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L’harmonisation des systèmes fiscaux des états membres par la cour de justice de l’union européenne.


par Dylan Viry
Université de Lorraine - Master II Procédures et fiscalité appliquée 2019
  

Disponible en mode multipage

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L'harmonisation des systèmes fiscaux des

États membres par la Cour de Justice de

l'Union européenne

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Dylan Viry

Master 2 Procédures et Fiscalités Appliquées

Sous la Direction de Monsieur Jérôme Charpentier, Maître de
conférences en droit public à l'Université de Metz

Année Universitaire 2018-2019

Île du Saulcy, 57000 Metz
Secrétariat : 03 87 31 50 51

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J'adresse mes remerciements aux personnes qui m'ont aidé pour la réalisation de ce

mémoire.

En premier lieu, je remercie le corps enseignant de la faculté de droit de Metz qui m'a

permis de découvrir ma vocation pour le droit.

Je tiens à remercier Monsieur Jérôme Charpentier, Maître de Conférence à l'Université de Metz, pour sa patiente, son dévouement envers son Master et la qualité de ses conseils

dans la réalisation du présent mémoire.

Je remercie également Monsieur Pierre Tifine, Doyen de la faculté de droit, économie et administration de Metz qui a fait naître en moi la passion pour le droit administratif,

Madame Claudie Weisse-Marchal, Maître de Conférence à l'Université de Metz, qui m'a appris à apprécier le droit de l'Union européenne, et

Monsieur Florent Roemer, Maître de Conférence à L'Université de Nancy qui m'a fait

découvrir le droit fiscal.

Je tiens enfin à remercier ma famille et mes amis qui m'ont soutenu lors de l'écriture du

présent mémoire

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« Le droit est trop humain pour prétendre à l'absolu de la ligne droite. Sinueux, capricieux incertains, tel il nous est apparu - dormant et s'éclipsant, changeant mais au hasard, et souvent refusant le changement attendu, imprévisible par le bon sens comme par l'absurdité. Flexible droit ! Il faut, pour bien l'aimer commencer par le mettre à nu. Sa rigueur, il ne l'avait que par affectation ou par imposture ». Doyen Carbonnier

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Table des abréviations

A- Juridictions

CJCE Cour de justice des Communautés européennes

CJUE Cour de justice de l'Union européenne

CE Conseil d'État

B- Annuaires, Recueils, Revues

Rev. dr. Union européenne Revue du droit de l'Union européenne

C- Autres

aff. Affaire

Concl. Conclusions

Éd. Éditions

fasc. Fascicule

Req. Requête

TCE Traité instituant la Communauté européenne

TFUE Traité sur le fonctionnement de l'Union européenne

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Sommaire

Introduction

Partie I - Une harmonisation jurisprudentielle mouvante et flexible au détriment de la souveraineté des États membres

Chapitre I - La jurisprudence de la Cour, créatrice d'un droit de l'Union prétorien

Chapitre II - La compétence fiscale des États remise en cause par la Cour de Justice

Partie II - Une harmonisation jurisprudentielle téléologique pour lutter contre la concurrence fiscale

Chapitre I - Le marché commun : objet de l'harmonisation des systèmes fiscaux

Chapitre II - Une harmonisation négative de la Cour pour consacrer un espace de liberté et de justice fiscal

Conclusion

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Introduction

« Qu'on parle de vous, c'est affreux. Mais il y a une chose pire : c'est qu'on n'en parle pas »1. En effet, si la médiatisation de la haute fonction publique européenne est récurrente, sujette à de nombreuses critiques envers les « technocrates de Bruxelles »2, les juges de Luxembourg se situent loin de ces préoccupations, disposant d'une mise en lumière très limitée. Cette obscurité leur permet de préserver l'indépendance de leurs fonctions juridictionnelles. Toutefois, l'action de la Cour ne touche, médiatiquement parlant, que peu l'opinion publique, et ce, en dépit de la publicité des décisions de justice. Pourtant, l'action de la Cour est essentielle au rouage européen à travers son activité juridictionnelle. Elle est un engrenage dans la machine de la démocratie européenne influant sur la vie du citoyen, notamment en matière fiscale3.

