CONCLUSION
Jacques Majorelle (1930)
Depuis son adoption en 1972 par la Conférence
générale de l'UNESCO, la
Convention concernant la protection du patrimoine mondial
culturel et naturel exerce touj ours une influence
prépondérante dans la préservation du patrimoine culturel
et naturel de notre planète, et ce dans toute sa diversité.
Dans cette dynamique internationale, il ne s'agit pas
simplement de préserver les témoins du passé, mais
plutôt de faire en sorte que la protection du patrimoine s'accompagne
d'un développement qui respecte, au lieu d'anéantir, les
ressources de l'humanité et de la nature.
Néanmoins, la Convention qui est le fondement du
patrimoine mondial est toujours à la quête de nouveaux
adhérents (Le Sierra Leone est le dernier en date à avoir
ratifier la Convention en mars 2005) et cherche encore à être bien
assimilée par de nombreux pays. L'Unesco cherche également
à rendre la Liste plus crédible car celle-ci dénote de
loin une répartition non équilibré au profit des pays du
Nord (l'Europe notamment).
La Convention présente toutefois, des limites majeures
qui se constatent à deux niveaux :
Au niveau du concept même du patrimoine mondial dont la
qualification sur un bien n'est effective que si celui-ci figure sur la Liste.
C'est dire que le patrimoine mondial est un concept plus reductuer et moins
fédérateur, qui reste subordonné à l'inscription.
Laquelle inscription émane à priori des Etats signataires
plutôt que des détenteurs réels du patrimoine en question,
qui se retrouvent le plus souvent en position de
«copropriétaires» sans le savoir. L'appropriation
(élément de définition du patrimoine souvent
évoqué) d'un site ou d'un bien à une échelle
universelle est de ce fait artificielle.
Au niveau de biens ayant un caractère exceptionnel mais
ne figurant pas sur la Liste car l'action de la Convention est
confrontée à la souveraineté des Etats. L'inscription sur
la Liste demeure foncièrement tributaire du bon vouloir des
collectivités nationales. Elle se heurte d'autre part, à la
résistance de certains pays à vouloir inscrire des biens sur la
Liste : le cas de la Syrie ici - par rapport au Crac des Chevaliers-
est assez éloquent. Néanmoins, elle a fait preuve d'une
grande souplesse quant à l'inscription de Jérusalem,
alors que la souveraineté sur le lieu est un objet de conflit
historique.
Force est de dire que l'Unesco ne cesse d'encourager les pays
à proposer des biens en vue de les classer dans le patrimoine mondial.
Jusqu'à présent, la Convention profite aux pays qui ont su en
faire bon usage.
Cependant, par rapport aux contraintes qui entravent l'action
de l'Unesco, les avancées de la Convention depuis 1972 sont plus
importantes. Elle a d'abord anticipé
d'au moins deux décennies des réflexions
actuelles qui s'articulent autour des thèmes tels l'authenticité
(Document de Nara en 1994), et les liens indissociables entre le
culturel et le naturel, entre l'humain et l'environnemental ; ce qui a
révélé les prémisses de deux concepts
d'actualité qui ont marqué la paysage patrimonial de cette
dernière décennie ; à savoir le concept des paysages
culturels (les Orientations) et celui du patrimoine immatériel
(Convention de 2003 sur le patrimoine immatériel).
Ces Avancées ne pouvaient être
réalisées sans un instrument normatif qui a su accompagner
l'évolution de ces concepts. La Convention de 1972 a trouvé dans
les Orientations la solution qui répond aux aspirations de ses
auteurs.
Lesquels auteurs ont su consacrer des valeurs
d'universalité sans pour autant s'apparenter à la mondialisation.
Les valeurs du patrimoine mondial sont devenues le refuge des
sociétés moins avancées mais riches sur le plan culturel :
la solidarité des nations au lieu de la concurrence, l'entraide à
la place de la défense d'intérêts, la diversité au
lieu du modèle unique.
