3.2. L'intégration dans un circuit de recyclage de
déchets urbains : une tentative échouée.
L'utilisation d'engrais urbains par l'agriculture n'est pas
un fait nouveau en Ile de France ; durant les siècles
précédents, le fumier provenant des animaux entretenus à
Paris a joué un rôle capital dans l'organisation et le maintien
des systèmes de production agricole de banlieue : les producteurs qui
disposaient de quantités touj ours plus importantes d'engrais urbains
peuvent étendre et intensifier leurs cultures spéciales sans
faire d'élevage ; ainsi, l'existence des cultures
maraîchères autours de Paris n'est pas sans rapport avec la
présence de nombreuses cavaleries (M Phlipponneau, 1956). A cette
époque (du 1 3ème au 1 9ème
siècle), la dépendance des cultures de banlieue
vis-à-vis des engrais urbains été très forte au
point où elle a encouragé certains agriculteurs, comme ceux
d'Aubervilliers, à produire des engrais verts dans leurs exploitations
pour s'affranchir de cette emprise parisienne (Turek et Roy, 1992).
Dans les années 1990, l'agglomération de Cergy
Pontoise se voulant exemplaire en matière d'environnement, a mis en
place une filière globale de recyclage des déchets
ménagers baptisée « Auror'Environnement » qui
s'organise autour du fonctionnement d'un ensemble d'équipements de
gestion des déchets ménagers composés de:
· 5 déchetteries et plus de 300 points d'apports
volontaires,
· 1 dispositif de collecte sélective pour l'ensemble
des habitations de l'agglomération,
· 1 unité d'incinération d'une
capacité de 160000 tonnes /an qui contribue au chauffage de 30000
équivalant/ logements,
· 1 centre de tri de 12000 tonnes/ an pour les journaux -
magazines et les emballages ménagers,
· 1 centre de tri de 60000 tonnes/ an pour les
déchets industriels banals et les encombrants,
· 1 unité de compostage qui traite 13000 tonnes/ an
de déchets verts et de déchets fermentescibles.
Situé sur la commune de Saint - Ouen - l'Aumône, le
centre principal de traitement permet non seulement de traiter les
déchets (journaux, magazines, emballages) pour Cergy
Pontoise mais aussi pour le syndicat intercommunal de Taverny
(8 communes), soit 280000 habitants en tout. Pour la seule agglomération
ce sont 90% des déchets ménagers qui sont traités et
valorisés grâce à cette filière.
Les déchets végétaux sont
déposés dans les cinq déchetteries de Cergy Pontoise, puis
collectés et acheminés au centre de compostage. Il s'ajoute
à cela et depuis 1998, le ramas sage direct des résidus de
préparation de repas et ceux du jardinage qui permet de
récupérer près de 100 Kg de déchets fermentescibles
par habitant/an : au total 17000 tonnes de déchets sont collectés
chaque année.
Comme les nombreuses entreprises d'espaces verts et de
jardinerie, les exploitations agricoles de la zone maraîchère de
Cergy participent activement à l'approvisionnement de cette
filière en déchets végétaux. Pour le faire, la
mairie de Cergy a aménagé un espace sous la voie du RER A
élevée en zone maraîchère : il s'agit d'un espace
bien clôturé avec portail se fermant à clé et dont
la surface est cimentée au sein duquel les déchets sont
disposés séparément selon leurs nature. Les feuilles et
les débris organiques sont regroupés dans un même quartier,
tandis que les déchets non dégradables sont déposés
dans une benne remorquable, les légumes détériorés,
quant à eux, bénéficient d'une place particulière
qui leur est réservée avec plaque signalétique.
Jouissant d'une bonne accessibilité, ce site permet aux
agriculteurs de déposer les déchets issus de leurs exploitations
(légumes détériorés ou invendus, restes de
végétaux,...) à n'importe quel moment de la
journée, il bénéficie d'ailleurs, d'une bonne
appréciation de la part des exploitants puisqu'il leur permet
d'éliminer gratuitement leurs déchets. Les agriculteurs peuvent y
déposer, en plus des déchets végétaux, leurs
déchets non fermentescibles (films plastiques, caisses, emballages de
produits phytosanitaires). A leur tour, les entreprises de jardinerie ainsi que
les services municipaux, peuvent y déposer les résidus
d'entretien des jardins et parcs urbains (feuilles et débris
végétaux) ; le tout étant par la suite
récupéré et amené au centre de compostage de la
filière.
A travers ce système, le partenariat imaginé
entre la ville nouvelle et l'agriculture en zone maraîchère ne
s'est pas entièrement accompli. En effet, force est de constater que par
peur de contaminer leurs cultures, les agriculteurs de la zone
maraîchère n'ont pas voulu adopter le compost que leur propose la
filière car ils le considèrent comme une source potentielle de
maladies des cultures. Ce risque est tellement pris au sérieux que
même le responsable de la coopérative agricole de Cergy, qui fait
aussi office de conseiller auprès des agriculteurs, n'hésite pas
de le rappeler : il est vecteur de maladies cryptogamiques qui, en
cas
d'utilisation de ce terreau, sont susceptibles de
contaminer les cultures. Aujourd'hui, seuls les espaces verts de
l'agglomération font encore usage de ce compost.
De son côté, Auror'Environnement explique que le
procédé de compostage adopté (fermentation des
déchets en milieu fermé à 60°C avant d'être
broyés à trois reprises puis humidifiés et
aérés, pour enfin subir des traitements chimiques afin
d'éliminer les odeurs désagréables de la fermentation),
continue de fournir, toutes les cinq semaines, 3000 tonnes de terreau pour 6000
tonnes de déchets traités.
A l'heure où je rédige ce
paragraphe19, le dépôt de la zone
maraîchère connaît une accumulation non négligeable
de végétaux et de débris déposés qui forment
des tas avec un stade de fermentation assez avancé, ce qui
témoigne de leur long séjour sur place et de la lenteur dans leur
acheminement vers le centre de compostage : une saturation des entrepôts
de la filière en stocks de compost non écoulés, pourrait
en être la cause de ce ralentissement.
En attendant, les conséquences négatives de la
fermentation des végétaux dans ce dépôt commencent
à menacer sérieusement le fonctionnement et la stabilité
de la zone maraîchère : les odeurs indésirables que
dégage cette fermentation atteignent, par des vents Sud (assez
fréquents dans cet espace), la rive gauche de l'Oise sur laquelle se
trouve des habitations et un restaurant qui n'hésite pas d'imputer la
baisse de sa clientèle en grande partie à la présence de
ces odeurs.
A long terme, cette initiative qui a voulu intégrer
l'agriculture dans une dynamique environnementale urbaine, n'aura pas les
effets attendus. Bien au contraire, n'ayant pas su montrer le rôle
positif que pourrait assurer l'agriculture au sein de la ville, cette
expérience a provoqué l'effet inverse en mett ant cette
activité en conflit avec son voisinage de l'autre rive de l'Oise.
19 - Mai 2006.
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