2) Les 39 heures comme contrainte supplémentaire
d'organisation : l'exemple des petites et moyennes entreprises
d'hôtellerie restauration :
Le passage aux 39 heures a été
particulièrement difficile pour les PME et les TPE du secteur de
l'hôtellerie restauration en particulier, car ils n'étaient pas
vraiment armés pour un tel bouleversement.
Les raisons de cette situation sont multiples. Ces entreprises
n'ont pas facilement accès aux conseils et experts capables de les
accompagner pour préparer ce passage dans les meilleures conditions
possibles, le dispositif d'appui conseil prévu par la loi Aubry
n'offrant pas toujours la garantie de trouver un interlocuteur
compétent.
L'organisation de la négociation a été
particulièrement complexe. Le dialogue social y est
généralement insuffisant, voire inexistant, freinant de ce fait
les possibilités de négociation. Par ailleurs, leurs dirigeants
ont du mal à connaître et à maîtriser les
différents outils d'aménagement du temps de travail existants.
Ces entreprises souffrent du manque de disponibilité de
l'encadrement, trop occupé par le quotidien de l'entreprise, alors que
les cadres ont un rôle crucial à jouer pour accompagner la RTT.
Enfin, ces entreprises ne disposent pas d'une interchangeabilité des
personnes suffisante pour permettre que la réduction du temps de travail
se traduise par des embauches compensatrices et ont du mal à trouver sur
le marché du travail les compétences dont elles ont besoin du
fait de la pénurie de main-d'oeuvre dans ce secteur
d'activité.
Les lois Aubry elles-mêmes avaient pris implicitement
acte de la nécessité de traiter différemment les PME et de
ne pas les contraindre à passer aux 35 heures dans les mêmes
conditions que les grandes entreprises. Les plus petites d'entre
elles, celles employant moins de 20 salariés, ont
bénéficié d'un régime particulier, marqué
par un report du passage à 39 heures des modalités de
négociations spécifiques pour l'obtention des allègements
de cotisations sociales, et le maintien du droit existant en matière de
repos compensateur.
Malgré ces adaptations, les difficultés
d'application de la réduction du temps de travail aux petites
entreprises expliquent que leurs dirigeants aient fait preuve d'attentisme et
n'aient pas anticipé le passage aux 39 heures.
Force est malheureusement de constater que la levée de
bouclier que les 39 heures avaient provoquée dans le monde de
l'hôtellerie restauration des PME lors de leur mise en oeuvre
était justifiée : à quelques rares exceptions
près, pour les petites et moyennes entreprises, et en tout premier lieu
les plus petites d'entre elles, les 39 heures ont été un
véritable séisme, bouleversant des équilibres
économiques souvent fragiles et introduisant encore de la
rigidité dans la gestion quotidienne
En 2003, une enquête a été
réalisée sur les conditions de mise en oeuvre des 39 heures,
laquelle semble significative. Ainsi, à la question :
« pourquoi votre entreprise n'applique-t-elle pas les
39 heures », les entreprises hôtelières ont,
à 44 %, mis en avant l'inadaptation à l'activité des
entreprises.
Pourquoi ne pas appliquer les
35 heures ?
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C'est trop compliqué à mettre en oeuvre en termes
d'organisation
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11%
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C'est inadapté à l'activité de
l'entreprise
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44%
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C'est un coût trop élevé pour l'entreprise
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11%
|
C'est impossible de recruter pour remplacer les heures perdues
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22%
|
Cela ne correspond pas à une demande des
salariés
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22%
|
L'entreprise préfère payer des heures
supplémentaires
|
11%
|
Autres raisons
|
56%
|
Les sondés pouvant répondre à
plusieurs questions
Source : Enquête SVP (Cabinet de Conseil en
Management) 2003
|
Etude sur 142 entreprises en France, (20 Grandes entreprises,
54 PME, 68 TPE)
Concernant la réduction du temps de travail,
l'enquête relève que certaines entreprises préfèrent
afficher un horaire de 39 heures, et une pratique d'heures
supplémentaires. Elles semblent vouloir afficher leur
opposition à une loi inadaptée aux contraintes de leur secteur
d'activité.
