'autres termes, « le lien de
subordination d'un groupe de prétendus volontaires ou de mercenaires
à l'État qui les emploie, ainsi que leur dépendance totale
à son égard fait que ces entités constituent en
réalité une partie de l'appareil étatique
»213.
Dans le cas de bandes armées soutenues activement par
un État, mais bénéficiant d'une liberté d'action en
opérant pour leur propre compte, il n'est pas possible «
d'assimiler les bandes armées en question à un organe de
l'État qui les soutient ni de considérer qu'elles agissent en son
nom. Ces entités doivent dès lors être qualifiées de
non étatiques au sens strict du terme »214.
Pour revenir à l'affaire des Activités
militaires et paramilitaires au Nicaragua et contre celui-ci, la Cour a
examiné séparément les activités des UNCLAs
(Unilaterally Controlled Latino Assests) et celles des contras. Les
premières, des forces paramilitaires, étaient composées
essentiellement de nationaux d'États de pays latino-américains
payés par les États- Unis et agissaient sous leurs directives et
instructions. De l'autre côté, les contras
bénéficiaient, eux aussi, d'un soutien de la part des
États-Unis mais ils jouissaient d'une autonomie d'action et, de ce fait,
on ne peut les considérer comme agissant au nom des États-
210Ibid., à la page 127, par. 247.
211Sicilianos, supra note 57, à la
page 323.
212Rapport de la CDI à l'Assemblée
générale, A.C.D.I 1974, vol II, 1ère partie,
à la page 294. 213Sicilianos, supra note 57,
à la page 323.
214Ibid.
70 Unis. La Cour a constaté, sur cette base, le lien
d'imputation dans le premier cas et l'a refusé dans le second cas,
malgré le nombre élevé de victimes engendré par les
agissements des contras puisque :
Ces actes auraient fort bien pu être commis par des
membres des forces contra en dehors du contrôle des États-Unis.
Pour que la responsabilité juridique de ces derniers soit
engagée, il devrait en principe être établi qu'ils avaient
le contrôle effectif des opérations militaires ou paramilitaires
au cours desquelles les violations en question se seraient
produites215.
Il est à noter que la position de la CIJ concernant
l'« engagement substantiel » dans cette affaire a été
critiquée. C'est dans ce sens que certains internationalistes se sont
demandés si l'agression indirecte, tout en n'étant pas exclue en
théorie, devenait quasiment impossible en réalité. Cette
critique trouve son origine dans l'arrêt du 15 juillet 1999, rendu en
appel dans l'affaire Tadic. Le TPIY a explicitement affirmé que
le critère de contrôle effectif énoncé par la CIJ
« ne semble pas convaincant »216. Un simple contrôle
général serait suffisant selon le TPIY.
Néanmoins, le TPIY ne semble pas avoir convaincu la CDI
dans cet arrêt, puisque cette dernière a réaffirmé
la pertinence de l'approche de cette dernière217.
D'ailleurs, dans l'avis consultatif sur les
Conséquences juridiques de l'édification d'un mur dans le
territoire palestinien occupé, la CIJ a rappelé --
brièvement mais fermement -- que l'exercice de la légitime
défense ne s'exerce qu'en cas d'agression armée par un
État contre un autre État218 avant de conclure
qu'« Israël ne saurait se prévaloir du droit de
légitime défense ou de l'état de nécessité,
comme excluant l'illicéité de la construction du
215Nicaragua c. États-Unis,
supra note 27, à la page 65, par.115.
216Affaire Tadic, TPIY, Chambre
d'Appel, IT-94-1 -A, 15 juillet 1999, titre (ii) ; il est à noter que le
Tribunal de première instance a adopté la jurisprudence de
l'arrêt Nicaragua ; arrêt du 7 mai 1997, IT94-1-T, par.585.
217Rapport CDI, supra note 65, commentaire de
l'article 8, pp.109-116.
218Conséquences juridiques de
l'édification d'un mur dans le territoire palestinien
occupé, avis consultatif du 9 juillet 2004, CIJ, Rec. 2004,
à la page 62, par. 139.
mur [...] »219. Plus récemment, dans
l'affaire relative à l'application de la Convention pour la
prévention et la répression du crime de génocide, la
Haute Juridiction, dans le cadre de la responsabilité internationale a,
d'une part, réaffirmé sa jurisprudence lorsqu'elle a
déclaré qu'il faut établir « un degré
particulièrement élevé de contrôle de l'État
sur les personnes ou entités en cause »220 et, d'autre
part, critiqué la position de la TPIY en considérant que «
le critère du « contrôle global » est inadapté,
car il distend trop, jusqu'à le rompre presque, le lien qui doit exister
entre le comportement des organes de l'État et la responsabilité
internationale de ce dernier »221.
Quant à la pratique du Conseil de
Sécurité, notamment dans le conflit arabo-israélien, elle
corrobore l'approche de la CIJ puisque Israël a été
condamné, dans plusieurs résolutions, pour ses opérations
militaires fondées sur la légitime défense contre les
États arabes qui soutenaient des forces palestiniennes222.
Dans un sens analogue et lors des frappes aériennes américaines
contre la Libye en 1986 en réponse à son soutien
allégué de terroristes opérant en Europe contre les
intérêts américains, la majorité des États
qui sont intervenus devant le Conseil de Sécurité ont
condamné cette opération223, tout comme l'a ainsi fait
l'Assemblée Générale dans sa résolution du 20
novembre 1986224.
On peut donc dire que « jamais une instance de l'ONU n'a
retenu l'argument de la légitime défense lorsque celui-ci a
été utilisé pour justifier une riposte à une
prétendue agression armée indirecte constituée par un
simple soutien à des forces irrégulières
»225.
219Ibid., par. 142.
220Affaire relative à l'application de la
Convention pour la prévention et la répression du crime de
génocide (Bosnie-Herzégovine c.
Serbie-et-Monténégro), 26 février 2007, à la
page 141, par. 393. 221Ibid., à la page 145,
par.406.
222S/RES/171 (1962) du 9 avril 1962 ; S/RES/228
(1966) du 25 novembre 1966 ; S/RES/248 (1968) du 24 mars 1968 ; S/RES/256
(1968) du 16 août 1968 ; S/RES/262 (1968) du 31 décembre 1968 ;
S/RES/270 (1969) du 26 août 1969 ; S/RES/280 (1970) du 19 mai 1970 ;
S/RES/313 (1972) du 28 février 1972 ; S/RES/332 (1973) du 21 avril 1973
; S/RES/347 (1974) du 24 avril 1974 ; S/RES/573 (1985) du 4 octobre 1985 ;
S/RES/61 1 (1988) du 5 avril 1988.
223S/PV. 2674-2682 du 15 au 21 avril 1986.
224A/RES. 41/38 du 20 novembre 1986.
225Olivier Corten, François Dubuisson, «
Opération "Liberté Immuable" : une extension abusive du concept
de légitime défense », R.G.D.I.P, tome106-1, Paris, 2002,
à la page 61.
Pour conclure, et à la lumière des passages
précités de l'arrêt de la CIJ concernant l'affaire de
Nicaragua -- qui reste à notre avis l'arrêt de principe en la
matière --, on peut dire que « [...] la simple tolérance
d'un État à l'égard des activités d'entités
non étatiques opérant à partir de son territoire ne
constitue pas en soi une agression armée au sens de l'article 51 de la
Charte »226 et que le soutien apporté par un État
à des groupes armés opérant sur le territoire d'un
État étranger n'est pas inévitablement assimilable
à une agression, puisqu'il est encore difficile de relever aujourd'hui
une opinio juris fermement établie. En effet,
la pratique est [...] loin de remettre en cause le texte clair
de la définition juridique de l'agression élaborée au sein
de l'Assemblée générale de l'ONU, texte dont le sens a
été illustré par la Cour internationale de Justice dans
une affaire de principe qui garde toute sa pertinence
aujourd'hui227.
Par conséquent, et en application du droit existant au
moment des faits à l'intervention américaine en Afghanistan, on
peut dire que les attentats du 11 septembre ne peuvent être
qualifiés d'agression à l'égard des États-Unis,
faute d'imputabilité de ces actions à un État ou à
un groupe agissant au nom, ou sous le contrôle effectif, d'un
État.
Pour résumer, on peut dire avec le juge Gilbert
Guillaume, ancien président de la CIJ, qu' :
[...] après les événements du 11
septembre 2001, de nouvelles théories se sont développées
pour démontrer que ces événements marquaient une agression
armée contre les États-Unis justifiant l'exercice du droit de
légitime défense. Que ces événements aient eu la
dimension d'une agression armée, j 'en conviens volontiers, mais il n'a
jamais été établi qu'ils trouvaient leur source dans
l'action d'un État ; ils trouvaient leur origine dans l'action d'Al
Qaïda qui bénéficiait d'un certain soutien, d'une certaine
complicité du côté de l'Afghanistan et du régime des
Talibans, mais il n'a jamais été prétendu que
c'étaient les Talibans qui avaient envoyaient les avions dans les tours
de New York. Peut-on considérer dans ces conditions qu'on se trouvait en
face d'un cas d'application de l'article 51 ? Ce serait, me semble-t-il,
extrêmement dangereux parce que si l'on considère qu'un
226Sicilianos, supra note 57, à la
page 327.
227Corten, F. Dubuisson, supra note 225,
à la page 62.
événement de ce genre, c'est-à-dire une
agression armée par une organisation non gouvernementale -- après
tout, Al Qaïda est une ONG d'un type particulier -- peut justifier
l'exercice du droit de légitime défense, cela veut dire que
l'État qui s'estime agressé a le droit d'intervenir par la force
armée sur le territoire d'un autre État, où se trouve
éventuellement cette ONG. Ce serait donc justifier l'action
unilatérale des États par le recours à la force à
l'étranger même en l'absence d'agression par un autre État
dès lors que leur sécurité a été
menacée par des organisations de type Al Qaïda. Les dangers d'une
telle théorie paraissent considérables228.
Cependant, on peut d'un autre côté se demander
s'il ne ressort pas de l'argumentation américaine un certain renvoi
à un autre type de réaction armée, à savoir les
représailles armées.
2.3. Légitime défense ou représailles
armées ?
Les représailles armées peuvent être
définies comme « punitive in character, [...] seeking to impose
reparation for the harm done, or to compel a satisfactory settlement of the
dispute created by the initial illegal act, or to compel the delinquent state
to abide by the law in the future229 ». En 1980, Roberto Ago
écrivait à propos de la distinction entre la légitime
défense et les représailles armées que :
[...] l'élément vraiment distinctif entre
l'action adoptée au titre de contre mesures et l'action menée en
légitime défense réside dans le but de ces actions et le
moment auquel elles ont lieu. Dans le premier cas, le but est de punir, de
réprimer, d'obtenir une exécution forcée ou de lancer un
avertissement contre la répétition de l'acte incriminé
alors que dans le second le but est d'empêcher un acte d'agression. De
plus, le moment auquel se situe logiquement la réaction prenant la forme
d'une contre mesure est celui de la mise en oeuvre de la responsabilité
qui naît d'un fait internationalement illicite. Par contre, l'action
exécutée en état de légitime défense
précède la mise en oeuvre de la responsabilité et se situe
au moment de l'exécution même du fait illicite. Cette action a un
caractère défensif : elle doit empêcher la
réalisation de ce fait230.
228Gilbert Guillaume, « L'ONU en 2005 »,
Association Pour la Fondation ResPublica, Colloque du 6 juin 2005,
pp.37-38.
229Derek Bowett, « Reprisals Involving Use of
Armed Forces », A.J.I.L, vol 66-1, 1972, à la page 3.
230Roberto Ago, Intervention au cours de la 1619e
séance de la C.D.I, 1980, à la page 174, par.6.
En d'autres termes, la ligne de partage entre représailles
armées et légitime défense
peut être effectuée en tenant compte d'un
élément temporel et, partant d'un paramètre qualitatif, la
finalité de l'opération, ainsi que d'un critère
quantitatif, le degré de violence et de contre violence [...] dans la
pratique les représailles armées n'ont presque jamais lieu tant
que le fait illicite allégué est en cours de réalisation,
mais qu'elles se matérialisent après un laps de temps plus ou
moins long selon le cas mais, en toute hypothèse, une fois que le fait
illicite est consommé [...] ce décalage temporel [...] fait que
la riposte se transforme d'action défensive en opération
punitive231.
Les représailles armées ont été
bannies depuis que l'article 2 § 4 a consacré l'interdiction du
recours à la force dans les relations internationales. D'ailleurs, dans
plusieurs résolutions des organes politiques des Nations Unies, on
trouve une condamnation spécifique de ce type
d'intervention232 ; cette condamnation est de même
confirmée par la CIJ233. La confirmation de ce bannissement a
aussi été l'oeuvre de la CDI dans le cadre de ses travaux sur la
responsabilité des États. Dans son commentaire de l'article 50,
la Commission a indiqué que, pour pouvoir être admises en tant que
circonstances excluant l'illicéité, les contres mesures ne
doivent pas impliquer l'emploi de la force234.
Il est à remarquer que l'interdiction des
représailles armées n'a quasiment jamais été
contestée par les États ou par la doctrine. En effet, « few
propositions about international law have enjoyed more support than the
proposition that, under the Charter of the United Nations, the use of force by
way of reprisals is illegal »235. D'ailleurs, les
États-Unis se sont toujours alignés sur ce courant de
pensée. Dans une étude concernant la position des
États-Unis en la matière, et effectuée par Mme Julia W.
