Chapitre 5- Le ménage à trois : SNCF,
cheminots, « petits trains »
1- « La SNCF : partie prenante... malgré elle
»174
Sur une année, le trafic des chemins de fer touristiques
ne représente que trois jours de trafic passager SNCF (Ile-de-France
exclue). On comprend ainsi que pour une SNCF occupée à
reconquérir sa clientèle, les chemins de fer touristiques ne
soient pas une priorité mais plutôt une goutte
d'eau. Si elle n'est guère impliquée, la SNCF est
cependant concernée.
Au début, la SNCF ne voit pas d'un bon oeil la
naissance des chemins de fer touristiques. D'une part, elle souhaite
donner du rail une image moderne. Or l'éclosion des « petits trains
» ressuscite au contraire la nostalgie des trains d'autrefois. D'autre
part, les trafics des réseaux touristiques sont pour elle tout à
fait négligeables. Enfin, elle se préoccupe des aspects relatifs
à la sécurité : il faut convenir que chez certains
exploitants, il y a du souci à se faire ! Même pour les chemins de
fer touristiques situés en-dehors de la sphère de
responsabilité de la SNCF, le grand public fait l'amalgame : pour lui,
c'est bien la SNCF qui fait circuler les « petits trains ». Aussi,
tout accident risque de rejaillir sur l'image de la société
nationale.
Devant la méfiance de la SNCF face à « ces
ferrovipathes qui veulent jouer au train », le milieu des chemins de fer
touristiques éprouve, en retour, une certaine rancoeur.
Il faut se remémorer le rôle joué par la SNCF dans
la fermeture des chemins de fer secondaires. Les relations ne peuvent
pas être cordiales.
Jusqu'au début des années 1980, les trains
spéciaux composés de matériels préservés
appartenant à des associations ou à des particuliers sont tout
bonnement interdits. Sous l'impulsion de Charles Fiterman,
alors Ministre chargé des Transports, 1982 voit un premier
assouplissement : c'est enfin l'autorisation, naturellement sous
certaines conditions, des circulations de matériels
préservés sur les voies de la SNCF. La Charte des chemins
de fer touristiques de 2001175 constitue une autre date
symbolique puisque la SNCF et RFF en sont signataires aux côtés de
la FACS-UNECTO.
174 Nous reprenons dans cette section le titre et une
partie du contenu de l'article d'E. Cinotti paru dans Espaces, ni 31
(janvier-février 1995).
175 Voir supra, Chapitre 4, §1, C
Les relations sont donc aujourd'hui largement
normalisées : après tout les chemins de fer touristiques
ne valorisent-ils pas, comme la SNCF voudrait le faire, une conception
hédoniste du train ? Mais nous sommes encore assez loin de l'entente
cordiale. La qualité des relations se joue sur le
terrain, au niveau des Directions Régionales SNCF et RFF qui
disposent d'une marge de manoeuvre notable et bien sûr aussi en fonction
de la qualité des interlocuteurs côté « petits trains
».
On nous a, à plusieurs reprises, parlé d'une «
politique de la terre brûlée » qui serait pratiquée
par la SNCF : qu'elle ne veuille pas exploiter certaines voies non rentables,
c'est son droit, mais alors pourquoi s'opposer à ce que d'autres le
fassent à sa place ? Nous croyons reconnaître dans cette
attitude les craintes relatives à la concurrence : sur
trafic marchandises aujourd'hui, sur le trafic voyageurs demain ?
2- Les cheminots : une arrivée en force
tardive
Si donc les relations avec la SNCF sont pour le moins
ambiguës, les cheminots constituent des adhérents
précieux dans les associations. D'une part, leur savoir- faire
et leur expérience constituent un gage de sécurité dans
l'entretien et l'exploitation des matériels. D'autre part, ils aident
à « ouvrir les portes » lorsqu'il s'agit d'accomplir des
démarches administratives ou d'accéder à des installations
techniques de la SNCF. Enfin, ils n'hésitent pas à faire la
promotion des chemins de fer touristiques sur leur lieu de travail, où
logiquement la proportion de passionnés est bien supérieure
à celle que l'on rencontre dans le grand public.
Toutefois, contrairement aux idées reçues, il ne
faut pas surestimer la part jouée par les cheminots dans le mouvement de
préservation des lignes et matériels ainsi que dans les
constructions de chemins de fer touristiques. A l'époque des
commencements (notre « première vague »), les
cheminots sont relativement absents176, ou à tout le
moins pas davantage représentés que d'autres catégories.
Peut-être par ce que, « culturellement », ils
s'intéressent davantage aux « grands trains », entendons par
là ceux à voie normale.
176 Voir supra, Quatrième partie, Chapitre 3.
La situation change dans les années 1980 et 1990, avec les
fermetures de lignes secondaires SNCF. Les cheminots arrivent en
force lors de la « seconde
vague » 177. Ils participent alors en
première ligne à la mise en service de trains touristiques. Ils
s'investissent également dans la sauvegarde de matériels SNCF
(locomotives à vapeur, électriques, diesels, autorails).
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