2. Peu d'échanges avec l'agglomération
de Cergy Pontoise :
L'intégration de l'agriculture de la zone
maraîchère dans l'agglomération de Cergy Pontoise peut se
mesurée à travers la présence ou l'absence
d'échanges entre cette activité et la ville qui l'entoure. Ces
échanges peuvent prendre différentes formes notamment
économiques et sociales.
Sur le plan économique, les exploitants de la zone
maraîchère réalisent peu d'échanges avec
l'agglomération de Cergy Pontoise. En amont, ils s'approvisionnent, pour
la majeure partie de leurs intrants, à la coopérative agricole de
Cergy dont le siège est localisé à Cergy village contre le
paiement d'un droit d'adhésion annuel qui leur permet d'obtenir des
réductions importantes sur les prix d'achats. Cette association de
producteurs n'est pas habilitée à réaliser des
bénéfices par la vente aux agriculteurs, les faibles profits
qu'elle réalise de temps à autres (2000 euros en 2005) sont
aussitôt redistribués sur ses adhérents. En revanche, elle
réalise 20% de son chiffre d'affaire par la vente aux particuliers non
agriculteurs (jardiniers ou autres amateurs), pour cette part de son budget,
elle est redevable de charges comme tout autre établissement à
activité commerciale. Son responsable, que j 'ai rencontré sur
place, considère qu'à l'avenir la coopérative travaillera
de moins en moins avec les agriculteurs et de plus en plus avec les
particuliers, d'ailleurs, la part de ces derniers dans le budget pour
l'année 2006 est susceptible de passer à 25% soit une
augmentation de 5% par rapport à sa part en 2005 ; « ce qui
nous permettra de faire tourner la baraque ! ». Par sa
proximité immédiate, cette coopérative procure un gain de
temps énorme aux agriculteurs facilitant ainsi leur travail en zone
maraîchère de Cergy (ils ne sont plus obligés de parcourir
de grandes distances en traversant la ville pour s'approvisionner). Par
ailleurs et en dehors des différents intrants qu'elle leur fournit,
cette coopérative est aussi un lieu de rencontre pour les agriculteurs
(le seul pour la plupart d'entre eux), ils y découvrent les nouveaux
produits, les nouvelles techniques, des conseils et des suggestions qu'ils ne
peuvent pas forcement trouver ailleurs : au-delà du simple
approvisionnement, cette coopérative joue un rôle sociale
important pour les agriculteurs en leur permettant au moins d'avoir ce lieu
commun dans lequel ils peuvent s'échanger expériences,
idées mais aussi matériels et services puisqu'un espace
d'affichage leur permet de publier leurs petites annonces. Vue sous cet angle,
la
coopérative apporte donc d'innombrables services aux
agriculteurs de Cergy, néanmoins elle favorise une concentration de
l'agriculture dans l'espace « zone maraîchère - Cergy village
» l'isolant ainsi davantage du reste de la ville nouvelle puisque les
agriculteurs, à force de ne développer des liens qu'avec cet
ancien village, n'y trouvent aucune utilité à la ville nouvelle
quant à l'accomplissement de leur travail : en amont, l'activité
agricole se trouve indépendante de la ville nouvelle, elle est
concentrée dans le territoire formé par la zone
maraîchère et l'ancien village de Cergy qui demeure
complètement écarté, voire fermé, pour l'essentiel
de la population de l'agglomération cergypontaine. L'isolement de
l'agriculture de la zone maraîchère est favorable à
davantage d'éloignement entre la société et l'agriculture
de l'agglomération. Les conséquences sont déjà
perceptibles puisqu'un nombre important de citadins, notamment les plus jeunes
que j 'ai rencontrés, ignorent complètement l'existence
d'activité agricole à Cergy Pontoise. Pour Bertrand Hervieu, cet
éloignement conduit à long terme à l'ignorance et à
l'incompréhension vis-à-vis du monde agricole (Hervieu, 2001). Il
estime dans une conférence qu'il a animé au Québec que :
« Nous sommes devenus des sociétés urbaines, des
sociétés éloignées de la production
végétale et de la production animale. Nous n 'avons jamais si
bien mangé et nous n 'avons jamais aussi peu su ce que nous mangions.
C'est un processus d'abstraction complètement passionnant d'un point de
vue sociologique parce qu 'il est possible de le décliner sur la terre,
sur le métier et aussi sur l 'alimentation. D 'une certaine fa
çon, notre alimentation n 'a jamais été aussi abstraite,
ce qui veut dire qu 'il faut être parfois extraordinairement savant pour
arriver à véritablement comprendre comment ce qui est dans notre
assiette a pu être construit, fabriqué, sauvegardé,
conservé, chauffé... avant d'être digéré !