Willis du service juridique du Département d'État en 1979,
l'auteur écrivait :
231Sicilianos, supra note 57, à la
page 412.
232S/RES/111, 19 janvier 1956 ; S/RES/171, 9 avril
1962 ; S/RES/188, 9 avril 1964 ; S/RES/316, 26 juin 1972 ; S/RES/332, 21 avril
1973 ; S/RES/573, 4 octobre 1985 ; A/RES. 41/38, 20 novembre 1986.
233Détroit de Corfou, supra note 28,
à la page 35 ; Nicaragua c. États-Unis, supra note
27, à la page 127, par. 249 ; Licéité de la
menace ou de l'emploi d'armes nucléaires, supra note 29,
à la page 246, par. 46.
234Rapport CDI, commentaire de l'article 50,
supra note 65, pp.359-360.
235Bowett, supra note 229, à la page
1.
It is clear that the United States has taken the categorical
position that reprisals involving the use of force are illegal under
international law [...] and that it recognizes the difficulty of distinguishing
between proportionate self-defense and reprisals but maintains the distinction.
Where the United States has itself possibly engaged in reprisal action
involving the use of force, characterization of the action has been confused by
equating it also with self-defense236.
Julia W. Willis remarqua également que les
qualifications ballotent puisque, devant les instances onusiennes, le
gouvernement américain invoque la légitime défense alors
que devant le Sénat américain, on parle de représailles.
Cela montre « que dans les déclarations à portée
internationale le gouvernement des États-Unis évite soigneusement
d'invoquer la justification des représailles armées en vue de ne
pas contredire sa position catégorique traditionnelle
»237.
La lutte contre le terrorisme a constitué depuis
quelques années l'argument central des États238 ayant
eu recours à des représailles armées. En effet, lors des
bombardements du Soudan et de l'Afghanistan en 1998, en réponse à
la destruction des ambassades américaines à Nairobi et Dar
es-Salaam, le représentant américain auprès des Nations
Unies déclara que :
In response to these terrorist attacks, and to prevent and
deter their continuation, United States armed forces today struck at a series
of camps and installations used by the Bin Laden organization to support
terrorist actions against the United States and other countries. [...] The
United States, therefore, had no choice but to use force to prevent these
attacks from continuing. In doing so, the United States has acted pursuant to
the right of self-defence confirmed by Article 51 of the Charter of the United
Nations239.
C'est dans ce sens que l'on a essayé de réduire
l'écart entre les deux notions en déplaçant la ligne de
partage qui les sépare. On a inventé alors le terme hybride de
« représailles
236Julia W. Willis, « Contemporary Practice of
The United States », A.J.I.L, vol 73, 1979, pp. 49 1-492, tel que
cité dans Sicilianos, supra note 57, à la page 410.
237Sicilianos, supra note 57, à la
page 410.
238Voir la déclaration du
représentant israélien au Conseil de Sécurité
après le raid sur Tunis en date du 1er octobre 1 985.S/PV 2611, à
la page 22 ; la déclaration du représentant américain au
Conseil de Sécurité après les raids sur Tripoli et
Benghazi en 1986. S/PV 2674, pp. 13-15.
239Lettre adressée au Président du
Conseil de Sécurité des Nations Unies par le représentant
permanent des États-Unis en date du 20 août 1998, Doc.
S/1998/780.
défensives »240 que l'on a
essayé de faire coïncider avec la légitime défense,
par opposition aux « représailles offensives » qui, elles,
resteraient interdites. En d'autres termes, et toujours selon ce courant de
pensée, les représailles armées « défensives
» sont assimilables à l'exercice du droit de légitime
défense reconnu par l'article 51 de la Charte et ce, en dépit de
l'exigence d'une agression armée vu que l'on doit les concevoir comme
une modalité particulière de la légitime défense se
manifestant en deçà du seuil d'agression. Pour être plus
clair, on tente de contourner l'interdiction des représailles
armées par une invocation extensive de la légitime défense
et de donner à la légitime défense une conception assez
large pour qu'elle puisse englober un certain type de représailles
armées.
Toutefois, cette distinction entre « représailles
offensives » et « représailles défensives »
n'offre pas de critère de différenciation entre ces deux formes
de représailles et laisse une grande place au subjectivisme, ce qui
engendrera une confusion conceptuelle certaine. Ce changement d'appellation
volontaire donnée aux actions militaires entreprises reste à
notre sens insuffisant pour leur donner une certaine licéité.
Leur illicéité reste intrinsèque. Cette approche, qui
assimile les représailles armées à la légitime
défense, a été clairement dénoncée par la
CDI. Pour la commission : « la tendance [...] qui vise à justifier
la pratique consistant à tourner l'interdiction en qualifiant le recours
à des représailles armées de légitime
défense ne trouve aucune justification plausible et est
considérée comme inacceptable par la Commission
»241.
Il apparaît clairement de ce qui précède
que l'action armée entreprise par les États-Unis, en
réponse aux attentats du 11 septembre, présente toutes les
caractéristiques des représailles armées et qu'elle
s'éloigne considérablement de la légitime défense.
Elle semble beaucoup plus relever d'une logique de justice privée que du
droit international.
240Yoram Dinstein, War aggression and
self-defence, Cambridge : Grotius Publications, 1988, à la page
202.
241Rapport de la CDI sur les travaux de sa
47e session, A.C.D.I, 1995, vol. II, 2e partie,
à la page 70, par.3.
En guise de conclusion, on peut dire qu'au regard de la
compréhension classique des liens fondamentaux entre le droit de la
responsabilité et le régime de la légitime défense,
la guerre contre le terrorisme a par conséquent entamé une
réarticulation des paramètres d'applications du système de
la Charte en assouplissant le lien entre l'article 51 et le Conseil de
sécurité, tout en étendant les objectifs de cet article
à travers l'ajout d'un caractère punitif et son accommodation
à la « doctrine Bush ». Toutefois, il est important pour notre
propos de constater qu'en apparence l'argumentation et la pratique ne remettent
pas en cause la Charte, dans le sens où l'on se situe clairement dans le
cadre de l'article 51. Néanmoins, on touche à
l'intégrité du système par une
réinterprétation des liens entre les différents
éléments du système de sécurité collective,
ainsi que par un assouplissement du droit de la responsabilité
internationale.
Le système de la Charte a toutefois dû subir un
autre coup de boutoir supplémentaire avec l'intervention des
États-Unis et de ses alliés en Irak en mars 2003. Contrairement
à l'intervention en Afghanistan, l'opération Iraqi
Freedom a profondément divisé le Conseil de
Sécurité et, par conséquent, donné lieu à
une série de tentatives de réarticulation globale du jus ad
bellum contemporain, dans la mesure où les argumentaires en
présence ont fait appel à toutes les sources et théories
sur l'usage légitime de la force que nous avons examiné
jusqu'ici. Nous clorons cette étude d'ensemble sur cet exemple qui
illustre, de façon centrale, les enjeux présents du
système de sécurité collective de la Charte.
CHAPITRE III
LE RECOURS À LA FORCE ET LE CAS
IRAQUIEN
La guerre en Irak a constitué une troisième
phase dramatique pour le droit international du maintien de la paix. À
première vue, elle semble marquer un retour vers un
unilatéralisme anarchique certain par le biais de la répudiation
directe du système de la Charte. Il semblerait que nous assistions
à une utilisation de la force armée par les États-Unis
uti singuli à travers une auto-interprétation des normes
pertinentes selon leurs propres intérêts.
Il faut néanmoins signaler, de prime d'abord, que la
guerre en Irak a été argumentée et débattue par les
États-Unis, leurs alliés, ou leurs sympathisants, et qu'elle n'a
pas simplement été déclenchée par
répudiation directe de tout critère de légalité ou
de légitimité. Comme nous l'avons indiqué au cours des
pages précédentes, l'argumentation en présence est ce qui
importe, dans la mesure où l'argumentation vise toujours à
présenter le cas présent comme un exemple d'application de normes
générales, qu'elles soient reconnues ou non. Or, les
États- Unis ont utilisé plusieurs registres argumentaires comme
motif de cette guerre.
Suivant ce qui a été dit dans les pages
précédentes, l'utilisation de la force par un État est
justifiable soit comme exercice du droit de légitime défense,
soit en application d'une autorisation du Conseil de Sécurité.
Comme nous le savons, la guerre en Irak a commencé en l'absence
d'autorisation ad hoc du Conseil de Sécurité sur le
modèle de la résolution 678, ainsi qu'en l'absence prima
facie d'une agression directe de la part de l'Irak contre les
États- Unis, contre leurs alliés, ou contre tout autre membre des
Nations Unies.
De plus, d'une part, l'invasion de l'Irak a néanmoins
été justifiée dans le cadre du système de
sécurité collective, plus précisément sur la base
d'une autorisation du Conseil de Sécurité émanant de la
combinaison des résolutions 678 (1990), 687 (1991), et 1441 (2002),
d'autre part, cette intervention militaire a été, en quelque
sorte, la première application de la « doctrine Bush »
concernant le recours à la force d'une façon
préventive.
3.1. L'argument de l'autorisation implicite du Conseil de
Sécurité
Dans son discours devant l'Assemblée
Générale, prononcé le 12 septembre 2002242, le
président des États-Unis a énuméré les
obligations de l'Irak qui lui ont été imposées par le
Conseil de Sécurité suite à son invasion du Koweït en
1990. Le non-respect de ces obligations, toujours selon le président
américain, devrait être considéré comme une menace
à la paix et à la sécurité internationales. Lors de
son discours sur l'ultimatum du 17 mars 2003, il a déclaré que :
« In the case of Iraq, the Security Council did act, in the early 1990s.
Under Resolutions 678 and 687 -- both still in effect -- the United
States and our allies are authorized to use force in ridding Iraq of weapons of
mass destruction. This is not a question of authority ; it is a question of
will »243.
Il faut rappeler que la résolution 678 du Conseil de
Sécurité, adoptée lors de l'invasion du Koweït par
l'Irak en 1990, autorisait les États à coopérer avec le
Koweït et à « user de tous les moyens nécessaires
»244 pour le libérer de l'occupation iraquienne, en
application de la résolution 660 qui demandait, pour la première
fois, à l'Irak de se retirer du Koweït.
242 Le texte du discours est disponible en ligne :
[http ://
www.whitehouse.gov/news/releases/2002/09/print/200209
12-1 .html].
(Page visitée le 17 avril 2007.)
243Lors de ce discours George W. Bush a exigé
que « Saddam Hussein and his sons must leave Iraq within 48 hours »;
s'ils refusent, une action militaire sera entreprise contre l'Irak.
Le texte du discours est disponible sur le site [en ligne] :
[http ://
www.whitehouse.gov/news/releases/2003/03/print/200303
1 7-7.html], (page visitée le 17 avril 2007).
244S/RES/678, 29 novembre 1990, par. 2.
Quant à la résolution 687, qui portait sur les
conditions du cessez-le-feu suite à la libération du Koweït
et à la défaite militaire de l'Irak, elle annonçait que le
Conseil de Sécurité avait décidé « [...] de
rester saisi de la question et de prendre toutes nouvelles mesures qui
s'imposeraient en vue d'assurer l'application de la présente
résolution et de garantir la paix et la sécurité dans la
région »245.
De plus, la résolution 1441, adoptée le 8
novembre 2002 à l'unanimité, rappelle toutes les
résolutions antérieures relatives à l'Irak et notamment la
résolution 678 (1990) et la « [...] résolution 687 (1991)
[qui] imposait des obligations à l'Irak en tant que mesure indispensable
à la réalisation de son objectif déclaré du
rétablissement de la paix et de la sécurité
internationales dans la région »246. Dans cette
résolution, le Conseil de Sécurité prend en
considération « la menace que le non-respect par l'Irak des
résolutions du Conseil et la prolifération d'armes de destruction
massive et de missiles à longue portée font peser sur la paix et
la sécurité internationales »247. En vertu du
chapitre VII de la Charte, le Conseil de Sécurité :
Décide [...] d'accorder à l'Irak [...] une
dernière possibilité de s'acquitter des obligations en
matière de désarmement qui lui incombent en vertu des
résolutions pertinentes du Conseil, et décide en
conséquence d'instituer un régime d'inspection renforcé
dans le but de parachever de façon complète et
vérifiée le processus de désarmement établi par la
résolution 687 (1991) et les résolutions ultérieures du
Conseil248.
Enfin, le Conseil de Sécurité « rappelle,
dans ce contexte, qu'il a averti à plusieurs reprises l'Irak des graves
conséquences auxquelles celui-ci aurait à faire face s'il
continuait à manquer à ses obligations »249.
245S/RES/687, 3 avril 1991, par. 2-32.
246S/RES/1441, 8 novembre 2002, considérants 1,
4 et 5 du préambule. 247Ibid., considérant
3.
248Ibid., par. 2.
249Ibid., par.13.
