Le régime juridique de l'arbitrage commercial international( Télécharger le fichier original )par Sourou Tinê Abdel-Kader FADAZ Université de Lomé (TOGO) - DESS Droit des Affaires et Fiscalité 2008 |
§2 - Les problèmes essentiels spécifiques à la procédure en ligneLes problèmes essentiels de la procédure en ligne sont liés aux conditions de recours à l'arbitrage en ligne (A) et à l'encadrement normatif de celui-ci (B). A - Les problèmes inhérents aux conditions de recours à l'arbitrage en ligne Le recours à l'arbitrage en ligne est confronté à deux problèmes spécifiques. Le premier concerne la difficile conciliation entre recours à l'arbitrage en ligne et protection du cyberconsommateur (1) tandis que le second est relatif à la preuve par écrit de la convention d'arbitrage en ligne (2). 1°) La difficulté de concilier le recours à l'arbitrage en ligne avec la protection du cyberconsommateur Le commerce en ligne est animé par deux types de transactions. Les premières se nouent entre commerçants et les secondes qui sont plus fréquentes mettent en relation des commerçants et des consommateurs (cybermarchands - cyberconsommateurs). Il arrive très souvent que les clauses d'arbitrage qui figurent sur les bons de commande proposés aux consommateurs en ligne ne soient pas clairement stipulées ou soient dissimulées dans un autre document annexé au bon de commande de sorte que le consentement du cyberconsommateur à la convention d'arbitrage en ligne n'est pas nécessairement libre et éclairé. Cette situation est de nature à remettre en cause la validité de la convention d'arbitrage et à entraver le recours à l'arbitrage en ligne. Ainsi opéré, le recours à l'arbitrage en ligne heurte les lois protectrices du consommateur et nécessite de ce fait un encadrement qui prenne en compte le respect de la liberté du cyberconsommateur. Comment concilier alors l'opportunité de recourir à une justice appropriée offerte par l'arbitrage en ligne avec l'impératif de protection du consommateur ? La solution judicieuse passe certainement par l'interdiction des procédés de stipulation de conventions d'arbitrage qui visent dans les contrats d'adhésion en ligne à imposer indirectement le recours à l'arbitrage aux cyberconsommateurs. Dans l'espace européen, le Conseil de l'Union Européenne prenant « à bras le corps » le problème a édicté en 1997 à l'intention des Etats membres, une directive relative à la protection des consommateurs contre les clauses abusives dans les contrats conclus à distance par des moyens de télécommunication et l'Internet. Cette directive interdit les clauses ayant pour effet ou pour objet de « supprimer, ou d'entraver l'exercice d'action en justice ou des voies de recours pour le consommateur notamment en (l') obligeant a saisir exclusivement une juridiction d'arbitrage non couverte par des dispositions légales (...) »117(*). La clause compromissoire par référence qui ne figure pas dans le contrat litigieux lui-même mais dans un document extérieur annexé au contrat est celle qui pose le plus problème. La réaction radicale à sa nocivité consisterait en une interdiction pure et simple. A défaut, une exigence de la mention expresse et lisible de la clause de renvoi dans le contrat litigieux paraît nécessaire. Enfin, on pourrait à l'instar du règlement d'arbitrage en ligne du Cybertribunal opter pour le compromis en lieu et place de la clause compromissoire, en raison de ce que ce procédé offre la meilleure garantie de liberté contractuelle au cyberconsommateur118(*). En marge du problème de la protection du consentement du cyberconsommateur à l'arbitrage, se pose la question de la preuve de la convention d'arbitrage en ligne par écrit. 2°) La preuve écrite de la convention d'arbitrage en ligne La question de la preuve par écrit de la convention d'arbitrage en ligne pose de façon générale le problème de l'admissibilité de la preuve électronique des actes dématérialisés. La difficulté résulte du défaut d'un large consensus au plan international sur l'admission de la force probante de l'acte dématérialisé. La Convention de New York de 1958 en son article II-2 donne une définition classique de la « convention écrite » qui n'intègre que le support papier. Même si l'exigence de l'écrit pour établir la preuve de la convention d'arbitrage dans bon nombre de textes postérieurs n'est pas systématiquement exclusive de l'acte dématérialisé (document sous forme électronique)119(*), une difficulté demeure au niveau du formalisme imposé pour la constitution du dossier de demande d'exequatur de la sentence. Il est notamment exigé de produire l'original de la convention écrite120(*). Cette exigence faite à l'article IV - 1(b) de la Convention de New York correspond apparemment au support papier. Faut-il y voir une obligation de recourir au support papier pour rapporter la preuve de la convention d'arbitrage en ligne ? Certains analystes préconisent cette solution pour éviter les désagréments qui pourraient résulter des divergences existant entre les diverses législations sur l'arbitrage et les probables interprétations judiciaires dans un sens comme dans l'autre. Il est ainsi recommandé de