1 Oscar Wilde, Citations

2 https://www.lepoint.fr/monde/royaume-uni-boris-johnson-menace-de-ne-pas-payer-la-facture-du-brexit-09-06-2019-2317742_24.php

3 CJCE, 14 février 1995, Finanzamt Köln-Altstadt contre Roland Schumacker, C-279/93

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Ainsi, s'il est né lentement un droit fiscal4 de l'Union Européenne5, il n'existe pas d'impôt6 européen à proprement parler. Et bien que ce droit ait pour but d'encadrer les législations fiscales nationales, son influence reste la plupart du temps asymétrique. C'est d'ailleurs cette caractéristique qui distingue l'Union Européenne des « véritables » États fédéraux7.

4 « Du latin fiscalis, lui-même issu de fiscus désigne un panier à argent, le trésor public ou encore le trésor impérial. Le droit fiscal est la branche du droit qui étudie les principes juridiques relatifs aux impôts, taxes, contributions et cotisations sociales et regroupe l'ensemble des normes de droit qui les concernent. Il traite des prérogatives de l'Administration pour percevoir auprès des personnes physiques ou des personnes morales (citoyens ou agents économiques) leur contribution au fonctionnement de l'Etat et à la satisfaction de l'intérêt public. Il aborde aussi les garanties dont disposent les contribuables.

Le droit fiscal, qui relève du droit public, a des liens étroits avec le droit privé en raison de ses impacts sur les activités économiques. Il est l'expression de la politique économique et sociale de l'Etat et interagit avec le droit des affaires, le droit commercial, la comptabilité et la finance. »

La Toupie, Dictionnaire, "Toupictionnaire" : le dictionnaire de politique, Droit Fiscal

http://www.toupie.org/Dictionnaire/Droit_fiscal.htm

5 « Créée le 1er janvier 1993 par l'application du Traité de Maastricht, l'Union Européenne (UE) prend le relais dans la construction européenne de la communauté économique européenne (CEE). L'UE est une union intergouvernementale, mais n'est pas un État destiné à se substituer aux États membres existants. Elle est une entité juridique indépendante des États qui la composent et dispose de compétences propres (politique agricole commune, pêche, politique commerciale, etc.), ainsi que des compétences qu'elle partage avec ses États membres. Elle est reconnue comme étant une organisation internationale.

Sur le plan économique, elle dispose d'une union douanière, ainsi que pour les États membres appartenant à la zone euro, d'une monnaie unique, l'euro. L'Union est donc une structure supranationale hybride empreinte à la fois de fédéralisme et d'intergouvernementalisme. Aujourd'hui, les pays de l'Union européenne sont au nombre de 28. »

INSEE, Définitions, méthodes et qualité, Définitions, Union Européenne / UE, https://www.insee.fr/fr/metadonnees/definition/c1753

6 Selon G.Jèze, l'impôt est « Une prestation de valeurs pécuniaires exigée des individus d'après des règles fixes, en vue de couvrir des dépenses d'intérêt général, et uniquement à raison du fait que les individus qui doivent les payer sont membres d'une communauté politique organisée » Cours de finances publiques 1936-1937, LGDJ, 1937, p. 38

Selon G. Vedel « L'impôt est une prestation pécuniaire requise des particuliers par voie d'autorité, à titre définitif et sans contrepartie, en vue de la couverture des charges publiques » Encyclopedia Universalis, 1996, v° Impôt, vol. 11, p. 1001

7 « L'État fédéral, ou fédération, se définit par l'existence d'un État fédéral se superposant à des entités fédérées, selon une organisation « à double étage ». C'est la Constitution fédérale qui assure la répartition des compétences entre les niveaux fédéral et fédéré. Les compétences qui intéressent la souveraineté internationale restent généralement le monopole de l'État fédéral (diplomatie, défense, monnaie).

