Chapitre 7 - Gros plan sur les différentes
catégories
Entrons maintenant dans le détail de chacune de nos quatre
catégories192.
1- Les chemins de fer touristiques d'accès aux
grands sites
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Les cinq réseaux d'accès aux grands sites sont tous
caractérisés par une mise en service ancienne
(entre 1888 et 1932). Soit ils sont conçus d'emblée pour le
tourisme (Train du Montenvers - Mer de Glace, Tramway du Mont Blanc, Petit
Train de la Rhune), soit ils résultent dans leur forme actuelle d'une
reconversion
réussie d'une ligne à
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Photo 4 : train du Montenvers - Mer de Glace
(cliché P. Tournaire, O.T Chamonix)
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vocation initialement industrielle (Petit Train d'Artouste,
Chemin de Fer de la Mure). Quatre sur cinq sont à traction
électrique 193 et à voie métrique (Train du
Montenvers - Mer de Glace, Tramway du Mont-Blanc, Petit train de la Rhune,
Chemin de Fer de la Mure), et parmi ces quatre trois sont à
crémaillère 194(Train du Montenvers - Mer de Glace,
Tramway du Mont-Blanc, Petit Train de la Rhune).
Ces chemins de fer touristiques à caractère
montagnard affirmé, se développent majoritairement
sur un « modèle suisse », largement
diffusé en Europe ; modèle associant l'électricité,
le chemin de fer et le tourisme195 : chez nos voisins
helvètes, les « petits trains » appartenant à cette
catégorie abondent1 96.
192 L'annexe 1 donne un palmarès des chemins de
fer touristiques les plus fréquentés, les listes par
catégories ainsi que des informations complémentaires relatives
aux « petits trains » pris en compte.
193 A l'origine à traction vapeur, puis par la
suite convertis à la traction électrique.
194 Crémaillère : dispositif
comportant un rail supplémentaire, muni de dents, sur lesquelles
engrène un pignon de la locomotive. Son utilisation se justifie pour des
déclivités dépassant les 100 mm/m et fonctionne sans
problème jusqu'à des déclivités de 250 à 300
mm/m.
195 Selon Christophe Bouneau (Cours d'Histoire du Tourisme,
Université Montaigne Bordeaux III, 2006).
196 Pour n'en citer qu'un : le Glacier-Express, «
monument » de près de 300 Km de long, et reliant Zermatt à
Coire, Davos et Saint-Moritz. Voir à ce sujet : Nouchi (2006), p.
4-6.
Les cinq trains touristiques appartenant à cette
catégorie sont tous exploités par des
entreprises délégataires de service public : Compagnie
du Mont-Blanc (2 trains), CFTA (2 trains), Altiservice (un train).
D'une longueur moyenne (entre 4 et 30 Km), les chemins de fer
touristiques d'accès aux grands sites génèrent des
flux très importants : plus de
1.350.000 visiteurs en 2006, soit près de 60 % du
trafic de l'ensemble des « petits trains . Pour
certains, l'exploitation hiver comme été (trains de Haute-Savoie)
contribue naturellement à accroître les flux transportés.
En outre ces chemins de fer peuvent assurer une fonction de déplacement
pour une part de leur clientèle (sKieurs). Bien installés dans
une région à l'attrait touristique fort (Haute-Savoie,
Pyrénées-Atlantiques, Isère), ils sont
relativement pérennes au fil du temps197.
Toutefois, la lente érosion de leur
fréquentation enregistrée entre 1991 et 2006, certes en
valeur relative (de 71 % à 58 % de la fréquentation totale) mais,
plus grave, aussi en valeur absolue (d'environ 1.550.000 à environ
1.350.000 voyageurs) constitue une menace sur le long terme.
Cette érosion globale cache des évolutions
contrastées selon les massifs montagneux : la
fréquentation des deux trains pyrénéens augmente tandis
que celle de deux des trois trains alpins baisse, traduisant probablement des
changements dans les destinations touristiques et/ou les dynamiques diverses
des exploitants198. Toujours est-il que nous retrouvons ici
la concurrence Alpes - Pyrénées, présente dans
maints domaines : sports d'hiver, tourisme estival, secteur industriel des
sports de glisse.
197 Ni ouverture (au sens de première
circulation), ni fermeture sur la période 1991-2006 (source :
BaseDonnéesCFT).
