Chapitre 2 - La problématique de l'entretien des
matériels
ferroviaires
1- Une problématique à l'intensité
croissante
Lors de la fermeture des lignes d'intérêt local
comme lors de la fin de la vapeur, les amateurs ferroviaires
récupèrent des matériels parfois en bon état,
parfois fatigués, mais généralement éligibles
à une mise (ou remise) en service rapide. L'entretien peut alors se
limiter à des opérations relativement simples techniquement et
abordables financièrement parlant. Ainsi, la première
partie de notre période d'étude se déroule sans gros enjeu
relatif à l'entretien des matériels. Les « petits
trains » continuent à circuler tant bien que mal.
Le problème de l'entretien est apparaît sous
un jour nouveau, plus sombre, dans les années 1980, suite
à la conjonction de plusieurs facteurs :
le vieillissement des matériels
ferroviaires, dont le maintien en service peut s'avérer
coûteux. Acquis dans un état plus ou moins bon, ce matériel
a gagné en âge. Une évidence, certes, mais qui a toute son
importance. De petites réparations, il nécessite bientôt de
grosses interventions que les associations ne sont plus en
mesure de faire elles-mêmes ou de financer.
Côté locomotives à vapeur, c'est le moment des
« chutes de timbre »210
où l'on découvre que certaines chaudières sont à
refaire, au prix fort (là encore, compter au minimum 150.000 €)
-la raréfaction des matériels disponibles en
état convenable oblige peu à peu à se rabattre
vers des épaves, certes meilleur marché, mais dont la
remise en état demande des années et une solide surface
financière
-enfin, le renforcement de la législation
en matière de sécurité crée des contraintes
supplémentaires d'autant plus lourdes qu'elles s'appliquent à du
matériel en mauvais état.
2- Les limites du « Do-it-Yourself
»211
En matière de réparations, les exploitants
ferroviaires touristiques visent souvent, avec une certaine raison vu la
faiblesse des alternatives, l'autonomie, voire la quasi
indépendance. La variété des métiers
dont sont issus leurs bénévoles constitue pour
eux une bénédiction : mécaniciens, soudeurs, peintres,
charpentiers, menuisiers, diésélistes, cheminots... chaque
métier a sa place et la palette des compétences disponibles
s'avère statistiquement proportionnelle au nombre d'adhérents.
Les chemins de fer touristiques possèdent presque tous un
atelier équipé de machines- outils (le plus souvent
achetées d'occasion pour des raisons de coût).
Au cours des années 1970 -1980, les compétences
nécessaires à la réparation des locomotives à
vapeur sont disponibles auprès de la SNCF (qui utilise des
locomotives à vapeur jusqu'au début des années 1970) et
donc auprès des cheminots, présents de manière variable au
sein des associations. Ensuite, les compétences « vapeur », se
raréfient : la SNCF n'exploite plus de locomotive à vapeur, son
expertise se perd. Les anciens cheminots ayant connu et pratiqué la
vapeur disparaissent peu à peu.
Côté diesel, pas de problème majeur,
entre d'une part les exploitants commerciaux dont certains arrivent à
faire (presque) tout eux-mêmes et d'autre part les
bénévoles férus de mécanique des associations.
210 Voir supra, Troisième Partie,
Chapitre 2, §1, C.
211 « Faites-le vous-même » en
français.
Toutefois, si la bonne volonté ne manque
généralement pas, le temps reste
précieux. Hormis les retraités, les
bénévoles les plus assidus ne viennent qu'une ou deux
demi-journées par semaine. A ce train (!), la remise en état
d'une locomotive à vapeur prend couramment plusieurs années
(douze212 pour la 241 P 1 7213) et des milliers d'heures
de travail214. Aussi, les associations les mieux garnies
possèdent toutes une ou plusieurs épaves de locomotives à
vapeur qui attendent patiemment, des années durant, au fond d'un hangar,
leur cure de jouvence.