C'est un élément d'éloignement qui crée les
conditions d'une sorte d'incompréhension, parce que l 'ignorance est
forcement mère de l 'incompréhension. Si l 'on veut
évidement effacer ces choses, cela passe d 'abord par la connaissance et
par la compréhension ». (Bertrand Hervieu, 2001).
En aval, les agriculteurs de la zone maraîchère
ne vendent aucun de leurs produits sur les quatre marchés forains que
comporte l'agglomération de Cergy Pontoise, « la demande des
clients de Cergy Pontoise n 'est pas adaptée à la qualité
des produits que nous proposons ; nous produisons du haute gamme tandis qu 'ils
recherchent plutôt les bas prix », m'a répondu un
agriculteur qui préfère pratiquer d'autres marchés d'Ile
de France.
Tableau 07 : Les marchés forains de
l'agglomération de Cergy Pontoise.
Commune
|
Emplacement du marché
|
Jours et période du marché
|
Cergy
|
Quartier Saint Christophe
|
Mercredi et Samedi matin
|
|
Dimanche matin
|
Pontoise
|
Place de l'Hôtel de ville
|
Samedi matin
|
|
Jeudi matin
|
|
Source : La ville de Cergy, 2005.
D'après ce témoignage, l'absence de liens
commerciaux entre l'agriculture de la zone maraîchère et
l'agglomération de Cergy Pontoise peut donc s'expliquée
principalement par l'inadaptation des gammes de produits de cette agriculture
aux demandes des cergypontains. Les produits fournis s'orientent beaucoup plus
vers une clientèle prête à rémunérer
chère leur qualité, ce qui est moins le cas de la population de
Cergy Pontoise.
Selon une étude de l'INSEE, il s'agit d'une population
plus modeste que celle de l'ensemble de la région puisque son revenu
annuel médian est de 16700 € par unité de consommation (UC)
(contre 17400 € en Ile de France). Au sein de l'agglomération
nouvelle, ce revenu est le plus élevé à Neuville - Sur -
Oise (23000 €), et le plus faible à Cergy et Saint - Ouen -
l'Aumône où la moitié des habitants déclarent moins
de 14000 € par ans.
La part de la population dépendante du RMI est de 2,4%
à Cergy Pontoise comme en Ile de France. Cependant, au sein de
l'agglomération, cette part varie de 0,1% à Neuville - Sur - Oise
à 3,5% à Cergy, Pontoise et Saint - Ouen - l'Aumône. La
population dans ces trois communes présentent également des taux
de chômage les plus élevés (13,3% à Saint - Ouen -
l'Aumône, 12,1% à Cergy et 12% à Pontoise), les autres
communes présentent des taux relativement moins élevés
(10,4% à Osny, 9,7% à Jouy - Le - Moutier, 9,4% à Eragny,
9,2% à Vauréal, 6,4% à Courdimanche et à Neuville -
Sur - Oise, 6,2% à Menucourt et 3,8% à Puiseux - Pontoise). Ce
taux est de 10,9% pour toute la ville nouvelle contre 11,6% en Ile de France.
Si la population active francilienne est à 91,5% salariée, ce
chiffre atteint 95,2% à Cergy Pontoise.
Tableau 08: La composition de la main d'oeuvre salariale
à Cergy Pontoise.
Catégories professionnelles
|
Cergy Pontoise
|
Il de France
|
Employés
|
33%
|
30%
|
Professions intermédiaires
|
27%
|
25%
|
Ouvriers
|
20%
|
18%
|
Cadres, professions intellectuelles
|
15%
|
21%
|
Artisans, commerçants, chefs d'entreprises
|
3%
|
5%
|
|
Source : INSEE, 2004.
Les marchés forains de la ville nouvelle sont
adaptés à la clientèle qui les fréquente. A
l'intérieur de leur ambiance de « Souk » où se
côtoient des produits de différentes natures, les étalages
des fruits et légumes sont occupés plutôt par des
revendeurs qui s'approvisionnent généralement à Rungis et
qui proposent des prix adaptés aux faibles budgets des
ménages.
Photo 05 : Revente de fruits et légumes sur le
marché de Cergy Saint Christophe (Cergy).
Source : Travail de terrain (Mai 2006)
Une des pratiques les plus courantes dans ces marchés
s'apparente à un système de « soldes » qui s'effectue
en générale vers la fin du marché : les légumes
sont proposés dans des paniers ou des sacs plastics et vendus en volume
et non pas au poids. Cette pratique garantie aux commerçants
d'écouler le maximum de leur marchandise et permet aux clients de faire
leurs achats à des prix très avantageux.
La concurrence des prix rude entre ces marchés forains
et la grande distribution a contribué à l'éviction des
producteurs locaux du marché des fruits et légumes de
l'agglomération.
|