Contentieux Electoral et Etat de Droit au Tchad( Télécharger le fichier original )par Eugène Le-yotha Ngartebaye Université Catholique d'Afrique Centrale - Master Droits de L'homme et Action Humanitaire 2004 |
Section 2 : L'EXAMEN DES REQUETESC'est ici que le juge procède à l'examen des griefs à lui formulés par les requérants. Il est amené à leur dire s'ils avaient raison ou pas; de les rétablir de leurs droits si possible. S'agissant des élections, ce travail attire l'attention de tout le peuple. Chaque prise de position du juge est sujette à interprétation, à commentaire. Ce travail fait apparaître la double face du juge: tantôt considéré comme garant potentiel du droit électoral (§2), tantôt comme fossoyeur dudit droit (§1). §1 : Le juge électoral : gardien du pouvoirAprès la libération de l'espace survenue depuis les années 1990, les citoyens aspirent de plus en plus à la liberté. C'est au nom de cette liberté qu'ils ont décidé de changer leurs dirigeants au moyen des élections dans les conditions prévues par la loi. Mais très souvent, ces élections apparaissent très tôt comme des lieux de cauchemar; ce qui amène les citoyens à se tourner vers le juge pour que leur volonté soit respectée. Le recours aux juges se fait avec beaucoup d'enthousiasme, de confiance car les juges sont ici vus, selon l'expression de Daguesseau, "comme les enfants de très haut"67(*). Mais ces voeux ne sont pas souvent exhaussés vu l'interprétation abusive des dispositions de la loi qu'en fait le juge. En effet, dans l'affaire des neufs candidats à l'élection présidentielle contre la CENI68(*), le juge devrait dire si le fait pour cette dernière (CENI) d'installer des bureaux de vote en dehors des représentations diplomatiques et consulaires était conforme à l'article 69 de la loi n°004/PR/95 du 22 mars 1995. L'article 69 dispose que: "les citoyens tchadiens établis hors du Tchad et régulièrement immatriculés dans les représentations diplomatiques et consulaires peuvent prendre part au référendum constitutionnel et aux présidentielles dans les dites représentations". Devant une disposition assez limpide et claire, le juge dit que : "la décision de la CENI de créer plusieurs bureaux de vote en dehors des représentations diplomatiques et consulaires a été guidée par le souci de permettre à tous les Tchadiens à l'étranger d'exercer leurs droits civiques." Il a refusé de reconnaître cette violation qui le conduirait à l'annulation des votes des Tchadiens de l'extérieur. Le juge apparaît ici comme soutenant l'arbitraire69(*). Cette position arbitraire du juge ressort de manière beaucoup plus manifeste dans l'administration des preuves. Cette exigence du juge en matière de preuve se situe dans la logique des professeurs Louis Favoreu et Loïc Philip lorsqu'ils affirmaient que « la jurisprudence en matière électorale a toujours été dominée par le principe de l'influence déterminante : le juge ne prononce l'annulation d'une élection que si les faits invoqués par les requérants ont eu une influence suffisante pour fausser le résultat du scrutin »70(*) Ainsi, pour une bonne partie des recours intentés contre les résultats, le juge se borne sur cette fameuse phrase: "les requérants n'apportent pas de preuves suffisantes à l'appui de leurs recours"71(*) ou de "déclarer la requête prématurée"72(*). Toutes ces prises de positions se justifient par l'issue des décisions qui serait à l'évidence défavorable au pouvoir politique en place. Le juge procède à une "autocensure" ou "d'excessive retenue". A travers l'analyse du contentieux électoral, les solutions retenues par les juges semblent reposer davantage sur des considérations politiques que sur des fondements juridiques73(*). Cependant, force est de reconnaître aussi que le juge électoral se comporte parfois en garant des droits électoraux. * 67 Daguesseau cité par Djuidje B.:"le statut du juge judiciaire camerounais: un tableau contrasté" in Annales, FSJP, Dschang, Tome 3, 1999, P48. * 68 Arrêt de la cour d'appel, répertoire n°001 du 05 juin 1996. * 69 Olinga A.D,"le contentieux ... op.cit p229. * 70 Les grands Décisions du Conseil Constitutionnel, Paris, 1995, p 27 * 71 Répertoire n°002/96, arrêt de la cour d'appel du 19 juin 1996, décision n°006/PCC/SG/02 du 16 juin 2002. * 72 Décision n°004/PCC/SG/02 du 21 avril 2002. * 73 Cette attitude ressemble à des égards à la position adoptée par les juges dès les premiers jours de l'indépendance. Ils avaient mission de construire l'unité nationale, sauvegarder l'intégrité territoriale et de promouvoir le développement économique. Au nom de ce triple mission, le respect des libertés publiques, même affirmé par les textes les plus importants, était relégué au second plan. |
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