Procédures collectives et voies d'exécution( Télécharger le fichier original )par Guy Jules KOUNGA Université de Yaoundé II - DEA en Droit des Affaires 2003 |
Section 2 : La réalisation de l'actif de l'entreprise par l'utilisation des voies d'exécutionL'augmentation du nombre de liquidation des biens, due aux problèmes économiques actuels, a entraîné un accroissement des cessions de biens immobiliers appartenant à des personnes et des entreprises en difficultés financières. Toutefois, pour éviter d'éventuelles malversations permettant aux acquéreurs de réaliser de bonnes affaires au détriment des créanciers, le législateur a mis en place un ensemble de règles destinées à protéger leurs droits. Ainsi, la procédure utilise les voies d'exécution notamment, la saisie immobilière, pour procéder aux réalisations de l'actif immobilier et offrir des garanties de probité116. Cependant, cette voie d'exécution du fait de sa lourdeur a été adaptée aux particularités de la procédure collective. Cette dernière centralise la saisie immobilière car les poursuites sont désormais collectives. La saisie immobilière apparaît comme absorbée par la procédure (paragraphe 1). Mais, plus encore, elle altère la lourdeur de la saisie immobilière afin d'assurer une plus grande rapidité. La cohérence interne de cette voie d'exécution se trouve 116 Cette procédure constitue une voie à explorer pour rassurer l'opinion publique suite aux malversations constatées au sein des Tribunaux de commerce ; Cf GA UDINO A., La mafia des Tribunaux de Commerce, Albin Michel, 1998, cité par David DEFRANCE précité. profondément perturbée. Dès lors, la saisie immobilière est déformée par la procédure (paragraphe 2). Paragraphe 1 : Une saisie immobilière absorbée par la procédure collectiveL'étude de la saisie immobilière exercée dans la liquidation des biens dénote une prépondérance des organes de la procédure collective au sein de cette voie d'exécution. De cette prépondérance découle une protection juridique plus diffuse du débiteur (A) mais également une dérogation au régime traditionnel de la saisie immobilière (B). A- la protection du débiteur dans le cadre de la procédure collective Le jugement prononçant la liquidation des biens emporte de plein droit dessaisissement du débiteur. Dès lors, exceptions faites des actions purement personnelles, les droits et actions du débiteur sont exercés durant toute la durée de la procédure par le syndic. La question se pose donc de connaître la portée de la règle du dessaisissement du débiteur lorsque celui-ci fera l'objet d'une saisie immobilière dans le cadre de réalisation de l'actif par le syndic. En effet, le droit commun des saisies immobilières reconnaît un rôle actif au saisi : il est informé à toutes les étapes de la procédure ; il peut formuler des observations par l'intermédiaire de dires qui seront examinés lors d'une audience particulière dite audience éventuelle. Le débiteur dessaisi pourra-t-il faire valoir ses observations dans le cadre de la procédure de saisie immobilière ? La question est fondamentale car il s'agit de la protection juridique du débiteur. En effet, un auteur a souligné qu'il fallait laisser au débiteur les moyens juridiques de se faire entendre et de faire sanctionner une illégalité commise à son détriment117. La jurisprudence a tiré toutes les conséquences du dessaisissement. Relativement au droit comparé deux arrêts de la cour de cassation française permettent de les présenter. D'abord, la chambre commerciale de la cour de cassation, dans un arrêt du 11 avril 1995118, précise qu'en vertu de l'art. 152 de la loi, le liquidateur119 qui exerce le pouvoir exclusif d'agir au nom du débiteur dans la procédure de saisie immobilière, se trouve dispensé de délivrer au débiteur saisi la sommation prévue à l'article 689 du Code de Procédure Civile. Ensuite, tirant les conséquences de cette jurisprudence, la chambre commerciale dans un arrêt du 6 avril 1996 indique que le liquidateur représente le débiteur dessaisi dans cette procédure et que celui-ci n'est pas recevable à formuler des dires. Ces