Les États fédérés sont des entités politiques qui disposent chacune d'un pouvoir exécutif, législatif et juridictionnel, s'articulant avec ceux des institutions fédérales. Les États fédérés participent aux décisions fédérales : le pouvoir législatif fédéral est composé de deux chambres, l'une représentant la population de l'État fédéral, l'autre les États fédérés (Bundesrat allemand, Sénat américain, etc.). » Dalloz, Fiche d'orientation, État, Mai 2019

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Pourtant, l'article 2 du traité de Rome8 fixait un objectif ambitieux à la nouvelle communauté économique, composée de six États9, qui venait de naître à travers la promotion d'un développement harmonieux des activités économiques. L'établissement d'un marché commun et le rapprochement progressif des politiques économiques des États membres permettraient d'atteindre ce résultat. Parmi les instruments créés par le traité, la fiscalité n'y avait qu'une place modeste : cinq articles10 seulement lui étaient consacrés. En effet, dans les démocraties parlementaires, le vote de l'impôt est un symbole historique et une compétence jalousement conservée par les élus11. Or, aucune institution européenne comparable à un Parlement national n'avait suffisamment de légitimité pour lever un « impôt européen » ou consacrer une telle compétence fiscale.

Dans ce contexte, Union Européenne et fiscalité ont souvent été éloignées malgré le fait que ces dernières avaient été institué, ab initio, dans un but purement économique. Les traités n'accordent d'ailleurs aucune compétence fiscale à l'Union. Les immixtions de l'Union dans le domaine fiscal sont par conséquent très encadrées, même si la Cour de Justice a de plus en plus tendance à ouvrir ce territoire peu exploré jusqu'ici12. Toutefois, le fait de supposer que l'Union ne dispose pas de compétence fiscale ne signifie pas que le droit fiscal de l'Union en est encore à un stade embryonnaire, visible seulement à travers la jurisprudence de la Cour de Justice. En effet, il existe des articles dans le TFUE13 qui traitent de questions fiscales. Il ne s'agit toutefois que, pour la plupart, de dispositions ne se rapportant qu'à la fiscalité indirecte14. Ces dernières reprenant peu ou prou celles du traité de Rome, reflétant in fine la concrétisation de la libre circulation des marchandises15.

8 Le traité de Rome a été signe le 25 mars 1957 et entré en vigueur le 1er janvier 1958. Son article 2 dispose que « La Communauté a pour mission, par l'établissement d'un marché commun et par le rapprochement progressif des politiques économiques des États membres, de promouvoir un développement harmonieux des activités économiques dans l'ensemble de la Communauté, une expansion continue et équilibrée, une stabilité accrue, un relèvement accéléré du niveau de vie et des relations plus étroites entre les États qu'elle réunit. »

9 La France, la République Fédérale Allemande, la Belgique, les Pays-Bas, le Luxembourg et l'Italie.

10 Articles 95 à 99 du traité de Rome

11 Article 34 de la Constitution française de 1958

12 CJUE, 26 février 2013, Åklagaren/Hans Åkerberg Fransson, C-617/10

13 Traité ayant pour origine le traité de Rome amendé en profondeur par le traité de Lisbonne signé le 13 décembre 2007, entré en vigueur le 1er décembre 2009

14 Articles 110 à 113 du TFUE

15 Les libertés prévues par le traité en faveur de la circulation des travailleurs (art. 45), de l'établissement (art. 49), de la prestation de services (art. 49) et des mouvements de capitaux (art. 63) doivent être respectées dans le domaine fiscal.

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Néanmoins, cette absence d'une cohésion fiscale suffisamment solide pose de multiples problématiques. En effet, les impôts deviennent de véritables instruments de concurrence interétatique, créant ainsi un phénomène de concurrence fiscale intracommunautaire16. Phénomène ô combien paradoxal au regard des objectifs d'intégration, d'uniformisation17, ou tout du moins d'harmonisation18 de l'Union. Quelques directives éparses voient le jour19, sur le fondement de l'actuel article 115 TFUE permettant ainsi une harmonisation des systèmes fiscaux à l'unanimité du Conseil (dans l'hypothèse selon laquelle ils auraient une incidence directe sur le fonctionnement du marché intérieur). Le mouvement s'est cependant accéléré à partir des années 90, lorsque la Cour de Justice a commencé à appliquer les grandes libertés communautaires aux mesures fiscales, et ce, même en matière de fiscalité directe20. Toutefois, la réglementation fiscale européenne est encore bien trop incomplète et a prouvé l'entièreté de ses limites. En effet, dans un contexte de mondialisation économique, certains États membres tirent leur épingle du jeu en arborant