confirmer la convention d'arbitrage établie sous forme électronique au moyen d'un échange de télécopie121(*). Mais il existe d'autres alternatives permettant par une interprétation téléologique des textes de justifier l'admission de la preuve électronique. Elles reposent respectivement sur une approche historique et les concepts d'« équivalence fonctionnelle » et de « neutralité technologique ». L'approche historique consiste à considérer que les textes sur l'arbitrage commercial international ne pouvaient prendre en compte que les supports d'écrit existant à leur époque et donc qu'avec l'évolution on pourrait opérer une extension aux supports technologiques. L'équivalence fonctionnelle vise à établir une équivalence entre le support numérique et le papier et consiste à conclure qu'un document répond à l'obligation de signature, d'écrit, d'original dès lors qu'il remplit certaines fonctions quel que soit le support utilisé. La neutralité technologique permet d'évaluer un document en tenant compte de la qualité de son contenu sans se référer directement au support utilisé. Les lois type de la CNUDCI sur le commerce électronique de 1996 et les signatures électroniques de 2001 ont recouru au concept d'équivalence fonctionnelle pour consacrer la preuve électronique des actes122(*). Des pays comme le Canada, les Etats Unies et la France s'en sont inspirés pour réformer leur législation sur la preuve des actes123(*). La généralisation de la reconnaissance de la preuve électronique est donc à souhaiter vivement dans le monde, particulièrement dans l'espace OHADA ainsi qu'une adaptation de la Convention de New York à la nouvelle donne. La seconde série de problèmes posés par l'adaptation en ligne de l'arbitrage commercial international, est relative à son encadrement normatif. B - Les problèmes relatifs à l'encadrement normatif de l'arbitrage en ligne L'adaptation en ligne de la procédure d'arbitrage commercial international bouleverse l'encadrement normatif classique tant de la procédure (1) que du fond du litige (2). 1°) L'encadrement normatif de la procédure en ligne
Les règles classiques de procédure peuvent-elles s'appliquer à l'arbitrage qui se déroule dans l'environnement cybernétique ? Si l'on exclut les règles fondamentales de procédure qui tiennent lieu de principes généraux de l'arbitrage et qui garantissent le droit à un procès équitable124(*), certaines règles peuvent se révéler inadaptées à la procédure en ligne. Il en ainsi des règles relatives aux rôles traditionnels de l'arbitre dont l'application pose pertinemment problème dans l'arbitrage en ligne. On sait que la fonction traditionnellement assignée à l'arbitre dans la procédure classique est cantonnée à celle de juger et de veiller au déroulement régulier de la procédure. Il semble que la procédure en ligne ne s'accommode pas de l'application de ces règles limitatives et qu'il faille procéder à une adaptation permettant un renforcement et une extension du rôle de l'arbitre dans cette procédure. La procédure d'arbitrage du Cybertribunal a permis d'expérimenter cette nouvelle tendance. Son règlement de procédure institue une extension du rôle de l'arbitre et lui donne le pouvoir d'invoquer en l'absence de mandat spécifique un moyen qui n'a pas été présenté par les parties elles-mêmes. L'arbitre peut ainsi intervenir pour rappeler des délais aux parties avant la forclusion de leur action, pour poser des questions aux parties afin d'avoir un complément d'informations et donc apporter des arguments non développés par les parties125(*). Cette extension des prérogatives de l'arbitre peut certainement se justifier par les particularités de la procédure en ligne qui ne connaît que des litiges d'importance financière amoindrie, où les parties ne sont pas représentées par des conseils. Il est donc apparu nécessaire de confier les attributions d'assistance et de conseil des parties aux arbitres en opérant une extension de leur rôle. Le Professeur BENYEKHLEF, Messieurs GAUTRAIS et TRUDEL tous trois collaborateurs à la mise en oeuvre de la procédure du cybernétique justifient l'adaptation des règles de procédure opérée en ces termes : « Sans remettre en cause l'existence de nombreux éléments juridictionnels dans la procédure d'arbitrage devant le Cybertribunal, une souplesse imposée par les caractéristiques du cyberespace nous incite à favoriser ce rôle actif du cyberarbitre126(*) ». L'extension du rôle du cyberarbitre dictée par le souci d'adapter la procédure d'arbitrage aux particularités de l'environnement numérique écarte-t-elle toute possibilité de faire appel à l'assistance de conseils juridiques ou d'avocats comme il est de coutume dans la procédure classique ? En théorie, le recours à l'assistance des avocats ou d'autres conseils juridiques dans la procédure en ligne semble toujours possible eu égard à la flexibilité des règles de procédure arbitrale. Mais en pratique, les parties qui souhaitent recourir à l'assistance de cyberavocats ou de cyberconseils devront simplement supporter les coûts financiers supplémentaires qu'implique l'interconnexion au réseau de ces derniers sans compter leurs honoraires.