Dans un article intitulé « Preemption, Iraq
and International Law »250, le conseiller juridique du
département d'État, William Howard Taft VI, ainsi que le
conseiller juridique assistant pour les affaires politiques et militaires du
département d'État, Todd Buchwald, ont exposé
l'argumentation américaine fondée sur une autorisation du Conseil
de Sécurité. Dans leur raisonnement, ils partent de la
résolution 678 qui « exige que l'Irak se conforme pleinement
à la résolution 660 et à toutes les résolutions
pertinentes adoptées ultérieurement » pour en déduire
que le non-respect des résolutions 687 (1991) et 1441 (2002) implique
une autorisation de recourir à la force. Pour appuyer leur mode de
pensée, les auteurs citent un passage d'une déclaration faite par
le Secrétaire général des Nations Unies en 1993 suite
à un raid aérien sur l'Iraq :
[the] raid was carried out in accordance with a mandate from
the Security Council under resolution 678 (1991), and the motive for the raid
was Iraq' s violation of that resolution, which concerns the ceasefire. As
Secretary-General of the United Nations, I can tell you that the action taken
was in accordance with the resolution of the Security Council and the Charter
of the United Nations251.
Les auteurs concluent que « all agreed that a Council
determination that Iraq had committed a material breach would authorize
individual member states to use force to secure compliance with the council's
resolutions »252. En d'autres termes:
[T]he Council imposed a series of conditions on Iraq,
including most importantly extensive disarmament obligations, as a condition of
the ceasefire declared under UNSCR 687. Iraq has « materially breached
» these disarmament obligations and force may again be used under UNSCR
678 to compel Iraqi compliance. Historical practice is also clear that a
material breach by Iraq of the conditions for the ceasefire provides a basis
for use of force253.
250William Taft et Todd Buchwald, « Preemption,
Iraq and International Law », A.J.I.L, vol.97-3, 2003, à la page
557.
251Conférence de presse tenue par le
Secrétaire général des Nations Unies Boutros Boutros
Ghali, le 14 janvier 1993 à
Paris.
UNDOC.SG/SM/4902/Rev.1, p.1.
252Supra note 250, à la page 560.
253William.H Taft, Discours devant l'association
nationale des procureurs généraux, 20 mars 2003, disponible [en
ligne] sur : [http ://
www.state.gov/s/l/2003/44408.htm]
(page visitée le 22 avril 2007).
Toujours selon cette thèse, les États-Unis ont
aussi argumenté en faveur de cette intervention armée, plus
précisément à travers une interprétation
très extensive du dernier paragraphe de la résolution 1441
concernant les « graves conséquences auxquelles [l'Irak] aurait
à faire face ». Ce paragraphe a été
interprété comme une autorisation implicite à intervenir
en utilisant la force militaire254, faite par le Conseil de
Sécurité aux États membres.
L'argumentation américaine concernant l'autorisation
permanente a été soutenue et défendue officiellement par
le gouvernement britannique. Selon l'Attorney General Lord Goldsmith, «
[the] authority to use force against Iraq exists from the combined effect of
resolutions 678, 687 and 1441. All of these resolutions were adopted under
Chapter VII of the UN Charter which allows the use of force for express purpose
of restoring international peace and security »255. Pour le
gouvernement britannique, l'autorisation contenue dans la résolution 678
rend licite tout recours à la force armée chaque fois que l'Irak
menace la paix et la sécurité internationales en violant l'une
des conditions du cessez-le-feu énoncées dans la
résolution 687, dans la mesure où le cessez-le-feu -- à
savoir l'inactivation de l'autorisation contenue dans la résolution 678
-- est dépendante du respect de la résolution 687. En d'autres
termes, la qualification faite par le Conseil de Sécurité selon
le Chapitre VII (ici dans le texte de la résolution 1441) ouvre la voie
à une intervention étatique, même unilatérale,
puisque cette intervention serait légitimée par un renvoi
implicite de la résolution 687 à la résolution
678256.
254L'argument de l'autorisation implicite a
été présenté pour la première fois dans le
cadre de la crise des missiles à Cuba en 1962 ; voir Quincy Wright,
« The Cuban Qarantine », AJIL, vol.57, 1963, p. 546.
255Attorney General Lord Goldsmith, « Legal
basis for use of force against Iraq », Monday 17 March 2003, disponible
[en ligne] sur [http ://
www.pm.gov.uk/print/page3287.asp],
(page visitée le 22 avril 2007). Lettre datée du 20 mars 2003,
adressée au Président du Conseil de sécurité par le
Représentant permanent du Royaume-Uni de Grande-Bretagne et d'Irlande du
Nord auprès de l'Organisation des Nations Unies, S/2003/350, 21 mars
2003.
L'Australie, quant à elle, a adopté
l'argumentation anglaise ; voir la lettre datée du 20 mars 2003,
adressée au Président du Conseil de sécurité par le
Représentant permanent de l'Australie auprès de l'Organisation
des Nations Unies, S/2003/352, 21 mars 2003.
256Supra note 250, à la page 562.
On peut donc dire que c'est grâce à une
interprétation combinée via le rapport de continuité, qui
existerait entre les résolutions 678 (1990), 687 (1991) et 1441 (2002),
que les États-Unis et leurs principaux alliés ont essayé
de démontrer le caractère légal de leur recours à
la force dans le cas iraquien.
Toutefois, cet argument fondé sur une autorisation
préalable ou implicite du Conseil de Sécurité ne survit
pas à l'analyse.
3.2. Critique de la thèse anglo-saxonne
L'argument américain fondé sur une autorisation
implicite, contenue dans la résolution 1441, trouve son origine dans
l'interprétation de la version anglaise de ladite résolution. Il
faut noter que la rédaction de cette dernière dans sa version
anglaise a été, par ailleurs, fortement inspirée de
l'argumentation juridique américaine257. Dans son premier
paragraphe, la résolution 1441 affirme que l'Irak « remains in a
material breach of its obligations under relevant resolutions,
including resolutions 687 (1991) ». Donc, « la violation patente
» (version française de la résolution) a été
traduite par « material breach », ce qui a été
interprété comme un renvoi direct à l'article 60 de la
Convention de Vienne (1969) sur le droit des traités portant sur la
suspension ou à l'extinction d'un traité en cas de violation
substantielle par l'une des parties258.
257Philippe Weckel, « L'usage
déraisonnable de la force », R.G.D.I.P, vol. 107, 2003, à la
page 384. 258L'article 60 de la Convention de Vienne (1969) sur le
droit des traités stipule que :
1. Une violation substantielle d'un traité
bilatéral par l'une des parties autorise l'autre partie à
invoquer la violation comme motif pour mettre fin au traité ou suspendre
son application en totalité ou en partie.
2. Une violation substantielle d'un traité
multilatéral par l'une des parties autorise :
a)les autres parties, agissant par accord unanime, à
suspendre l'application du traité en totalité ou en partie ou
à mettre fin à celui-ci :
i) soit dans les relations entre elles-mêmes et
l'État auteur de la violation,
ii) soit entre toutes les parties ;
b) une partie spécialement atteinte par la violation
à invoquer celle-ci comme motif de suspension de l'application du
traité en totalité ou en partie dans les relations entre
elle-même et l'État auteur de la violation ;
c) toute partie autre que l'État auteur de la
violation à invoquer la violation comme motif pour suspendre
l'application du traité en totalité ou en partie en ce qui la
concerne si ce traité est d'une
Suivant cette interprétation, la résolution 687
est considérée comme un traité ou un accord de
cessez-le-feu, et sa violation par l'Irak entraînerait sa suspension ou
son extinction, c'est-à-dire une rupture de l'accord de cessez-le-feu.
Cela enclencherait, par conséquent, la remise en vigueur automatique de
la résolution 678 dans laquelle le Conseil de Sécurité
avait autorisé l'action militaire contre l'Irak suite à son
occupation du Koweït. Pour John Yoo :
Due to Iraq's material breaches of the cease-fire, established
principles of international law-both treaty and armistice law-permitted the
United States to suspend its terms and to use of force to compel Iraqi
compliance. Such a use of force was consistent with US practice both with
regard to Iraq and with regard to treaties and cease-fires
[...]259.
Au-delà de cette ambiguïté
sémantique, certes aucunement fortuite, cette argumentation comporte une
faille évidente dans la mesure où l'accord de cessez-le-feu a
été conclu entre l'ONU et l'Irak et, par conséquent, la
suspension ou la rupture de cet accord ne peuvent être invoquées
par un ou plusieurs membres de l'organisation internationale260.
D'un autre côté, le fait d'assimiler la résolution 687
à un traité de paix reste contestable puisqu'elle n'a fait
l'objet d'aucune négociation. Le paragraphe 33 de la résolution
stipule que :
nature telle qu'une violation substantielle de ses dispositions
par une partie modifie radicalement la situation de chacune des parties quant
à l'exécution ultérieure de ses obligations en vertu du
traité.
3. Aux fins du présent article, une violation
substantielle d'un traité est constituée par :
a) un rejet du traité non autorisé par la
présente Convention ; ou
b) la violation d'une disposition essentielle pour la
réalisation de l'objet ou du but du traité.
4. Les paragraphes qui précèdent ne portent
atteinte à aucune disposition du traité applicable en cas de
violation.
5. Les paragraphes 1 à 3 ne s'appliquent pas aux
dispositions relatives à la protection de la personne humaine contenues
dans des traités de caractère humanitaire, notamment aux
dispositions excluant toute forme de représailles à
l'égard des personnes protégées par lesdits
traités.
259John Yoo, « International law and the War in
Iraq », A.J.I.L, vol 97-3, 2003, à la page 563.
260Voir sur ce point Conséquences
juridiques pour les États de la présence continue de l'Afrique du
Sud en Namibie (Sud-ouest africain) nonobstant la résolution 276 (1970)
du Conseil de Sécurité, avis consultatif, 21 juin 1971, CIJ.
Rec.1971, p.53, par.114.
[...] dès que l'Iraq aura notifié officiellement
au Secrétaire général et au Conseil de
sécurité son acceptation des dispositions qui
précèdent, un cessez-le-feu en bonne et due forme entrera en
vigueur entre l'Iraq et le Koweït ainsi que les États Membres
coopérant avec le Koweït en application de la résolution 678
(1 990)261.
Le cessez-le-feu a été donc «
concédé unilatéralement en posant un préalable. Il
n'y a donc pas eu d'accord de cessez-le-feu. D'ailleurs une "violations
substantielle" (material breach) d'un tel accord de cessez-le-feu se
produit lorsque l'une des parties prend la responsabilité d'ouvrir les
hostilités. On ne peut pas accuser l'Iraq de cela [...]
»262. En d'autres termes, l'invocation de l'article 60 de la
Convention de Vienne (1969) sur le droit des traités dans le cas
d'espèce n'a aucun fondement juridique.
Dans le même ordre d'idées, il faut remarquer que
le ravivage de l'autorisation donnée dans la résolution 678 est
également sans fondement, dans la mesure où cette
résolution visait un but bien déterminé, à savoir
la libération du Koweït. Une fois cet objectif atteint,
l'autorisation cesse d'exister. Aller chercher une quelconque autorisation dans
cette résolution en dehors du contexte dans lequel elle a
été adoptée n'a aucun sens juridique. En effet,
Par la résolution 678 le Conseil de
Sécurité n'a pas donné mandat d'employer la force aux
États membres de l'ONU en général comme le
prétendent les États-Unis [...]. Il est faux de soutenir que
l'actuelle coalition peut se prévaloir de l'autorisation de l'usage de
l'usage de la force armée accordée par la résolution 678
à une coalition poursuivant des buts différents : le mandat
ancien a définitivement cessé d'être en vigueur du fait de
la réalisation de son objet263.
Un autre point également frappant dans cette
argumentation réside dans le fait que, lors de la guerre du Golf, de
1990-1991 l'autorisation donnée par le Conseil de Sécurité
avait seulement pour but de libérer le Koweït, tandis que
l'invasion de 2003 avait pour but principal le changement de régime
à Bagdad. En d'autres termes, « If the "all necessary
261L'acceptation de l'Irak a été
communiquée le 6 avril 1991. UNDOC, S/22456, 6 avril 1991.
262Philippe Weckel, supra note 257, à la page
387.
263Ibid., à la page 386.
means" provision of Resolution 678 did not permit the forcible
removal of Hussein from power in the course of Kuwait's liberation, it does not
permit a forcible regime change a decade later »264.
Il paraît donc -- et d'une façon très
claire -- que l'interprétation anglo-saxonne est erronée. La
résolution 1441 ne comporte aucune autorisation ni explicite ni
implicite de recourir à la force. D'ailleurs, si telle avait
été l'intention du Conseil de Sécurité, celui-ci
l'aurait formulée clairement, comme il l'a déjà fait dans
d'autres résolutions265. Un autre point essentiel, qui
corrobore ce mode de pensée, est celui ressortant des débats
entourant l'adoption de ladite résolution. Dans les procès
verbaux, tous les États membres266 du Conseil de
Sécurité, et à leur tête les États-Unis, se
sont accordés pour dire que « la présente résolution
ne contient pas de "détonateur caché" ou d'"automacité"
concernant le recours à la force »267 . Les efforts
déployés en février et mars 2003 par les États-Unis
et leurs alliés (notamment le Royaume Uni, l'Espagne et la Bulgarie)
pour obtenir une résolution autorisant le recours à la force
contre l'Irak, montrent que ces États admettaient que la
résolution 1441 ne contenait pas l'autorisation requise pour
entreprendre cette action armée268.