16 Amélie Barbier-Gauchard, La concurrence fiscale dans l'Union européenne, Les politiques budgétaires confrontées à la mobilité, Politique étrangère 2008/2 (Eté), pages 385 à 400

17 « Composée des mots latins unus qui signifie « un » et forma qui veut dire « forme », l'uniformisation consiste à donner la même formeà un ensemble d'éléments « dont toutes les parties se ressemblent entre elles ». Elle postule que, pour une matière précise, soit minutieusement élaboré un cadre normatif (unité de second degré) contenu dans un instrument unique auquel les parties prenantes adhèrent sans pouvoir y déroger ni sur le fond, ni sur la forme. Concrètement, l'uniformisation suppose par exemple que les États impliqués dans une intégration se dotent d'un corps de normes uniformes et détaillées contenu dans un instrument unique. D'ailleurs, c'est ce support commun à tous les intervenants à une intégration juridique qui fait la particularité de l'uniformisation et la distingue de l'unification. »

Innocent Fetze Kamdem, Professeur adjoint, Section de droit civil, Faculté de droit de l'Université d'Ottawa, Harmonisation, unification et uniformisation. Plaidoyer pour un discours affiné sur les moyens d'intégration juridique, Revue de droit uniforme: (2008) Unif. L. Rev./Rev. dr. unif. 709

18 « Du latin harmonia, l'harmonisation désigne « un simple rapprochement entre deux ou plusieurs systèmes juridiques » afin d'en réduire ou d'en supprimer certaines contradictions. Ainsi, l'harmonisation est un moyen qui sert à établir les grandes lignes d'un cadre juridique (unité législative de premier degré) en laissant aux différentes parties prenantes à l'intégration le soin de compléter l'ossature commune par des dispositions qui correspondent mieux à leurs valeurs, à leurs préférences ou à leur niveau de développement. En tant qu'entreprise, l'harmonisation est donc un processus. »

G. Cornu (dir.), Vocabulaire juridique, Paris, Quadrige / PUF, 2000, p. 423

Innocent Fetze Kamdem, Professeur adjoint, Section de droit civil, Faculté de droit de l'Université d'Ottawa, Harmonisation, unification et uniformisation. Plaidoyer pour un discours affiné sur les moyens d'intégration juridique, Revue de droit uniforme: (2008) Unif. L. Rev./Rev. dr. unif. 709

19 Directive 2011/96/UE du Conseil du 30 novembre 2011 concernant le régime fiscal commun applicable aux sociétés mères et filiales d'États membres différents, directive 2003/49/CE du Conseil du 3 juin 2003 concernant un régime fiscal commun applicable aux paiements d'intérêts et de redevances effectués entre des sociétés associées d'États membres différents, directive 90/434/CEE du Conseil, du 23 juillet 1990, concernant le régime fiscal commun applicable aux fusions, scissions, apports d'actifs et échanges d'actions intéressant des sociétés d'États membres différents

20 Pour la libre circulation des marchandises CJCE 16 juillet 1992, Legros, C-163/ 90, Plén., CJCE, 9 juillet 1994, Lancry SA et alii, C-363/ 93 et 407 à 411/ 93, CJCE, 19 févr. 1998, Chevassus, C- 212/ 96 Pour la libre circulation des capitaux CJCE, Jessica Safir, 28 avril 1998, C-118/ 96

Pour la libre circulation des personnes CJCE, 14 février 1995, Finanzamt Köln-Altstadt contre Roland Schumacker, C-279/93

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des systèmes fiscaux des plus avantageux pour les entreprises21, soulevant des problématiques inédites face auxquelles l'Union est désarmée par le principe du vote à l'unanimité22. L'Union Européenne se retrouve ainsi bloquée entre sa volonté d'harmonisation et le refus des États membres de lui abandonner leur compétence fiscale, dernier bastion de leur souveraineté.

