Paragraphe 1 La différence des sexes comme
réalité universelle.
Il existe une multitude de différences qui sont sources
d'inégalités entre les personnes humaines. L'utilisation de ces
différences, comme fondement d'une catégorisation ou comme
justificatif d'une inégalité varie suivant la culture et ou la
société a l'intérieur de laquelle on se trouve. Ainsi, si
la différence de couleur de cheveux peut être pertinente dans les
pays du Nord par exemple, cette différence existe moins chez les Noirs
africains et presque pas chez les Asiatiques. Par ailleurs, en prenant deux
sociétés oi les mêmes différences se retrouvent
entre les individus, cette différence peut être source
d'inégalités dans la société A et ne pas
l'être dans la société B. Or, la différence sexuelle
est d'une part une réalité biologique commune a toute
l'espèce humaine et a toutes les sociétés, et d'autre
part, quelles que soient les sociétés, cette différence
est source de catégorisation et d'inégalité dans presque
tous les domaines en faveur de l'une ou l'autre des sexes.
Contrairement aux autres différences dont les
pertinences et les influences en termes d'inégalités peuvent
varier d'un endroit a un autre de la terre, la différence sexuelle est
une réalité universelle et constante qui génère
universellement des inégalités. Toute société
humaine est organisée autour de cette bipolarité qui est la plus
irréductible de la nature humaine car a l'intérieur des groupes
différenciés suivant la couleur de la peau, la langue ou tout
autre différence, on retrouve la distinction entre les individus de sexe
masculin et féminin. Les anthropologues précisent a cet effet que
la différence des sexes est le principe organisateur des
sociétés ((cette difference est inhérente a Ia
pensée eIIe-même; c'est une structure qui gère Ies
systèmes symboIiques et Ies
categories de Ian gage ))72.
Mais cela ne suffirait pas pour justifier la
prééminence de l'égalité des sexes sur
l'égalité d'autres groupes sociaux. La définition de
droits différenciés selon le sexe relèverait d'un choix de
systèmes politico-juridiques et non d'une
72LEVI-STRAUSS, C. cité par Eugénie
Czorny in : Anthropologie du genre et droits de l'Homme, rapport de Working
Group, Forum international du genre, action humanitaire et développement
publié en ligne,
http:IIwww.mdminternational.orgICDROM2FRONTPAGEIversionfrancaiseIconceptspapersIanthropofancaisIAnthropo.ddh.zip
consulté le 10 février 2006.
prééminence de cette dominance sur la nature
humaine car d'autres différences comme la couleur de la peau
relèvent tous autant de la nature humaine et ont été de
tous les temps utilisées comme critères de
discrimination73.
D'une part, l'argumentaire développé plus haut
montre déjà une certaine spécificité de la
différence des sexes dans l'organisation humaine. Il s'agit donc d'une
réalité englobante, valable pour l'ensemble de la population qui
structure les relations de chaque individu par rapport a l'autre. La
différence des sexes transcende toutes les autres différences
observées dans la nature humaine. En clair, la différence des
sexes concerne tout le monde, influe sur tout le monde et détermine les
modes de vie voire les droits et devoirs des personnes. Sa
prééminence sur les autres différences relève donc
d'abord du fait qu'il s'agit d'une problématique qui concerne tous les
groupes organisés des personnes humaines.
D'autre part, la différence des sexes a
été utilisée comme critère de
différenciation des droits dans presque tous les systèmes
juridiques. En France, la Déclaration des droits de l'Homme et du
Citoyen avait exclu les femmes comme sujets de ces droits. En 1841, la loi
interdisait a ces femmes de prendre part aux réunions publiques et
d'assister a des réunions abordant les questions politiques. Les
francaises ont dO attendre l'année 1944 pour obtenir le droit de vote.
Aux Etats-Unis d'Amérique, même après l'adoption de la
clause de protection égale, les femmes n'étaient pas
considérées comme égales aux hommes. Dans ce pays oi les
inégalités raciales constituent l'une des problématiques
les plus importantes, le droit de vote a été accordé aux
femmes 50 ans après l'obtention de ce droit par les esclaves en 1870.
Partout ailleurs dans le monde, le déséquilibre entre les sexes
s'est inscrit peu a peu dans les normes juridiques aussi bien dans le droit des
biens, le droit successoral, la législation sur le mariage ou le divorce
ou encore sur la nationalité.
73 VAIRIKAS, E.,< le principe de la parité entre les
sexes >>. Cahiers du Gedisst, nO 17, < Principes et enjeux
de la parité >>, 1996, P. 35.
Enfin, les procédures et mécanismes
anti-discriminatoires ne jouent pas de la même manière lorsqu'il
s'agit du motif du sexe74. Si par essence, les problématiques
d'égalité sont comparables quel que soit le critère de
différenciation, sur le fond, la résolution des
inégalités fondées sur le sexe nécessite une
approche différente. En effet, si l'égalité de race par
exemple se traduit par une nécessité d'assimilation, la
problématique de l'égalité des sexes exige selon les
circonstances tantôt une notion d'assimilation tantôt une notion de
différenciation75. Ainsi, si l'égalité de droit
de vote nécessite que ne soit pas prise en compte l'identité
sexuelle, l'égalité dans l'emploi demande des mesures
spécifiques pour aménager des congés de maternité
ou des horaires spéciaux aux femmes allaitantes. Ceci explique bien
pourquoi malgré l'affirmation formelle de l'égalité entre
les hommes et les femmes depuis la déclaration des droits de l'homme, la
réalité de l'égalité substantive entre les sexes
dans la jouissance des droits demeure non achevée. Ce non
achèvement de l'égalité substantive des sexes est
d'ailleurs une réalité universellement vécue.
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