CONCLUSION
Les réduction du temps de travail en France depuis le
milieu des années 1990 est le fruit de la confrontation des
intérêts de trois acteurs : l'Etat, les employeurs et les
salariés dont les objectifs sont différents. Le premier a
tenté une audacieuse politique de réduction du temps de travail
sous une forme inégalée dans le monde. Elle devait servir un
objectif macro-économique de réduction du chômage. Les
seconds (les employeurs) ont réagi diversement à la contrainte
que constituait à leurs yeux la fixation d'une nouvelle durée
légale du travail. Les 35 heures ont été pour le patronat
l'occasion d'une grande remise en question. Enfin, les salariés, dont
l'attente à l'égard de la RTT était inégale, ont,
eux aussi, dû faire valoir leurs intérêts lors de sa mise en
place, notamment à travers le processus de négociation intense
qu'a favorisé la loi.
Le résultat de cette confrontation est
hétérogène. Dans un certain nombre de cas, il semble qu'un
équilibre ait pu être trouvé entre les aspirations des uns,
la volonté politique de l'autre et les besoins des troisièmes.
Ainsi, lors des travaux sur la RTT menés au Commissariat
général du plan en 2001, une grande entreprise de
l'agro-alimentaire se montrait très optimiste sure les effets de la RTT
en termes de performances économiques et en termes de bien-être
des salariés. Mais dans d'autres situations, la RTT a été
menée de façon plus chaotique, soit parce que la
négociation était de moins bonne qualité, soit parce que
le rapprochement des intérêts était moins facile. Les
employeurs n'ont pas tiré parti de la RTT pour effectuer des gains de
productivité ou encore la flexibilité qu'ils ont mise en place
à cette occasion a détérioré quelque peu les
conditions de travail et de vie de leurs salariés.
Cette hétérogénéité des
situations est toujours aussi grande aujourd'hui puisque seule la moitié
des salariés a connu une baisse sensible de sa durée effective de
travail. La RTT n'a constitué un important changement dans les
conditions de travail et de vie que pour la moitié seulement du salariat
français. La situation des très petites entreprises est encore
incertaine : les outils classiques d'organisation du temps de travail y
sont mal ou totalement inadaptés. Les actions collectives conduites par
différentes Agences Régionales pour l'Amélioration des
Conditions de Travail (ARACT) soulignent la présence de
difficultés mais aussi de potentialités pour autant que les
questions touchant à la nature des prestations, d'organisation du temps
de travail, de polyvalence, de temps partiel ou de regroupement d'employeurs
soient discutées.
Les contrastes ressortent fortement selon les
situations : les établissements qui ont
bénéficié des aides incitatives de l'Etat (lois Robien et
Aubry I) se distinguent par des appréciations nettement plus positives
sur l'impact économique de la RTT, même si le bilan sur la
situation économique globale est jugé plutôt
négatif. La transformation d'un choc en opportunité s'explique
par différents facteurs : ces entreprises étaient des
pionnières, partisanes de la baisse du temps de travail, qui ont choisi
d'anticiper la RTT et surtout, qui ont bénéficié d'aides
généreuses de l'Etat.
L'accompagnement de l'accord et les ajustements à
termes sont aussi des facteurs de succès au niveau de l'entreprise car
l'environnement économique se modifie vite.
Par ailleurs, les principaux effets attendus, et,
effectivement produits par la RTT semblent aujourd'hui en très grande
partie révolus. En effet, c'est seulement lorsque la réduction de
la durée effective du travail est importante que des emplois peuvent
être crées ou sauvegardés. Par conséquent, les
effets positifs sur l'emploi observés sous les lois Robien et Aubry I
sont affaiblis depuis le passage à la loi Aubry II. Les principaux
apports de la RTT à la politique de l'emploi semblent donc bien
derrière nous.
Enfin, aussi bien au niveau micro-économique qu'au
niveau macro-économique, les conditions à réunir pour la
réussite de la RTT sont très exigeantes. Il a en effet fallu que
les entreprises effectuent de très importants gains de
productivité. De tels gains ne sont pas réalisables partout et
durablement : seules les entreprises les plus grandes ont pu atteindre ce
résultat. La mise en place de la RTT dans les plus petites structures ne
pourra pas donner lieu à de tels gains en efficacité. Autre
condition de succès, l'aide de l'Etat a été très
importante en début de période et pour les entreprises
pionnières. Les assouplissements apportés (Loi Fillon)
réduisent, au contraire, le caractère volontariste de
l'intervention publique en faveur de la RTT, les entreprises sont un peu plus
libre de gérer les heures supplémentaire. Enfin, la
troisième condition de la réussite de la RTT au niveau de chaque
entreprise mais aussi sur le plan macro-économique peut être
trouvée dans la modération salariale. Cette dernière
permet d'expliquer le succès d'opérations de RTT dans des
entreprises qui connaissaient par ailleurs plutôt une situation de
croissance. Elle fait aussi partie des conditions macro-économiques qui
ont été à l'origine des créations d'emploi de la
première phase de la RTT. Mais la modération, outre le fait
qu'elle peut réduire la satisfaction des salariés à
l'égard du processus de RTT, risque d'aboutir à terme à
l'expression de revendications salariales difficiles à satisfaire pour
les entreprises.
|