La requalifiacation des contrats d'assurance vie( Télécharger le fichier original )par Michel Justancia ILOKI Université du droit et de la santé Lille 2 - Master 2 professionnel Droit des assurances 2005 |
SOMMAIRE Introduction ............................................................................................... 4 Première partie I : La requalification discutée des contrats d'assurance vie .18
Sous partie I : La question de l'existence de l'aléa en assurance vie .............................18 Paragraphe I : Les courants doctrinaux face à l'aléa ................................................18 A/ L'école de Grimaldi et l'inexistence de l'aléa en assurance vie ..................................19 B/ L'école de Ghestin et l'existence de l'aléa en assurance vie.......................................21 Paragraphe II : Le débat jurisprudentiel autour de l'aléa en assurance vie ...................25 A/ Des tergiversations jurisprudentielles à l'arrêt Leroux .................................................25 B/ De l'arrêt Leroux à la requalification des contrats d'assurance vie ...............................28 Sous partie II : La question du rapprochement des assurances vie d'autres accords de Volontés ..................................................................................31 Paragraphe I : Les assurances vie et les opérations de capitalisation .............................31 A/ La parenté entre certains comptes d'épargnes et quelques assurances vie ........................32 B/ L'autonomie de l'assurance vie vis à vis des opérations de capitalisation .......................34 Paragraphe II : Les assurances vie assimilables à d'autres accords de volonté. ................36 A / Assurance vie proche des contrats de jeu et pari. ..................................................37 B / Assurance vie au service de la donation déguisée ...................................................38 Deuxième partie II : Le débat tranché sur la requalification des contrats d'assurance vie ...................................................43 Sous partie I : Les fondements de la requalification ................................................44 Paragraphe I Les fondements légaux de la requalification .........................................44 A/ Le code Civil ..............................................................................................44 B/ Le code des Assurances .................................................................................46 Paragraphe II La solution jurisprudentielle ..........................................................48 A/ Définition de l'aléa .......................................................................................49 B/ L'aléa dans le contrat d'assurance vie .................................................................51 Sous partie II Les enjeux et la portée de la requalification des contrats d'assurance vie...53 Paragraphe I : L'assurance vie confortée par la Cour de cassation ...............................54 A/ Enjeux économiques et fiscaux des contrats en cours ...............................................55 B/ Enjeux matrimoniaux et successoraux : la question des primes manifestement exagérées.....58 Paragraphe II Le nouvel environnement de l'assurance vie ........................................60 A/ La doctrine et l'après requalification...................................................................60 B/ La jurisprudence et l'après requalification.............................................................63 . Conclusion .................................................................................................67 INTRODUCTION« Demain est incertain. Demain peut détruire l'acquis d'aujourd'hui. Demain est la porte ouverte au coup du sort. Demain est la traduction de deux maux que l'homme n'a cessé de tenter de combattre sans jamais parvenir à les vaincre. Complémentaires et pourtant dissemblables, ils incarnent la peur existentielle de l'individu : l'incertitude de l'avenir proche et du devenir éternel. Contre le second, il est une issue : la religion. Contre le premier, un palliatif : l'assurance » (1(*)). Creuset de certaines espérances, remède contre la peur quotidienne, l'utilité de l'assurance vie n'est plus à démontrer. Au centre de toutes ces préoccupations : la vie et sa protection. « Entre l'enfer et le ciel, il n'y a que la vie qui est la chose la plus fragile » (2(*)), et assurément la plus précieuse. La vie humaine est à la fois le plus précieux et le plus précaire des dons de la nature à l'homme. Tel un trésor, tant elle est précaire et précieuse; elle mérite d'être scellée; ceci n'est possible que par l'assurance vie. L'assurance vie est donc par là, la plus efficace protection que l'homme ait su concevoir contre les aléas de la vie. Extraordinaire invention, l'assurance vie permet par sa souplesse de garantir les engagements financiers, de protéger la famille et l'entreprise et de transférer les patrimoines. Dopée par une fiscalité avantageuse et une ingénierie financière sophistiquée, l'assurance vie est devenue le placement préféré des Français (3(*)). Dès la plus haute antiquité, les hommes se sont efforcés de pallier les risques inhérents au décès