deux arrêts s'expliquent par le recours dont dispose le débiteur, à l'égard de l'ordonnance du juge commissaire, devant le Tribunal de la procédure. Cette jurisprudence ne reconnaît pas la saisie immobilière comme une procédure autonome ; les droits du débiteur étant suffisamment garantis dans le cadre de la procédure collective. La chambre Mixte a été saisie de la difficulté. Dans son arrêt du 5 décembre 1997, la chambre Mixte reprend la solution de la chambre commerciale120. Elle estime que lorsque « l 'ordonnance du juge commissaire est passée en force de chose jugée à l 'égard du débiteur qui dispose à son encontre d'un recours autonome devant le tribunal de la procédure ; le liquidateur, qui en vertu de l 'art. 152 de la loi est investi du droit de représenter le débiteur, est dispensé de lui délivrer la sommation prévue à l 'art. 689 du Code de Procédure Civile. » 117 SENECHAL dans note sous Cass., Com, 11 avril 1995, Rep Def 1995, art 36139. 118 Cass, Com, 11 avril 1995, Rep Def 1995, art 36139, note SENECHAL. 119 Sous la législation OHADA, ce terme est l 'équivalent de syndic. Ce dernier étant remplacé par trois professions dans la législation française sur les entreprises en difficulté à savoir les administrateurs judiciaires, les mandataires-liquidataires et les experts en diagnotic. 120 Mixte, 7 Décembre 1997, D. A. 1998 p 29. La doctrine approuve cette position de la haute juridiction : « c 'est dans le cadre de la procédure collective que la loi assure la protection du débiteur ; il ne l 'a pas à l 'être une seconde fois dans la saisie immobilière ». Elle estime qu'il serait « inutile et inopportun de donner au débiteur la possibilité de contester les modalités de la vente lors de l 'audience éventuelle devant le tribunal de grande instance «121 . En effet, cela retarderait la vente mais aussi cela pourrait conduire à une contrariété de décisions. La saisie immobilière est donc perturbée lorsqu'elle se trouve utilisée en procédure collective. Cet effet perturbateur se ressent encore à l'aune de son régime. B - Un régime dérogatoire au droit commun L'acte uniforme OHADA portant organisation des procédures collectives d'apurement du passif renvoie à certaines dispositions de l'Acte uniforme OHADA portant organisation des procédures simplifiées de recouvrement et des voies d'exécution pour les ventes ayant lieu sous la forme des saisies immobilières «sauf celles auxquelles il est dérogé par le présent Acte uniforme »122. Le problème s'est posé de savoir si le créancier privilégié, reprenant les poursuites, pouvait être déclaré adjudicataire pour la mise à prix, s'il n'est pas intervenu d'enchères. Un arrêt de la chambre commerciale du 6 janvier 1998 admet cette possibilité sur le fondement de l'article 129 du décret de 1985 ; l'article 706 alinéa 2 du code de procédure civile (permettant de déclarer adjudicataire le poursuivant) étant applicable123. En outre, la Cour de Cassation fonde sa décision sur l'article 161 en précisant que la mise à prix est déterminée non par le juge commissaire seul mais par celui-ci en accord avec le créancier poursuivant. Dès lors, l'article 706 du Code de procédure civile s'applique en cas de procédure collective sauf, et 121 SENECHAL dans note précitée. 122 V. art 154 § 1. 123 Cass. Com. 8 janvier 1998, Quot. Jur. du 10 Février 1998, p. 4. l'exception est de taille, lorsque le poursuivant est le liquidateur puisque le liquidateur ne peut être déclaré adjudicataire. Le droit commun des saisies immobilières est donc profondément modifié. Les incidents de la saisie sont purement et simplement ignorés, parce que la procédure collective utilise la saisie immobilière comme modalité de réalisation de l'actif. Or, l'actif doit être réalisé rapidement pour éviter qu'il ne se dépérisse. Toutes les voies de contestations offertes par les incidents de la saisie immobilière sont ignorées afin d'accélérer la réalisation de l'actif. C'est ce même esprit de rapidité qui explique la déformation de la procédure de saisie immobilière. |
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