Les implications socio-sémiotiques et esthétiques du partage des photos numériques et des MMSpar Mahdi AMRI Université Bordeaux 3 - Master 2 R Sciences de l'Information et de la Communication 2006 |
2- Dimensions sémiotiquesA la différence d'autres objets photographiques, les objets numériques, dont les MMS n'ont pas de forme matérielle. Dès lors, comment peut-on interpréter ces messages ? En fait, avec ce nouveau support qu'est le caméraphone, la photographie devient banalisée, à la façon des messages SMS, et l'échange des MMS entre les destinataires acquiert de nouvelles significations. En effet, avec un logiciel et un ordinateur adaptés, il est relativement facile de prendre une image numérique envoyée par MMS et de l'importer. Avec le logiciel et les compétences appropriées, il devient ensuite possible de la manipuler, de lui ajouter un texte ou de la recadrer sous un jour nouveau pour la renvoyer. Par conséquent, on entre dans une forme pure d'interaction visuelle, qui se base sur le sens visuel et l'imagination en tant que tels, au moins autant que sur le langage et la réflexion. Que devient donc réellement la photographie lorsque les acteurs sociaux s'en emparent et s'échangent des clichés ? Peut-ont attribuer au MMS une certaine immatérialité et « intemporalité » qui le distingue nettement de la photo argentique à la fois matérielle, indicielle et inscrite dans le temps ? (car le MMS peut « voyager » d'un destinataire à un autre sous de nouvelles morphologies visuelles). De plus, quelles pourront être les caractéristiques sémio-techniques du MMS et quelle est finalement la singularité de ce nouveau mode de communication visuelle ? En fait , à travers les MMS, les utilisateurs cherchent de plus en plus à expérimenter de nouvelles significations issues d'activités médiatisées par la technologie. Ils semblent construire avec leur entourage un rapport codé à leur environnement et leur intimité, grâce au jeu métaphorique que permet l'image accolée à un texte.64(*) Ce rapport texte/image est essentiel dans le cas du MMS, car la photographie envoyée et reçue par MMS porte en elle les signes d'une intention communicationnelle tacitement admise. Ainsi, la même image, envoyée sans le texte de précaution, devient un autre message, livré à l'univers des possibles et des interprétations diverses. En effet, les jeux de signification que permet l'image par rapport au texte sont riches et variés, et nous renvoient directement à des structures linguistiques qu'il est tentant de rapprocher de la pratique MMS. A ce propos, la prédiction initiale d'Anne BEYAERT, partagée sans doute par beaucoup de chercheurs en sciences humaines, est à minimiser : les nouveaux médias informatisés ne produisent pas nécessairement des nouvelles formes sémiotiques inédites, mais plutôt des assemblages plus vifs - les outils linguistiques demeurent toujours valides dans une certaine mesure pour leur appréhension.65(*) En fait, Le texte qui accompagne la plupart du temps les photos envoyées par MMS n'est qu'une instruction de lecture de l'image, ( Ceci est mon nouveau costume de soirée) comme peut l'être par exemple le commentaire que l'on fait, lorsque l'on tend une photo traditionnelle à un ami. Cependant, l'emploi redondant et pléonasmique du texte envers l'image dans le MMS est une spécificité qui nous semble par son caractère paradoxal, ou du moins curieux, signifier quelque chose dans l'économie générale des messages MMS. Et ce pour deux raisons essentielles : Premièrement, pour ancrer le message que l'on voudrait transmettre par un MMS en s'éloignant des sens polysémiques que peut avoir un seul texte/image. Deuxièmement, parce que le cadrage particulier du MMS « exige » l'ajout du texte à l'image envoyée. En effet, opérant un découpage focal particulier sur les événements, le caméraphone offre une vision directe sur l'intimité du propriétaire du téléphone dans un espace circonscrit étroitement par son bras.66(*) Par conséquent, les textes qui accompagnent les MMS sont donc autant les instructions pour décoder les indices manquants que pour pointer dans l'image les signes de la proximité que l'on veut partager avec son interlocuteur privilégié. Les messages recueillis montrent que les utilisateurs dosent savamment les indices visibles que donne à voir la photographie avec les instructions de lecture et les commentaires présents dans le texte : l'utilisateur s'arrange toujours pour offrir à son lecteur les moyens de décoder les signes cognitifs usuels présents dans la photo (« Me voici dans le parc», avec une image d'un autoportrait derrière lequel on voit des arbres) en balance avec leurs propres codes personnels (« Je suis à MC Donald avec mes camarades de classe », on distingue le logotype de MC Donald sur les verres de boissons gazeuses au milieu de la photo. Si l'on réfléchit un moment à ce rapport texte/image dans le MMS on peut en déduire que le MMS est une combinaison d'un visuel avec du texte dans une visée manifeste de communication interpersonnelle. Ainsi, le MMS est à la photographie numérique ce qu'est dans une certaine mesure la carte postale dans son rapport à la photographie argentique : une volonté de faire partager une photo de vacances avec ses proches , incluant un commentaire de quelques mots. En effet, dans le cas des cartes postales, les gens les envoient typiquement quand ils sont en vacances : c'est leur lieu de prédilection dans la vie ordinaire. Les gens s'en servent pour dire qu'ils sont loin, pour partager quelques informations concernant leurs activités et pour formuler les émotions qui s'y rattachent. En apparaissant depuis cet arrière-plan, les MMS sont interprétés comme des cartes postales. Leurs usages ne peuvent par la suite que prolonger ou « remplacer » des pratiques photographiques existantes.67(*) * 64 HOREL B. (2005), « Analyse socio-sémiotique du message multimédia mobile (MMS) : de la plasticité de l'image numérique vers une nouvelle poétique d'écriture », op. cit. * 65 Ibidem. * 66 Ibidem. * 67 KOSKINEN I., KURVINEN E. (2002 ), « Messages visuels mobiles : Nouvelle technologie et interaction », op. cit. p. 122. |
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