Il est à noter que cette argumentation
américaine concernant la suspension de la résolution 687 n'a rien
de nouveau puisque les États-Unis avaient déjà
adopté un raisonnement semblable à propos de la résolution
1154 du 2 mars 1998, dans le but de justifier leur opération «
Renard du désert » en décembre 1998. Dans cette
résolution, le
264Patrick McLain, « Settling the score with
Saddam : Resolution 1441 and parallel justification for the use of force
against Iraq », Duke Journal of Comparative & International
Law, vol. 13, 2003, pp. 257- 258.
265S/RES/770, 13 août 1992, § 2 ;
S/RES/794, 3 décembre 1992, § 10 ; S/RES/929, 22 juin 1994, §
3 ; S/RES/940, 31 juillet 1994, § 4 ; S/RES/1264, 15 septembre 1999,
§ 3 ; S/RES/1464, 4 février 2003, § 9 ; S/RES/1484, 30 mai
2003, § 4 ; S/RES/1491, 11 juillet 2003, § 11 ; S/RES/1497,
1er août 2003, § 5. 266Déclarations des
Représentants de la France, S/PV.4644, 8 novembre 2002, p. 5 ; du
Mexique, ibid., pp. 6-7 ; de l'Irlande, ibid., pp. 7-8 ; de
la Fédération de Russie, ibid., p. 9 ; de la Bulgarie,
ibid., p. 10 ; de la Syrie, ibid., pp. 10-11 ; de la
Colombie, ibid., p. 12 ; du Cameroun, ibid., p. 12 ; de la
Chine, ibid., p.14.
267Déclaration du Représentant des
États-Unis d'Amérique, S/PV.4644, 8 novembre 2002, p. 3.
268C'est d'ailleurs la position du
Secrétaire général Kofi Annan ; voir Patrick Tyler,
Felicity Barringer, « Annan Says US Will Violate Charter if it Acts
Without Approval », New York Times, 11 mars 2003, p. A8.
Conseil de Sécurité avait rappelé
à l'Irak ses obligations en matière de désarmement, tout
en le prévenant « que toute violation aurait de très graves
conséquences ». Les Américains ont interprété
ces termes comme une autorisation à user de la force en cas de violation
par l'Irak269.
On peut donc dire que, pour qu'une intervention armée
légale puisse avoir lieu, une résolution du Conseil de
Sécurité contenant une autorisation expresse aurait
été nécessaire.
À travers un certain opportunisme, on a
également ou alternativement essayé de légaliser cette
invasion à posteriori, suite à l'adoption des résolutions
1483 du 22 mai 2003, 1500 du 14 août 2003 et 1511 du 16 août 2003.
Ces résolutions permettent d'organiser la présence des membres de
la coalition sur le territoire irakien, sans toutefois critiquer les
circonstances ayant conduit à leur présence sur ce même
territoire. Elles reconnaissent, entre autres, l'autorité provisoire de
la coalition en tant que responsable principal de l'administration du
territoire iraquien270. Dans la résolution 1511, le Conseil
de Sécurité a, par ailleurs, autorisé « une force
multinationale, sous commandement unifié, à prendre toutes les
mesures nécessaires pour contribuer au maintien de la
sécurité et de la stabilité en Iraq » et a
demandé aux États-Unis de rendre compte, « au nom de la
force multinationale », de tous les progrès accomplis par cette
même force271.
Cependant, dire que l'absence de condamnation vaudrait
autorisation tacite ex post est erroné puisque :
269Voir Maurice Torelli, « Le nouveau défi
iraquien à la communauté internationale : Le dialectique des
volontés », Paris, R.G.D.I.P, vol.2, 1998, pp.45 1-455.
Il est à noter que l'opération « Renard
du désert » reposait sur des bombardements aériens
à haute altitude et qu'elle n'a pas abouti à une invasion totale,
comme ce fut le cas avec l'action armée de 2003.
270S/RES/1483, 22 mai 2003, § 4.
271S/RES/1511, 16 août 2003, §§
13-25.
Nothing in Resolution 1483 explicitly approves of the 2003
invasion. The resolution does refer to the United States and United Kingdom as
occupying powers, but the duties of an occupying power exist whether or not it
was lawful to use the armed force that resulted in the occupation. Consequently
no implication as to the lawfulness of the invasion can be drawn from the
resolution's recognition of the U.S. and U.K. as occupying
powers272.
Il nous parait évident que l'action armée
entreprise par les États-Unis et ses alliés ne peut en aucun cas
être légalisée par l'organe même qui ne l'a pas
autorisée. L'absence de condamnation ne peut pas être
interprétée comme une régularisation de l'action, dans la
mesure où les résolutions du Conseil de Sécurité ne
peuvent pas avoir, en principe, un effet rétractif.
D'un point de vue pratique, une résolution condamnant
cette action militaire aurait certainement rencontré un veto de la part
des États-Unis et du Royaume Uni. L'adoption de ces résolutions
« ne préjuge en aucun cas de la légitimité ou de la
légalité du conflit armé»273. D'ailleurs,
certains membres du Conseil de Sécurité ont
précisément insisté sur le fait que ces résolutions
ne pouvaient comporter une quelconque légalisation de
l'occupation274. Ces États ont clarifié leur position
en expliquant que leur vote en faveur de ces résolutions était
simplement motivé par des considérations
humanitaires275.
À la lumière de ce qui précède,
nous pouvons tirer quelques enseignements. Ce type d'argumentation, bien qu'il
se place apparemment sous l'égide de la Charte, attaque le
272Frederic L. Kirgis, « Security Council
Resolution 1483 on the rebuilding of Iraq », ASIL Insights, May
2003. Disponible [en ligne] : [http ://
www.asil.org/insights/insigh107.htm],
(page visitée le 25 avril 2007).
273Déclaration du Représentant de
l'Argentine, S/PV.4726, 26 mars 2003, p. 40.
À cette occasion, plusieurs membres des Nations Unies
ont recondamné l'action militaire de la coalition : Voir
Déclarations des Représentants de la Malaisie, S/PV.4726, 26 mars
2003, p. 8 ; de la Ligue arabe, ibid., p.9 ; du Yémen,
ibid., p. 14 ; de la Libye, ibid., p. 18 ; de
l'Indonésie, ibid., p. 21 ; de l'Inde, ibid., p. 26 ;
du Brésil, ibid., p. 30 ; de la Suisse, ibid., p. 32 ;
de l'Iran, ibid., p. 36 ; du Maroc, ibid., p. 48 ; du Laos,
ibid., p. 51 ; du Liechtenstein, S/PV.4726 (resumption 1), 27 mars
2003, p. 2 ; de la Palestine, ibid., p. 10 ;du Timor Oriental,
ibid., p. 12 ; du Mexique, ibid., p. 21 ; du Pakistan,
ibid., p. 22 ; de la Fédération de Russie,
ibid., p. 28 ; de la Chine, ibid., p. 30 ; de la France,
ibid., p. 31 ; de la Syrie, ibid., p. 34
274Déclaration des Représentants de
la Syrie, S/PV.4732, 28 mars 2003, p. 3 ; de la Russie, ibid. ; du
Pakistan, ibid.
275Ibid.
système entier en donnant à
l'unilatéralisme une place considérable -- notamment en
transférant un pouvoir de constatation ou de décision du Conseil
de Sécurité aux États membres. C'est en ce sens qu'il a
été soutenu, par exemple, que le Conseil de
Sécurité peut autoriser le recours à la force d'une
manière implicite alors que pour mettre fin à une autorisation
donnée, il doit y avoir une décision explicite276.
Ceci fait bien sûr abstraction du fait que, sur le plan pratique, cette
décision peut se heurter au droit de veto de l'État ou des
États intéressés. En d'autres termes, on nous dit que,
pour écarter la règle cardinale de l'article 2 § 4, une
autorisation implicite est suffisante alors que pour revenir au système
de la Charte, il faudrait une décision explicite ! C'est à
travers ce type de raisonnement que l'on s'attaque au système de la
Charte en inversant la logique du système de sécurité
collective, et en particulier les rapports entre l'article 2 § 4 et le
Chapitre VII. Finalement, l'interdiction de recourir à la force devient
l'exception et le recours à la force devient la règle.
Ce type d'argumentation permet aussi de détourner la
volonté du Conseil de Sécurité tout en
méconnaissant l'article 42 de la Charte. Évoquer des
résolutions adoptées dans un contexte bien
déterminé, pour argumenter un recours à la force dans un
contexte différent, est contraire au système de la Charte dans
lequel le Conseil de Sécurité détient le monopole de la
qualification mais aussi le monopole de la décision sur la nature de
l'action à entreprendre.
Enfin, l'argument de l'autorisation a posteriori qui
vient rétroactivement régulariser l'action initiale touche aussi
l'intégrité du système de la Charte, dans la mesure
où il crée une présomption en faveur de l'État qui
utilise la force d'une manière unilatérale. Ceci est bien
évidemment contraire à l'esprit de la Charte.
276Yoo, supra note 259, pp. 567-568.
3.3. La perspective de la légitime défense
préventive277
Parallèlement à l'argument de l'autorisation
implicite du Conseil de Sécurité, on a soutenu que l'action
contre l'Irak était un exercice légal du droit de légitime
défense. Dans le document intitulé The National Security
Strategy of the United States of America278 --
déjà évoqué plus haut --, on peut lire que les
États-Unis « [...] will not hesitate to act alone, if necessary, to
exercise our right of selfdefense by acting preemptively against such
terrorists, to prevent them from doing harm against our people and our country
»279.
Dans son allocution de West Point, après avoir
identifié les « États voyous » (rogue states)
qui forment « l'axe du mal » -- en tête desquels prenait place
l'Irak --, le président Bush a affirmé que « We must be
prepared to stop rogue states and their terrorist clients before they are able
to threaten us or use weapons of mass destruction against the US and our allies
and friends »280. De même, lors de son discours sur
l'ultimatum du 17 mars 2003, il a déclaré que : « Terrorists
and terror states do not reveal these threats with fair notice, in formal
declarations--and responding to such enemies only after they have struck first
is not self-defense, it is suicide. The security of the world requires
disarming Saddam Hussein now»281.
Enfin, dans son discours à l'Assemblée
Générale du 23 septembre 2003, le président Bush a
annoncé que :
277La terminologie qui désigne par synonymie
ou par analogie la légitime défense préventive est
abondante et variée. Les expressions telles que les guerres
préventives, actions préventives, légitime défense
par anticipation, guerre par précaution, recours préventif
à la force, dissuasion avancée, relèvent de ce
registre.
278Supra note 173.
279Ibid., à la page 6.
280Supra note 174.
281Supra note 243.
The deadly combination of outlaw regimes and terror networks
and weapons of mass murder is a peril that cannot be ignored or wished away. If
such a danger is allowed to fully materialize, all words, all protests, will
come too late. Nations of the world must have the wisdom and the will to stop
grave threats before they arrive282.
Cette politique, annoncée à la veille de
l'invasion de l'Irak, a été réaffirmée dans la
nouvelle version de la National Security Strategy en 2006, puisque
« the place of preemption in our national security strategy remains the
same »283.
Cette doctrine a donc été mise en oeuvre pour la
première fois284 en mars 2003, avec l'attaque contre l'Irak
justifiée, en partie, par l'argument de la légitime
défense préventive parallèlement à l'argument de
l'autorisation implicite du Conseil de Sécurité.
L'intervention en Irak a constitué, pour
l'administration Bush, une suite logique de la riposte américaine aux
attaques du 11 septembre. Elle représente ainsi la continuation de la
guerre contre le terrorisme, déclarée au lendemain des attentats
du 11 septembre 2001. L'Irak était simplement le prochain «
État voyou » sur la liste noire des États-Unis, après
l'Afghanistan. Pour le président américain :
We know that Iraq and the al Qaeda terrorist network share a
common enemy--the United States of America. We know that Iraq and al Qaeda have
had high-level contacts that go back a decade. Some al Qaeda leaders who fled
Afghanistan went to Iraq. These include one very senior al Qaeda leader who
received medical treatment in Baghdad this year, and who has been associated
with planning for chemical and biological attacks. We've learned that Iraq has
trained al Qaeda members in bomb-making and poisons and
282Statement by President George W. Bush before the
58th regular session of the UN General Assembly on September 23,
2003. disponible [en ligne] :
[http ://
www.state.gov/documents/organization/3
8231 .pdf], (page visitée le 5 mai 2007).
283The National Security Strategy of the United
States of America, 16 mars 2006, à la page 23. Disponible [en
ligne] : [http ://
www.whitehouse.gov/nsc/nss/2006/nss2006.pdf]
(page visitée le 10 avril 2007).
284Ce qui signifie que la guerre contre l'Irak peut
être la première d'une longue série d'opérations
militaires de ce genre.
deadly gases. And we know that after September the 11th,
Saddam Hussein's regime gleefully celebrated the terrorist attacks on
America285.
C'est en vertu de cette complicité
présumée de l'Irak avec les auteurs des attentats du 11 septembre
que les États-Unis seraient autorisés à exercer à
leur encontre une légitime défense toute naturelle. Selon les
propos d'Emmanuel Decaux :
Peu à peu, le discours américain est donc
passé d'une légitime défense différée
à une notion de légitime défense préventive, visant
la préemption de menaces avérées ou supposées, en
Irak ou ailleurs. On abandonnerait ainsi les caractéristiques classiques
des représailles armées, limitées dans le temps et
soumises à une stricte proportionnalité, pour une sorte de «
chèque en blanc », à tirage illimité
[...]286.
La doctrine américaine de la légitime
défense préventive a été, en effet,
systématisée dans la mouvance des réactions aux attentats
du 11 septembre 2001.