ou à la disparition. On ne trouve pourtant pas trace, à cette époque, d'un mécanisme complet assimilable à l'assurance vie telle qu'on la définit aujourd'hui. S'agissant de l'origine, nous retiendrions avec Bernard Beignier (4(*)),Véronique Nicolas (5(*)), Marc Belmont et Thierry Deschanels (6(*)) que les assurances vie ne sont pas très anciennes, si elles existaient sous certaines formes à la fin du XVIIIe siècle, elles ne se développèrent vraiment qu'au milieu du XIXe. Elles sont, donc très postérieures aux assurances de dommages qui sont pratiquées dès le XIIe siècle. L'histoire de cette institution se confond avec l'histoire de la mutualité et celle de la science mathématique dont elle constitue le point de rencontre. Ainsi le développement de l'assurance vie suivra par conséquent pas à pas les progrès de la science mathématique appliquée aux opérations viagères. Des premières tables de mortalité de la première moitié du XVIIIe siècle, découlèrent les premières assurances sur la vie. Encouragées en Angleterre et en Hollande, pays hautement protestants, elles furent prohibées en France par l'ordonnance de la marine de 1681, dite ordonnance de Colbert, au motif qu'elles spéculaient sur la vie humaine; prohibition qui ne prit fin qu'avec un arrêt du Conseil d'Etat du 3 novembre 1787. L'assurance vie est née. Pour publicité, un prospectus définit l'assurance sur la vie comme un instrument destiné à " faire servir l'inégale durée de la vie humaine et l'intérêt de l'argent à fonder des ressources pour l'âge avancé, ou après la mort en faveur des survivants", et en décrit, de manière éclairée, les mécanismes. Le fonctionnement du contrat d'assurance vie, tel que décrit par ce prospectus, est très proche de notre législation actuelle: il laisse augurer un développement rapide de l'institution mais la révolution y met prématurément un terme. Un décret du 24 août 1793 (art. 1) supprime de ce fait les associations connues sous le nom de compagnies d'assurances sur la vie, marquant ainsi la méfiance révolutionnaire vis à vis d'un contrat portant sur la vie humaine. Le législateur ancien ne voit en effet, dans le contrat d'assurance vie, qu'un pur contrat indemnitaire dont l'objet est de garantir la personne humaine envisagée comme une chose, comme un objet quelconque estimable à prix d'argent et exposé au risque de mort. Nos codes sont par conséquent silencieux quant à l'assurance sur la vie et leurs rédacteurs, inspirés par l'ancien droit en l'occurrence par l'ordonnance de 1681 - elle-même inspirée du Guidon de la Mer de 1589 - s'y montrent hostiles entretenant par là-même une confusion malheureuse entre l'ancienne assurance vie maritime et l'assurance vie moderne, confusion qui a certainement pour partie retardé d'un siècle la création et le développement des assurances sur la vie en France. Ainsi, à Portalis de préciser dans l'exposé des motifs du titre "de la vente" du Code civil (1804): " Nous savons qu'il est des contrées où les idées de la saine morale ont été tellement obscurcies et étouffées par un vil esprit de commerce, qu'on y autorise les assurances sur la vie des hommes. Mais en France de pareilles conventions ont toujours été prohibées. Nous en avons la preuve dans l'ordonnance de la marine de 1681, qui n'a fait que renouveler les défenses antérieures. L'homme est hors de prix : sa vie ne saurait être un objet de commerce, sa mort ne peut devenir la matière d'une spéculation mercantile. Ces espèces de pactes sur la vie ou sur la mort d'un homme sont odieux, et ils peuvent n'être pas sans danger. La cupidité qui spécule sur les jours d'un citoyen est souvent bien voisine du crime qui peut les abréger". Ces préjugés hostiles expliquent en grande partie le retard que prend, en France, le développement de l'assurance vie malgré que, après les troubles révolutionnaires et de l'empire, le Conseil d'Etat ait, par un avis du 28 mai 1818, autorisé le contrat d'assurance sur la vie, autorisation qui est donnée à la Compagnie Générale le 22 décembre 1819. Mais l'assurance sur la vie balbutie, tâtonne jusque dans les années 1860 car il faut encore triompher d'une opinion publique, peu encline aux nouveautés, méfiante, ignorante qui assimile souvent tontine et assurance sur la vie, les considérant volontiers comme suspectes. L'assurance vie est aussi soupçonnée d'être le mobile de crimes, l'affaire Couty de la Pommerais en est une illustration. En 1864, La Pommerais, médecin est jugé pour avoir empoisonné une cliente qui avait souscrit une assurance vie en sa faveur. Ce qui relança le débat sur la cause immorale d'un tel contrat, débat resté sans effet sur la validité de tels contrats. C'est pourquoi, il faut attendre les années 1870-1875 pour que le développement de l'assurance sur la vie soit réel sous l'impulsion du développement de la fortune mobilière et de l'industrie. En réalité l'assurance vie ne prendra vraiment son essor en France qu'au lendemain de la première grande guerre. Le droit reste à la traîne de tout cela. Ce n'est que le 13 juillet 1930 que la France, sous l'impulsion de Henri Capitant, se dote d'une loi sur les assurances. Ce qui se suivra au bout de quatre décennies plus tard, par l'édiction en 1976 d'un Code des assurances.
