B/ Le Code des assurances et la décision de la Cour
de cassation
La référence à l'article L.310-1,1°
du Code des assurances traduit pour sa part le choix d'un Code contre un autre,
du Code des assurances contre le Code civil, non pas contre ses dispositions
relatives à l'aléa - nous avons vu qu'une conciliation
était possible - mais contre celles relatives aux droits des
héritiers réservataires. Les grands absents de l'arrêt
n° 03- 13673 sont les articles 913 et 922 du Code civil qui étaient
invoqués dans un autre arrêt (n° 01-13592) par les partisans
de la thèse de la « requalification ». Mais comment
pouvaient-ils le faire à bon escient dès lors que la question de
la qualification est première et celle de ses conséquences sur la
réserve seconde ? Sauf à opter pour une qualification
purement finaliste mise au service d'une défense sourcilleuse de l'ordre
public successoral, le droit de la famille n'est pas ici en cause. Si le
contrat considéré est bien un contrat d'assurance vie, les sommes
dues par l'assureur n'ont jamais fait partie du patrimoine du souscripteur et
n'ont donc pas à être réunies fictivement aux biens
présents au jour du décès pour le calcul de la
réserve. Si celle-ci doit être protégée c'est pour
le montant des primes versées (qui, pour leur part, ont bien fait
l'objet d'une donation indirecte) et, selon l'article L. 132-13 du Code des
assurances, pour les seules primes manifestement exagérées. C'est
seulement en ce qu'il introduit cette restriction que l'article déroge
au code civil. En posant le principe que l'excès manifeste
s'apprécie au moment du versement des sommes par le souscripteur,
l'arrêt n° 01-13592 confirme, pour sa part, l'autonomie de ce texte
par rapport aux règles gouvernant le droit des successions. Il ne s'agit
pas de déterminer si, au jour du décès, une quotité
a été dépassée, mais si, au moment de son paiement,
dépense est excessive au regard, comme le précise la Cour,
« de l'âge ainsi que des situations patrimoniale et familiale
du souscripteur ».
Il en résulte que les contrats menacés de
requalification, qui répondent à l'alinéa 1 de l'article
L. 310-1,1° , sont bien des contrats d'assurance sur la vie. Le fait
qu'ils présentent le particularisme que les garanties "vie" et
"décès" soient toutes les deux du montant de la provision
mathématique du contrat au jour de son dénouement est
indifférent. L'essentiel est que - ce qui n'est contesté par
personne - la date de ce dénouement et donc de l'exécution des
engagements de l'assureur dépende de la durée de la vie
humaine.
La référence à l'article R. 321-1, 20 du
Code des assurances, où figure la nomenclature des branches d'assurance
pour l'octroi de l'agrément administratif, et plus spécialement
à sa branche 20 ("vie-décès") pourrait paraître plus
surprenante dès lors que le texte ne fait que reprendre la formule
figurant à l'article L. 310-1,1°. Pourtant, elle nous paraît
encore plus fondamentale en ce qu'elle marque un choix très net pour le
droit communautaire contre le droit national. Derrière l'article R.
321-1, d'un niveau apparemment peu élevé dans la
hiérarchie des normes, se profile en effet la nomenclature communautaire
des branches d'activités figurant dans les différentes directives
"vie" et en dernier lieu à l'article 2 de la Directive n° 2002/83
du 5 novembre 2002.
Or, cette Directive, outre qu'elle distingue nettement les
assurances sur la vie (art.2-1, a) et les opérations de capitalisation
(art.2-2, b), range parmi les premières l'assurance en cas de vie,
l'assurance en cas de décès, l'assurance mixte et l'assurance vie
avec contre assurance, sans distinguer selon le mode de calcul des prestations
dues au titre des garanties vie ou décès. Au regard du droit
communautaire, les contrats litigieux paraissent bien être des contrats
d'assurance. Or, dans le système actuel du "passeport unique", ou
l'agrément est délivré par le pays d'origine et valable
pour tous les Etats de l'union, chaque Etat est lié par les
qualifications de ce droit. En effet, si les autorités françaises
ne respectaient pas et agréaient les entreprises françaises au
titre de la branche 24 (opérations de capitalisation) pour les contrats
requalifiés et non au titre de la branche 20 (vie-décès),
elles seraient contraintes de délivrer un nouvel agrément au
titre de la branche 20 pour les contrats diffusés à
l'étranger dans des Etats ne pratiquant pas la requalification. Ce
faisant, elles seraient en infraction avec la règle qui veut que chaque
catégorie de contrat soit redevable d'un agrément unique. De leur
côté, les entreprises étrangères distribuant des
contrats d'assurance en France en libre prestation de service ou en
liberté d'établissement aurait besoin d'un seul agrément
délivré par les autorités de leur pays d'origine, au moins
si celui-ci ne pratique pas la requalification, ce qui introduirait des
distorsions de concurrence au détriment des entreprises
françaises.
La solution, déjà mise en oeuvre en d'autres
occasions, serait pour les assureurs français de se domicilier dans un
Etat ne pratiquant pas la requalification et de distribuer en libre prestation
de service ou en liberté d'établissement en France, se
soustrayant du même coup aux autorités de contrôle
françaises. Mais, cette "tentation de Dublin" (ou d'ailleurs) est-elle
bien raisonnable ? Le danger a en tout cas été perçu par
M. le premier avocat général de Gouttes qui, dans son avis, y a
vu un argument supplémentaire contre la requalification. A
l'évidence, la préoccupation, tout à fait légitime
d'éviter d'exposer la France à une procédure de manquement
n'a pas été étrangère à la décision
de la Cour de ne pas requalifier, comme a pu l'être celle d'éviter
les problèmes qu'auraient suscités les contrats en cours. Comment
expliquer à leurs millions de souscripteurs que, contrairement, à
ce qu'on leur avait dit, ces contrats n'étaient pas de l'assurance ? Et
surtout, comment éviter des actions en responsabilité pour
manquement à leur devoir de conseil contre tous ceux (assureurs,
intermédiaires, associations souscriptrices, notaires) qui ont
participé à leur distribution ? Les articles susmentionnés
ont triomphé de toutes ces questions en évoquant par la suite
l'élément substantiel qui a emporté la solution de la Cour
: l'aléa.
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