Communication politique et communication électorale sur l'Internet( Télécharger le fichier original )par Marjorie Pontoise Université Panthéon Assas Paris II - Master 2 Recherche Droit de la communication 2007 |
c. Web radio & podcastingLa Commission générale de terminologie et de néologie a proposé dans un avis de vocabulaire général la traduction87(*) de « diffusion pour baladeur » en donnant la définition suivante : « mode de diffusion sur l'Internet de fichiers audio ou vidéo qui sont téléchargés à l'aide de logiciels spécifiques afin d'être transférés et lus sur un baladeur numérique ». Sont ainsi visés par ce néologisme anglo-américain les émissions et les programmes audio, amis aussi des fichiers et des produits informatiques incluant images et films susceptibles d'être diffusés en différé au moyen de cette technologie multimédia88(*). Avant de voir quelle utilisation les politiques font de cet outil, il s'agit de comprendre comment celui-ci fonctionne pour mieux apprécier la finalité et l'opportunité de ce médium. i. Un mode de diffusion particulier de message : le podcasting89(*) Le podcasting est un mode de diffusion de contenu d'un nouveau genre sur l'Internet, dont les caractéristiques techniques consistent à : - délivrer à l'internaute du contenu (audio et/ou vidéo) grâce à un procédé automatisé - en fonction du choix prédéterminé de l'internaute - pour une lecture en mode streaming90(*) ou par téléchargement91(*) - sur tout support de lecture, notamment les supports nomades (baladeurs numériques) - au moment voulu par l'internaute Ce mode de diffusion de contenu est possible grâce à la technique dite de la syndication92(*), et plus précisément grâce aux flux Rss93(*), qui permettent d'acheminer automatiquement l'information de l'internaute de façon personnalisé, après qu'il a spécifié ses demandes et ses préférences. La syndication de contenu s'inscrit dans cette tendance dynamique et collaborative d'Internet, désignée globalement par l'expression « web.2.0 »94(*). La « délinéarisation » des contenus ne peut échapper aux observateurs de la toile, cette tendance passe d'ailleurs par le podcasting : les médias, dont le métier était jusqu'ici de constituer des programmes afin de générer de l'audience doivent faire face à une nouvelle approche de la programmation et à une nouvelle demande du public qui souhaite accéder aux programmes au moment et dans le lieu choisis par lui (on retrouve ici les fondamentaux de l'Internet, caractérisé par le triptyque : immatérialité, interactivité et internationalité). L'avantage est évident : écouter son émission de radio préféré dans des zones où la réception des ondes hertziennes n'est pas assurée ou pour écouter la revue de presse matinale une heure après sa diffusion, tous ces usages trouvent forcément leur place dans la vie quotidienne. Le bénéfice de l'interactivité et du progrès du service à la demande, tel que défini par l'article 77 de la loi de 1982 sur la communication en ligne95(*) (« service dans lequel l'utilisateur qui l'interroge en reçoit en retour que les éléments demandés ») ainsi qu'à l'article 2-IV de la LCEN96(*) qui précise que « les services fournis [le seront] à la demande individuelle d'un destinataire de service » trouvent alors toute leur résonance. Concrètement les podcasts audio proposés sont aujourd'hui majoritairement constitués de programmes « parlés » (émissions de radio, reportages...), plus nombreux que les programmes musicaux (de nombreux podcasts vidéo sont également proposés97(*)). Un programme de podcast audio pourrait s'apparenter à une émission de radio classique, sauf que cet outil permet à l'internaute de lire les fichiers après qu'il ai choisi son abonnement, cette lecture pouvant être effectuée à tout moment contrairement à la radio qui émet un signal par radiodiffusion. En d'autres termes, on passe d'un modèle classique de radiodiffusion « point à multipoint » (la transmission du signal