Ainsi, « le droit fiscal européen s'entend comme la composante à part entière d'un système juridique transnational »23. Le droit de l'Union, sous sa perspective fiscale, a donc pour but d'assurer la bonne application des traités de base ainsi que la surveillance des régimes fiscaux nationaux. Et « s'il n'existe pas de fiscalité de l'Union, cela ne signifie pas que le droit fiscal de l'Union, ainsi entendu, ne présente pas d'importance. Tout au contraire, son objet tout d'abord - les fiscalités nationales - élément par excellence de la souveraineté nationale, ses méthodes ensuite - des règles contraignantes - ses objectifs enfin - élimination de toute discrimination, rapprochement des législations nationales - commanderaient, s'il en était besoin, d'attacher la plus grande importance au contenu de ses règles et à leur portée »24.

Il doit donc s'opérer une harmonisation des systèmes fiscaux nationaux si l'Union souhaite remplir cet objectif. Toutefois, selon la doctrine, l'harmonisation fiscale demeure un « concept flou si ce n'est ambigu particulièrement mis en avant par les organes communautaires en vue de faciliter la réalisation d'un grand marché unique. L'harmonisation fiscale est à distinguer de l'uniformisation fiscale, en ce sens que les règles fiscales des différents États sont certes rapprochées les unes aux autres, autour d'un

21 Irlande, Luxembourg, Malte et Pays-Bas

Jean-Christophe Catalon, 28 novembre 2017, La Tribune, Paradis fiscaux : quatre pays de l'Union européenne méritent d'être sur liste noire, selon Oxfam https://www.latribune.fr/economie/international/paradis-fiscaux-quatre-pays-de-l-union-europeenne-meritent-d-etre-sur-liste-noire-selon-oxfam-759371.html

22 « Dans le cadre du traité instituant la Communauté européenne et du traité sur l'Union européenne, toutes les décisions en matière fiscale qui doivent être prises au niveau européen sont soumises à la règle de l'unanimité, ce qui signifie que tous les États membres doivent être d'accord sur toute mesure adoptée dans le domaine fiscal.

Commission européenne, Fiscalité et Union douanière, information générale sur la fiscalité, Fiscalité et vote à la majorité qualifiée »

https://ec.europa.eu/taxation_customs/general-information-taxation/taxation-qualified-majority-voting_fr

23 Jean-Bernard Auby, L'influence du droit européen sur les catégories juridiques du droit public, Informations sociales 2013/1 (n° 175), Cairn

24 Dominique Berlin, Professeur émérite à l'université Panthéon-Assas (Paris II), Synthèse - Droit fiscal de l'Union européenne, JurisClasseur Europe Traité,

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tronc commun, mais tout en maintenant les différences de législation jugées acceptables25 ».

« Il y a vingt ans déjà, l'expression « droit fiscal communautaire » devait être précisée afin d'éviter toute référence à un quelconque impôt communautaire dont ce droit aurait défini le régime. En réalité d'impôt communautaire ou de l'Union aujourd'hui il n'y a pas et il semble qu'il n'y aura pas dans un avenir proche, car sa création marquerait sans doute un tournant dans la construction de l'Union européenne en direction d'un État fédéral, tournant qui, si tant est qu'il ait été proche à un moment donné, semble s'éloigner au fur et à mesure des nouvelles adhésions. En réalité, sous cette expression sont regroupés les deux corps de règles du droit de l'Union qui encadrent les droits fiscaux nationaux : les dispositions des traités et les directives d'harmonisation. »26

Toutefois, au sens de la doctrine, l'Union européenne n'est actuellement ni une confédération ni une fédération au sens constitutionnel de ces deux concepts. L'Union européenne a dans un célèbre arrêt « définit sa propre forme de fédéralisme constitutionnel »27 . En effet, parmi ses objectifs les plus importants l'intégration économique joue un rôle de moteur à travers la création et la consolidation d'un marché commun qui comprend sans discrimination les économies des 28 États membres. Cependant, la « Petite Europe28 » dispose toujours d'un « paysage fiscal très fragmenté ». Dans ce contexte, l'Union européenne quasi-fédérale est également confrontée au défi de la coordination des compétences législatives et administratives dans le but de supprimer les entraves au commerce entre États et d'éviter les discriminations au sein du marché commun. D'ailleurs, nombreux sont ceux qui l'ont souligné dans des rapports29 : le manque actuel de coordination et d'harmonisation a pour risque d'entraîner une érosion des recettes fiscales par l'exploitation d'arbitrages fiscaux ou de vides juridiques avantageux. Ainsi, dans un contexte d'une économie globalisée, la capacité des États membres à mettre en place un système fiscal efficace et équilibré est entravée par une concurrence fiscale