En fait, la théorie de la guerre préventive
consiste à proclamer que l'Irak et le régime de Saddam Hussein
constituent une menace virtuelle pour les États-Unis et que cela suffit
en tant que tel pour lancer une guerre contre cet État. Cette
théorie affirme qu'il n'est nullement nécessaire que ladite
menace prenne effectivement corps pour justifier une intervention
défensive préventive. Pour l'administration américaine :
« [...] international law permitted the use of force against Iraq in
anticipatory self-defense because of the threat posed by an Iraq armed with WMD
and in potential cooperation with international terrorist organisations [...]
»287.
D'une façon générale, cette doctrine
signifie que les États-Unis se réservent le droit de recourir
à la force contre tous ceux qui représentent -- ou qui pourraient
éventuellement -- représenter une menace pour leur
sécurité. Cela peut même aller jusqu'à l'assassinat
de toute
285Remarks by the President on Iraq in Cincinnati,
Ohio, 7 octobre 2002. Disponible [en ligne] [http ://
www.whitehouse.gov/news/releases/2002/10/20021007-8.html]
(page visitée le 20 mars 2007). 286Emmanuel Decaux, Droit
international public, Paris : Dalloz, 2002, à la page 247.
287Yoo, supra note 259, à la page
575.
93 personne représentant une menace pour la
sécurité des États-Unis288. En d'autres termes,
« under long-standing principles of self defense, we do not rule out the
use of force before attacks occur, even if uncertainty remains as to the time
and place of the enemy' s attack »289.
Au-delà de son application dans le cas d'espèce,
l'ampleur de cette doctrine réside essentiellement dans le fait que :
Selon cette interprétation, les États ne sont
pas obligés d'attendre qu'il y ait un accord au sein du Conseil de
Sécurité. Au lieu de cela, ils se réservent le droit
d'agir unilatéralement, ou dans le cadre de coalitions ad hoc.
Cette logique constitue un défi fondamental aux principes sur lesquels,
même si cela ne l'était que d'une manière imparfaite, la
paix et la stabilité mondiales ont été fondées
[...] si cette logique était adoptée, elle pourrait créer
des précédents conduisant à la multiplication de l'usage
unilatéral de la force, avec ou sans justification
crédible290.
L'analyse qui suit va essayer de conceptualiser les
différents arguments avancés par les partisans de cette doctrine.
Ces derniers avancent l'argument de la règle coutumière
préexistante à l'article 51 pour soutenir que cet article doit
être interprété extensivement. Enfin, ils prolongent
l'argument vers une radicalité outrancière pour dire que les
règles principales régissant le recours à la force en
droit international sont devenues caduques et, de ce fait, ils annoncent la
mort de la Charte.
3.3.1. L'hypothèse du droit coutumier
antérieur à la Charte
Dans le document de la Maison Blanche, on peut lire que : «
For centuries, international law recognized that nations need not suffer an
attack before they can lawfully take action to
288 Voir Brenda Godfrey, « Authorization to Kill Terrorist
Leaders and Those Who Harbor Them : An International Analysis of Defensive
Assassination », San Diego Int 'l L.J., vol.4, 2003, pp. 491 et
ss. 289Supra note 173, à la page 23.
290Discours du Secrétaire général
Kofi Annan devant l'Assemblée Générale des Nations Unies.
SG/SM/8891, 23 septembre 2003.
defend themselves against forces that present an imminent
danger of attack »291. Cette phrase est une
référence directe à l'argument souvent avancé par
les partisans de la doctrine de la légitime défense
préventive selon lequel l'article 51 de la Charte n'a pas porté
atteinte à la règle coutumière préexistante dans le
domaine de la légitime défense292 en mentionnant
qu'« aucune disposition de la présente ne porte atteinte au droit
naturel de légitime défense [...] ».
Les partisans de cette doctrine présentent ainsi
l'affaire de la Caroline de 1837 comme le locus classicus en
la matière293. The Caroline est le nom d'un navire
appartenant à des particuliers américains, qui assurait, à
partir du territoire américain, l'approvisionnement de rebelles
canadiens en lutte contre le Royaume Uni. Ce navire fut attaqué pendant
la nuit du 29 au 30 décembre 1873, dans le port américain de
Fort Schlosser, par des soldats de sa Majesté Victoria. Il fut
incendié et finalement précipité dans les chutes de
Niagara. Suite aux protestations américaines, le Royaume Uni invoqua
l'état de nécessité pour justifier son intervention. Cet
argument fut, en principe, accepté par les États-Unis puisque
dans une note adressée à son homologue britannique le 24 avril
1841, le Secrétaire d'État américain, Daniel Webster,
reconnaissait qu'une action militaire en territoire étranger pouvait se
justifier dans le cas d'une « necessity of self defense, instant,
overwhelming, leaving no choice of means and no moment for deliberation
»294. Quelques mois plus tard, le 7 décembre 1841, le
président Tyler reprit l'idée, en affirmant dans un message au
Congrès que son « gouvernement ne [pourrait] jamais autoriser aucun
gouvernement étranger quel qu'il soit, sauf en cas de
nécessité la plus urgente et la plus extrême,
à envahir son territoire, que ce
291Supra note 173, à la page 15.
292Voir Humphry Waldock, « The Regulation of
the Use of Force by Individual States in International Law », R.
C.A.D.I, vol. 81, 1952-II, pp. 495 et ss ; Julius Stone, Aggression
and World Order, Los Angeles : University of California Press, 1958, pp.
43 et ss.
293Voir par exemple, Bowett, supra note 67,
pp. 187-192.
294Treaties and Other International Acts of the
United States of America, Hunter Miller, vol 4 Documents 80-121 : 1836-1846,
Washington : Government Printing Office, 1934. [En ligne] : [http ://
www.yale.edu/lawweb/avalon/diplomacy/britain/br-1
842d.htm#web1] (page consultée le 5 juin 2007).
[fut] pour arrêter des personnes ayant violé le
droit interne de ce gouvernement étranger ou pour détruire leur
biens [...] »295.
Pour les défenseurs de ce type d'intervention, le droit
de légitime défense préventive aurait donc
été établi lors de l'affaire de la
Caroline296. Cela veut dire que le droit coutumier
antérieur à la Charte est sensiblement plus permissif que
l'article 51297. En d'autres termes, un recours à la force
serait licite s'il existe une menace imminente. Pour soutenir cette
argumentation, on cite aussi fréquemment un passage du jugement du
Tribunal militaire international de Nuremberg, dans lequel le Tribunal -- tout
en rejetant l'argument de la défense qui justifiait l'invasion de la
Norvège par l'Allemagne au titre de la légitime défense --
a rappelé : « [...] qu'une action préventive en territoire
étranger ne se justifie que dans le cas d' "une nécessité
pressante et urgente de défense, qui ne permet ni de choisir les moyens,
ni de délibérer [...]" »298. La question qui se
pose à ce niveau de l'analyse est donc de savoir quelle est la valeur
pertinente de l'incident de la Caroline en matière de
légitime défense aujourd'hui.
Il n'est pas excessif de rappeler que la notion de
légitime défense n'a acquis son autonomie juridique et
conceptuelle qu'avec l'émergence du principe de non-recours à la
force. À l'époque de l'incident de la Caroline :
295Tel que cité dans le Rapport de la CDI,
supra note 202, à la page 210.
296Yoo, supra note 259, à la page
572.
297Benvenuta Occelli, « Sinking the Caroline:
Why the Caroline Doctrine's Restrictions on SelfDefense Should Not be Regarded
as Customary International Law », San Diego Int 'l Law Journal,
vol.4, 2003, pp. 467 et ss.
298Jugement du 1er octobre 1946, dans
Procès des grands criminels de guerre devant le Tribunal
militaire, Nuremberg, 1947, à la page 217 éditeur?.
Le droit international renonce à toute limitation du
recours à la force : il se borne à l'enregistrer comme un fait et
à y rattacher des conséquences juridiques, conséquences
qui ressortissent au droit des conflits armés [...]. Mais le droit y est
indifférent quant au déclenchement de la guerre, à ses
causes et à la justice ou à l'injustice de celle-ci,
l'opportunité et la licéité de la guerre deviennent une
option politique de fait, non une question de droit299.
En effet, à l'époque, la notion de
légitime défense n'était qu'un terme
générique utilisé en plein période
d'autopréservation et de libre recours à la force.
La notion de légitime défense [...] était
comprise dans un sens particulièrement large, tant dans la pratique
diplomatique que parmi les spécialistes du droit international [...]. La
guerre était justifiée dès que l'État attaquant
pouvait s'appuyer sur des motifs légitimes, expressions qui illustre
bien la confusion prévalant encore entre le droit au sens strict et les
considérations subjectives de justice, qui étaient
laissées à l'appréciation unilatérale des
États300.
Donc, on peut dire tout simplement que, puisque le principe
n'existe pas, l'exception n'existe pas non plus. D'ailleurs, la doctrine du
XIXe et du début du XXe siècle ne classait
pas l'incident de la Caroline comme un cas classique de
légitime défense. Les auteurs de cette époque se
référaient à ce cas dans le cadre des analyses des
questions de la neutralité et de ses éventuelles
exceptions301. Quant à la CDI, elle a souligné que
« l'incident de la "Caroline" de 1837, bien que souvent
cité comme un cas de légitime défense, faisait en
réalité intervenir l'excuse de nécessité à
une époque où le droit régissant l'emploi de la force ne
reposait pas du tout sur les mêmes bases qu'aujourd'hui
»302.
Pour Ian Brownlie, le droit de légitime défense,
tel que défini dans l'article 51, reflétait d'une manière
globale le droit coutumier tel qu'il existait lors de l'adoption de la Charte,
surtout en ce qui concerne la condition fondamentale de l'existence d'une
agression armée.
299Robert Kolb, Ius contra bellum : Le droit
international relatif au maintien de la paix, Bruxelles : Bruylant, 2003,
à la page 20.
300Corten, supra note 181, à la page
14.
301Voir par exemple, Theodore Dwight Woolsey,
Introduction to the Study of International Law, Designed as an Aid in
Teaching, and in Historical Studies, 5th ed, 1879.
302Rapport de la CDI, supra note
202, à la page 209.
Selon lui « the use of force in riposte to force was the
only generally accepted view as to the justified use of force in self-defence
and the delegations at San Francisco naturally did not regard the phrasing of
the article as in any sense an innovation in its reference to
selfdefence»303.
D'un point de vue normatif, nous sommes d'avis que la
période pertinente en la matière est celle qui se situait entre
les deux guerres, puisque c'est à cette époque-là que l'on
a commencé à poser les prémices du jus contra
bellum304. Il faut d'ailleurs rappeler que lors de l'affaire
Nicaragua, les États-Unis avaient argumenté que
l'article 51 avait résumé et supplanté le droit coutumier
préexistant305, ce qui est en contradiction flagrante avec
leur position actuelle. Toujours dans le cadre de l'affaire Nicaragua,
la CIJ a affirmé-- en se prononçant exclusivement dans le cadre
du droit coutumier de légitime défense -- l'existence autonome et
parallèle de l'article 51 et de la règle coutumière
correspondante, en insistant toutefois sur le fait que le droit inhérent
à la légitime défense « est désormais
confirmé par la Charte et influencé par elle
»306.
De plus, « à supposer même que l'on admette
que certaines règles coutumières aient survécu à
l'élaboration de la Charte, on voit mal comment ces règles
pourraient aboutir à contourner cet instrument conventionnel qui reste
la base de l'ordre juridique international [...] »307. En
d'autres termes, le seul droit coutumier qui préexiste à la
Charte et qui continue à être valide au travers de l'article 51
est celui qui ne contredit pas le texte de cet article. La suprématie de
la Charte trouve son fondement juridique dans l'article 103, dans la mesure
où les obligations de la Charte prévaudront sur toutes les autres
obligations des membres des Nations Unies308.
303Ian Brownlie, International Law and the Use of
Force by States, Oxford: Clarendon Press, 1963, à la page 274.
304Sicilianos, supra note 57, pp. 297-299.
305Nicaragua c. États-Unis,
supra note 27, à la page 103, par.195.
306Ibid., à la page 94, par. 176.
307Corten, supra note 181, à la page
40.
308Rudolf Bernhardt, « Article 103 », dans
Bruno Simma (ed), The Charter of the United Nations- A commentary,
Oxford : Oxford University Press, 2e ed, 2002, à la page
1299.
Pour réfuter la thèse du droit coutumier
antérieur à la Charte, on peut aussi se fonder sur les principes
généraux de droit : lex posterior derogat legi priori,
ou encore sur le principe lex specialis derogat legi generali.
Ce qui précède nous permet donc d'affirmer que
présenter l'incident de la Caroline comme le locus
classicus en matière de légitime défense
préventive n'a aucun fondement juridique.
Conscients de ces difficultés, les partisans de cette
doctrine ont aussi ravivé un ancien argument. En effet, une fois
écartée l'idée de la légitime défense
extérieure à la Charte, l'alternative pour eux consiste alors
à dire que l'article 51 lui-même n'exclut pas la
possibilité d'une intervention armée préventive.
3.3.2. L'interprétation extensive de l'article
51
Le point de départ de cet argument réside dans
une interprétation extensive des termes de l'article 51. Pour les
défenseurs de la légitime défense préventive,
l'exigence d'une agression armée ne constitue pas une condition sine
qua non pour l'exercice de la légitime
défense309.