se fait en direction de plusieurs destinataires vers lesquels un même contenu est envoyé de façon simultanée et synchrone, comme dans l'hypothèse de la radiodiffusion) à un modèle de diffusion ressemblant davantage à du « point à point »98(*). Grâce à cette technique on bascule dans une communication plus individualisée, à un média « à la demande »99(*) ; dans une société qu'on qualifie de plus en plus « d'hyper communicante», chacun peut aujourd'hui échanger des informations et idées, en bénéficiant de l'écoute d'un large public qui est actif dans la réception des informations et non plus passif face à une masse de renseignements qui lui est imposé. C'est à ce titre que le podcast devient un outil de fidélisation du public et de fédération d'une communauté, rassemblée autour d'une même demande, et d'un besoin informationnel identique. ii. La fidélisation de « la communauté podcast » Au vu des avantages offerts par le podcasting, celui-ci devient un moyen de communication très prisé, et c'est au tour des politiques de mettre à profit cette nouvelle façon de se faire entendre, dans l'espoir, d'une, part, d'atteindre des populations peu réceptives à d'autres média (les jeunes en particulier), et, d'autre part, d'être dans la « mouvance technologique ». Un élément important a joué dans l'intérêt porté à cet outil de communication, le CSA ne comptabilise pas les interventions des hommes politiques via le podcasting dans le contrôle des temps de parole sur les média audiovisuels. En effet dans une interview donnée sur le blog de « Netpolitique », Francis Beck100(*), membre du Conseil Supérieur de l'Audiovisuel101(*), déclarait : « en application des nouvelles lois de 2004, les contenus diffusés sur les nouveaux supports de communications électroniques ne relèvent du champ de compétences du CSA que s'ils constituent des services de radio ou de télévision, ce qui n'est pas le cas du podcasting ou des blogs». Cela laisse présumer que le podcasting risque de devenir le vecteur alternatif incontournable pour faire entendre ses positions et faire campagne. Encore faut-il être écouté : il est évident que les militants de tel ou tel parti n'hésiteront pas à aller consulter le podcast de leur candidat favori sur leur « iPod (c) ». Pour les hommes politiques et les militants, l'objectif est double : - approfondir les points de vues restés en surface dans les média classiques pour défendre ses idées - utiliser ce vecteur pour interpeller de nouveaux électeurs potentiels qui pourraient être séduits par le côté « technologiquement moderne » du candidat. Selon Thierry Solère102(*), Nicolas Sarkozy a compris qu'une partie des 18-35 ans s'informe uniquement grâce à Internet, délaissant la télévision comme la presse écrite. Pour Christophe Ginisty, PDG de « Rumeur publique »103(*) et de « pointblog.com »104(*) qui suit l'actualité des blogs, l'UMP a pris une longueur d'avance, notamment sur le PS, « le Parti socialiste s'y est mis très tard car les initiatives sont entravées par les querelles internes». La mutation s'est pourtant effectuée : aujourd'hui, sur le site Internet du Parti socialiste, il est possible de télécharger sur un baladeur numérique la vidéo d'un secrétaire national sur un sujet d'actualité, même si, selon un secrétaire national, Laurent Fabius et Jack Lang n'étaient pas les plus favorables à susciter des adhésions par internet. A l'inverse, « depuis deux ans, l'UMP a une stratégie de conquête », constate Christophe Ginisty105(*). C'est d'ailleurs le ministre de l'Intérieur qui, le premier parmi les hommes politiques d'envergure, a utilisé le podcast ; le résultat fut concluant, le blog de Loïc Le Meur, l'auteur de l'entretien avec le candidat à la présidentielle, ayant battu tous les records de fréquentation d'un blog personnel106(*). Loïc Le Meur, éditeur de logiciels, héberge 15 millions de blogs, il a en effet créé l'événement en mettant en ligne son interview podcastée