Mais qu'est-ce que l'assurance vie ? Aucune définition ni par la loi de 1930, ni par le Code de 1976. Ce silence, étonnant, n'est pas un oubli. Il semble être, notamment, le résultat des difficultés rencontrées, en droit français, pour donner à cet accord de volontés une définition qui satisfasse les professionnels, la jurisprudence et les auteurs qui s'y étaient essayés au paravant (7(*)). Le législateur a volontairement évité de donner une définition générale de l'assurance vie qui prêterait à des controverses doctrinales insolubles et qui ne serait d'ailleurs d'aucune utilité pratique. Néanmoins, par Picard et Besson le contrat d'assurance vie est classiquement défini comme une « convention par laquelle, en échange d'une prime unique ou périodique, l'assureur s'engage à verser au souscripteur ou au tiers désigné par lui un capital ou une rente en cas de mort de la personne assurée ou de sa survie à une époque déterminée » (8(*)).
Pendant que l'assurance vie connaît plus de trois siècles d'existence et de règne dans les pays développés, il est encore des coins dans le monde où cette activité n'est guère développée sinon quasi inexistante, à cause soit de la pauvreté soit à cause du caractère immoral qu'on lui reproche ; soit enfin à cause des convictions religieuses et des tabous qu'entretiennent certains peuples sur le caractère sacré de la vie humaine. Ces disparités prouvent que le niveau de vie et l'évolution des mentalités sont les éléments déterminants de la souscription d'un contrat d'assurance vie. L'Arabie Saoudite par exemple où en 2005 on ne parle que de l'an I (un) de l'assurance (9(*)) recoupe cette réalité. Dans ce pays l'activité d'assurance était peu encouragée, car destinée à contrecarrer les desseins de Dieu. Moyennant quoi, avec un revenu annuel par habitant de 8 800 euros, les montants des primes vie et non vie par habitant étaient respectivement de 1,40 euros et de 33,20 euros en 2003. Le revenu annuel moyen par habitant est d'environ 20 200 euros en France avec au début de l'année 2004 une cotisation moyenne s'établissant à 7 354 euros. Pareille situation, sinon pire en Afrique, où l'on trouve des franges de populations vivant encore avec moins d'un dollar par jour. Impossible dans de telles conditions de souscrire un contrat d'assurance vie car tant on est incapable de faire face à la vie d'aujourd'hui, tant on ne pourra épargner pour demain. A cela un mal et un palliatif : la structure familiale trop éclatée. Un mal car le chef d'une famille nombreuse ne peut à la fois penser à aujourd'hui et à demain. Un palliatif car la solidarité est de mise dans une famille nombreuse de type africain où le chef de famille n'aura à s'inquiéter de son lendemain car il aura les siens autour de lui. Ces indicatifs supposent que l'assurance vie est encore loin du regard de certains peuples de certaines régions du monde. Par ailleurs, le succès fulgurant que connaît l'assurance vie aujourd'hui en France n'a pas été linéaire. Les statistiques et les sondages montrent les débuts difficiles de l'institution qui, par la suite ne fera que progresser de manière constante. Après la guerre, arrivent « les années laborieuses » (1945-1960), période marquée par une forte inflation (16 en moyenne). Viennent ensuite les années dites « prometteuses » (1960-1980) où l'assurance vie profite d'une conjoncture assez favorable. A ce changement trois raisons principales : «L'offre évolue et la qualité des produits s'améliore incontestablement. Dans leur présentation aux clients, les contrats deviennent de plus en plus lisibles et de plus en plus clairs ; La pertinence du service financier rendu s'améliore également et de nouveaux produits indexés sur l'immobilier ou sur les actions, sont crées afin d'offrir de nouvelles perspectives aux épargnants : ce sont les contrats en unité de compte; Enfin, les acteurs changent et la concurrence s'affermit : aux sociétés traditionnelles s'ajoute, à partir des années soixante-dix, une nouvelle catégorie d'assureurs, les bancassureurs. La compétition imposée par ces nouveaux assureurs, qui se positionnent d'emblée sur un large public et prétendent à une plus grande qualité de contrats commercialisés, va peser sur les marges des compagnies, et contribuer à améliorer le rendement des produits pour les clients » (1(*)0). C'est sur ces bases qu'arrivent