25 Alain Steichen, Lexique fiscal, Édition Saint-Paul

26 Ibid24

27 CJCE, 23 octobre 1986, Les Verts c/ Parlement, 294/83

28 Terme utilisé par pour désigner l'Union européenne par contraste avec la « Grande Europe » désignant généralement les États membres du Conseil de l'Europe

29 Qu'il s'agisse du rapport Neumark des 7 et 8 juillet 1962, Werner du 22 mars 1971, Burke de 1980, Ruding de 1992 ou de la Commission en 2001, tous ont énoncé la volonté d'entreprendre à plus ou moins grande échelle une harmonisation des législations fiscales au sein du territoire de l'Union

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robuste. Cela implique pour les États une nécessité de se rassembler pour lutter contre un phénomène qui entache constamment leur budget depuis plus d'un siècle30.

En matière fiscale, la jurisprudence de la Cour s'est étendue considérablement, devenant controversée au regard de la souveraineté des États. En effet, cette dernière participe inéluctablement à l'harmonisation fiscale entre les États membres. Il est évident que la jurisprudence de la Cour, comme il sera observé ci-après, tend à promouvoir la neutralité fiscale des transactions économiques au sein du marché unique, notamment en supprimant les entraves résultant de l'existence parallèle et de l'interaction de différentes taxes nationales. L'harmonisation fiscale entre les États membres revêt donc essentiellement deux dimensions. La première consiste en un rapprochement du droit fiscal et des règles de procédure connexes des États membres en vue de réduire, tout du moins, les disparités entre les systèmes fiscaux nationaux. La seconde consiste davantage en une suppression des doubles impositions, tant économiques que juridiques, entre les États membres.

« L'harmonisation ne couvre pas tous les aspects de l'impôt et peut être limitée aux aspects créant des dysfonctionnements dans le marché commun. Dans l'harmonisation la souveraineté nationale continue à exister, quoiqu'en parallèle avec la compétence communautaire, les États membres ne peuvent exercer leur souveraineté en matière de fixation de l'impôt que dans les limites prévues par l'organe centrale. Ainsi, à l'image du « serpent monétaire européen » mis en place dans les années 70 pour contenir les fluctuations des monnaies européennes dans certaines limites, certaines personnes préconisent un « serpent fiscal européen » afin d'encadrer les pratiques fiscales des différents membres de l'Union européenne et de les enserrer dans un standard commun »31 .

Toutefois, la notion d'harmonisation entre États membres ne se limite pas à la suppression des entraves à l'accès au marché intérieur et aux atteintes à la liberté de la concurrence causées par des dispositions fiscales discriminatoires et restrictives d'un seul et même État membre.

30 Cour de M. le Doyen Pierre Tiffine, « Le problème Suisse au XIXe siècle », Théorie de l'impôt, 2019

31 Politique fiscale communautaire, Encadrement politique des sources juridiques, §2 harmonisation fiscale, Lexnow

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En ce sens, dans quelles mesures le rôle joué par la Cour de Justice permet-il la consolidation des fondements du droit de l'Union au détriment de la souveraineté des États membres ?

Il ne fait nul doute que la Cour joue un rôle important de promotion mais également de complexification des législations fiscales des États membres à travers son harmonisation qualifiée de « négative32 ». Cette harmonisation fiscale prétoriennes33 s'effectue bien souvent au détriment de la souveraineté des États membres (Partie I) et dont la visée téléologique34 assumée s'effectue au profit de la consolidation européenne (Partie II).

32 L'harmonisation négative doit s'entendre comme l'harmonisation résultat de la jurisprudence de la Cour et qui a pour but d'harmoniser et d'offrir un cadre juridique cohérent aux États membres. A l'inverse l'harmonisation positive se définit davantage comme une harmonisation provenant du législateur européen.