Il ressort toutefois que la quasi-totalité des
entreprises hôtelière a accompli un abaissement du niveau moyen
des horaires. Parmi les multiples explications figure notamment le souci de
limiter les abus par peur des contrôles, de respecter la contrainte du
contingent d'heures supplémentaires et enfin de tenir compte de la
tendance générale des RTT et de son incidence sur la paix sociale
dans l'entreprise.
Pour celles qui n'ont pas opté pour les 39 heures,
l'argument majeur avancé est la menace, ressentie par leurs
salariés, d'une réduction des salaires. C'est également la
garantie d'augmentation future de ceux-ci, d'autant plus
appréciée par les salariés qu'elle intervient dans un
contexte général de modération, sinon de pur blocage, des
rémunérations dans les entreprises ayant procédé
aux RTT. La satisfaction de cette attente permet de conserver les
salariés, en tout cas le noyau dur du personnel. L'enquête note,
toutefois, que les choix qui ont été faits à un moment
donné peuvent changer avec l'évolution de la conjoncture et du
taux de chômage, que ce soit vers un retour aux 43 heures ou un
passage aux 39 heures, dans un égal souci d'attractivité.
Concernant la complexité de la loi, l'étude
relève qu'elle a été parfois rendue inaccessible aux
dirigeants de PME mais aussi aux salariés. Le manque de formation
juridique, l'inexpérience en matière de négociation et
l'insuffisance des conseils ont contribué à ce rejet. Certains
principes de base de la loi étaient méconnus, comme
l'accès direct aux aides prévu dans l'accord de branche. Il
s'agissait pourtant de clés pour l'accès aux aides.
En outre, le fait de négocier un accord d'entreprise a
pu être perçu comme une contrainte par les dirigeants. Certaines
entreprises craignaient de devoir adopter des mesures qui ne leur convenaient
pas. Il en est ainsi des modalités des RTT adoptées par les
entreprises passées aux 39 heures sans accord : sachant que les
salariés voulaient obtenir des jours de RTT, elles n'ont pas
négocié car elles estimaient que les jours qu'elles auraient
dû accorder seraient devenus source de perturbation dans leur
organisation et de baisse nette de production. Cette situation leur a permis
dans de nombreux cas de mettre en place des RTT journalière, qui a
permis de maintenir ou de limiter la baisse de production avec un effectif
constant. Le rejet de la négociation permettait aussi de
préserver l'avenir.
Il convient, cependant, de relativiser ce refus de
négocier. En effet, étant souvent le prolongement de la structure
familiale qui fut à l'origine de leur création, les petites
entreprises d'hôtellerie restauration se caractérisent par une
relation directe avec le personnel. L'employeur reste au contact du personnel
et les relations de « donnant-donnant » sont le quotidien,
tout comme la recherche de compromis sans nécessairement se
référer aux règles légales.
Enfin, le motif essentiel de non-recours aux
aides, y compris dans les entreprises qui remplissaient la plupart des
conditions juridiques prévues par la loi tient aux incertitudes sur
l'emploi. Les dirigeants préfèrent renoncer aux aides publiques
plutôt que s'engager sur un niveau d'emploi qu'ils ne maîtrisent
pas. Les trois lois sur les RTT avaient pourtant, comme on l'a vu,
atténué progressivement cette obligation. D'ailleurs, dans
l'échantillon étudié, peu de créations d'emplois
ont été réalisées, que les entreprises soient ou
non passées aux 39 heures.
Ecarts creusés entre entreprises de moins de
20 salariés et les autres, augmentation des tensions et du nombre
de salariés mécontents, problème du contingentement des
heures supplémentaires, difficultés de recrutements : la
situation qui résulte aujourd'hui de la mise en place de la
réduction du temps de travail dans les PME et les TPE, nombreuses en
hôtellerie restauration est pour le moins préoccupante.
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