enfin les années "prodigieuses" (1983-2000), marquées par un contexte économique très favorable d'inflation stabilisée et de taux d'intérêts très positifs. En 1998, près d'un ménage sur deux détient un contrat d'assurance vie pour la protection de la famille, la constitution, la gestion et la transmission de son patrimoine. "L'épargne gérée en 1999 au bénéfice des assurés par l'assurance vie est investie dans l'économie nationale pour 2814 milliards de francs en obligations, 853 milliards en actions et plus de 156 milliards en immobilier. Elle bénéficie donc également à tous les acteurs de la vie économique et, en particulier, à l'ensemble des entreprises et des salariés français"(1(*)1). Cette période prodigieuse a été aussitôt suivie d'une période de crise marquée par la baisse des cours boursiers et la crise de l'immobilier, ce qui constituait un coup dur pour les unités de compte - l'aléa étant supporté par l'assuré - et l'assurance vie en général qui ont vu leur attraction baissée du fait de la confiance dont elles n'étaient plus dignes. Il faut attendre 2003 pour voir revenir la confiance qui leur était due. L'année 2004 a confirmé, pour l'assurance française, le redressement amorcé en 2003. L'exercice 2004 restera sans aucun doute dans les mémoires des assureurs comme un cru exceptionnel. Après les années « noires », le marché français a enregistré l'an dernier le meilleur niveau de rentabilité de son histoire, et la deuxième plus forte croissance de ces dix dernières années. La bonne santé des marchés financiers et l'absence de catastrophes naturelles d'ampleur ont joué incontestablement en faveur des assureurs. Quant à la branche des assurances de personnes, précise Jean-Marc Boyer, délégué général de la FFSA : « aucun nuage ne devrait assombrir en 2005 le résultat de cette branche, qui devrait au moins se maintenir au niveau de 2004 du fait d'un environnement financier favorable et par la remontée du Cac 40 » (1(*)2) A la fin du mois de mars 2005, les cotisations d'assurance vie et de capitalisation s'élèvent à 33,3 milliards d'euros, en progression de 12 depuis le début de l'année. Cette évolution résulte d'une hausse de 25 des cotisations sur les supports en unités de compte (8,5 milliards d'euros) et d'une augmentation de 8 des cotisations sur les supports en euros (24,8 milliards d'euros) (1(*)3). A ce titre Gérard de La Martinière actuel président de la fédération française des sociétés d'assurances (FFSA) lors de son rapport annuel pour 2004 arguait que : « l'assurance est le premier véhicule d'investissement en actions des ménages » Ainsi alors que le produit intérieur brut (PIB) croît de 2,3, le chiffre d'affaire (CA) des assureurs français progresse de 11,3. La branche personnes affiche une belle hausse de 14, traduisant la bonne adaptation des produits à une forte demande de protection financière. Mais les biens et responsabilité subissent un net ralentissement avec une croissance de seulement 4 (1(*)4). Cette très forte demande d'assurance, dont témoigne l'évolution des cotisations recueillies, démontre à quel point l'assurance est devenue un élément essentiel de la « société de confiance » dans laquelle nous vivons. De plus, le bon niveau des cotisations témoigne du souhait d'épargner des français, notamment dans la perspective de leur retraite. C'est ainsi que 164 000 nouveaux plans d'épargnes retraite populaire (PERP) ont été ouverts auprès des sociétés d'assurances depuis le début de l'année 2005 (1(*)5). Admettons que les bonnes performances réalisées par les assurances de personnes en général et en particulier par les assurances vie sont dues au retour imposant des contrats en unités de compte, lequel retour a la vertu de mobiliser quatre fois moins de fonds propres que les contrats en euros, ce qui accroît d'autant leur rentabilité - outre le fait que c'est le client qui porte le risque. C'est dans cette perspective, fort et confiant de ce que cette donne représente réciproquement aux épargnants et aux assureurs des avantages non négligeables, que Jean-Michel Fourgous député UMP à l'Assemblée Nationale est auteur d'un amendement déposé le 22 juin 2005 dans le cadre de la loi sur la confiance dans l'économie (loi Breton) qui, si tout va bien - s'il survit aux lectures de l'Assemblée, du Sénat et aux décrets -, permettra à l'assuré de transformer