Photos numériques : implications
socio-sémiotiques
Thèmes et contextes d'échange
Le partage des photos numériques pour
l'échantillon enquêté obéit à une
fréquence régulière. La plupart des personnes
enquêtées déclarent échanger des photos
numériques avec leurs familles ou amis souvent et plus
particulièrement lors des voyages et des grandes
cérémonies. Les thèmes des photos échangées
peuvent se rapporter à « tout et n'importe quoi »
selon l'expression de Amine. Et c'est justement « le forfait
illimité » qu'offre le caméscope (Prise
instantanée des photos avec visualisation directe sur l'ordinateur) qui
est à l'origine de cette pratique du tout photographiable.
Les scènes de la nature font partie
prépondérante des objets photographiés. Elles
requièrent pour la population enquêtée des dimensions
purement esthétiques tout en offrant aux personnes qui les
méditent des modalités de lecture variées.
Nous citons à ce propos le témoignage de
Tamila :
« Parfois les images de la nature, le soleil qui
se couche c'est incroyable, parfois c'est une petite fleur, un visage,...Tu
vois ? Maintenant c'est très facile de faire des photos et dire
ensuite ce sont des chef-d'oeuvres, des tableaux artistiques auxquels ont peut
donner de différentes interprétations ». Tamila, 33
ans
Les thèmes des objets photographiés avec le
caméscope renvoient également à des portraits
intéressants d'hommes ou de femmes, à des auto-portraits,
à des fêtes et des instants d'amitié et plus
généralement à des objets différents de la vie
quotidienne.
La photo numérique comme moyen de
communication
Etant donné que l'appareil photo numérique
offre la possibilité de voir instantanément les photos prises,
les cadres de l'acte photographie deviennent très réduits tout en
élargissant l'imagination du photographe, ce qui accroît le nombre
des photos réalisées dans des postures bizarres et
« débranchées ». Or, même si l'on peut
prendre de telles photos dans le mode argentique, le numérique demeure
plus propice et encourageant :
« Même avec l'appareil traditionnel tu
peux faire des photos de différents endroits : des pieds , de la
tête, des différentes parties du corps, mais le numérique
encourage plus, tu vois c'est comme un film ». Tamila, 33 ans
Si la photo numérique est considérée
comme un moyen de communication c'est parce qu'elle nous renseigne sur la vie
privée des gens. Avec laquelle, les scènes de la vie quotidienne,
les moindres détails même bêtes ou futiles peuvent
requérir des significations intenses chez les différents usagers.
A cet effet, Amine nous relate l'histoire de ce monsieur parti en voyage au
Japon et qui s'amusait à prendre des photos des toilettes, des sandwichs
qu'il consommait, bref de tout ce qui s'offrait au champ visuel de son appareil
photo numérique.
Saïd soutient l'histoire de Amine tout en ajoutant
qu'avec la technologie beaucoup de personnes cherchent à s'affirmer.
Cela ne se réalise pas uniquement à travers la photo
numérique mais aussi par d'autres moyens. Dans le domaine d'Internet, il
peut s'agir par exemple des gens qui construisent leurs sites perso avec des
touches très personnelles au niveau du contenu, de la conception
graphique, des couleurs, etc.
Pour appuyer l'histoire de l'homme japonais racontée
par Amine, Saïd fait référence à un autre exemple qui
rentre dans le cadre de l'art culinaire. C'est l'histoire du tajine qu'il a
réussi, qu'il a photographié avec son caméraphone, qu'il a
montré à ses parents pour leur faire preuve de son progrès
: « Je peux montrer la photo à mes parents, à
ma mère, voici j'ai appris à faire un tajine... C'est comme la
preuve, voilà j'ai réussi à faire ça, j'ai la
preuve que j'ai fait ça, donc je veux dire il faut me croire ».
Saïd, 24 ans
Il ressort de ces deux exemples que la technologie
altère notre rapport au quotidien. Elle révèle une
certaine volonté de s'approprier les choses et de dominer l'espace. Nous
pouvons aisément comprendre cette idée si l'on constate que dans
le champ de la photo numérique en particulier, n'importe quel objet,
n'importe quelle situation peuvent être photographiés et
montrés aux autres, selon une mécanique répétitive
qui donne aux objets qui semblent les plus banals les dimensions les plus
larges.
Les situations de la vie privée appartiennent
évidemment à la sphère des objets photographiés
selon le mode numérique. Pour la plupart des personnes
interrogées, la circulation des photos numériques dans la vie
quotidienne est devenue une pratique courante ; elle est favorisée
par la facilité de prendre un grand nombre de photos et de les
échanger entre un nombre assez important d'utilisateurs. Cet
échange est tout à fait normal lorsqu'il s'agit de partager des
photos entre amis ou membres de la famille, mais parfois il peut
entraîner des conséquences graves sur la vie privée. Parmi
lesquelles par exemple la manipulation des photos personnelles et leur partage
entre les différents usagers ou notamment leur diffusion sur le
réseau Internet. Les photos argentiques, faut-il préciser, sont
également soumises à la possibilité de manipulation et de
diffusion à travers Internet (après leur scanérisation),
mais avec des chances beaucoup plus moindres par rapport aux photos
numériques qui sont plus accessibles
En fait, l'exposition de la vie intime à travers les
photos numériques est qualifiée par l'ensemble des
enquêtés comme étant un acte inadmissible sauf s'il s'agit
d'envois nécessaires de photos pour les services de renseignements. Mais
en général photographier la vie privée sans permission de
l'autre reste toujours un acte « moralement et éthiquement
interdit ». Cette exhibition de la vie privée au biais des
photos numériques menace, selon notre échantillon
interrogé, le droit à la vie privée d'autant plus qu'elle
nuit à l'image de soi qui devient appropriée par l'autre.
« Ça agresse l'intimité, donc
finalement la personne a pris ce choix de donner une image de soi, donc on a
plus ce droit à l'image, quand on se l'approprie on la
touche ». Amal, 24 ans
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