On a soutenu que l'article 51, lorsqu'il stipule dans sa
version anglaise « if an armed attack occurs », ne doit pas
être lu comme signifiant « if, and only if, an armed attack
occurs310 ». Pourtant, comme le souligne Kelsen « it
is of importance to note that Article 51 does not use the term "aggression" but
the much narrower concept of "armed attack", which means that a merely
"imminent" attack [...] does not justify resort to force as an exercise of
309Martti Koskenniemi, « Iraq and the "Bush
Doctrine" of Pre-emptive Self-Defence », Expert Analysis, 20 august 2002.
Disponible [en ligne] : [http ://
www.crimesofwar.org/expert/bushkoskenniemi.html]
(page visitée le 2 avril 2007)
310Myres McDougal, « The Soviet-Cuban Quarantine
and Self Defense », AJIL, vol.57, 1963, à la page 600.
99 the right established by Article 5 1»311.
En d'autres termes, l'agression armée reste la seule hypothèse
pour pouvoir invoquer la légitime défense. En effet, « [...]
ce droit ne peut être exercé que si l'État
intéressé a été victime d'une agression
armée. L'invocation de la légitime défense collective ne
change évidemment rien à cette situation »312.
Dans l'arrêt relatif à l'affaire des Plates-formes
pétrolières, la CIJ a réaffirmé sa position de
1986 lorsqu'elle a déclaré que :
[...] pour établir qu'ils étaient en droit
d'attaquer les plates-formes iraniennes dans l'exercice du droit de
légitime défense individuelle, les États-Unis doivent
démontrer qu'ils ont été attaqués et que l'Iran
était responsable des attaques, et que celles-ci étaient de
nature à être qualifiées d' "agression armée" tant
au sens de l'article 51 de la Charte de Nations Unies que selon le droit
coutumier en matière d'emploi de la force313.
Pour éviter cet obstacle, on a soutenu qu'il faut
chercher dans l'objet et le but de l'article 51. Pour certains auteurs,
l'article 51 vise généralement à protéger les
États en leur donnant la possibilité de recourir à la
force en cas de danger ou de menace. Par exemple, Martti Koskenniemi nous
indique :
to interpret an article reasonably is to refer to the raison
d'être of the article, and the raison d'être is to protect the
State [...] Anything you do to protect the State, you can then use armed force
for because anything that threatens the State tends to be equal to a threat or
use of force314.
Toutefois, l'analyse faite par Koskenniemi nous semble
erronée. En effet, cet article avait pour but de créer un cas non
contraire, mais très strict au principe annoncé dans l'article 2
§ 4 de la Charte, surtout dans la mesure où l'article 51 ne peut
être lu en dehors du Chapitre VII. Il ne faut pas oublier que le but
principal de la Charte est de brider au maximum le recours unilatéral
à la force dans les relations internationales. En ce sens, Linos A.
Sicilianos rappelle que lors des travaux préparatoires de la Charte, une
proposition britannique visant à élargir la
311Kelsen, supra note 100, à la page
797.
312Nicaragua c. États-Unis,
supra note 27, à la page 103, par. 195.
313Plates-formes pétrolières
(République Islamique d'Iran c. États-Unis d'Amérique),
fond, arrêt, C.I.J. Rec.2003, pp.29-30, par.51.
314Koskenniemi, supra note 309.
100 portée de la légitime défense
à toute situation ou litige entraînant une rupture de la paix a
été abandonnée. Il ajoute que rien « ne laisse penser
qu'en se référant à l'agression armée les
promoteurs de l'article 51 n'avaient en vue qu'une seule parmi les
hypothèses d'invocation de la légitime défense
»315. On ne voit donc pas comment une légitime
défensive à titre préventif peut se réconcilier
avec les exigences d'exercice de ce droit. On peut ajouter à cela le
fait que la légitime défense préventive est fondée
sur une appréciation subjective quant à l'existence de la menace,
d'où un risque énorme d'abus. Nous nous trouvons alors dans une
situation où la logique de la Charte est encore une fois inversée
puisque, dans le cas de la légitime défense classique, ce droit
est limité par l'exigence de l'agression armée, qui est
potentiellement qualifiable sur la base de critères juridiques ou du
moins soumise au contrôle légitime du Conseil de
Sécurité. À l'opposé, pour agir
préventivement, ce droit devient illimité dans la mesure
où l'on pose une présomption en faveur de l'appréciation
de l'État qui invoque le droit.
La logique de la Charte est très claire en ce sens :
[w]hen a country feels menaced by the threat of an armed
attack, all that it is free to do-- in keeping with the Charter--is make the
necessary military preparations for repulsing the hostile action should it
materialize, as well as bring the matter forthwith to the attention of the
Security Council316.
Dire, toutefois, que la légitime défense
préventive est contraire aux dispositions de l'article 51 ne signifie
pas que ce type d'intervention (action armée préventive) est
totalement exclu, car le Conseil de Sécurité peut entreprendre
une action armée dans le cadre du Chapitre VII, même si aucune
agression armée n'a été commise. En effet, il existe une
différence entre l'article 51 qui parle d'« agression armée
» alors que pour l'article 39, il s'agit de « menace contre la paix
». Comme cette dernière notion est plus large et qu'elle laisse une
place à la subjectivité, les rédacteurs de la Charte ont
voulu qu'elle soit traitée dans
315Sicilianos, supra note 57, pp.299-300.
316Dinstein, supra note 240, à la page 167.
un cadre multilatéral317. Dans ce sens, il
existe plus qu'une présomption en faveur de l'appréciation du
Conseil de Sécurité, alors que sur la base conjointe de l'article
2 § 4 et de l'article 51, il existe une présomption en
défaveur de tout État qui recourt à la force. D'ailleurs,
dans des cas comme ceux de la Somalie en 1992318 ou d'Haïti en
1994319, le Conseil de Sécurité a autorisé un
recours à la force sans qu'il n'y ait eu au préalable agression
armée. Dans les deux cas, le conflit avait un caractère purement
interne et l'action du Conseil de Sécurité était
précisément fondée sur l'existence d'une menace de la paix
internationale.
Il est à noter qu'il existe un autre type de
légitime défense dont le champ d'application ratione
temporis s'étend en aval de celui de la légitime
défense préventive, mais qui reste conforme au droit positif. Il
s'agit de la théorie de la légitime défense
interceptive. Dans cette dernière, le recours à la force
tend à éviter que l'acte d'agression en cours de
réalisation n'atteigne son objectif ; en d'autres termes, la riposte
tend à neutraliser et à intercepter l'attaque avant que l'acte
d'agression n'ait été en quelque sorte
perpétré320. La ligne de partage entre les deux
notions réside dans la différence entre une menace, même
imminente, et une agression qui est en cours de réalisation même
si elle n'a pas été consommée. L'interception vise «
à enrayer le processus de réalisation d'un acte d'agression
in fieri»321. L'hypothèse de la légitime
défense interceptive peut nous fournir une solution concernant le
problème des avancées technologiques dans le domaine des armes
nucléaires puisque, entre « le lancement et l'impact d'un missile
nucléaire s'écoule un laps de temps, une riposte
déclenchée durant cette période-- et avant donc
l'anéantissement éventuel des bases de lancement -- pourrait
être qualifiée de légitime défense interceptive
»322.
317Brownlie, supra note 1, à la page
270.
318S/RES/794, 3 décembre 1992.
319S/RES/940, 31 juillet 1994.
320Par exemple, si un État A lance un
missile vers un État B et que ce dernier l'intercepte tout en
contre-attaquant, dans ce cas on peut considérer que l'État B n'a
fait que riposter à une agression armée en cours.
Pour Yoram Dinstein, le critère que l'on doit adopter
dans ces cas est celui de savoir si l'auteur de l'agression s'est vraiment
engagé de manière claire et évidente dans la commission
d'un acte d'agression, supra note 240, à la page 172.
321Sicilianos, supra note 57, à la
page 404.
322Ibid., à la page 405.
Pour résumer, on peut dire donc qu' :
Au-delà du cas des armes nucléaires, qui reste
hypothétique, il importe de souligner une fois de plus que la notion de
légitime défense interceptive [...] est entièrement
conforme à l'esprit et à la lettre de l'article 51 de la Charte.
Il ne s'agit pas d'une riposte face à une simple menace, même
imminente, d'emploi de la force, mais bien plutôt d'une réaction
à un acte d'agression qui est en cours de réalisation même
s'il n'est pas encore accompli323.
Reste à préciser que les partisans de l'approche
extensive de l'article 51 ont aussi avancé l'argument selon lequel le
droit relatif à légitime défense a évolué
dans un sens plus permissif depuis l'adoption de la Charte en 1945. Pour
analyser cet argument, un examen de la pratique étatique s'impose dans
la mesure où elle constitue l'élément décisif en la
matière.
3.3.3. La pratique étatique
Avant d'examiner la pratique étatique des États,
il est judicieux de rappeler que les différents traités
multilatéraux de sécurité conclus depuis 1945 ont
confirmé l'interprétation classique de l'article
51324.
Dans les nombreuses résolutions adoptées, depuis
1945 au sein de l'ONU, et qui sont en rapport avec le principe de non-recours
à la force, on ne trouve aucune trace de la notion de légitime
défense préventive. Cette théorie n'a été
invoquée que très rarement pour justifier un recours à
force, puisque, dans la pratique, les États « [...] prefer to take
a wide view of armed attack rather than openly claim anticipatory self-defence.
This reluctance expressly to invoke anticipatory self-defence is in itself a
clear indication of the doubtful status of this
323Ibid.
324 Voir par exemple le Traité Interaméricain
d'Assistance Mutuelle de Rio de 1947 (article 3), le Traité de l'Union
de l'Europe Occidentale de Bruxelles de 1948 (article 4), le Traité de
l'Atlantique du Nord de 1949 (articles 5 et 7), et le défunt Pacte de
Varsovie de 1955 (article 4) ; voir supra, Partie I, Chapitre II.
103 justification for the use of force »325.
Les rares invocations de la légitime défense concernent deux pays
: Israël et les États-Unis. Pour Israël, elles concernent
essentiellement le bombardement des camps palestiniens au Liban en 1975 et
l'attaque contre le réacteur nucléaire irakien Osirak en 1981.
Pour les États-Unis, il s'agit de la crise de Cuba de 1962 et de la
destruction de l'usine Al-Shifa au Soudan en 1998. Le 2 décembre 1975,
l'aviation israélienne a bombardé les camps palestiniens au
Liban. Le gouvernement israélien a déclaré qu'il
s'agissait d'une action préventive parce que les raids visaient à
prévenir des attaques contre Israël326. Cette
intervention israélienne a été condamnée par tous
les pays membres327 du Conseil de Sécurité, même
par les États-Unis328. En effet, dans ce cas, Israël
:
A déclaré que son agression n'était pas
une action punitive mais une action préventive. C'est là une
méthode dangereuse à suivre dans la vie internationale. Est-ce
que les États vont être autorisés à
déterminer eux-mêmes ce qui peut être qualifié
d'action préventive ? S'il en était ainsi, cela conduirait le
monde à la loi de la jungle, ce qui est loin de l'ordre international
fondé sur les principes de la Charte des Nations Unies329.
Il est à noter que dans cette affaire, aucune
résolution condamnant l'attaque israélienne n'a été
approuvée à cause du veto des États-Unis qui ont
jugé non justifiée l'absence d'une condamnation identique des
actions des terroristes330. Le second cas impliquant Israël est
celui du bombardement du réacteur nucléaire irakien d'Osirak, le
7 juin 1981. Le représentant israélien à l'ONU a
déclaré que :
325Christine Gray, International Law and the Use
of Force, Oxford : Oxford University Press, 2000, à la page 112.
326Voir Istvan Pogany, The Security Council and
the Arab-Israel Conflict, New York : St Martin's Press, 1984, pp. 91 et
ss.
327Voir déclarations des Représentants
de la République Uni du Cameroun, S/PV. 1861, 8 décembre 1975,
p.3 § 18 ; de la Chine, ibid., p.6 § 41, de l'URSS,
S/PV.1860, 5 décembre 1975, p.3 § 17.
328Déclaration du représentant des États-Unis :
« Les États-Unis déplorent profondément ces attaques,
de même que nous avons toujours déploré les actes
terroristes méprisables qui ont causé la perte de vies humaines
en Israël », S/PV.1860, 5 décembre 1975, p. 1 § 4.
Pour la France : « contrairement à ce qui avait
été le cas pour les affaires précédentes, ces
bombardements ne constituent pas des représailles contre des actions
terroristes menées sur le territoire d'Israël. Il s'agit, de l'aveu
même des autorités israéliennes, d'opérations
à caractère préventif. En tout état de cause, ni
représailles, ni surtout prévention ne constituent des notions
admises sur le plan des relations internationales ». S/PV. 1861, 8
décembre 1975, § 31.
329Déclarations du Représentant du
Liban, S/PV. 1859, 4 décembre 1975, pp. 47-48 et 50. 330Voir
déclaration du Représentants des États-Unis, S/PV. 1862, 8
décembre 1975, à la page 27.
[...] Nous avons appris de sources absolument sûres que
ce réacteur, sous des dehors trompeurs, était construit pour
fabriquer des bombes atomiques. La cible de ces bombes serait Israël.