son contrat en euros en multisupports, sans aucune contrainte spécifique d'investissement sur des fonds en actions et sans subir les assiduités du fisc. Le client bénéficiera pour ses nouveaux versements d'une gestion et d'un rendement plus dynamiques. L'assureur, lui, sera mieux rémunéré et verra ses contraintes de solvabilité allégées. Quant à l'argent, il aura peut-être un peu plus tendance à se diriger vers les acteurs économiques qui en ont besoin, les entreprises et leurs créateurs. En revanche, les assurés tentés d'aller voir ailleurs ne pourront pas faire une infidélité à leur assureur : la transformation ne s'entend qu'à l'intérieur d'un même établissement. Il n'est pas question de transferts. C'est une très bonne nouvelle pour les assurés, commente Claude Fath, président de la commission plénière des assurances de personnes à la FFSA. Ainsi poursuit-il : « des millions d'épargnants sont entrés dans les fonds en euros d'assurance vie quand les taux étaient élevés, et ils se retrouvent depuis, bloqués dans ces fonds pour des raisons fiscales. Alors que l'Europe est en panne de croissance et que les taux d'intérêts atteignent des planchers historiques, les fonds en euros vont voir leurs rendements diminuer de 0,5 à 0,6 par an. Offrir aux assurés la possibilité de mieux diversifier leur capital, c'est leur permettre d'engranger des gains supérieurs à long terme » (1(*)6). Enfin cette transformation devrait être possible au cours du dernier quadrimestre 2005, précise le député Jean-Michel Fourgous, qui s'est engagé à veiller à ce que l'esprit de la loi soit respecté dans les décrets d'application. Cet engouement pour l'assurance vie en France est ressenti partout ailleurs. L'assurance vie progresse plus fortement en Europe. « L'assurance européenne a surmonté la plus grave crise financière subie depuis la seconde guerre mondiale », s'est réjoui Gérard de La Martinière, actuel président du comité européen des assurances (CEA), lors de la présentation des résultats obtenus par le secteur sur le continent. Au vu des chiffres de collecte, la crise de 2001 et 2002 est en effet oubliée. Pour la première fois en quatre ans, le marché de l'assurance vie a crû plus vite que le secteur non vie. Les primes vie s'élèvent à 559 milliards d'euros, contre 507 milliards d'euros en 2003, soit une hausse de 6,8. Selon le Comité européen des assurances, le potentiel de croissance y est considérable, du fait des besoins en matière de retraite et d'assurance dépendance (1(*)7). En même temps que le CEA présentait son estimation de l'activité des assureurs européens, Swiss Re dévoilait son étude (Sigma n°2 / 2005) sur l'assurance dans le monde 2004. Le réassureur constate que le total des primes augmente de 2,3, les affaires vie et non vie affichant des tendances opposées au bénéfice des premières. La répartition régionale du volume de primes a également changé. Du fait de l'évolution des réglementations et des performances économiques, l'Europe a gagné 1,89 point grâce à la reprise en assurance vie, tandis que l'Amérique du nord et l'Asie ont perdu respectivement 1,8 et 0,5, essentiellement en raison de la faible demande en assurance vie aux Etats-Unis et au Japon selon l'étude (1(*)8). Est-ce pour autant l'âge d'or de l'assurance vie en France ? La question mérite d'être posée car, peut-être victime de son succès, elle a connu ces derniers temps des orages. Sa fiscalité, jusqu'alors très avantageuse, a été mise à mal tant pour le revenu de l'épargne que pour la transmission des patrimoines. Elle a suscité des appétits de la part de certains créanciers, notamment du fisc, encouragés par certaines théories aussi hardies que peu orthodoxes, allant jusqu'à dénier à l'assurance vie épargne le caractère d'assurance. C'est là qu'est né le débat sur la requalification des contrats d'assurance vie. De ce fait, l'étude que nous lui consacrons n'est pas la première. Bien dans le passé, d'autres études, analyses et réflexions ont été déjà menées sur la question et les enjeux qu'elle présente. La nôtre toute récente ne vient aucunement remettre en cause les moins récentes, mais vient alimenter la question par rapport aux décisions de la chambre mixte de la Cour de Cassation qui paraissent conforter et offrir un nouveau visage à l'assurance vie longtemps controversée quant à sa nature juridique.
