1.3 La difficile adaptation de l'économie
musicale à l'ère numérique
1.3.1 Une offre commerciale qui tarde à se mettre en
place
Face à cette demande de musique
dématérialisée, accessible immédiatement à
moindre coût (voire nul) l'industrie du disque (les 4 grandes majors et
les labels indépendants), qui avait - pendant des décennies -
tiré des profits colossaux grâce au support physique, semble
déstabilisée et se heurter à la difficulté
d'appréhender un avenir maîtrisable de la consommation. La
dépréciation du support CD, fondement du business model de
l'industrie depuis plus de 20 ans, associée aux échanges massifs
et « sauvages » des oeuvres protégées ne tardera pas
à remettre en question son organisation. Cependant, on constate depuis
2004 l'émergence d'une offre commerciale sur Internet. Trop timide pour
compenser la chute du CD, cette offre s'est enrichie au fil des années
pour proposer des ventes à la carte et abonnements sur Internet (42% des
ventes) et téléphonie mobile (58% des ventes).
Taux d'évolution de l'offre commerciale
physique et en ligne du marché musical Source : SNEP (Syndicat
national de l'édition phonographique)
Un cadre juridique « inadapté »
?
Longtemps protégés par le système des
droits d'auteurs et des droits voisins, les acteurs de l'industrie musicale se
sont rapidement employés à obtenir des ajustements juridiques
pour se protéger de la « menace numérique ».
Estimant que le développement des pratiques de
consommation porte atteinte aux droits des auteurs et complique la mise en
place d'une offre commerciale en ligne, le législateur français
s'est engagé dans la voie « hasardeuse » de la construction
d'un arsenal juridique complexe. Au préalable nous examinerons en quoi
consiste le régime juridique actuel puis nous décrirons les
évolutions annoncées faisant débat.
1 .3.2 Un ensemble de dispositions protectionnistes
Les droits d'auteurs et droits voisins
- La Loi n° 57-298 du 11 mars 1957 sur la
propriété littéraire et artistique est le texte
fondamental régissant les droits d'auteurs en France. Toute oeuvre
intellectuelle appartient à un auteur qui peut choisir souverainement de
sa diffusion pendant un temps donné.
- La loi n°85-660 du 3 juillet 1 985 est relative aux
droits dits voisins des droits d'auteurs. Les artistes interprètes
jouissent à présent d'un droit exclusif qui leur donne la
possibilité d'autoriser ou d'interdire l'utilisation et l'exploitation
de leur prestation et de prétendre à une
rémunération en contrepartie de leur autorisation.
Les droits d'auteurs et les droits voisins sont
protégés pénalement : toute reproduction ou
représentation d'une oeuvre sans l'autorisation de son auteur est un
délit spécifique de la contrefaçon, punie de trois ans de
prison et 300.000 euros d'amende. La loi prévoit cependant plusieurs
exceptions à ce principe, notamment le droit à la copie
privée.
Le droit d'exception à la copie
privée.
La copie privée est une exception au droit d'auteur
français. L'exception de copie privée autorise une personne
à reproduire une oeuvre de l'esprit pour son usage privé. L'usage
privé implique l'utilisation de la ou des copies dans le cercle
privé, notion incluant la famille et les proches. C'est par exemple,
faire une copie d'un CD audio pour emporter dans la voiture sans crainte
d'abîmer ou de se faire voler l'original. Le droit à la copie
privée suppose le paiement d'une taxe sur l'achat de tous les
consommables et appareils permettant de stocker des données
numériques (CD/DVD vierge, clés usb, mémoire flash, disque
dur etc...). Cette taxe est redistribuée au profit des ayants droits par
les organismes spécialisés.
Les dernières initiatives du
législateur
Incité par les puissants lobbys de l'industrie musicale
à légiférer dans la régulation des échanges
non autorisés sur Internet, l'Etat décide d'adopter dans
l'urgence des mesures destinées à condamner les échanges
illégaux via P2 P.
Le 1er août 2006 est votée la loi
DADVSI (Droit d'Auteur et Droits Voisins dans la Société de
l'Information) à la suite de débats virulents. Destinée
à protéger les droits des artistes, cette loi condamne, au titre
de contrefaçon, toute personne qui met à disposition et
télécharge via logiciel P2P, un contenu protégé par
des droits d'auteurs. A cette époque, près de 9 millions
d'internautes français sont recensés au titre de « pirates
». Devant l'impossibilité d'appliquer la--dite sanction, la
chancellerie adressera au parquet une circulaire pour inviter les juges
à l'indulgence, c'est-à-dire, ne pas appliquer la loi.
Bien décidé à sauvegarder le business
model de l'industrie musicale, le législateur poursuit ses actions
répressives en vue d'endiguer tout ou partie des échanges P2P,
considérés comme des actes de « vols à
l'étalage ». C'est ainsi que le 23 novembre 2007, le
Président de la république, Nicolas
Sarkozy, confie à Denis Olivenne (à
l'époque PDG de la FNAC) la mission15 de lutte contre le
téléchargement illicite et le développement des offres
légales d'oeuvres musicales, audiovisuelles et
cinématographiques. Le projet de loi « Création et Internet
» dit HADOPI voit le jour. Après avoir été
voté par le sénat le 31 octobre 2008 en commission mixte
paritaire, le texte est rejeté à l'assemblée nationale. Il
est représenté le 12 mai 2009. Ce texte de loi garantit une
alternative « pédagogique » à la loi DADVSI, en donnant
pouvoir à une autorité administrative indépendante de
contrôler les échanges illégaux sur Internet et de
sanctionner les contrevenants dans une logique dite « de riposte
graduée » : envoi de mails de mise en garde puis d'un courrier
recommandé annonçant une possible coupure de l'accès
à Internet allant de 2 mois à 1 an si le « pirate » ne
cesse pas son activité illégale. Cette loi doit compléter
le dispositif précèdent (DADVSI).
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