[...] le peuple israélien se trouvait progressivement exposé
à un danger mortel [et] le gouvernement israélien a donc
décidé d'agir sans plus tarder pour assurer le sauvegarde de son
peuple331.
Le représentant israélien ajoute que :
En fait, la notion du droit d'un État à la
légitime défense n'a jamais changé à travers
l'histoire. Cependant, sa portée s'est considérablement
élargie au fur et à mesure que la capacité de l'homme de
semer la destruction chez ses ennemis a progressé. Par
conséquent, cette notion a pris des applications nouvelles et plus
larges avec l'avènement de l'ère
nucléaire332.
Bien que l'État hébreu n'ait pas explicitement
mentionné la légitime défense préventive, il ne
fait aucun doute qu'il s'agit bel et bien de ce type d'intervention,
étant donné la référence à une menace grave
et imminente et à la nécessité d'agir. D'ailleurs, le
représentant du Mexique au sein du Conseil de Sécurité a
clairement réfuté la conception israélienne de l'article
51 lorsqu'il a déclaré que :
The reasons on which the Government of Israel bases its
contention are as unacceptable as the act of aggression it committed. It is
inadmissible to invoke the right to self-defense when no armed attack has taken
place. The concept of preventive war, which for many years served as
justification for the abuses of powerful States, since it left it to their
discretion to define what constituted a threat to them, was definitively
abolished by the Charter of the United Nations333.
331Lettre du Représentant Permanent
d'Israël auprès des Nations Unies adressée au
Président du Conseil de sécurité, 8 juin 1981, Document
S/14510, Conseil de sécurité, Documents Officiels, 36e
année, supplément de janvier, février, mars 1981, p.63.
332Déclaration du Représentant
Permanent d'Israël auprès des Nations Unies, Conseil de
sécurité, Documents Officiels, 2288e séance, 19
juin 1981, p.9 par. 85.
333S/PV. 2288, § 115, 19 juin 1981. Voir aussi
les Déclarations des Représentants de l'Algérie,
S/PV.2280, 12 juin 1981, § 159 ; de la Jordanie, ibid., §
208 ; de l'Inde, S/PV.2281, 13 juin 1981, § 31 ; du Brésil,
ibid., § 39 ; du Pakistan, ibid., §§ 70-71 ;
de la Bulgarie, ibid., §§ 79 et 84 ; de l'Irlande,
S/PV.2283, 15 juin 1981, § 27 ; de la Yougoslavie, ibid., §
46 ; de l'URSS, ibid., §§ 63-64 ; de la Roumanie,
ibid., § 117 ; du Sierra Leone, ibid., § 146 ; de
la Syrie, S/PV.2284, 16 juin 1981, § 65 ; des Philippines, ibid.,
§ 28 ; du Yémen, ibid., §§ 46-48 ; de la Guyane,
S/PV.2286, 17 juin 1981, § 15 ; de la Somalie, S/PV.2288, 19 juin 1981,
§§ 31-32 ; de la Turquie, ibid., § 49 ; de l'Ouganda,
ibid., § 141 ;
C'est suivant cette logique que le Conseil de
Sécurité a condamné « énergiquement l'attaque
militaire menée par Israël en violations flagrante de la Charte des
Nations Unies et des normes de conduites internationale »334.
Cette résolution « constitue à n'en pas en douter un indice
important quant à l'inadmissibilité de la légitime
défense dite préventive ; d'autant plus que le Conseil demanda
à Israël de s'abstenir à l'avenir de perpétrer des
actes de ce genre ou de menacer de le faire »335.
La crise de Cuba de 1962 a été, quant à
elle, souvent citée comme un indice de la pratique tendant vers la
reconnaissance de la légitime défense
préventive336, mais l'argument de la légitime
défense préventive n'apparaît pas dans l'argumentation
américaine337, dans la mesure où les États-Unis
se sont appuyés sur l'article 52 de la Charte relatif aux ententes
régionales338. L'invocation de la légitime
défense préventive a été intentionnellement
écartée car « such claim would set a dangerous precedent. A
US claim to be acting in anticipatory self-defense might tempt other States to
rely on the same doctrine as a cloak to justify any unilateral use of
»339.
Le dernier exemple de légitime défense
préventive cité dans la pratique des États est
l'intervention américaine au Soudan le 20 août 1998. La flotte des
États-Unis a lancé treize missiles de croisière Tomahawk
contre l'usine d'Al-Shifa, dans une zone industrielle des environs de Khartoum,
la capitale du Soudan. Les États-Unis ont soutenu que l'usine produisait
clandestinement des armes chimiques pour le compte d'Al-Qaïda. Cette
attaque avait pour but de « deter and prevent the repetition of unlawful
terrorist attacks on the United
Résolution 8/13-P, 13ème session de la
Conférence islamique des Ministres des Affaires
étrangères, 22 au 26 août 1982, Niamey, République
du Niger.
334S/RES/481, 19 juin 1981. Voir aussi A/RES/36/27,
13 novembre 1981 ; A/RES/37/18, 16 décembre 1982 ; A/RES/38/9, 10
novembre 1983 ; A/RES/39/14, 16 novembre 1984 : A/RES/40/6, 1er
novembre 1985 ; A/RES/41/12, 29 octobre 1986.
335Sicilianos, supra note 57, à la
page 401.
336M. McDougal, supra note 310, pp. 597 et
ss.
337Pres. John Fitzgerald Kennedy, « Proclamation
3504: Interdiction of the Delivery of Offensive Weapons to Cuba »,
AJIL, vol. 57, 1963, à la page 512.
338Ibid.
339Avis du conseiller juridique du
Département d'État américain, tel que cité dans
Timothy McCormack, Self-defense in international law- The Israeli raid on
the Iraqi nuclear reactor, New York/ Jerusalem : St Martin's Press/The
Magnes Press, 1996, à la page 222.
States and other countries »340. Cette
opération a été l'objet de vives critiques de la part de
la communauté internationale341, malgré l'absence
d'une condamnation officielle de la part du Conseil de
Sécurité.
À la lumière de la pratique étatique --
qui ne reflète pas le développement d'une pratique constante ou
l'émergence d'une opinio juris tendant à élargir
le champ d'application de l'article 51 --, on peut affirmer «
qu'actuellement cette forme de légitime défense est encore
interdite par la Charte, surtout en considération des risques d'abus
auxquelles elle se prête»342.
Le débat concernant la légitime défense
au sein de l'ONU a conduit l'ancien secrétaire général
K.Annan à nommer un « Groupe de personnalités de haut
niveau sur les menaces, les défis et le changement343
». Ce groupe de personnalités a rendu son rapport intitulé
« Un monde plus sûr : notre affaire à
tous344 » le 1er décembre 2004. Dans ce
rapport, on peut lire que :
340Lettre adressée par Bill Richardson,
Représentant permanent des États-Unis aux Nations Unies, au
Président du Conseil de sécurité, S/1998/760, 20
août 1998.
341Ligue des États arabes, Resolution 5794,
17 September 1998, dans Letter dated 25 September 1998 from the Permanent
Representative of Lebanon to the United Nations addressed to the President of
the Security Council, United Nations, S/1998/894, 17 Septembre 1998 ;
Résolution 22/28-P, 28e session de la Conférence
islamique des Ministres des Affaires étrangères, 25 au 27 juin
2001, Bamako, Mali ; Résolution 21/29-P, 29e session de la
Conférence islamique des Ministres des affaires
étrangères, 25 au 27 juin 2002, Khartoum, République du
Soudan.
342Antonio Cassese, « Article 51 », dans
Jean Pierre Cot, Alain Pellet et Mathias Forteau (dir.), La Charte des
Nations Unies : Commentaire article par article, 2005, Paris :
Économica, 3e éditions à la page 1341.
343Ce groupe est présidé par l'ancien
Premier ministre thaïlandais, Anand Panyarachum, les autres membres sont :
Robert Badinter (France), João Baena Soares (Brésil), Gro Harlem
Brundtland (Norvège), Mary Chinery Hesse (Ghana), Gareth Evans
(Australie), David Hannay (Royaume-Uni de Grande-Bretagne et d'Irlande du
Nord), Enrique Iglesias (Uruguay), Amr Moussa (Égypte), Satish Nambiar
(Inde), Sadako Ogata (Japon), Yevgeny Primakov (Fédération de
Russie), Qian Qiqian (Chine), Salim Salim (République Unie de Tanzanie),
Nafis Sadik (Pakistan) et Brent Scowcroft (États Unis
d'Amérique).
344A/59/565, 2 décembre 2004. Disponible [en
ligne] : [http ://
www.un.org/secureworld]
(page visitée le 5 mai 2007).
[...] Traditionnellement, en droit international, un
État menacé peut lancer une opération militaire à
condition que l'agression dont il est menacé soit imminente,
qu'il n'y ait pas d'autre moyen d'écarter la menace et que
l'intervention militaire soit proportionnée. Le problème se pose
dans le cas où sans être imminente, la menace en question est
présentée comme réelle, par exemple en cas d'acquisition,
dans une intention censément hostile, des moyens de fabriquer des armes
nucléaires. [...]À cette thèse on oppose que, face
à des menaces potentielles apparentes omniprésentes, le risque
pour l'ordre mondial et la règle de non-intervention sur laquelle il
reste fondé est trop élevé pour que la
légalité autorise une action préventive
unilatérale, au lieu d'une intervention collective. Autoriser une action
préventive unilatérale de ce type, c'est les autoriser toutes.
Nous ne sommes pas partisans d'une révision ou d'une nouvelle
interprétation de l'Article 51345.
Le premier enseignement qui ressort de ce passage est que le
groupe de personnalités a adopté dans ses analyses la
terminologie utilisée dans le jargon juridique anglais, puisqu'il s'agit
de faire la différence entre « preemptive self-defence
» et « preventive self-defence »346.
Au-delà de cette nuance conceptuelle347 qui témoigne
une fois de plus de l'ancrage difficile de ce concept dans la terminologie
juridique du droit international, le groupe a donc conclu correctement,
à notre sens, que la légitime défense préventive
stricto sensu est contraire au droit international. Toutefois, dire
que le droit international autorise traditionnellement la légitime
défense par anticipation (preemptive self-defence) à
condition que la menace soit imminente, qu'il n'y ait pas d'autres moyens de
l'écarter et que l'action militaire soit proportionnée, va «
[...] au-delà du droit international existant »348, dans
la mesure où le groupe n'a pas répondu aux questions les plus
importantes, à savoir :
345Ibid., à la page 59, §§
188-192.
346Dans la doctrine américaine, plusieurs
auteurs utilisent ces deux expressions comme synonymes. Voir par exemple Marie
Ellen O'connell, « The Myth of Preemptive Self-Defense »,
ASIL. août 2002. Disponible [en ligne] : [http ://
www.asil.org/taskforce/oconnell.pdf]
(page visitée le 12 mars 2007). 347Le Dictionnaire de la
pensée stratégique établit une distinction entre
guerre préventive et guerre préemptive : « Dans le premier
cas on engage des hostilités pour éviter que ne
s'établisse un rapport de force qu'on estime défavorable dans un
avenir plus ou moins proche, dans le second cas on s'engage en premier pour
anticiper une action d'un adversaire qui paraît imminente ».
François Géré, Dictionnaire de la pensée
stratégique, Paris : Larousse, 2000, à la page 212.
348Cassese, supra note 346, à la page
1342.
108 Qui décidera si, en effet, la menace était
imminente, ou qu'il n'existait pas de moyens alternatifs d'écarter cette
menace ? Une fois l'attaque par anticipation lancée il sera difficile,
en l'état actuel du droit, de contraindre l'État
prétendument victime de la menace, de démontrer qu'en effet la
menace était imminente. En d'autres termes, cette
vue prête à la critique qu'elle est susceptible
d'autoriser d'importants abus par les États349.
En d'autres termes, et comme nous l'avons
démontré tout au long de notre analyse, le droit international
actuel n'admet ni la légitime défense « préemptive
» ni celle « préventive ». Si l'on suit le groupe de
personnalités dans son raisonnement, une brèche serait ouverte
qu'il serait ensuite difficile de colmater350.
Dans ce sens, une révision de l'article 51 pourrait
s'avérer dangereuse pour le système de la Charte, dans la mesure
où une appréciation subjective de la menace romprait
l'économie du Chapitre VII et ouvrirait la porte à
l'unilatéralisme qui peut renvoyer la communauté internationale
à l'ère préjuridique.
Quoi qu'il en soit, la défense du cadre classique de la
Charte qui ressort de la pratique étatique face aux justifications
apportées en dehors de la Charte est sans aucun doute la raison pour
laquelle on assiste à une tendance systématique à recourir
à des arguments fondés sur la
349Ibid.
350Selon A. Cassese, il faut songer à
changer l'article 51 tout en tenant compte d'une part, des exigences de
sécurité des États, et d'autre part de l'obligation de ne
pas laisser de place à des éventuels abus. Il propose de modifier
l'article 51 dans le sens qu'il permet la légitime défense
préventive mais sous sept conditions cumulatives :
Il faut que l'État qui veut recourir à ce type de
légitime défense ait des preuves crédibles concernant la
perpétration d'une attaque.
Il faut que l'attaque soit imminente, inévitable et
massive.
Que la force employée en légitime défense
soit proportionnée à l'agression.
Le seul but de la légitime défense doit être
celui de prévenir ou d'arrêter l'agression.