La cour de cassation, réunie en chambre mixte, s'est prononcée sur la nature de certains contrats qualifiés au moment de leur souscription de contrats d'assurance vie par quatre arrêts rendus le 23 novembre 2004. Cette qualification était critiquée par des héritiers dans trois des quatre pourvois examinés, leur auteur ayant souscrit de tels contrats au profit de tiers bénéficiaires. Dans le quatrième pourvoi, la qualification de contrat de capitalisation, et non d'assurance vie, retenue par la cour d'appel, était critiquée par des établissements de crédit bénéficiaires d'une garantie constituée par un contrat souscrit par le gérant de la société auquel un prêt avait été accordé. La définition du contrat d'assurance vie reposant sur la notion d'aléa, la question posée à la Cour de cassation était donc de savoir si les contrats en cause étaient affectés d'un aléa, tant au sens du Code civil que du Code des assurances. En réponse à la question, la Cour de cassation a décidé que dès lors que les effets du contrat dépendent de la durée de la vie humaine, un tel contrat, qualifié de contrat d'assurance vie, comporte un aléa au sens des articles 1964 du Code civil, L 310-1,1° et R321-1,20 du Code des assurances. Enfin, afin de s'assurer de la compatibilité des dispositions contractuelles en cause avec le droit successoral, la Cour de cassation a vérifié que lorsque la qualification d'assurance vie avait été justement retenue par les juges du fond, le caractère manifestement exagéré des primes versées avait été examiné, au moment de leur versement, au regard de l'âge et des situations patrimoniale et familiale du souscripteur (1(*)9). En revanche, la mission qui nous est confiée pour cette tâche hardie n'est pas de faire une étude du contrat d'assurance en général, moins encore de faire une étude exhaustive des différents contrats d'assurance vie mais, plutôt de faire une analyse type de contrat par type de contrat en tenant bien sûr compte de ceux qui s'inscrivent dans la logique de ce travail pour prouver pourquoi d'un point de vue juridique ils se désolidarisent des autres contrats d'assurance. C'est également en adoptant cette démarche qu'il convient de s'interroger pour savoir s'ils ne pourraient pas être rapprochés d'autres contrats, tels le jeu et le pari, la donation, ou de certains comptes d'épargnes. La limitation s'avère dans ce sens très nécessaire pour notre travail de peur de sombrer dans l'évasion sans pour autant répondre à la question essentielle qui constitue la matière de notre étude. Il semble opportun de préciser que tous les contrats d'assurance sur la vie ne répondent pas aux mêmes conditions qui tenteraient de les confondre aux contrats de capitalisation ou à d'autres accords de volonté qui leur sont proches. Dans ce sillage se trouvent les contrats d'assurance maladie, les accidents corporels... qui ne courent aucun risque de mimétisme avec les contrats dits de capitalisation. De ce fait, pour en être certain, la prétention nous vient à priori de dire que figurent dans cette fusion avec les contrats de capitalisation, les contrats d'assurance en cas de décès vie entière, les contrats d'assurance en cas de vie avec contre-assurance, des assurances mixtes, les contrats d'assurance emprunteur... pour ne citer que ceux là. Et c'est de ces contrats particuliers que dépendra notre analyse afin de mieux les confronter avec les opérations dites de capitalisation et d'autres accords de volontés à peu près similaires. Malgré les décisions de la chambre mixte en faveur de l'assurance, une nouvelle réflexion s'impose sur la qualification des contrats d'assurance vie pour bien déceler les questions tranchées et celles laissées en suspense. A l'instar de la banque, l'assurance connaît une extraordinaire fortune économique, mais l'une et l'autre n'ont pas suivi les mêmes chemins. Alors que les opérations bancaires ont été toujours diverses, à l'origine l'activité d'assurance est une. Les mots eux-mêmes reflètent cette différence. "La banque tire son nom du comptoir sur lequel s'effectuaient les opérations du banquier: c'est l'entreprise qui a donné son nom aux actes divers du banquier. Au contraire l'assurance est d'abord un contrat, et c'est le contrat qui a donné son nom