La Convention de 1972 - au même titre que les
Recommandations et les Chartes qui découlent de l'Unesco - n'est pas une
fin en soi, mais un modèle de bonne gestion des sites qui appartiennent
aux collectivités nationales, qu'elles soient signataires ou pas de la
Convention. Elle encourage non seulement l'adhésion à ses
principes, mais également le développement de deux domaines
inhérents à la bonne gestion : la formation et la
législation.
La gestion des sites du patrimoine mondial est devenue une
affaire de tous les acteurs : sociaux, politiques, et économiques. Le
Maroc est l'un des pays qui a tendance à s'investir dans cette synergie
(le cas de Fès, de Marrakech, de Meknès, et d'Essaouira), mais
malheureusement certains de ses biens inscrits sur la Liste du patrimoine
mondial sont loin d'être inscrits dans cette dynamique, à l'image
surtout du Ksar Aït Ben Haddou.
Le Ksar des Aït Ben Haddou - à la
différence des autres sites - tire sa révérence de son
inscription sur la Liste, alors qu'il ne s'agit pas du modèle type de
l'architecture vernaculaire des vallées présahariennes du Maroc.
Il est sorti de l'anonymat - même au niveau national - grâce
justement à cette inscription.
Néanmoins, Ce bien est confronté à une
réalité à la fois désolante et paradoxale. Entre
l'éclatement et la dégradation dues à l'abandon du site
par ses occupants légitimes, le ksar est entrain de perdre à
jamais sa fonction originelle : celle de l'habitat ; mais il engendre de
nouveaux enjeux socioéconomiques liés à son classement
dans le patrimoine mondial. En tant que village communautaire
authentique, il ne vit que dans la mémoire des générations
qui y avaient vécu, et dans les rapports de mission
des experts sollicités par l'Unesco ou le PNUD, et qui
font tous office d'un constat alarmant.
Alors que le ksar est sujet à un processus de
dégradation avancé et irréversible, les missions et les
recommandations se multiplient en vain. Une dynamique communautaire commence
à ressurgir sur le site mais elle demeure limitée devant le
manque de confiance de la part des pouvoirs locaux.
Donc, il y a lieu renforcer à la fois l'action
communautaire et associative, de façon à ce que l'une nourrit
l'autre sans que l'une n'exclut l'autre. L'approche associative et/ou communale
dans la gestion des affaires du site ne doit pas se substituer brutalement
à la gestion communautaire, mais elle devrait s'inscrire dans son
prolongement.
Entre des ateliers de consultation tenus fin 2003 (agenda 21
local) et peu prometteurs, et un Plan de gestion qui n'arrive pas
à voir le jour d'une part, et la résistance de l'autorité
marocaine chargé de la Culture à l'inscription du bien sur la
liste du patrimoine en péril (sachant par définition que la perte
d'un patrimoine est un sacrifice, mais sa sauvegarde suppose également
un sacrifice) d'autre part, le prestigieux ksar continue à se
dégrader.
En outre, les programmes à vocation internationale
et/ou régionale qui s'articulent autour du thème du
développement (PNUD, ONU-Habitat, RBOSM, Euromed, PACT, ITUC, etc.)
semblent être ignorés ou du moins négligés par
les gestionnaires du site. Il est vrai qu'on risquerait de se « perdre
» dans la multitude des programmes, mais il suffit juste d'opter pour les
plus favorables au site et sa population, et ceux qui présentent plus de
convergences et plus d'atouts pour le site sans pour autant engendrer des
conflits de compétences.
Et s'il y a vraiment des axes à développer en
faveur du site et sa population, ce sera bien la sensibilisation de la
population et des usagers, l'éducation de la jeune
génération, et la formation des gestionnaires. Une
démarche qui doit être menée en amont, et devrait
être accompagnée d'une délégation de certains
aspects de la gestion à la population, pour un regain de sa confiance.
La recherche d'un consensus au niveau des partenaires sociaux est capitale afin
que toute intervention ait une légitimité et une acceptation
locale.
