La resistance à la conquête et à la domination coloniale en Grande Comore: 1880-1940( Télécharger le fichier original )par said mohamed Said Hassani Université Paris VII - DEA d'Histoire 2004 |
II. Fraudes et contestations fiscales: émeutes et soulèvements.A. Iconi, la ville rebelle.Située au sud de Moroni, la ville d'Iconi s'inscrit dans la liste des localités comoriennes qui ont su se défendre contre les invasions étrangères et surtout qui ont exprimé ouvertement leur opposition contre la domination coloniale. Iconi est l'ancienne capitale du royaume de Bambao qui a vu se succéder dans son palais de kabiridjewou (palais royal) du XVIème siècle, un grand nombre de sultans dont le dernier sultan tibe Said Ali. Son caractère rebelle ne date pas de la période coloniale, elle remonte beaucoup plus loin. Iconi a vu débarquer les pirates malgaches au XIXème siècle, contre lesquels elle s'est battue courageusement. Le guerrier Karibaangwe entre dans la légende de cette ville en combattant avec courage, il aurait tué trente huit pirates avant de se faire tuer à coup de sagaies et de sabres par les envahisseurs.53(*) Iconi incarne l'image d'une ville insoumise à la domination coloniale. A différentes occasions, elle exprime son opposition et son hostilité à l'égard du nouveau régime. Ses antécédents de capital du sultanat de Bambao, le besoin des notables de retrouver leur prestige et la détermination des habitants contribuent à en faire une ville rebelle. Elle reflète la résistance des Comoriens à travers les différentes phases de la colonisation. Bombardée par les Français en décembre 1864 pour briser la lutte comorienne contre la présence étrangère en Grande Comore, elle incite ses habitants à se rebeller contre le nouvel ordre établi. Elle fournit à la résistance des rebelles célèbres et redoutés par l'administration. Enfin Iconi peut se vanter d'être toujours au coeur des affaires politiques des Comores, de fournir certains des premiers figures de l'autonomie interne des Comores et les premiers artisans des Comores indépendantes dont le Prince Said Ibrahim. Il serai très intéressant, de réaliser des enquêtes orales dans cette ville. Iconi a vécu au rythme des batailles et de guerres à travers lesquelles s'illustrent également les fameux « Hamadi 54(*)», de guerriers exemplaires qui dominent l'histoire de cette ville. Dépossédée de son pouvoir politique par la colonisation, Iconi résiste fermement à travers plusieurs manifestations contre le pouvoir colonial. Ses habitants son parmi les premiers comoriens à avoir contesté le nouvel ordre. De là viennent des personnes jugés agitateurs par les autorités. Elle figure dans la liste des villes qui font beaucoup parler d'elles au sujet de leur manquement au paiement de l'impôt, surtout durant la Guerre de 1915-1918. Bien avant la Première Guerre Mondiale, le chef de canton fait l'objet d'une agression, en compagnie du préposé du trésor (la source ne renseigne pas sur leurs noms). Les habitants, encouragés par Boina Azizi et ses amis, refusent de payer l'impôt. Ils pensent qu'ils n'ont rien à redouter de l'administration. Ce qui laisse croire que le nombre des habitants est considérablement élevé et rassuré pour prendre une telle décision. Devant les menaces de mort, les deux fonctionnaires prennent la fuite. D'autres faits similaires se produisent durant la Guerre. Les sources que nous disposons relatent des troubles liés au refus du paiement de l'impôt. A l'origine de ces agitations, un dénommé Mzé Moadjou fait courir le bruit que « les Allemands avaient bombardé et occupé Madagascar. » 55(*) Boina Azizi, Soilihi Bambaouma, Assoumani Ali dit Mnamandzihoa, Msankaci Ilali et Mbaraka Raha dit Amadi Raha, tous des amis de Mzé Moadjou, mettent ces propos en circulation. Ces derniers jouissent d'une certaine influence sur la population de la ville et sur la région de Bambao. De toute évidence le bruit trouve formellement créance et les habitants de la ville d'Iconi refusent de s'acquitter de l'impôt entre les mains du chef de canton, ils se croient désormais non assujettis. Convoqués par l'intermédiaire de notables, les indigènes refusent de se présenter devant le chef de district. Armés de bâtons, ils organisent une marche sur Moroni et d'autres actes de provocation et d'intimidation pour dissuader les autorités à les laisser tranquilles. Les démonstrations de force rebelle organisées par la ville d'Iconi n'aboutissent pas et les meneurs de troubles sont arrêtés. La décision de déportation leur est imposée, ils sont accusés d' avoir incité la population à la désobéissance et refusé de se présenter devant le chef du district. Selon la Direction des Affaires Civiles de Tananarive,56(*) l'attitude des agitateurs mérite un châtiment particulièrement sévère. Car l'exemple donné par ces derniers a influencé les émeutes qui se sont produites dans le nord de l'Île en juillet 1915. Des évènements