à l'entreprise de l'assureur"(2(*)0). Avec le succès est venue la puissance financière, qui à son tour a poussé les entreprises d'assurances à rechercher de nouvelles activités. Elles se sont emparées de tous les nouveaux risques que suscite l'évolution technique et économique du monde; elles l'ont fait d'autant plus facilement que les progrès merveilleux qui marquent notre civilisation rendent plus insupportable l'incertitude du lendemain. Or nos craintes devant l'avenir ne se limitent pas au coup du sort : nous nous soucions aussi de notre vieillesse ou de l'avenir de nos proches. L'assurance avait une vocation presque naturelle à occuper l'ensemble du marché de la prévoyance. Toutes ces nouvelles activités, on les a appelées"assurances", sans se rendre compte du renversement qui s'était opéré. A l'origine, c'est le contrat qui avait donné son nom à l'entreprise. Maintenant, c'est l'entreprise qui donne son nom à l'activité. Pour autant, un nouveau débat sur la qualification des contrats d'assurance de personnes pourrait sembler dépassé. Pourtant le développement de nouvelles formes d'assurances vie relance la polémique (2(*)1). De manière plus générale, la question se pose de savoir quelle est la frontière entre l'assurance et la banque. Ce que la pratique nomme la "bancassurance" traduit l'idée que des liens existent entre ces deux professions. Ils sont sans aucun doute financiers et économiques, et à ce titre débordent les compétences des juristes. Faut-il en déduire que les opérations effectuées par ces professions et que les services qu'elles proposent reposent sur un fondement juridique identique? Une telle conclusion est douteuse. Savoir si tel "produit" peut être diffusé par les assureurs ou par les financiers est un choix économique et politique. En revanche, il est difficile de nier que, si les pouvoirs publics autorisent la diffusion de certains contrats par deux catégories de professionnels, des confusions soient à craindre pour les consommateurs. Le juriste lui-même trompé par les apparences n'est pas à l'abri de certaines erreurs. Une distinction juridique claire et précise semble donc indispensable entre les opérations d'assurances "pures" et celles appartenant au domaine bancaire. Et une pareille exigence ne doit pas être comprise comme une interdiction faite à tel professionnel de pratiquer une activité, en quelque sorte, périphérique par rapport à la sienne propre. Il convient seulement de bannir toute ambiguïté sur la nature juridique de l'opération. Cette dernière préoccupation est générale en doctrine. Chacun s'interroge sur la frontière existant entre les "produits" d'assurance et les "produits" bancaires (2(*)2). Ce sentiment de flou préjudiciable est fortement ressenti lorsqu'une autre situation se rencontre : celle où deux activités d'essence différente sont pratiquées par une même profession. N'est-ce pas le cas en matière d'assurances? Celle-ci ne gère t-elle pas des contrats de capitalisation dont la nature est étrangère à celle des assurances les plus anciennes et les plus classiques ? Au-delà de cet exemple, certaines assurances-vie, notamment certaines formes récentes, ne présentent-elles pas une disparité profonde par rapport aux contrats d'assurances de dommage? Ne poursuivent-elles pas un objectif autre ? Admettre par exemple qu'elles permettent aux assurés de se constituer une épargne n'est pas le résultat d'un pur débat théorique; les enjeux pratiques sont considérables. Nous ne péchons pas par excès de questions car notre thème, figurant en bonne place dans l'actualité toute récente et brûlante de l'assurance vie, nous l'exige pour bien dégager notre problématique. Ainsi a-t-on raison de continuer d'appeler "assurances vie" tous les contrats de cette branche que proposent les compagnies d'assurances ? Réciproquement tous les contrats que l'on dénomme ainsi méritent-ils cette qualification ? Dans l'affirmative quels en sont leur fondement et leur portée au regard des droits successoral, matrimonial et fiscal ? Pour répondre à cette question qui constitue la toile de fond de notre travail, il faut opérer un retour au contrat d'assurance vie lui-même pour l'analyser en fonction de l'aléa qui le caractérise afin de lui reconnaître ou non sa