INTRODUCTION.
Les trente années qui
vont de 1880 à la veille de la Première Guerre mondiale
constituent un tournant majeur dans l'histoire du continent africain. Elles
englobent une somme importante d'évènements dont le plus
significatif est la colonisation. Ce processus de conquête et
d'occupation de l'Afrique par les Européens fait face à une forte
résistance. Des mouvements populaires de contestation éclatent
dès la première phase de la colonisation et constituent une
réponse aux exigences immédiates du nouveau régime. Les
peuples n'acceptent pas la soumission et cherchent à préserver
leur indépendance. Vaincus par la puissance des armes, les peuples
colonisés prennent conscience et organisent des résistances
populaires qui ne laissent aucun replis aux étrangers.
La tournure que prend la
colonisation n'épargne pas les Comores où la France prend pied
à Mayotte depuis 1841. Ngazidja, l'Île la plus à l'est et
la plus grande de l'Archipel, semble à l'abri grâce à ses
ports inaccessibles. Elle ne le demeure pas longtemps cependant car, vers 1875,
la recrudescence des tensions se traduit en Grande Comore par une guerre qui
ouvre la porte de l'île aux appétits des grandes puissances
européennes. Le jeune et dernier sultan Said Ali parvient, non sans
peine et avec l'aide des Français, à remonter sur le trône
de son grand père après avoir éliminé son
adversaire le sultan Moussafoumou. Vers 1886 la France établit son
protectorat dans l'ensemble des îles accueilli par diverses insurrections
systématiquement réprimées. La lecture coloniale donne
l'impression que les Grands Comoriens acceptent cette domination avec
reconnaissance et les faits de la résistance comorienne sont mis en
sourdine. Les Comoriens voient donc dans la venue des Français, un
heureux hasard qui les délivre des guerres fratricides, de la tyrannie
des sultans voisins, des épidémies et des famines
périodiques.
A l'heure où la
France du XXIeme siècle commémore le
soixantième anniversaire de la libération de Paris, rend hommage
aux héros de la résistance et réclame que lumière
soit faite sur des massacres passés sous silence, l'histoire de la
résistance Comorienne sombre toujours dans l'ignorance. Face à ce
silence, nous nous sommes posés des questions au sujet de la
résistance comorienne. Les Grands Comoriens se battent d'abord contre
l'envahisseur étranger, luttent contre l'occupation de Ngazidja, et,
vaincus par la force des armes, ils combattent les institutions, les
excès et les abus du régime colonial.
En effet, si la
résistance à la conquête est brève et
systématiquement réprimée, celle qui suit et s'oppose au
système colonial est remarquable. Elle l'est par son caractère
permanent, cessant ici pour reprendre ailleurs, renaissant toujours et mettant
le colonisateur en perpétuel état d'insécurité.
Elle revêt divers aspects, actifs ou passifs et concerne
différents cadres : sociaux, politiques, économiques, voire
religieux. La réalité de cette résistance est si
évidente qu'elle suscite un intérêt de notre part, et nous
pousse à effectuer ce travail de recherche. Le choix posé ici
permet de rendre compte de l'évolution qui fait passer la Grande Comore
du refus de la colonisation à la contestation de l'ordre colonial. Une
évolution qui conduit l'Île, de la réaction
immédiate de rejet à un combat de longue durée, vers son
indépendance. Cet état de fait met à jour la
véracité d'un certain nombres de pensée anticolonialistes,
car la colonisation n'a pas que des partisans et Paul Louis s'exprime ainsi :
«...Les colonisés sont des esclaves qui un jour, au delà
des différences de races, de couleurs et de langue, se
révolteront... »1(*)
Certes, les mouvements de
contestation sont réduits au silence et les Français deviennent
maîtres de la situation dans l'ensemble de l'Archipel. Ils
réussissent à imposer une paix entre les sultanats et instaurent
la sécurité dans le pays. Cette
« pacification » laisse croire que le peuple comorien se
résigne et adhère à la cause coloniale. Les
évènements qui accompagnent l'annexion de l'Archipel
témoignent du caractère illusoire de cette paix instaurée,
fréquemment troublée par des émeutes. Et la France a
étendu une voile de silence sur la résistance comorienne, pour
donner l'impression qu'elle devient seule maître dans l'Île. Ce
silence accroît le trouble d'un peuple, jadis fière de sa
civilisation et de son mode de vie défaits par les instruisions
étrangères, et incapable de retrouver ses équilibres
ancestraux. Les défenseur de la domination coloniale refusent de
considérer que la résistance et les rebellions qu'a
suscités la colonisation sont des phénomènes
organisés. Ils les décrivirent comme des réactions
primitives et irrationnelles ou encore les attribuent à l'agitation de
la minorité assoiffée de pouvoir. On parle de conquête
coloniale et de pacification tout en niant l'existence d'une résistance,
pourtant il n'y a pas de conquête sans résistance. Le peuple
comorien subit une convulsion qui le laisse désorienté, à
la recherche de nouveaux cadres et d'un idéal nouveau.
La victoire de la France
coloniale ne veut pas dire que la résistance comorienne est sans
importance en son temps ou qu'elle ne mérite pas d'être
étudiée maintenant. Pour contribuer à la
compréhension de l'histoire comorienne et à lever un coin du
voile de l'histoire comorienne, notre projet consiste à étudier
la résistance anticoloniale. Une résistance qui s'est
déroulée en différentes étapes : d'abord une
opposition armée à la pénétration coloniale,
ensuite les émeutes et les soulèvements populaires, enfin une
résistance passive au système colonial entraînant des
fraudes fiscales, fuites et tout autre acte d'incivilité. Notre travail
se propose d'étudier la résistance en Grande Comore, sous sa
forme primaire allant de la conquête coloniale, à partir de 1880
jusqu' en 1940. La période qui suit, voit naître des mouvements
politiques, qui donnent lieu à des résistances modernes, et qui
luttent pour l'indépendance du pays.
Ce travail comprend trois
parties. La première est consacrée à l'étude des
questions liées à la problématique et
l'intérêt du sujet. Nous y présentons les divers
thèmes et interrogations liés à l'objet de notre travail.
La deuxième partie s'intéresse à la question de la
faisabilité de notre sujet. Dans cette partie nous exposons les grandes
lignes de l'approche méthodologique, les instruments (archivistiques,
documentaires, informatiques etc...) qui nous permettent d'aborder ce sujet.
Enfin une troisième partie qui présente le plan provisoire de la
thèse suivi d'un de chapitre rédigé.
* 1Paul Louis est un socialiste
anticolonialiste, il publie, en 1905, une brochure intitulée
«le colonialisme», d'où est tirée la citation.
Ces propos sont repris par GOUREVITCH J-P , La France en Afrique cinq
siècle de présence : vérités et
mensonges, le pré aux clercs Paris février 2004.
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