Les implications socio-sémiotiques et esthétiques du partage des photos numériques et des MMSpar Mahdi AMRI Université Bordeaux 3 - Master 2 R Sciences de l'Information et de la Communication 2006 |
Ainsi, avec la photo numérique le statut de la preuve change. L'image fonctionnera de moins en moins comme attestation irréfutable d'un ça-a-été, et de plus en plus comme simulation. Cela ne signifie pas qu'elle cessera de modéliser notre croyance, mais qu'elle produira probablement un nouveau modèle de vérité.46(*)Dans son ouvrage « Du photographique au numérique : la parenthèse indicielle dans l'histoire des images » Pierre BARBOZA explicite ce point. Il considère que le passage par le langage informatique fait perdre à la photographie numérique sa dimension indicielle. Selon Barboza : « Les technologies numériques ne manipulent pas directement les indices du temps, mais des représentations symboliques des signaux temporels. Le respect de la continuité du présent, de la fixité ou du mouvement ne dépend plus du procédé. La représentation n'est plus déterminée par la seule présence du référent au moment de la prise de vue, mais toujours plus par des considérations, purement conventionnelles d'intelligibilité et de lisibilité. » 47(*) Néanmoins, la photographie numérique reste malgré tout - contrairement à ce que l'on peut croire - un objet indiciel. Elle est à la fois comme le souligne Louise MERZEAU 48(*) information et indice, (elle intègre des modalités indicielles spécifiques) ; elle reproduit la réalité mais avec des promesses de traitement. Sur ce point, les capteurs numériques sont de bons opérateurs de correspondance pixel par pixel. Ils sont physiquement forcés de correspondre à la nature. Par conséquent, une photographie numérique tout comme une photographie analogique est sémiotiquement indicielle. Image numérique et calculL'histoire de la création des premières images numériques montrera que l'effort porte sur des moyens qui, en eux-mêmes, ont peu à voir avec l'image, mais plutôt avec la puissance de calcul des ordinateurs. L'image numérique est en effet indissociable de l'ordinateur, c'est à dire du traitement automatique de l'information. Le calcul résume bien l'étrange nouveauté des images numériques. Que le support d'inscription soit chimique ou bien électronique, la chambre noire - la camera obscura dessinée par Léonard de Vinci au 16ème siècle - reste le principe de base des images qui reproduisent directement, par saisie optique de la lumière, un fragment de la réalité. Mais avec les algorithmes de l'ordinateur, la figure n'est plus émanation, mais calcul. Ce qui veut dire : projection en acte d'un modèle abstrait, indéfiniment mobile et transformable. Numériser l'image, c'est donc couper ce cordon de lumière ombilical qui la reliait à un corps, et restaurer la coupure sémiotique suspendue par la "parenthèse indicielle" de la photographie.49(*) Plus concrètement parlant, la numérisation des images consiste à découper ces données sous forme d'informations élémentaires et à coder chaque élément obtenu sous forme de nombres entiers. Les nombres binaires composés uniquement de zéros et de uns, peuvent s'écrire sur une multitude de supports, bandes magnétiques, disques durs, supports optiques.50(*) Une image sera découpée en une mosaïque de pixels de façon à la convertir en mode points. C'est le calcul donc qui se trouve enrôlé pour imiter tout à la fois la saisie optique et l'enregistrement physique. En fait, l'image numérique est composée de petits fragments "discrets", ou points élémentaires appelés pixels, à chacun desquels sont affectées des valeurs numériques qui permettent à l'ordinateur de donner à chaque pixel une position précise dans l'espace bidimensionnel du support (une feuille de papier ou le plus souvent un écran vidéo) à l'intérieur d'un système de coordonnées généralement cartésien. A ces coordonnées spatiales s'ajoutent le plus souvent des coordonnées chromatiques auxquelles correspondent sur l'écran des éléments phosphorescents rouges, verts, bleus dont le niveau de luminosité peut également varier et qui par synthèse additive sont susceptibles de restituer un grand nombre de teintes, couramment supérieur à 16 millions par point. Ces valeurs numériques font de chaque fragment un élément entièrement discontinu et quantifié, distinct des autres éléments, sur lequel s'exerce un contrôle total. Ainsi, une image numérique peut être dupliquée à l'infini 51(*) - grâce aux technologies informatiques qui permettent effectivement de recopier bit à bit ces images. Ce qui fait du pixel l'objet d'un traitement autonome et distinct. De ce fait, manipulation, mélange mais aussi dématérialisation seront-ils les maîtres mots utilisés pour évoquer la nouveauté des images numériques.52(*) Le numérique introduit en effet la coupure du calcul dans la relation de contiguïté qui unissait l'empreinte au référent. Pour autant « la parenthèse indicielle » ne se referme pas aussi simplement. C'est cette combinaison de l'intraitable et du traitement qu'il faut penser pour comprendre comment le régime de vérité attaché à la photographie risque d'évoluer. D'un côté, le caractère fondamentalement (et non plus accessoirement) manipulable de toute image provoque une crise de la croyance, qui rejaillit sur l'ensemble des médiations. D'un autre côté, les images deviennent des simulacres toujours plus séduisants et convaincants, précisément parce que les algorithmes dont elles sont issues s'appliquent indifféremment à des objets réels ou imaginaires. A ce niveau, et au-delà de ces questions techniques, on peut légitimement se demander : qu'est ce qui change le plus profondément avec l'introduction du calcul dans le monde des images ? En d'autres termes, quelles sont les conséquences de ce changement de codage sur la matérialité de l'image numérique ? * 46 Entretien avec Louise MERZEAU, Idem. p. 3. * 47 BARBOZA P. (1996) , Du photographique au numérique : la parenthèse indicielle dans l'histoire des images, op. cit. p. 31. * 48 Entretien avec Louise MERZEAU, Ibidem. p. 3. * 49 MERZEAU L. (2002 ) , « Des images à écrire », Dossier : Quand les images rencontrent le numérique, op. cit. p. 50. * 50 GAUDIN J. (2002 ), «Qu'est ce qu'une image numérique ? », Dossier : Quand les images rencontrent le numérique , Médiamorphoses, n°6 , p. 100. * 51 GAUDIN J. (2002) , « Qu'est ce qu'une image numérique ? », Médiamorphoses , Idem. p. 100. * 52 COUCHOT E. (1987) , « Sujet, Objet, Image », Cahiers internationaux de sociologie, vol LXXXII, Paris, PUF, pp. 85-97. |
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