198 Ces deux points seraient à vérifier.
2- Les chemins de fer touristiques ludiques
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Les douze exploitations que nous avons recensées dans
cette catégorie ont comme principal objectif de divertir un temps leurs
visiteurs venus faire un tour en « petit train ». Elles peuvent avoir
accessoirement une activité de déplacement (Tramway du
Cap-Ferret) dans leur zone d'animation, être incluses dans des bases de
loisirs ou des parcs (Petit Train des Lacs de Monclar) ou enfin constituer des
attractions en elles-mêmes (Chemin de Fer du Val de Passey). Elles ne
sont pas spécifiquement situées dans des régions
touristiques et à ce titre participent à l'essaimage des
chemins de fer touristiques sur tout le territoire français. Avec les
chemins de fer touristiques ludiques le terme de « petit train »
prend toute sa (petite !) dimension.
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Photo 5 : le Tramway du Cap-Ferret
(cliché.1-.1. Marchi)
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Leurs caractéristiques communes ? Une circulation sur des
voies sub-métriques (généralement voie de 60), des lignes
courtes (souvent de un à trois Kilomètres mais parfois
jusqu'à six ou sept Km)199. Les sept « petits trains
» pour lesquels nous disposons des données de fréquentation
drainent quelque 175.000 visiteurs: 7,5 % du total, mais un chiffre en hausse
de près de 25 % par rapport à 1991.
Souvent (mais pas toujours) gérés par des
associations, les chemins de fer touristiques ludiques affichent eux
aussi une certaine stabilité dans le temps200.
Toutefois, cette apparente solidité masque les combats
quotidiens des équipes pour maintenir lignes et matériels en
état, et pour attirer à eux des flux de touristes toujours
prêts à aller voir ailleurs ce qu'il y a de nouveau.
Ces « petits trains » ont en commun de ne pouvoir
être rattachés à une logique de conservation patrimoniale,
même si certains peuvent exploiter des matériels
sauvegardés. En effet, dans l'esprit de leurs protagonistes
c'est le plaisir d'un petit tour en train qui prime ; la
motivation de collection de matériels anciens, lorsqu'elle
199 L'un d'entre eux, le Chemin de fer d'Anse, dans le
Rhône, est à la frontière du modélisme ferroviaire
et du train réel puisqu'il présente des modèles
réduits à très grande échelle (1/4) de
matériels ferroviaires. Il utilise une voie de 38.
200 Ainsi la période 1991-2006 n'a
connu ni ouverture, ni fermeture de chemin de fer touristique de cette
catégorie (source : BaseDonnéesCFT).
est présente, ne revêt qu'un caractère
relativement accessoire. Certains de ces chemins de fer touristiques essayent
progressivement (et pas toujours consciemment) de « monter en gamme »
en accueillant des matériels historiques, notamment des locomotives
à vapeur dont la présence peut révéler un lent
glissement vers la catégorie des « musées vivants ».
3- Les chemins de fer touristiques « musées
vivants » du chemin de fer
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Avec cette catégorie de chemins de fer touristiques, nous
entrons de plein pied dans le domaine des amateurs ferroviaires dont le souci
principal est la collection et la préservation de
matériels historiques. On trouve dans ce « club » du
très bon comme du moins bon. Au pire, les préoccupations sont
celles du « collectionneur
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Photo 6 : le petit train de la Haute-Somme
(cliché D. Blondin, APPEVA)
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hamster », dont nous avons souligné
l'ambivalence201 et le « musée vivant » se
réduit à peu de choses; au mieux, le résultat est un
ensemble muséographique réussi qui ne manque pas de
séduire un large public par son authenticité.
D'où vient ce concept de « musée vivant »
? De l'idée de ne pas laisser immobiles, (comme au musée), les
matériels anciens, mais de les faire rouler comme autrefois. Ce qui
démultiplie leur attrait. On peut ainsi parler de « musée
vivant ». Une partie des collections circule tandis qu'une autre reste
à l'abri (quand abri il y a)202. Les mieux
équipés des « musées vivants » disposent d'un
vrai musée. Le visiteur prend le « petit
train » et visite le musée (ou ce qui en
tient lieu).