L'État qui agit en légitime défense doit
nécessairement soumettre au Conseil de Sécurité les
éléments de preuve.
Si le Conseil de Sécurité décide que
l'État n'était pas autorisé à recourir à la
force, ce dernier doit se soumettre à une procédure d'arbitrage
ou de réconciliation.
Si l'organe chargé de l'arbitrage ou de la conciliation
conclut que le recours à la force n'était pas justifié,
l'État concerné doit dédommager l'autre État.
Ibid., pp.1342-1343.
109 non-exhaustivité de la Charte, faisant appel
directement à sa caducité en matière de recours à
la force.
3.3.4. Caducité de la Charte ou la théorie du
no Law
Le débat concernant l'intervention armée
américaine en Irak a fait glisser le débat, une fois de plus,
vers le terrain de la légitimité, comme c'était le cas
lors de l'intervention de l'OTAN au Kosovo. L'expression « illégal,
mais légitime » a refait surface. D'ailleurs, le rapprochement
entre les deux affaires avait pour motif de faire passer cet argument, comme on
le constate dans les propos de Anne Marie Slaughter :
The use of force in Iraq, as in Kosovo, could be legitimate if
three conditions are met : (1) the coalition forces uncover undeniable and
substantial evidence of weapons of mass destruction maintained by Saddam
Hussein's government in the face of increasingly intrusive UN inspections ; (2)
the Iraqi people welcome the deposition of Saddam Hussein ; and (3) the United
States and Great Britain turned back to the United Nations to help rebuilt Iraq
and establish a genuine government of the Iraqi people351.
Se fondant sur la pratique, les défenseurs du concept
« illégal, mais légitime » évitent souvent
d'évoquer l'autorité légale, à savoir le Conseil de
Sécurité qui est le principal organe habilité à
autoriser des opérations armées légales, et dès
lors légitimes. Pour eux, mais sans qu'ils ne le disent explicitement,
cet organe peut aussi --et peut-être doit-- rentrer dans le jeu de
l'approbation a posteriori.
Le danger qui émane de cet argument réside
essentiellement dans le fait qu'il ne donne aucune réponse claire
à la question de savoir qui est l'autorité compétente qui
décidera de ce qui est légitime. Le jugement deviendra purement
moral, aléatoire et possiblement opportuniste ; en d'autres termes,
n'importe qui peut décider de ce qui est légitime, et bien
entendu dans le cas d'une intervention armée, les opinions seront
divisées. Cela va
évidemment à l'encontre de l'un des buts
principaux de la Charte, qui est l'éradication de toute décision
morale unilatérale de recourir à la force. En effet, dans le
droit de la Charte, l'activité unilatérale des États est
soumise à un contrôle juridique, alors que l'activité de
police de l'organisation est soumise au contrôle du Conseil de
Sécurité. Celui-ci est d'ailleurs le dépositaire du
critère de légitimité, dans la mesure où il est
habilité à agir pour le bien de la communauté
internationale et en son nom.
Mais, dans le cadre des débats entourant l'invasion de
l'Irak, l'attaque contre le système collectif de sécurité
internationale s'est intensifiée pour atteindre une radicalité
outrancière. C'est dans ce sens qu'on nous annonce la mort des
règles du droit positif qui encadrent le recours à la force, ou
tout simplement la mort de la Charte. Jane Stromseth estime que le droit
international actuel, notamment celui régissant le recours à la
force dans l'exercice de la légitime défense, est insuffisant
pour les États-Unis. Pour elle, ceux-ci doivent créer leur propre
droit de légitime défense alors que la Charte garde son pouvoir
de contrainte pour le reste des États membres des Nations
Unies352. Pour John Yoo et Will Trachman, l'émergence d'un
nouveau type de terrorisme signale la fin de l'utilité de la Charte en
matière de recours à la force. Le respect de la Charte par les
États peut en soi se révéler préjudiciable pour
leurs intérêts en matière de
sécurité353.
Le chef de file de cette argumentation est Michael Glennon,
pour qui: « the age-old dream of subj ecting the use of force to the rule
of law has today gone up in smoke »354. Cette théorie,
développée depuis la crise du Kosovo, consiste à dire que
:
352Jane Stromseth, « Law and Force After Iraq: a
Transitional Moment », AJIL, vol.97, 2003, à la page
639.
353John Yoo, Will Trachman, « Less Than Bargained
: The Use of Force and the Declining Relevance of the United Nations »,
Chicago Journal of International Law, vol. 5, no 2, winter 2005,
à la page 6. 354Michael. J. Glennon, « Self-defense in
an Age of Terrorism », ASIL Proceedings of the 97th
Annual Meeting, 2003, à la page 152.
Since 1945, dozens of [UN] member states have engaged in well
over 100 inter-state conflicts that have killed millions of people. This record
of violation is legally significant. The international legal system is
voluntary and states are bound only by rules to which they consent. A treaty
can lose its binding effect if a sufficient number of parties engage in conduct
that is as odds with the constraints of the treaty. The consent of United
Nations member states to the general prohibition against the use of force, as
expressed in the Charter, has in this way been supplanted by a changed intent
as expressed in deeds [...]. It seems the Charter has, tragically, gone the way
of the 1928 Kellogg-Briand Pact which purported to outlaw war and was signed by
every major belligerent in World War II355.
L'argumentation de Glennon repose sur une méthode
empirique fondée sur l'effectivité qui rejette le droit positif,
dans la mesure où ce qui compte « [...] is how States actually
behave under conditions of unipolarity, rather than how we would like them to
behave »356. Le nombre élevé de conflits
armés depuis 1945 (291conflits selon Glennon) montre que le cadre
juridique fixé par la Charte ne guide pas la conduite des États
et ne reflète donc pas le droit international en vigueur357.
C'est pour cela que les règles de la Charte régissant le recours
à la force deviennent obsolètes : « The decaying de
iure catechism is overly schematized and scholastic, disconnected from
State behavior, and unrealistic in its aspirations for State
»358. Par conséquent, la Charte est morte, victime de la
désuétude359. En d'autres termes, les dispositions de
la Charte régissant le recours à la force se sont
désintégrées et, de ce fait, sont devenues des termes
vides de sens. Il conclut en affirmant qu'un État rationnel ne doit pas
penser que les Nations Unies assurent sa
sécurité360.
355Michael. J. Glennon, « How war left the law
behind », New York Times, 21 novembre 2002, à la page
A33.
356Glennon, supra note 354.
357Sur ce point, M. Weisburd rejoint M. Glennon. Il
considère que la pratique des États ne confirme tout simplement
pas la thèse selon laquelle la règle fixée par la Charte
des Nations Unies peut être considérée comme une
règle de droit coutumier. Voir Mark Weisburd, Use of Force : the
practice of States since World War II, Pennsylvania : Pennsylvania
University Press, 1997, à la page 315.
358Michael. J. Glennon, « Military Action Against
Terrorists under International Law : The Fog of Law », Harvard Journal
of International Law and Public Policy, vol. 25, 2002, à la page
540.
359M. Glennon définit sa thèse de
désuétude dans ces termes : « A rule's abandonment through
nonenforcement or noncompliance is known as desuetude [...] My theory is that
excessive violation of a rule, whether embodied in custom or treaty, causes the
rule to be replaced by another rule that permits unrestricted freedom of action
». Michael J. Glennon, « How International Rules Die », The
Georgetown Law Journal, vol. 93, 2005, pp.939-940
360Michael J. Glennon, « Why the Security Council
failed », Foreign Affairs, mai-juin 2003.
Dans son raisonnement, Glennon est suivi par Anthony Clark
Arend, qui présente toutefois une argumentation plus fondamentaliste.
Pour lui, « for all practical purposes, the UN Charter framework is dead
»361 dans la mesure où le droit coutumier
postérieur à la Charte (c'est-à-dire qui ressort de la
pratique étatique d'après 1945362) ne concorde pas
avec ses dispositions en matière de recours à la force. Arend
conclut que la « doctrine Bush » concernant la légitime
défense préventive n'enfreint pas le droit
international363 tout simplement parce qu'il n'y a pas de
règle prohibant le recours à la force364.
Toutefois, cette argumentation frappée par un
unilatéralisme anarchique et par un mépris des règles
juridiques internationales ne tient pas à l'analyse. Invoquer un grand
nombre de conflits armés sans faire la différence entre conflits
internes, conflits internationaux, des actes d'agression et des actes de
légitime défense est un élément conduisant à
la confusion, étant donné que ces différents actes n'ont
pas la même signification au regard du droit international.
Pour annoncer la mort de la Charte et de ses règles
régissant le recours à la force, il faudrait au surplus
dégager de cette pratique une opinio juris. En d'autres termes,
il faut aussi comptabiliser les comportements non contraires à la
règle ainsi que les prises de positions qui condamnent sa violation.
Dans l'affaire iraquienne, la multiplication des condamnations et les
nombreuses contestations infirment toute modification concernant le droit
international en matière de recours à la force. En effet, «
[...] in refusing to assent to the US strategy, they [states] were responding
exactly as the Charter intended »365. D'ailleurs, dans la
pratique étatique, la violation de l'article 2 § 4 est
traditionnellement assimilée à une violation du droit
international général. Soutenir le contraire revient à
dire que la pratique d'une ou de quelques puissances l'emporte sur la pratique
de l'ensemble de la communauté internationale. Pour
361Anthony Clark Arend, « International law and
the preemptive use of military force », The Washington Quarterly,
2003, à la p.101.
362Arend cite une vingtaine de cas dans lesquels il y
a eu recours à la force armée. Ibid., pp. 99-100.
363Ibid., à la page 101.
364Ibid.
365Thomas M. Franck, « What Happens Now? The
United Nations after Iraq », AJIL, vol. 97, 2003, à la
page 618.
pouvoir dégager une coutume, il faut combiner la
pratique effective et l'opinio juris de l'ensemble de la
communauté internationale. En outre, dans la pratique, lorsqu'il y a
recours à la force, les États ont toujours, ou presque,
invoqué la légitime défense : cela constitue une
reconnaissance claire du principe énoncé dans l'article 2 §
4 et de la circonstance excluant l'illicéité d'un comportement
qui lui est contraire, à savoir la légitime
défense366.
Les violations, même répétées, ne
suffisent pas pour déclarer la règle morte étant
donné que ce qui se fait est une chose et que ce que la règle
requiert en est une autre. Sans possibilité de violation, il n'y pas de
règle. Ce constat est valable pour toute règle juridique, qu'elle
soit internationale ou autre. La règle comportant l'interdiction du
recours à la force continue donc de mettre à la charge de ses
destinataires une véritable obligation juridique, en dépit de ses
violations fréquentes. Conjecturer la mort de la règle suite
à un déficit d'efficacité relève du scepticisme.
La théorie de no Law préconise donc un
retour vers le droit international du XIXe siècle, dans
lequel régnait la notion de l'autopréservation et l'anarchie de
la violence. Chaque État devient finalement libre dans son jugement,
dans sa décision de recourir aux armes. En d'autres termes, il s'agit
d'un changement radical du système, vu que le recours à la force
dans les relations internationales devient illimité.
Pour récapituler nous pouvons donc dire que l'affaire
iraquienne a mis en avant un éventail d'arguments qui, pour justifier
une opération en particulier ou alors une compagne (la guerre contre le
terrorisme), va d'arguments très ponctuels visant à faire cadrer
l'opération avec le cadre existant, jusqu'à des arguments qui
détruisent le système dans son ensemble.
366Nicaragua c. États-Unis,
supra note 27.
CONCLUSION
La paix et la sécurité internationales ont
constitué la raison d'être de la Charte des Nations Unies. Le
système instauré par cette dernière en 1945, en
matière de recours à la force, est d'une importance majeure pour
l'ensemble du système juridique international de
l'après-guerre.
En partant de l'idée que la paix est un bien indivis,
la Charte a établi une sorte de contrat social international entre les
membres de la société internationale. Ce contrat social, ou cet
ordre, repose essentiellement sur une interdiction générale
d'utiliser la force de même que sur l'installation d'un organe
doté de pouvoirs étendus en la matière, à savoir le
Conseil de Sécurité.
La nouveauté de la Charte ne se limite pas qu'à
cela, dans la mesure où elle traite également les causes
profondes des conflits, telles que les causes économiques et sociales.
Le règlement pacifique des différends entre dans cette
logique.
Toutefois, dans une société internationale
où les intérêts particuliers l'emportent de loin sur les
intérêts collectifs, il ne faut pas s'étonner qu'on essaye
de contourner le système idéal de la Charte à travers des
interprétations restrictives ou extensives, suivant le cas, comme on l'a
déjà vu dans les trois cas traités dans ce mémoire.
En effet, en l'absence d'une vraie solidarité internationale,
l'exhaustivité du système de la Charte en matière d'usage
de la force ainsi que l'intégrité de la Charte en matière
de sécurité collective sont souvent contestées, surtout de
la part des États puissants puisque le système de la Charte leur
« liait les mains ».
CIJ dans plusieurs de ses arrêts lorsqu'elle a fondé
son argumentation sur le schéma idéal de la Charte.
Le caractère constitutionnel de la Charte comme
instrument international, notamment ses dispositions régissant le
recours à la force, nous montre qu'elle reste le standard par excellence
en la matière ; en d'autres termes le retour vers elle est
incontournable.
Toute argumentation juridique concernant le recours à la
force dans la société internationale doit donc se faire dans le
cadre de la Charte.
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