vraie nature juridique. De ce fait, une nouvelle analyse de la qualification du contrat d'assurance vie passe par l'étude de l'existence de l'aléa en son sein. Celui-ci devrait permettre de vérifier si tous les accords de volonté ayant reçu la qualification d'assurance vie font partie de la même famille juridique. La première partie de ce travail sera consacrée à l'étude du débat sur la requalification du contrat d'assurance vie (I) au travers de l'aléa et à la démonstration de la parenté qu'il a avec les autres accords de volonté qui lui sont proches. La seconde partie tranchera le débat sur la requalification (II) suivant les nouvelles orientations de la Cour de cassation sur la question, dictées par sa position issue des arrêts de sa Chambre mixte du 23 novembre 2004. * (1) V. Nicolas, Essai d'une nouvelle analyse du contrat d'assurance, Thèse, Paris, L.G.D.J.-E.J.A. 1996, p. 11. * (2) J. Bigot, in Préface, J-A Chabannes et N. Eymard-Gauclin, Le manuel de l'assurance vie, L'Argus Editions, 3e éd. 2004, p. 8. * (3) J-A Chabannes et N. Eymard-Gauclin, Avant-propos, Le manuel de l'assurance vie, L'Argus Editions, 3e éd. 2004, p. 9., E. Giraud, L'assurance vie, le guide pratique, Prat Editions, Collection Argent, mars 2005, p. V. ; Michel Polacco (Directeur de France info) in P. Lelong, Avant-propos Assurance vie et transmission, Editions Jacob-Duvernet. J. Bigot (sous la dir.de) Traité du droit des assurances, Tome III Le contrat d'assurance. L.G.D.J, 3ème éd. 2002, n° 153, p. 112. * (4) B. Beignier, Droit du contrat d'assurance, PUF., 1999, pp.13-21. * (5) V. Nicolas, Essai d'une nouvelle analyse du contrat d'assurance, Thèse, Paris, L.G.D.J.-E.J.A. 1996, pp305-308. * (6) M. Belmont et T. Deschanels, Assurance vie et transmission de patrimoine : Pièges, astuces et fiscalité, Dalloz, éd. l'Argus de l'Assurance 2001.pp.11-18. * (7) V. Nicolas, Essai d'une nouvelle analyse du contrat d'assurance, Thèse, Paris, L.G.D.J.-E.J.A. 1996, p. 21.
* (8) M. Belmont et T. Deschanels, Assurance vie et transmission de patrimoine : Pièges, astuces et fiscalité, Dalloz, éd. l'Argus de l'Assurance 2001.pp.11. * (9) L'Argus de l'assurance, n° 6938, 15 juillet 2005. P.26 Voir aussi R. David et C. Jauffret-Spinosi, Les grands systèmes de droit contemporains, Précis Dalloz, 10e éd., 1990, n°435, p. 381 : « La chari'a, pénétrée de formalisme, demande que la lettre de la loi, plutôt que son esprit, soit respectée. Bien des règles de droit musulman peuvent par suite être privées d'effet, pourvu seulement qu'elles ne soient pas directement violées (...). Les contrats aléatoires, en particulier le contrat d'assurance sont interdits ; mais le péché n'est commis que par celui qui perçoit la prime : on peut donc s'assurer auprès d'une compagnie d'assurances étrangère ou auprès d'un non musulman ». * (10) M. Belmont et T. Deschanels, Assurance vie et transmission de patrimoine : Pièges, astuces et fiscalité, Dalloz, éd. l'Argus de l'Assurance 2001. P.19. * (11) Rapport du conseil des impôts: Une présentation contestable de l'assurance vie, La lettre de l'assurance n°80, 22 juin 1998 et Données clés 1999, FFSA.. * (12) L'Argus de l'assurance, n° 6935, 24 juin 2005. P.8. * (13) FFSA infos, Assurer / n° 49 - 11 mai 2005. * (14) L'Argus de l'assurance, n° 6936, 1er juillet 2005. P.35. * (15) FFSA infos, Assurer / n° 49 - 11 mai 2005. * (16) L'Argus de l'assurance, n° 6936, 1er juillet 2005. P.9 Voir aussi Legifrance, le site assemblée-nationale.fr et Assurer / n°53 - 6 juillet 2005 FFSA infos 3. * (17) L'Argus de l'assurance, n° 6936, 1er juillet 2005. P.39. * (18) www.cea.assur.org et www.swissre.com * (19) http://www.courdecassation.fr/agenda/agenda_new/communiqué(3).htm Voir aussi : R.G.D.A. 1/2005, L.G.D.J. 2005, pp.110 et ss. * (20) J. Héron, in Préface,V. Nicolas, Essai d'une nouvelle analyse du contrat d'assurance, Thèse, Paris, L.G.D.J.-E.J.A. 1996, p.4. * (21) M. Grimaldi, « Réflexions sur l'assurance vie et le droit patrimonial de la famille », Rép. Défr. 1994, art. 35841, pp. 737 et s. * (22) J. Bigot, J.C.P. 1992, I, n° 3622. J. Bigot, « Clair-obscur sur l'assurance vie. De l'arrêt Pelletier à l'arrêt Praslicka », J.C.P. 1993, éd. G ; n° 3718. |
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