du ministre de l'Intérieur, qui a été vue par près de 100 000 personnes. « Le podcast, ce n'est pas la télé : on a le temps de s'exprimer sur le fond de ses idées. Cela ne coûte rien et le temps de parole n'est pas décompté par le CSA107(*). C'est tout bénéfice pour l'homme politique. De plus, grâce au podcast, on ne rencontre pas que ses partisans». Ce dernier affirme que la lecture des podcasts est considérable aujourd'hui : « mon podcast est téléchargé en moyenne par 50 000 personnes par mois ; 100 000 lorsqu'il y a des personnalités. Je ne me comporte d'ailleurs pas comme un journaliste politique : je donne mon avis durant l'entretien. Avec Arnaud Montebourg, député de Saône-et-Loire, j'ai failli passer par la fenêtre de l'Assemblée nationale à propos de la mondialisation que je trouvais positive. »
Auparavant, le podcast souffrait d'une image déplorable : 40 % des flux de podcasts concernaient des images pornographiques, 20 % de violences et 40 % d'images téléchargées avaient trait à l'humour. Le discernement de ce blogueur professionnel est d'avoir transformé les podcasts en instrument citoyen. Cependant Christophe Ginisty, lui, reste sceptique sur la façon dont les politiques usent des nouveaux médias : « ils participent à une mode numérique et croient naïvement que cela va changer leur image : l'interview de Sarkozy par Loïc Le Meur ne bénéficie pas au ministre de l'Intérieur [...]. Pour intéresser les internautes, il faut offrir ce qu'ils ne trouvent pas sur les médias traditionnels type presse écrite ou télévision. Lorsque Sarkozy répond à ses détracteurs sur le blog de Mathieu Kassovitz au moment des émeutes en banlieues, l'homme politique suscite l'intérêt des internautes»108(*) . En outre, il serait intéressant qu'à travers le podcasting, les campagnes électorales puissent voir émerger de nouveaux hommes politiques véhiculant de nouvelles idées. Ce média inédit pourrait ainsi devenir un véritable tremplin, une véritable valeur ajoutée pour le débat politique face à des médias traditionnels. Mais il faut rester prudent, sur cette nouvelle brèche qui s'ouvre au débat politique, une ombre risque tout de même de planer, il ne serait pas impossible que cette plateforme de libre expression soit investie par toutes formes d'extrémisme ; même si le podcasting est un espace de liberté ouvert à tous il faut souhaiter que les hommes politiques l'utiliseront comme un outil permettant l'échange de point de vue et le débat et non comme un outil de propagande pur et simple. * 87 Publié au JO en date du 25 mars 2006 * 88 « Une définition officielle pour le podcasting », Revue Communication Commerce Electronique, février 2007, p.5 §41 * 89 Le baladeur numérique de la marque Apple est à l'origine étymologique du podcasting, qui est une contraction des mots anglais IPod et brodcasting (radiodiffusion) apparue en 2004. Les Québécois utilisent le terme de « baladodiffusion ». * 90 Streaming : c'est une technique d'accès immédiat sur demande à des images et/ou des sons, selon un flux (stream) continu permettant aux internautes destinataires d'en prendre connaissance en temps réel, normalement sans en conserver copie. La consultation d'un contenu en mode streaming s'effectue directement sur le site où il est hébergé. * 91 Téléchargement : « transfert de programmes ou de données d'un ordinateur vers un autre ». Définition de la Commission générale de terminologie et de néologie, publiée au JO en date du 1er septembre 2000. * 92 La syndication de contenu consiste à enrichir une source de contenu par d'autres sources, en mettant à disposition tout ou partie du contenu d'un site à d'autres sites. Les sites Internet sont ainsi dynamiques grâce à ces ajouts de contenus qui se renouvellent automatiquement dès leur mise à jour (à condition que les sites hébergeant les contenus possèdent un outil logiciel permettant cette syndication). Il est plu simple ainsi de livrer du contenu périodique à