Les chemins de fer touristiques de ce type sont d'une longueur
modeste (de quelques centaines de mètres à 7 Km), assez proche en
moyenne de celle des chemins de fer touristiques à caractère
ludique. Ils sont à voie étroite, plus rarement à voie
métrique. La construction de la voie peut être postérieure
à celle de la remise
201 Auphan (1999), p 258-260 relève que les
collections sont parfois réduites à peu de choses.
202 Abriter les collections est un enjeu de taille.
Voir infra, Huitième Partie, Chapitre 2.
(le « musée ») car le matériel est dans
un premier temps présenté « en statique ». Un
matériel souvent de nature et d'origines diverses, sans lien direct avec
le site, l'écartement constituant la seule contrainte forte.
Nous avons recensé 18 chemins de fer touristiques «
musée vivants ». Il y a dans cette catégorie, sur la
période 1991-2006, plus de mouvements
(inauguration ou fermeture) que dans les précédentes :
deux ouvertures203 et une fermeture. L'apparition des
premières exploitations de ce type est postérieure à celle
des chemins de fer touristiques à caractère ludique. En
effet, il a fallu auparavant que le matériel
historique devienne disponible, autrement dit que les réseaux
d'intérêt local ferment.
Les neuf « musées vivants » pour lesquels nous
disposons des données de fréquentation représentent
environ 88.000 visiteurs, en stagnation (-4 96) par rapport à la
fréquentation de 1991. La conséquence d'un problème de
qualité (richesse et présentation des collections) chez
quelques-uns ?
4- Les chemins de fer touristiques d'animation
locale
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Avec les chemins de
fer touristiques d'animation locale, nous changeons de
dimensions sous tous les plans: ils sont nombreux (46), avec
des voies « lourdes »
(40 sur 46 en voie normale, 6 en voie métrique), et de
surcroît ils sont généralement longs
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Photo 7 : le « Gentiane Express »
(cliché E. André, Association des Chemins de Fer de Haute
-Auvergne)
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(en moyenne 24 Km). Ces réseaux tentent de se rapprocher
du « vrai » chemin de fer. Ils sont donc les grands des
« petits trains ». Car issus d'une double volonté :
certes préserver locomotives, autorails, voitures, wagons... mais
également faire revivre une ligne donnée, avec
ses trains, ses gares, ses installations ferroviaires, en lien avec le
tissu économique local passé et présent. Enfin,
ils ont structurellement
203 Ouverture, à prendre ici dans le sens de
premières circulations.
des besoins financiers importants,
conséquences directes de la longueur et de l'écartement de leurs
voies.
Dans le meilleur des cas, les chemins de fer touristiques
appartenant à cette catégorie se caractérisent par
une intégration dans le tourisme local : la
(re)découverte d'un patrimoine qui n'est plus seulement
ferroviaire, mais également naturel, culturel, religieux. Ils
peuvent éventuellement être en appui d'un
écomusée204.
L'apparition de cette catégorie de chemins de fer
touristiques est relativement récente : si quelques-uns sont issus de la
« première vague », ils restent majoritairement des
natifs de cette « seconde vague » qui
déferle avec le retrait de la SNCF du territoire français
(fermetures des lignes secondaires).
Le développement des chemins de fer touristiques
d'animation locale peut être vu comme l'aboutissement d'une
évolution, le niveau le plus élevé d'organisation
et d'ambition. Nous parlons bien d'« ambition » car il y a beaucoup
de prétendants mais relativement peu d'élus. A côté
de quelques réussites reconnues (Chemin de Fer de la
Baie de Somme, Chemin de Fer du Vivarais, Train à Vapeur des
Cévennes) qui créent des flux touristiques tels qu'ils
génèrent de réelles retombées sur l'économie
locale, on regrettera les « naufrages » de
réseaux touristiques qui semblaient pourtant promis à un bel
avenir205, on se réjouira des nouveaux arrivants
dont certains affichent une dynamique prometteuse. Et l'on
s'attristera du spectacle pas si rare de trains brinquebalants s'essoufflant
dans nos campagnes : parfois (souvent ?) l'animation
locale relève plutôt de la
réanimation.
Les chiffres confirment cette impression d'une «
agitation tous azimuts » combinée
à une « sélection naturelle
» impitoyable. La preuve : sur la période
1991-2006, au sein de notre échantillon « E2 » comportant 30
chemins de fer touristiques d'animation touristique locale, nous
dénombrons 11 créations et 3 fermetures. Ainsi, quasiment
la moitié de l'effectif est concernée par l'un
ou l'autre de ces évènements fondamentaux ! A comparer
avec la stabilité des autres catégories de
« petits trains ». Le trafic quant à lui a bondi
de moins de 400.000 entrées à plus de 700.000 (environ + 85 %).