3- Des intervenants diffus
Reste ce que l'on ne peut (ou que l'on ne veut) faire
soi-même. Soit parce qu'on ne dispose pas des compétences idoines
(cas le plus courant), soit parce qu'on a suffisamment d'argent pour gagner
beaucoup de temps sur une tâche fastidieuse lorsqu'elle est
effectuée par des bénévoles. Deux solutions peuvent
être envisagées :
-soit faire appel à des intervenants locaux :
chaudronniers, menuisiers, motoristes -soit mobiliser des partenaires
spécialisés du domaine ferroviaire.
A- Des intervenants locaux
Les responsables des « petits trains » arrivent
à trouver, souvent pas trop loin, un ou plusieurs prestataires, artisans
ou PME. Mais cette solution butte rapidement sur des obstacles :
difficulté d'obtenir un travail conforme aux exigences du domaine
ferroviaire que ces intervenants ne connaissaient guère,
difficulté de coordonner les différents prestataires. Enfin, peu
de moyens de pression vis-à-vis de ces artisans ou PME pour lesquels le
travail avec les chemins de fer touristiques représente une
activité très occasionnelle et marginale.
212 Matthieu Chevalier, « La P17 revit
», Voie Etroite, n° 212 (février-mars 2006), p 30.
213 La configuration des essieux indique que c'est une
« Mountain », type de locomotive à grande puissance
utilisé par le PLM sur les voies à fort trafic et profil
difficile. La 241 P 17 est la locomotive à vapeur la plus puissante
actuellement en service en Europe.
214 Kérébel (2005), p 109 : « La
rénovation d'une machine peut demander jusqu'à 3000 heures
».
B- Des intervenants spécialisés
Aussi, la tentation de faire appel à des intervenants
spécialisés peut être grande.
Dans l'Hexagone, les intervenants de ce type
existent, mais ils sont relativement inadaptés aux besoins et aux moyens
des chemins de fer touristiques. On peut certes se faire construire
une chaudière de locomotive à vapeur chez un fabricant de
chaudières industrielles. Mais entre une chaudière industrielle
à demeure dans son usine et une chaudière de locomotive à
vapeur qui sera ballottée sur des voies ferrées en mauvais
état, il y a une grosse différence. Différence que les
industriels concernés ont du mal à intégrer vu le
caractère très marginal dans leur activité des demandes
émanant des opérateurs ferroviaires touristiques. Quelques
fournisseurs méritent toutefois d'être mentionnés, car ils
s'adressent (au moins un peu) à la clientèle des chemins de fer
touristiques : les Etablissements Louis Patry S.A (rails, accessoires),
CFG-Giragr (locotracteurs, voitures), les Ateliers CFTA de Gray
(réparations). Ces prestataires ne travaillent exclusivement, loin s'en
faut, pour nos seuls chemins de fer touristiques : les « petits trains
» représentent pour eux des petits clients de surcroît
souvent rebutés par des prix que leurs moyens ne leur permettent pas
d'acquitter. Pour bénéficier de prix plus adaptés, il faut
quitter la France et accepter les complications administratives que cela
engendre.
Ailleurs en Europe (en Allemagne et en Pologne
notamment), existent des prestataires intégrés :
intégrés dans la mesure où ils savent à peu
près tout faire sur une locomotive, notamment sur une locomotive
à vapeur. Nous les appellerons par convention des «
ateliers ferroviaires
»215. Ces PME apparaissent au
début des années 1990, sous l'effet d'un évènement
déclencheur commun : la chute du rideau de fer. Dans les cas dont nous
avons eu connaissance, le processus de création est comparable: des
ateliers dépôts appartenant jadis aux anciennes administrations
ferroviaires du bloc de l'Est sont fermés par mesure d'économie
puis rachetés, partie par leurs propres cadres, partie par des
entreprises ferroviaires ou des
« pionniers »216 venus de l'Ouest. Le
personnel et donc les compétences sont ainsi préservés.
Les ateliers ferroviaires définissent une offre de services dont une
part substantielle est destinée aux chemins de fer touristiques de toute
l'Europe (dans les faits, surtout l'Allemagne dont la densité et la
richesse des chemins de fer touristiques sont en avance sur la nôtre).