Tout en reconnaissant le bien fondé du renforcement du rôle de l'arbitre dans l'arbitrage en ligne, nous estimons nécessaire de l'encadrer sérieusement afin de garantir le respect des obligations d'impartialité et d'indépendance qui incombent impérativement à l'arbitre. Cela permettra d'anéantir le risque d'arbitraire et de préserver la crédibilité de la procédure. Mais à l'instar de la procédure, le fond du litige en ligne semble aussi sujet à des adaptations. 2°) L'encadrement normatif du fond du litige en ligne
Au coeur de la question de l'encadrement normatif du litige en ligne se pose le problème de la nécessité de l'élaboration de règles juridiques adaptées aux rapports du commerce en ligne en général. D'entrée, la spécificité de l'environnement numérique amène à s'interroger sur la capacité réelle des instruments juridiques étatiques à régir les rapports litigieux du commerce en ligne. Une réponse objective à cette interrogation appelle un bref parallèle entre les phénomènes du commerce en ligne et les normes étatiques afin de vérifier l'adaptabilité des normes étatiques aux rapports litigieux de cette forme particulière de commerce international. Lorsqu'on observe le phénomène du commerce en ligne, on remarque qu'en plus d'être caractérisé par les exigences de pragmatisme et de souplesse propre au commerce en général, il est marqué par la rapidité extraordinaire de l'environnement numérique. Les normes juridiques étatiques sont quant à elles caractérisées par le formalisme et la rigidité. Or la lenteur du processus d'élaboration des normes étatiques s'oppose diamétralement à la vitesse d'évolution des technologies de l'information. De plus leur rigidité ne peut se concilier avec l'exigence de souplesse du commerce en ligne. Il apparaît donc clair à l'issu de ce bref parallèle que les normes étatiques sont, dans une large mesure du moins, inadaptées aux rapports litigieux du commerce en ligne. Monsieur Magaziner, ex Conseiller du Président Bill Clinton fit le constat de l'inaptitude des normes étatiques en ces termes : « Dans la société numérique qui est la notre, nous voyons que les choses bougent trop vite, exigent trop de flexibilité [...] et donc agir au plan gouvernemental sera trop lent et trop bureaucratique pour répondre pleinement aux besoins de cette société127(*) ». L'inefficacité des normes formelles étatiques ainsi démontrée justifie la nécessité de faire régir le litige soumis à l'arbitrage en ligne par des normes informelles spécifiques adaptées aux réalités du commerce en ligne. Le processus d'autorégulation qui sert d'alternative aux lacunes des procédures étatiques aurait commencé depuis une décennie déjà de l'avis de certains auteurs et aurait permis l'élaboration d'une quantité considérable de normes à un point tel qu'on recourt au concept de lex electronica par analogie avec la lex mercatoria pour les qualifier128(*). Certaines normes informelles alternatives du commerce en ligne seraient en substance constituées de règles de déontologie mentionnées dans les contrats proposés aux internautes par les fournisseurs d'accès des services et d'hébergement qu'ils s'engagent à respecter en contractant. Elles ont reçu la qualification de « nétiquette ». Il existe également des codes de conduite, des contrats-types et des règles uniformes provenant d'institutions de renom comme la CNUDCI et la CCI129(*). Toutefois, il importe de préciser que l'application de ces normes informelles dans l'arbitrage en ligne ne saurait complètement éclipser celle des lois étatiques d'ordre public dont certaines sont destinées à protéger les consommateurs. Le règlement de procédure d'arbitrage du Cybertribunal prend judicieusement en compte cette réserve en son article 17§3 en disposant que « lorsqu'un consommateur est impliqué en la cause, la loi de son domicile s'applique ». Mais par rapport à la rapidité de l'environnement numérique, on peut être fondé à se demander si la méthode de publicité des normes informelles du cyber espace ne risque pas d'être défaillante vis-à-vis du public auquel il est destiné en terme de réceptivité. Pour pallier cette défaillance, il sera nécessaire de veiller à ce que la communication de l'existence des normes élaborées soit renforcée. La publicité par affichage des icônes visibles à l'écran des plate-formes d'arbitrage en ligne et des pages d'accueil des sites consultés pourrait entre autres constituer un moyen de renforcement de l'information des usagers. En outre les associations de professionnels et les institutions qui élaborent ces normes pourraient veiller à les reproduire sur support-papier en s'assurant de leur mise à la disposition des acteurs du commerce électronique (cyberconsommateurs et cybercommerçants). Cette capacité d'information pourrait enfin être renforcée par l'assistance éventuelle des conseils juridiques et des arbitres en ligne. L'étude de l'adaptation des règles de l'arbitrage commercial international à l'évolution de la pratique contemporaine du commerce international nous a révélé les divers avantages offerts par les nouvelles tendances de l'arbitrage commercial international. Elle nous a en outre permis d'en dégager les problèmes essentiels et essayer des approches de solution. Un constat amer résulte cependant de l'écart technologique existant entre les pays développés et ceux en voie de développement. Dans le contexte actuel de la mondialisation où il est question de réduire la « fracture numérique » entre les habitants du « village planétaire », une franche coopération est vivement souhaitable entre les uns et les autres afin de faciliter la mise en place de la logistique nécessaire à l'adaptation des règles et de la procédure arbitrales à l'évolution de la pratique commerciale internationale130(*). Après l'analyse de la conformité des règles de l'arbitrage commercial international aux exigences du commerce international, abordons à présent la seconde phase de notre étude consacrée à l'examen du régime de l'efficacité de la sentence arbitrale.