d'autres éditeurs ou à des internautes qu'en envoyant des fichiers ou des newsletters par courrier électronique par exemple. * 93 RSS pour «Really Simple Syndication » ou « Rich Site Summary » (sommaire de site enrichi). Le système RSS est une application de XML dérivée de la norme RDF, qui sert à décrire un contenu Web de façon standardisée. Créé à l'origine par Netscape, RSS n'est pas une norme à proprement parler, mais son emploi est aujourd'hui libre. * 94 Le concept du « web.2.0 » désigne l'ensemble des nouvelles techniques et des nouvelles fonctionnalités qui rendent l'Internet plus collaboratif qu'auparavant, notamment grâce à la technique de syndication. * 95 Loi n° 2000-719 du 1er août 2000 modifiant la loi n° 86-1067 du 30 septembre 1986 relative à la liberté de communication, Publiée au Journal Officiel numéro 177 du 2 août 2000, page 11903 ( http://www.juriscom.net/txt/loisfr/l20000801.htm) * 96 LCEN : loi n° 2004-575 du 21 juin 2004 pour la confiance dans l'économie numérique, NOR: ECOX0200175L, publiée au J.O n° 143 du 22 juin 2004 page 11168 ( http://www.legifrance.gouv.fr/WAspad/UnTexteDeJorf?numjo=ECOX0200175L). Voir à ce sujet « La loi sur la confiance dans l'économie numérique redéfinit les modalités d'utilisation de l'Internet », article paru le 05 décembre 2004, Jérôme Huet : http://www.cejem.com/article.php3?id_article=166 * 97 On désigne les podcasts vidéo par le terme « vidéocasts ». * 98D'après la
définition du Réseau National de télécommunications
pour la Technologie * 99 Nous verrons dans notre deuxième partie la qualification juridique de ce médium et la réglementation applicable selon sa place dans le paysage audiovisuel (à ce sujet voir la chronique d'Anne-Catherine Lorrain, Doctorante au CERDI Paris I/X, « Le podcasting : un nouveau trublion technique chez les juristes »,I, Légipresse, décembre 2006, n°237, p.152 à157) * 100 http://www.csa.fr/conseil/composition/college_conseillers_biographie_9.php * 101 http://www.csa.fr/index.php * 102 Précité * 103 http://www.buzz-blog.com/blog/tag/rumeur-publique/ * 106 Pour visionner cette interview : http://www.loiclemeur.com/france/2005/12/nicolas_sarkozy_1.html et http://www.biotope.ca/blog/?p=302 * 107 En application des lois de 2004, les contenus diffusés sur les nouveaux supports de communications électroniques ne relèvent du champ de compétences du CSA que s'ils constituent des services de radio ou de télévision, ce qui n'est pas le cas du podcasting ou des blogs. L'article 3-1 de la loi du 30 septembre 1986 modifiée prévoit en effet que le CSA est compétent en matière de « communication audiovisuelle », définie à l'article 2 de cette même loi comme comprenant, essentiellement, la radio et la télévision et en aucun cas les communications en ligne. Les services de télévision sont également définis à l'article 2 «comme tout service de communication au public par voie électronique destiné à être reçu simultanément par l'ensemble du public ou par une catégorie de public et dont le programme principal est composé d'une suite ordonnée d`émissions comportant des images et des sons. » En conséquence, en période électorale, comme d'ailleurs en période « ordinaire », le contrôle qu'exerce le CSA sur l'expression des personnalités politiques est circonscrit par la loi aux seuls programmes diffusés par des médias audiovisuels correspondant à ces définitions des services de radio et télévision. Dans ces conditions, les interventions des candidats à l'élection présidentielle de 2007 qui seraient véhiculées par d'autres types de services sur Internet comme des services de podcasting ne sauraient être prises en compte par le CSA au titre de leur temps de parole. * 108 Aziz Zemouri, « Les nouvelles armes du combat politique », article paru le 26 mai 2006, Le Figaro : http://www.lefigaro.fr/magazine/20060526.WWW000000351_les_nouvelles_armes_du_combat_politique.html |
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