L'autre part de l'offre de services s'adresse aux professionnels du rail. Dans
cette catégorie des ateliers ferroviaires, nous
215 J'emploie ce terme à dessein de
manière à bien faire la distinction avec les entreprises
ferroviaires travaillant pour la SNCF ou des exploitant privés.
216 « Pionniers » peut être pris dans
le même sens que celui donné aux protagonistes de nos deux vagues:
des hommes entreprenants et parfois un peu excentriques.
citerons en Allemagne le DampfloKwerK
Meiningen217, MaLoWa BahnwerKstatt218. A peine
plus loin, en Pologne, voici InterloK Pila219,
meilleur marché du fait du coût de la main d'oeuvre locale. Cette
entreprise a déjà travaillé pour les chemins de fer
touristiques français.
C- Une locomotive à vapeur « flambant »
neuve pourquoi pas ?
Devant les difficultés de dénicher,
d'acquérir, de restaurer, de faire circuler et d'entretenir une antique
locomotive à vapeur, une idée apparemment un peu saugrenue peut
venir à l'esprit : pourquoi ne pas acheter une locomotive à
vapeur neuve ? Mais de quel côté se tourner ?
L'industrie ferroviaire française fabrique sa
dernière locomotive à vapeur en 1951. En 1958, à
Manchester, Beyer-PeacocK produit encore des locomotives à vapeur de
type Garratt220 pour la Rhodésie (le Zimbabwe
actuel)221. L'arrêt de la production de locomotives à
vapeur est postérieur dans les pays de l'Est et surtout dans les pays en
voie de développement. Ainsi, en Inde, la dernière locomotive
à vapeur sort de l'usine de Chittaranjan en 1967222. La Chine
constitue l'exception : elle construit encore, en 1980, des locomotives
à vapeur223. Mais plus maintenant. L'amateur
désireux d'acquérir une locomotive à vapeur neuve doit
choisir une autre voie que celle de l'industrie ferroviaire
traditionnelle. Quelques rares PME, souvent
britanniques224, sont en mesure de proposer de petites locomotives
à vapeur neuves pour voie étroite. Leurs prix très
élevés les placent hors de portée de la plupart des
chemins de fer touristiques français.
Alors, pourquoi ne pas essayer de construire
soi-même une locomotive à vapeur ?
Curieusement, cela a déjà été tenté, et
réussi. Une fois encore, les Britanniques ont une longueur d'avance.
Dès 1979 les Ffestiniog Railways, au Pays de Galles, mettent
217 Traduction : Atelier pour Locomotives à Vapeur de
Meiningen. Il appartient à la DB (Deutsche Bundesbahn, équivalent
de notre SNCF). Voir site internet : http://www.dampfloKwerK.de/
218 Voir site internet :
http://malowa.interloK.info/
219 InterloK Pila est une filiale d'InterloK Berlin et est
également lié avec MaLoWa dans le cadre du « Groupe InterloK
». Voir site internet : http://www.interloK.info/
220 Du nom de son inventeur, le britannique Herbert William
Garratt (1864-1913). Locomotives articulées destinées à la
traction de trains lourds sur des voies construites à l'économie.
Elles ont connu un certain succès en Afrique, Amérique du Sud et
Australie.
221 Hollingsworth, CooK (1984), p 198-199.
222 CNPF en collaboration avec la
Fédération des Industries Ferroviaires et l'INSEE (s.d.), p 57
223 Hollingsworth, CooK (1984), p 146-147.
224 Alan Keef Ltd par exemple. Voir site internet :
http://www.alanKeef.co.uK/
en chantier une Fairlie225 pour eux-mêmes !
C'est une version modernisée de la dernière Fairlie
fabriquée au même endroit, cent ans auparavant226. Des
répliques de modèles anciens sont également construites,
ça et là : la locomotive de Richard TrevithicK et la British LNER
Pacific A1 (Grande-Bretagne), la « Tom Thumb » (USA)227 et
même notre locomotive nationale « Marc Seguin » ! Comme quoi,
c'est possible228. Mais ce n'est pas, loin s'en faut, la solution la
plus simple : mieux vaut retaper (ou faire retaper) une épave.
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