* 117 Réf. Cité par Karim BENYEKHLEF et Fabien GELINAS, « L'expérience internationale des modalités de règlement des conflits liés au droit d' auteur dans l` environnement numérique », Bull. du droit d'auteur vol.xxxv no 4,oct-déc.2001, éd. UNESCO, p.5-22. * 118 Vincent GAUTRAIS, Karim BENYEKHLEF et Pierre TRUDEL, « Les limites apprivoisées de l'arbitrage cybernélique : l'analyse de ces questions à travers l'exemple du cybertribunal », (1999), 33 R.J.T., 537 et ss. * 119 V. en ce sens entre autres, art 3 AUA-OHADA ; art I - 2 (a) Conv. euro. sur l'arb. Com. internat., art 7 - 2 LTA-CNUDCI, art.1493c.procéd.civ.fr. art.1 Conv. interméric. du Panama de 1975, art 945. 2 CPC.Quebec.. * 120 Cf. en ce sens art. 35 - 2 LTA et art. 31 AUA. * 121 V. en ce sens Andrès Moncayo Von HASE, op. cit., p. 7 et Maurice SCHELKENS, « Les collèges d'arbitrage et le commerce international », Colloque international, Idem. * 122 Idem pour la Conv. des Nations Unies du 23 novembre 2005 sur l'utilisation de communications électroniques dans les contrats internationaux. * 123 Cf. en France par exemple la Loi du 13 mars 2000 portant adaptation du droit de la preuve aux technologies de l'information et les réformes des articles 1316 et s. du code civil. * 124 En ce sens entre autres, cf. l'al. 2 du préambule du Règlement de procédure d'arbitrage du cybertribunal qui dispose : « les parties doivent être traitées sur un pied d'égalité et chacune doit avoir la possibilité de faire valoir ses droits ». De l'avis des auteurs ayant collaboré à la conception du cybertribunal, « les principes généraux applicables à l'arbitrage (contradictoire, ordre public, confidentialité, sentence finale et sans appel, clause type d'arbitrage...) apparaissent suffisamment souples pour négocier avec succès le virage technologique » (Vincent GAUTRAIS, Karim BENYEKHLEF et Pierre TRUDEL, « Les limites apprivoisées de l'arbitrage cybernétique ... », op. cit., p. 587). * 125 Cette assistance aux parties est en partie assurée par le secrétariat du Cybertribunal et de façon automatisée par des icônes en ligne, cf. http://www. Cybertribunal.org. * 126 Idem, op. cit., p. 581. * 127 Cité par Marc-Antoine MAURY, La Lex electonica, Mémoire DESS en Droit informatique et technologies nouvelles , 1997-1998, Fac. Jean Monnet, Univ. Paris- Sud, p. 1. * 128 V. en ce sens Vincent GAUTRAIS, Guy LEFEVBRE, Karim BENYEKHLEF, « Droit du commerce électronique et normes applicable : la notion de lex electronica », RDAI, 1997, p. 3. * 129 Cf. entre autres Guide juridique de la CNUDCI sur les transferts électroniques de fonds, Doc. A/CN.9 DER B/1, New York, 1987 ; Règles de Conduite de la Chambre de Commerce internationale en matière de communication commerciale resp. sur Internet, Droit de l'informatique et des télécoms, 1997/1, p. 49. * 130 L'objectif de réduction de la fracture numérique dans le monde a été affirmé dans la déclaration finale du Sommet Mondial de la Société de l'Information (SMSI) tenue à Tunis du 13 au 15 novembre 2005 sous les auspices de l'ONU. |
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