VI. LE CAS DU MAROC EN MATIERE DE LUTTE CONTRE LE
TRAFIC ILLICITE
DES BIENS CULTURELS
De par sa position géographique et son statut
civilisationnel, le Maroc en tant que pays faisant partie à la fois du
bassin méditerranéen et du monde arabomusulman est l'objet de
convoitises pour ses richesses culturelles aussi bien matérielles
qu'immatérielles.
Il n'a pas manqué d'affirmer dans sa Constitution de
1996 sa souscription aux principes, droits et obligations découlant des
chartes des organismes (internationaux) et réaffirme son attachement aux
Droits de l'Homme tels qu'ils sont universellement reconnus (Préambule).
Cette déclaration existait également dans les Constitutions
précédentes.
Cependant, le Maroc n'a ratifié la Convention de 1970
que récemment : le 3 février 2003. Quant à la Convention
d'Unidroit, l'adhésion le Maroc - qui n'a pas manqué
d'adhérer à l'Institut pour l'unification du droit
privé - n'est pas encore confirmée.
Mais le Maroc s'est doté d'une législation en la
matière qui rappelle dans certains aspects les différentes
dispositions des textes internationaux.
6.1. La législation nationale :
6.1.1 La loi 22-80 :
Le droit marocain ne donne pas une définition
précise des biens culturels. Ceux-ci sont régis par des textes
qui varient selon le régime de propriété de ces biens
(privée, collective, du domaine public, waqf..). Tout laisse penser
qu'il s'agit de biens ordinaires dont la seule considération et leur
rapport juridique avec leurs propriétaires.
Toutefois, dans la pratique on a tendance à
considérer les biens ayant un aspect culturel come des biens culturels
(qu'ils soient des biens mobiliers ou immobiliers) créant une confusion
par rapport aux services culturels existant sous la tutelle de
l'autorité chargé des affaires culturelles (musée,
bibliothèque, conservatoire, etc..). Néanmoins, la distinction
est accentuée quand il s'agit du patrimoine culturel.
Celui-ci est régi par le Dahir du 17 Safar 1401 (25
décembre 1980) portant promulgation de la loi n°22-80
relative à la conservation des monuments historiques et des sites, des
inscriptions ,des objets d'art et d'antiquités
(hérité du Dahir du 11 chaabane 1364 - 21 juillet 1945-
relatif à la conservation
des monuments historiques et des sites, des inscriptions, des
objets d'art d'antiquité et à la protection des villes anciennes
et des architecteurs régionales).
Dans son titre Premier, la loi 22-80 définit les
éléments du patrimoine culturel :
Article ter - Les immeubles, par
nature ou par destination, ainsi que les meubles dont la conservation
présente un intérêt pour l'art, l'histoire ou la
civilisation du Maroc peuvent faire l'objet d'une inscription ou d'un
classement.
Article 2- Sont visés par
l'article ler :
I) Au titre des immeubles :
· Les monuments historiques ou culturels,
· Les sites à caractère artistique,
historique, légendaire, pittoresques ou intéressant les sciences
du passé et les sciences humaines en général,
· Sont assimilées aux monuments historiques
et comme telles susceptibles d'être inscrites ou classées,
lorsqu'elles présentent un intérêt artistique, historique,
légendaire , pittoresque ou intéressant les sciences du
passé et les sciences humaines en général, les gravures et
peintures rupestres, les pierres écrites et les inscriptions
monumentales funéraires ou autres, à quelque époques
qu'elles appartiennent, en quelque langue qu'elles soient écrites et
quelles soient les lignes ou formes qu'elles représentent;
· Les objets mobiliers à caractère
artistique, historique ou intéressant les sciences du passé et
sciences humaines en général.
La dite loi prévoit deux formes juridiques de
préservation du patrimoine culturel : l'inscription et le
classement. L'Etat dispose selon les cas d'un droit de regard, de
contrôle et de Tutelle sur ces biens en cas d'intervention des
propriétaires ou des tiers sur ces biens. La cession ou
l'aliénation de ces soumise à des mesures spéciales et
l'Etat dispose toujours (surtout quand il s'agit d'une propriété
privée) d'un droit de Préemption (TITRE V : DROIT DE PREEMPTION
DE L'ETAT) énoncé dans les articles 37 à 42.
L'article 43 rappelle - dans le même esprit de l'article
26 qui concerne les immeubles - que les objets mobiliers visés
à l'article précédent (c'est-à-dire objets
d'art et d'antiquité mobiliers qui présentent pour le Maroc, un
intérêt historique, archéologique, anthropologique ou
intéressant les sciences du passé et les sciences humaines en
général) et appartenant aux catégories
énumérées à l'article 26 (c'est-à-dire
les immeubles classés entre autres) sont inaliénables et
imprescriptibles.
