Introduction générale
Les chemins de fer touristiques,
une énigme ?
Introduction générale - Les chemins de fer
touristiques, une énigme ?
A l'heure où les TGV sillonnent la France à 300
Km/h, symboles d'une modernité qui se veut triomphante, il peut sembler
étrange de consacrer un travail de recherche à des chemins de fer
touristiques qui semblent aller à contre-courant du « toujours plus
vite, toujours plus loin ». En effet, alors que les TGV rétractent
l'espace et le temps, les trains touristiques se plaisent à musarder
dans nos campagnes, se faisant un jeu de dilater l'espace comme de remonter
dans le temps.
Le choix d'un sujet de mémoire, notamment lorsqu'il
paraît exotique, est quelque part l'expression d'une sensibilité
personnelle. Ayant passé mes vingt premières années dans
une contrée à la fois montagneuse et rurale, j'ai longtemps
voyagé à bord de tortillards dans lesquels le passager se
laissait gagner par la sensation de la « grande vitesse » dès
les 80 Km/h. Je me rappelle ces périples où après avoir
emprunté un autorail cahotant sur des voies de l'ancien
Paris-Orléans, je changeais de train pour une automotrice
électrique qui, elle, arpentait une ligne de l'ex-Midi, à un
rythme guère plus pressé. Pourtant, passer du vacarme de la
traction diesel au ronronnement de la « fée
électricité » avait pour l'enfant que j'étais quelque
chose de rassurant et de magique.
Autre souvenir : la gare de correspondance, née du chemin
de fer un siècle plus tôt. Son buffet animé où je
dégustais, entre deux trains, chocolats chauds et croissants dans des
odeurs de café et de tabac. Cette « grande » gare est
quasi-déserte maintenant. Le buffet est fermé. Le trafic a
diminué, plombé par les nouvelles routes toujours plus droites,
par la fermeture d'une des lignes qui partait de ce noeud ferroviaire à
l'assaut des montagnes et peut-être aussi par une indifférence
quasi - générale. Cette ligne à l'abandon, je l'ai
parcourue au milieu des années 1980, sentant bien qu'elle vivait ses
derniers instants. C'était à mon avis l'une des plus belles de
France.
Mais depuis les choses ont changé : une association
d'amateurs a repris en mains une partie de ce tracé à la
beauté sauvage pour y faire rouler un autorail. Ainsi une ligne sans
intérêt du point de vue du transporteur s'est
métamorphosée en ligne à potentiel touristique. Sans
vouloir déflorer la suite, c'est là un des paradoxes des chemins
de fer touristiques. Au fur et à mesure que la SNCF se débarrasse
de lignes non rentables selon ses critères, des exploitants touristiques
s'en emparent, avec des fortunes diverses.
Pour un non-initié, un chemin de fer touristique ressemble
à une énigme. Voici une voie ferrée où poussent les
herbes folles. Encore une voie ferrée désaffectée, une de
plus. Et puis soudain, les rails grincent, un coup de sifflet retentit, et dans
un bruit de tonnerre apparaît comme jaillie des temps anciens une
locomotive à vapeur tirant quelques voitures aux peintures
rafraîchies. Des fenêtres sortent des têtes ravies: enfants,
parents, grands-parents, toutes générations confondues. La
joyeuse bande s'éloigne dans une odeur de fumée très
particulière. Rencontre à première vue singulière,
mais les trains touristiques sont pluriels.
Les chemins de fer touristiques français, sous leur forme
contemporaine, apparaissent dans les années 1960, à l'initiative
de passionnés attristés par la fermeture de lignes
d'intérêt local. Attachés sentimentalement à un
patrimoine technique représentatif de la première
révolution industrielle, les ferroviphiles font de leur mieux pour
sauvegarder ce qui peut l'être : locomotives, matériels roulants,
infrastructures, gares...parfois avec le soutien d'élus qui ont du mal
à se résigner devant la disparition de voies ferrées
acquises de haute lutte pour désenclaver leur localité. La
maintenance, la rénovation du matériel et des équipements
nécessitent des fonds importants. Aussi, profitant de la venue de
curieux, nos amateurs organisent des circulations payantes, histoire de
financer (au moins un peu) leurs ambitions. Les chemins de fer touristiques
sont nés.
Un demi-siècle plus tard, les membres fondateurs ne sont
plus de la première jeunesse. La relève, qu'ils appellent de
leurs voeux, se fait attendre. Les visiteurs eux aussi ont mûri ; ils ne
se contentent plus d'un simple tour en « petit train ». L'offre
touristique désormais large crée une forte concurrence.
Parallèlement, la réglementation se durcit, tandis que les
matériels vieillissent : des investissements de sécurité
s'imposent. Enfin, les pouvoirs publics relèvent leur niveau d'exigence
face à des trains touristiques qui vivotent alors qu'ils pourraient
faire mieux. La professionnalisation du secteur est en cours. Les exploitants
touristiques s'organisent ; déjà des entreprises privées
issues de grands groupes exploitent plusieurs « petits trains ».
Faire du nouveau avec de l'ancien : tel est l'enjeu.
La question de notre recherche sera la suivante
: dans quelle mesure les chemins de fer touristiques peuvent-ils
concilier l'expression d'une nostalgie et les caractères d'une
innovation ?
Nous proposons la démarche suivante :
-tout d'abord nous définirons précisément
de ce que l'on doit entendre par chemin de fer touristique. Ce qui nous
permettra de lever les ambiguïtés et de distinguer ce qui
résulte de logiques différentes. Ce sera l'objet de la
première partie.
-ensuite, comme les chemins de fer touristiques sont aussi des
chemins de fer historiques, nous remonterons le temps, d'abord à
l'époque de la naissance des « grands trains » puis à
celle des « petits trains » (deuxième partie).
-les chemins de fer touristiques sont d'abord des trains. Ils en
subissent les contraintes, aussi on ne peut les aborder intelligemment sans
être au fait de certaines réalités. Nous nous attarderons
donc quelques pages sur le cadre de l'activité ferroviaire
(troisième partie)
-après ces préliminaires, nous entrerons dans le
coeur de notre sujet, la naissance et le développement des chemins de
fer touristiques, en privilégiant une approche dynamique
(quatrième partie)
-nous proposerons ensuite une typologie des chemins de fer
touristiques, après avoir tenté différentes approches
complémentaires (cinquième partie)
-nous nous intéresserons aux activités qui
rassemblent les chemins de fer touristiques : recherche, préservation,
entretien et réparation des matériels ferroviaires,
édition et médias spécialisés, relations avec le
« septième art » (sixième partie)
-notre voyage se poursuivra en abordant les enjeux touristiques
(septième partie), puis ce que nos « petits trains »
véhiculent : relations avec l'environnement, le patrimoine et la
société (huitième partie)
-nous nous poserons la question de la professionnalisation du
secteur des chemins de fer touristiques (neuvième partie),
-enfin, nous terminerons en tentant de peser ce micro-secteur
(dizième partie) avant de conclure.
Les chemins de fer touristiques sont à notre avis plus
complexes qu'il n'y paraît. Pour saisir cette complexité, nous
nous attacherons, chaque fois que ce sera possible, à comparer les
points de vue des amateurs ferroviaires, des professionnels du tourisme et des
universitaires. La gestion de ces trois dimensions ne va pas sans risque. Il
faudra en effet nous contenter de conclusions parfois équivoques, car
les points de vue de chacun divergent autant qu'ils convergent.
Première parti
Sur /a voie d'une définition
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