d'Iconi, nous pouvons dire que leur ampleur est importante pour pouvoir contribuer à déclencher le soulèvement de juillet et août, si l'on tient compte du la note de la Direction des Affaires Civiles de Madagascar. L'arrêtée de mise en résidence du 27 novembre 1915, fixé par mesure politique condamne les quatre fauteurs de trouble à Mayotte. Soilihi Bambaouma est condamné à trois ans, Msankaci Ilali deux ans, Mbaraka Raha deux ans et Assoumani Ali deux ans. Des actes collectifs ou isolés, la ville en compte plusieurs et un grand nombre de résistants au nouveau régime, tout ordre social confondu. Ces troubles viennent s'ajouter à la longue liste des actes innombrables de résistance anticoloniale. Ils traduisent le caractère segmentaire de la population comorienne, encore divisée, dont les soulèvements sont souvent d'ordre local et dont l'organisation politique souffre d'une fragilité évidente. Ils mettent à nu la faiblesse et la vulnérabilité de la société comorienne face à la colonisation, et l'incapacité matérielle et technique à résister, car ce sont les autorités coloniales qui l'emportent sur les insurgés. Ils attestent cependant que la résistance, bien que locale et de courte durée, a bien eu lieu. Des évènements de désobéissance et de trouble qui interviennent dans un contexte très particulier, celui de la Première Guerre mondiale. Cette période de guerre voit naître des troubles même dans les régions qui semblent pacifiées, même dans les colonies habituellement calmes. A titre de comparaison, Madagascar est un foyer de troubles anticoloniales. A ce sujet, selon GOUREVITCH J P,57(*) « ...Madagascar reste le seul foyer d'agitation permanent ». En 1904 la Province de Farafangahana s'insurge et entraîne une grande partie de la population. Elle est conduite par des miliciens et des tirailleurs déserteurs et attaque des postes militaires, des concessions, elle fait des victimes étrangères. En 1905 la révolte est « jugulée ».58(*) En 1915, l'opposition se développe au sein de la V.V.S (Vy, Vato sy Sakelita),59(*) dont les adeptes se recrutent parmi les élèves de l'Ecole de Médecine de Tananarive. En 1915, on estime à 2000 les membre de cette société secrète.60(*) Une société qui s'inspire du modèle japonais sur la faculté d'adaptation de la tradition et le modernisme. Elle s'exprime par le biais de journaux qui invitent les Malgaches à se sacrifier pour le triomphe de la cause nationaliste. Le mouvement est découvert, réprimé et les responsables présumés sont condamnés à des travaux forcés, ou déportés. Enfin en 1915, éclate le mouvement sadiavahe qui dure jusqu'en 1917. Un mouvement violent d'origine paysanne, qui exprime la colère et l'opposition de la population à l'égard de l'impôt sur le boeufs et surtout de l'effort de guerre. Les insurgés se livrent aux vols de boeufs, attaques de villages et sabotent les installations télégraphiques. Partout en Afrique le climat est aussi explosif. Entre novembre 1915 et juillet 1916 des émeutes éclatent à l'est du Soudan français, qui devient l'actuel Mali. En 1916 d'autres révoltes naissent au Dahomey qui devient l'actuel Bénin. A l'est de l'Algérie le peuple s'insurge contre les pratique de l'administration coloniales.61(*) Un tableau chronologique des résistances africaines est dressé par l'historien ELIKIA M'Bokolo à partir de 1874.62(*) En cette période de guerre les colonies françaises s'insurgent alors qu' « ...un calme relatif règne dans les possessions anglaise... ».63(*) Le malaise des peuples colonisés semble être contagieux et la recrudescence des troubles donne naissance également à un climat de tension généralisée en Grande Comore. * 53 KLOTCHKOFF J-C, Les Comores aujourd'hui, Jaguar, Paris, 1995. * 54 La légende dit que la ville d'Iconi en a connu beaucoup de Hamadi. Ce sont des guerriers courageux (SUDJAYI) qui ont défendu la ville contre les agressions externes et surtout durant les guerres entre sultans. * 55 CAOM, Fond Ministériel, MAD, Série Géographique, Carton n°277 Dossier n° 646 * 56 Idem * 57 GOUREVITCH J P, La France en Afrique, cinq siècle de présence : vérités et mensonges, Le Prés aux Clercs, Paris, 2004. * 58 ESOAVELOMANDROSO M, « Madagascar de 1880 à 1939 : initiatives et réactions africaines à la conquête et à la domination coloniales », in, BOAHEN A, Histoire Générale de l'Afrique VII. L'Afrique sous domination coloniale 1880-1935, Présence Africaine, Paris, 1989. * 59 Vy : Fer, Vato : Pierre, Sakelita : Ramification. La traduction coloniale de VVS donnait une autre version : Vonony ny Vazaha Sysa. C'est à dire tuer touts les Blancs. * 60 VERIN P, Madagascar, Karthala, Clamecy, 2000. * 61 ALMEIDA-TOPOR H, l'Afrique au XXème siècle, Armand Colin, Paris 1993. * 62 ELIKIA M, Afrique noire, Histoire et civilisation, tome II, XIX-XXème siècle, Hâtier, Paris, 1992. * 63 ALMEID TOPOR H, op. cit. |
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