Toutefois, si le droit de préemption détenu par
l'Etat et consacré par cette loi offre une garantie contre le libre
transfert de propriété des biens du patrimoine culturel, il reste
subordonné au statut de biens inscrits et classés. Autrement dit,
les biens qui ont échappé à ces mesures de protection- le
classement étant une procédure longue et compliquée et
l'inscription
étant moins rigoureuse- se voient exclus de ce droit, et
sont susceptible au transfert aussi bien légal qu'illicite à
l'intérieur du pays et éventuellement hors du pays.
La seule restriction qui existe dans cette loi concerne les
objets d'art et d'antiquité mobiliers qui présentent pour le
Maroc un intérêt historique, archéologique, anthropologique
ou intéressent les sciences du passé et les sciences humaines en
général (art.42). En vertu de l'Article 44, ces objets ne peuvent
être exportés. Toutefois, des autorisations d'exportations
temporaires peuvent être accordées, notamment à l'occasion
des expositions ou aux fins d'examen et d'étude.
Même les sanctions prévues dans les articles 53,
54 et 55 qui ont une portée générale (les amendes
étant fixées entre 20.000 et 20.000 Dhs et plafonnées en
cas de récidive à 40.000 Dhs) n'ont pas pu dissuader les
commerçants de mauvaise foi ; en outre il n'y a pas de relations
d'équivalence entre l'infraction et la sanction ce qui laisse la champs
libre à l'appréciation du juge, une appréciation qui
demeure arbitraire.
Une nouvelle réglementation s'impose donc, surtout avec
l'adhésion sans équivoque à la Convention de 1970.
6.1.2 Le projet de loi 19-05 (2006) :
Stimulée par la ratification de la Convention de 1970,
l'autorité chargée des Affaires Culturelles a
préparé un texte de projet de loi 19-05 portant modification et
complétant la loi 22-08 relative à la conservation des
monuments historiques et des sites, des inscriptions, des objets d'art et
d'antiquité. Il a été soumis récemment au
Parlement. Les parlementaires de la première chambre l'ont
adopté.
La principale innovation de ce texte réside dans le
fait qu'il autorise l'intervention des services de police (Police judiciaire,
Douane) pour protéger l'héritage culturel marocain. Il ne
régit que les biens patrimoniaux mobiliers alors que les biens
immobiliers demeurent régis par l'ancienne réglementation.
Pour le mise en oeuvre de cette nouvelle loi - une foi
adoptée et promulguée, il est également prévu que
le personnel de la douane et de la gendarmerie soit formé pour
reconnaître la vraie valeur des objets culturels. Une procédure
est prévue dans ce sens.
Les interdits demeurent toujours de rigueur en matière
d'exportation et l'aliénation est strictement réglementée,
mais se limitent aux biens inscrits ou classés. Le projet de loi
prévoit toutefois la tenue obligatoire d'un inventaire des collections
de la part des musées privés,
réalisant ainsi - à côté de
l'institution des entités de contrôle au niveau local - une
avancée en matière de traçabilité des biens
meubles.
Les sanctions prévues sont modulées en fonction
de certaines sanctions et vont de la confiscation à l'amende ou
l'emprisonnement et le cas échéant à des
dommages-intérêts (dont le montant est fixé à dix
fois la valeur du bien objet de l'infraction, le législateur ne
s'étant pas encore prononcé sur les modalités de fixation
de ces valeurs).
6.2 La mise en oeuvre :
6.2.1 Le contrôle des services douaniers
:
En attendant la mise en oeuvre de la nouvelle
réglementation, les services de Douanes assurent les tâches qui
leur incombent en matière de contrôle des exportations et
d'importations des biens. Une fois formée davantage, ils seront en
mesure de développer leur capacité de contrôle.
Force est de signaler que le Maroc accueille en permanence le
Bureau régional de l'OMD pour l'Afrique du Nord. Ce statut lui
confère une place privilégiée en matière de
coordination, de contrôle et de lutte contre le trafic illicite des biens
culturels, et lui offre une opportunité de développement de ses
capacités douanières.
6.2.2. Les accords bilatéraux : le cas
maroco-français
L'Unesco ne manque pas d'encourager toute forme de
coopération fondée sur des accords bilatéraux (ou, le cas
échéant, multilatéraux) pour la lutte contre le trafic
illicite de biens culturels. Ainsi, l'ONU a établi, en
coopération avec l'Unesco, un traité type à l'intention
des Etats désireux d'associer plus étroitement leurs efforts dans
la lutte contre le trafic illicite. Ce texte vise à promouvoir la
coopération entre les services chargés de veiller à
l'application de la loi dans deux pays et à renforcer ainsi la mise en
oeuvre de la Convention de l'UNESCO de 1970, mais il peut naturellement
être utilisé entre pays non signataires de ladite Convention.