Faut-il être pour autant afficher un bel optimisme ?
204 Deux cas : le Chemin de Fer des Landes de Gascogne, moyen
exclusif d'accès à l'Ecomusée de Marquèze (Sabres,
Landes) ainsi que le Chemin de Fer de l'Ecomusée d'Alsace.
205 Quelques exemples : Quercyrail (Lot), Rive-Bleue
Express (Haute-Savoie), Train à Vapeur de Touraine (Indre-et-Loire).
Pas entièrement, car la « sélection naturelle
» opère. D'abord les chemins de fer touristiques d'animation locale
pris tous ensemble ne représentent qu'à peine 30 % de la
fréquentation de l'ensemble des chemins de fer touristiques. Ensuite,
sur les quelque 732.000 entrées réalisées par nos 30
réseaux, 491.000 entrées (les deux tiers) reviennent aux cinq
premiers. Autrement dit, nombreux sont les chemins de fer touristiques
d'animation locale qui se partagent...les miettes.
Un autre écueil, à ne pas sous-estimer,
réside dans la gestion de la complexité
qu'affronte tout réseau ferroviaire appartenant à cette
catégorie. Entendons-nous bien : les choses ne sont pas forcément
simples pour les autres catégories mais ici les intervenants se
multiplient dangereusement, chacun avec ses propres objectifs. Il
s'avère ainsi difficile d' « établir un lien sur des
structures relevant de compétences diverses avec une dynamique plus
longue que les mandats électoraux »206. Il faut du
temps, des années, pour tomber d'accord. Dans certains
cas, on ne tombe jamais d'accord, et rien ne se fait. On peut
voir là une autre forme de « sélection naturelle ».
Lançons nous dans une caricature (le lecteur nous
pardonnera de forcer le trait): -l'association d'amateurs ferroviaires
s'intéresse à la sauvegarde de matériel, à la
circulation des trains mais surtout pas aux touristes. Des clans existent en
son sein entre les « anciens » qui ne veulent pas lâcher les
rênes et les « modernes » qui souhaitent les faire partir
à la retraite une seconde fois.
-les Comités Régionaux, Départementaux du
Tourisme, les Syndicats d'initiative verraient bien le train touristique
intégré à un parc d'attraction
-la SNCF et RFF s'opposent à ce que la moindre
signalétique soit posée sur les gares, qui doivent rester en
l'état même si elles sont abandonnées
-les représentants des (nombreuses)
collectivités territoriales concernées (région,
département, communes, communautés de communes,
communautés des pays,...) qui jusque là jouaient un rôle
moteur viennent de recevoir le devis de remise en état de la voie
ferrée. Devant les quelques millions d'Euros demandés,
l'aménagement d'une « voie verte »207 en lieu et
place du chemin de fer touristique semble soudain être « La »
solution
-le consultant appelé en renfort a « pondu » un
superbe rapport de quelques centaines de pages que tout le monde fait semblant
d'avoir lu.
Bref, la force des chemins de fer touristiques d'animation
locale, leur globalité, constitue également leur faiblesse
: beaucoup n'ont pas les moyens (financiers, techniques, humains) de
leurs ambitions.
206 Gasc (1995), p 22.
207 Une piste cyclable
Conclusion - Diversité et
contrastes
Dans notre tentative de caractériser les « petits
trains », nous nous sommes au préalable attachés à
quantifier le phénomène. Nous avons à cette occasion
relevé l'importance des flux touristiques qu'ils
génèrent.
Les différents prismes appliqués aux chemins de fer
touristiques font chaque fois ressortir des contrastes parfois énormes.
La typologie pluridimensionnelle que nous retenons n'échappe pas
à cette tendance, même au sein de ses différentes
catégories.
Ainsi les enjeux sont divers, à la mesure des contrastes.
Mais dans tous les cas, par-delà les différences, nos chemins de
fer touristiques restent apparentés à la fois par les contraintes
de leur support (rail et matériel roulant) et par leur caractère
éminemment touristique.
Sixième parti
Au-de/à des différences
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