Michel Foucault ,Psychiatrie et médecine( Télécharger le fichier original )par David Labreure Université Paris 1 panthéon sorbonne - Ma??trise 2004 |
III : LA REVOLUTION MEDICALE : ACTEURS ET CONSEQUENCESLa médecine clinique va donc prendre naissance à l'intersection de tous ces savoirs et selon toutes ces conditions. Au seuil du XIX éme siècle va donc se constituer un nouveau paradigme médical : La médecine des symptômes est remplacée par la médecine des tissus, c'est-à-dire la théorie anatomo-clinique. Il reste pour Foucault à déterminer le lieu et les acteurs de cette révolution médicale. Le lieu c'est l'Ecole de Paris dont la première réunion eut lieu en décembre 1794 : On y discute de l'importance et de l'urgence d'un enseignement qui se fasse aussi cliniquement et non plus théoriquement. Cette révolution va être influencée par une certaine philosophie, celle des idéologues de Cabanis, qui considérait l'observation comme l'essence de la médecine et rejetait la physique et la chimie pour ne retenir que « le cercle des faits propres à la médecine ».Cette Ecole de Paris va connaître plusieurs périodes marquées par des personnages aux méthodes et aux vues totalement différentes. Tout d'abord, celle marquée par Philippe Pinel, qui prônait la classification comme l'objectif majeur de toute science. La seconde période débute ce qu'est réellement cette révolution médicale .Elle est incarnée par Xavier Bichat ,né en 1771 , auteur de deux ouvrages fondamentaux : le Traité des membranes et surtout les Recherches physiologiques sur la vie et la mort .Dans le chapitre 8 « Ouvrez quelques cadavres » ,Foucault décrit ce qui à travers ces deux ouvrages va accompagner la révolution médicale accomplie par l'Ecole de Paris .C'est avec Bichat que vont coïncider pour la première fois le regard clinique et l'anatomie pathologique. Ces deux méthodes, préexistantes à l'Ecole de Paris sont pour la première fois réunies en une seule, permettant ainsi de regarder différemment les pathologies. Le regard de Bichat va aller vers un au-delà jusqu'alors inexploré et inexploité notamment lorsque sera décidé de procéder à des dissections de cadavres. Bichat va partir des autopsies pour essayer de découvrir la vérité du vivant. Pour que le regard du médecin puisse déchiffrer les symptômes en profondeur, il faut qu'il aille en rechercher la source au plus près du corps : « Ouvrez quelques cadavres » est une formule de Bichat, illustrant parfaitement ce nouveau besoin clinique : « Vous auriez pendant vingt ans pris du matin au soir des notes au lit des malades sur les affections du coeur ,du poumon (...) que tout ne sera pour vous que confusion dans les symptômes (...) Ouvrez quelques cadavres :vous verrez aussitôt disparaître l'obscurité que la seule observation n'avait pu dissiper »61(*). Avec Pinel, à la première époque de l'Ecole de Paris, on ne touchait pas à la maladie, on pratiquait une médecine que l'on qualifierait d'attentiste. Bichat, dans sa vision locale de la maladie, insiste sur l'importance des tissus corporels. Le discours est fondamentalement celui de la connaissance, du savoir. La médecine doit avant tout être un lieu d'exercice du savoir, de la compétence du médecin pour une vision nosologique de la maladie : Décrire d'abord, pour mieux pratiquer ensuite. L'ouverture des cadavres est plus qu'une simple observation : « Le cadavre ouvert (...) C'est la vérité intérieure de la maladie »62(*). Une des premières innovations de Bichat porte sur la notion de tissu, qui sera un concept déterminant de l'analyse clinique : Ainsi dans l'autopsie pratiquée par Bichat, les tissus sont les premiers composants anatomiques, devant les organes, organisant ces derniers en de vastes systèmes complexes. Leur organisation et leur agencement permettent la vie mais leur séparation vont de pair avec les processus morbides. Cette analyse permet à Bichat de retrouver « l'analyse dans le corps lui même »63(*).Foucault précisera que « l'oeil de Bichat est un oeil de clinicien parce qu'il donne un privilège épistémologique absolu au regard de surface »64(*).Regard de surface où la maladie n'est plus analysée passivement comme au temps de Pinel mais de façon dynamique et mouvante. Avec Bichat, la pensée du vivant va se tourner vers la mort .Ce même Bichat définit d'ailleurs la vie comme « l'ensemble des fonctions qui résistent à la mort ».Cette mise en place de la mort dans la pensée médicale, Foucault la constate également : « C'est du haut de la mort qu'on peut voir et analyser les dépendances organiques et les séquences pathologiques »65(*). Non seulement la pratique médicale se transforme, mais c'est aussi notre perception de la vie et de la mort qui change. L'anatomie clinique a besoin de la dissection des cadavres morts de maladie afin d'en déterminer le siège. La médecine clinique permet d'autopsier immédiatement après la mort, et par conséquent de faire la distinction entre les processus morbides et les processus d'acheminement à la mort : La mort ne serait plus une rupture brusque mais une disparition successive de fonctions La connaissance s'appuie paradoxalement sur la mort pour faire apparaître la vérité du vivant .Elle possède dans l'expérience clinique la vertu d'un révélateur. Elle rend possible un savoir, une connaissance médicale : si la médecine est bien la science de l'individu, la mort en est devenue sa condition première : « la nuit vivante se dissipe à la clarté de la mort »66(*). La médecine fonde un savoir de l'homme comme objet médical qui part de la finitude humaine, au sens de la mort. Réflexion sur des pratiques, la médecine clinique est donc à un autre niveau, celui des sciences humaines (ou plutôt des sciences de l'homme), une réflexion sur l'homme et sa limite : La mort. C'est cette nouvelle dimension, absente dans Histoire de la folie, qui apparaît là : Dans Histoire de la folie, ne figure aucune réflexion méthodologique sur l'histoire des sciences. Naissance de la clinique débroussaille un champ radicalement nouveau qui, dans les ouvrages futurs de Foucault, apparaîtra peut être plus nettement encore (surtout dans Les mots et les choses) : « L'homme occidental n'a pu se constituer comme objet de science (...) qu'en référence à sa propre destruction (...). De la mise en place de la mort dans la pensée médicale est née une médecine qui se donne comme science de l'individu »67(*) nous dit Foucault. D'après cette citation, Naissance de la clinique ouvre sur les Mots et les Choses, en ce sens qu'on aperçoit dans ce bref moment de la médecine clinique la possibilité pour l'homme de se constituer à la fois comme sujet et comme objet de connaissance. * 61 Xavier Bichat ,Anatomie générale ,avant-propos p.XCIX cité par Michel Foucault dans Naissance de la Clinique,PUF ,Paris,1963, p.149. * 62 Michel Foucault, Naissance de la clinique, PUF, Paris, 1963, p.138. * 63 Ibid.p.131. * 64 Ibid.p.130. * 65 Ibid.p.146. * 66 Ibid.p.149. * 67 Michel Foucault, Naissance de la clinique, PUF, Paris, pp.200/201. |
|