Ainsi, le Maroc - stimulé par les recommandations de
l'Unesco en la matière - a signé en 2000 (à Paris) un
accord relatif à la coopération en matière de
sécurité. Cet accord est axé sur la mise en oeuvre de
nombreuses formes de lutte contre la criminalité internationale dont
celle qui concerne le trafic des biens culturels et des objets d'art
volés (art.1er et art.2) ;
Ala lumière de ce qui a été
énoncé, on est en mesure d'affirmer que l'idée que les
biens culturels meubles devraient, de par leur nature et leur valeur,
être soumis à d'autres règles de droit que les marchandises
ordinaires a donc tracé son chemin.
On assiste à l'édification d'un véritable
système de lutte contre le trafic illicite des biens culturels. Depuis
1970, plusieurs instruments juridiques et conventionnels se sont greffés
à ce système à l'image - par exemple - de la
Recommandation de l'UNESCO concernant l'échange international de biens
culturels (Nairobi du 26 octobre au 30 novembre 1976), de la
Recommandation de l'UNESCO pour la protection des biens culturels
mobiliers (Paris,1978), du code déontologique de l'ICOM
(Buenos-Aires, 1986 et modifié en 2001 à Barcelone), de la
Convention sur la protection du patrimoine culturel subaquatique (2001) et
tout récemment, de la Déclaration Universelle de l'Unesco sur
la Diversité Culturelle (en 2003) qui est venu renforcer les
assises de la dynamique de lutte contre le trafic illicite des biens culturels.
Sans parler de la Convention d'Unidroit qui constitue l'innovation du
système.
Toutefois, ces instruments conventionnels sont toujours
à la recherche de nouveaux adhérents car tous les pays n'ont pas
adhéré à la Convention de l'Unesco 1970 et encore
moins à celle d'Unidroit, de sorte que l'application des
règles qu'elle énonce pour le retour ou la restitution de biens
culturels est faussée par cette carence. Même entre Etats parties,
il arrive que la Convention ne s'applique pas, parce que l'objet en litige a
été exporté avant son entrée en vigueur, et assez
souvent, le différent oppose d'anciennes colonies à d'anciennes
puissances coloniales.
Mais ce système ne se veut nullement porteur de
solutions absolues et parfaites à ce problème, tant que les
concepts qui animent cette dynamique sont en perpétuelle
évolution, et tant qu'il y aurait des riches collectionneurs d'objets
d'art - Homme d'affaires et voire même des diplomates - qui
échappent à la légalité et ne reconnaissent aucune
éthique, en « s' approvisionnant » sur le marché
occulte, et tant que les technologies évoluent à une vitesse
extraordinaire.
Le système de lutte contre le trafic illicite des biens
culturels est appelé lui aussi à se développer pour
contrecarrer cette pratique de plus en plus dénoncée par la
communauté internationale.
Pernille Askerdu & Etienne Clément, Guide pratique
pour la mise en oeuvre de la Convention de l'UNESCO de 1970, UNESCO
;1997
Philippe BAQUE, « Un trafic particulièrement lucratif
: Enquête sur le pillage des objets d'art », in Le Monde
Diplomatique, janvier 2005,(p.19).
Patrik J. BOYLAN, « L'IMCO a cinquante ans », in
Muséum international, Paris, UNESCO, n°191,
juillet-septembre 1996 (pp.47-50).
Neil BRODIE, « Histoire volée : Le pillage et le
trafic illicite », in Muséum international, Paris, UNESCO,
n° 219-220, 2003, pp.10-22.
Ghisiane GUILLOTREAU, Art et crime : la criminalité du
monde artistique, sa
répression, Presses Universitaires de France, Paris
1999, 299 p. (criminalité internationale). Shaje TSHILUILA, « Le
trafic illicite », in Le Patrimoine Culturel African Paris,
publication de l'Université Senghor, Ed Maisonneuve et
Larose, 2001(pp.185-211).
« Les antiquités désormais
protégées contre les trafiquants », in Le Matin
(édition
électronique du 19/01/2006.
Mesures juridiques et pratiques contre le trafic illicite des
biens culturels, manuel de l'UNESCO, 2006.
UNESCO ET UNIDROIT - COOPERATION DANS LA LUTTE CONTRE LE
TRAFIC
ILLICITE DE BIENS CULTURELS, Conférence pour
célébrer le 10e anniversaire de la Convention de
l'UNIDROIT sur les biens culturels volés ou illicitement
exportés, tenu au siège de l'UNESCO, le 24 juin 2005 (Note
d'information).
Dossier : Contre les pilleurs et les vandales, sauvons nos
trésors », in Le Courrier de l'UNESCO, Paris, vol.54,
n°4, avril 2001 (pp.16-37).
« Dossier consacré au trafic illicite des biens
culturels », in ICOM Maroc, Rabat, Comité national marocaine de
l'ICOM, n°3, 1997 (pp.3-17).
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