Un autre axe est amené à être
développé, au niveau de la gestion de la sauvegarde proprement
dite du ksar. Il s'agit de la recherche de la meilleure manière de
mettre en oeuvre le texte de classement du site et les documents urbains en
vigueur. C'est au niveau de la diffusion et la sensibilisation chez la
population que cela devrait être possible. Et l'idéal serait la
recherche d'optimisation du classement, en ce sens qu'il
soit en mesure de préserver le ksar et son
environnement sans que la dynamique sociale et économique ne soit
figée.
Au-delà de l'inscription sur la liste du patrimoine
mondial en péril - tant recommandé par le Comité du
patrimoine mondial et porteuse d'espoir pour le ksar - le Maroc est
appelé à développer d'autres créneaux :
Renforcement des capacités du Cerkas (Statut, formation
continue, etc.), la gestion de proximité (création d'une antenne
sur le site) et les partenariats.
En matière de réhabilitation, les
autorités locales hésitent à investir sur le site et
paraissent plus soucieux de la recherche d'une rentabilité sociale de
leur investissement. La population - quant à elle - se déclare
prête à occuper le ksar si les investissements publics sont
réalisés à court terme. Ce climat dénote une crise
de confiance entre ces deux acteurs. Les promesses de la population
reflètent plus un attachement à leur patrimoine immobilier
qu'à une volonté sérieuse de loger à nouveau dans
leur village ancestral. Par contre, leur volonté de s'investir dans une
dynamique touristique prend le dessus.
L'idéal serait de développer les
activités économiques porteuses et génératrices de
revenus et qui seraient en permanence rapportées au patrimoine culturel
du site et ayant un effet de retour sur le ksar, ou du moins sans effet
négatif sur son intégrité ; chose qui n'est pas du tout
facile, faut-il le reconnaître. Dans cette dynamique, il convient de
développer l'agriculture, qui doit rester l'activité majeure du
site, ainsi que l'artisanat, et d'autre part, il est impératif de
développer les valeurs éthiques du tourisme
(équité, engagement, transparence, partenariat..) afin de
préserver l'intégrité culturelle de la communauté
et celle du ksar, et de prévenir contre le risque des effets pervers du
tourisme dont la distorsion de l'image culturelle et communautaire du site en
serait l'émanation.
Ce cycle économique devrait déboucher sur
l'amélioration des conditions de vie de la population qui sera en mesure
d'entretenir elle-même son village ancestral dans un esprit communautaire
qui est appelé à être restauré.
Les avancées conceptuelles des instruments normatifs de
l'Unesco surtout en matière de Paysages culturels ouvrent des
nouvelles perspectives dans la reconsidération des valeurs du patrimoine
mondial ainsi que leur gestion. Le ksar des Aït Ben Haddou est le
plus apte parmi les huit sites du patrimoine mondial au Maroc à adopter
cette tendance et à en tirer le meilleur parti.
Par ailleurs, les gestionnaires du site - le CERKAS
en particulier- sont appelés à travailler en réseau
avec ceux des sites du patrimoine mondial situés en territoire marocain,
et éventuellement avec des sites similaires situés ailleurs. Il
est aberrant que
des réseaux thématiques se tissent au sein des
professionnels à l'échelle internationale, alors qu'aucune
structure de coordination n'existe à l'heure actuelle au niveau
national.
A ce titre, le recours aux nouvelles technologies
d'information en matière de gestion d'éléments de
sauvegarde et de facteurs de réhabilitation devient incontournable, et
fournit aux gestionnaires des capacités sérieuses en la
matière. Le SIG se distingue dans cette tendance en tant qu'outil de
gestion approprié que les gestionnaires devraient exploiter ensemble et
à tous les niveaux de la gestion.
La gestion durable des ressources patrimoniales dans
l'environnement du
ksar est amenée - si les conditions
d'épanouissement sont réunies- à devenir un modèle
pour la gestion et le développement des villages communautaires qui
balisent formidablement le paysage patrimonial des vallées
présahariennes du Maroc.
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