Europa, Briefing, Mars 2017, The EU as a community of law - Overview of the role of law in the Union

33 Se dit d'un droit jurisprudentiel. Cela signifie qu'il est largement l'oeuvre du juge.

34 « Doctrine philosophique qui repose sur l'idée de finalité » Dictionnaire Larousse

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Partie I - Une harmonisation jurisprudentielle mouvante et flexible au détriment de la souveraineté des États membres

L'harmonisation négative effectuée par la Cour de Justice est le fruit d'une jurisprudence mouvante et flexible : en un mot prétorienne (Chapitre I). Cette jurisprudence, en constante évolution avec son temps et les problématiques de son époque, est symptomatique, portant inéluctablement atteinte à la compétence et, a fortiori, à la souveraineté fiscale des États membres (Chapitre II).

Chapitre I - La jurisprudence de la Cour, créatrice d'un droit de l'Union prétorien

La jurisprudence de la Cour de Justice est créatrice d'un droit prétorien. Ce droit prétorien de l'Union s'observe principalement à travers l'édiction de nombreux principes généraux du droit de l'Union (Section I). En ce sens, ce caractère évolutif de la jurisprudence fragilise inéluctablement la souveraineté fiscale des États membres (Section II).

Section I - Un droit prétorien à travers l'édiction de principes généraux du droit de l'Union

Ce droit prétorien de l'Union s'analyse par le biais d'une jurisprudence novatrice construite autour du triptyque de la primauté, de l'effet direct et de l'application immédiate du droit de l'Union (I) et d'autres principes généraux du droit à l'apport non négligeable (II).

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I - Une jurisprudence novatrice construite autour du triptyque de la primauté, de l'effet direct et de l'application immédiate du droit de l'Union

La jurisprudence de l'Union peut être qualifiée de novatrice, car elle a édicté sous couvert des traités originels des notions uniques comme la primauté (A), l'effet direct et de l'application immédiate du droit de l'Union (B).

A - La reconnaissance de la primauté du droit de l'Union

La primauté consiste dans le fait de faire primer une norme de l'Union sur une norme nationale35. L'arrêt Costa contre ENEL est ele précurseur de la notion de primauté du droit communautaire sur les normes internes. Se superpose en conséquence, un ordre juridique de l'Union sur l'ordre juridique national. De plus, la norme communautaire prévaut toujours en cas de conflit avec une norme constitutionnelle36. Toutefois, une telle conception intégrante de l'ordre juridique de l'Union dans l'ordre juridique interne n'a pas été d'emblée acceptée par les États, encore moins par certaines juridictions nationales telles que le Conseil d'État en France37 . En effet, dans un arrêt Sarran et Levacher, les juges du Palais-Royal ont affirmé leur attachement à la norme constitutionnelle, indétrônable selon eux par quelque norme que ce soit. En revanche, la seule limite posée par le juge de l'Union au principe de primauté se situe à l'alinéa 2 de l'article 4 du traité de Lisbonne qui prévoit la garantie de « l'identité nationale des États membres, inhérente à leurs structures fondamentales, politiques et constitutionnelles ».

Toutefois, outre cette rare exception au principe, la primauté du droit de l'Union est fondatrice, elle est la sève même de l'objectif d'intégration poursuivi par l'organisation européenne. Sans primauté, il n'existerait pas de droit aussi intégré, et l'Union se résumerait à une organisation de coopération classique. La primauté permet l'application effective, rend utiles les normes européennes en leur conférant une force dépassant la logique nationale. En matière fiscale bien entendu, le principe de primauté est ô combien nécessaire pour permettre à la Cour d'effectuer une harmonisation des systèmes fiscaux

35 CJCE, 15 juillet 1964, Costa contre ENEL, 6/64

36 CJCE, 11 décembre 1970, Internationale Handelgesellchaft, 11-70

37 CE, Assemblée, 30 oct. 1998, Sarran et Levacher, n°200286

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des États membres, bien que cette harmonisation négative se fasse par touche jurisprudentielle successive.

C'est à travers le principe de primauté du droit de l'Union mais également en raison des principes d'effet direct et d'applicabilité que la Cour peut émettre des décisions contraignantes pour les États membres dans un domaine38 qui relève de la compétence exclusive des États. Mais pour implémenter durablement le droit de l'Union, le principe de primauté ne peut fonctionner que lorsqu'il est combiné avec les principes d'effet direct et d'applicabilité immédiate.

B - L'effet direct et l'applicabilité immédiate

« L'effet direct du droit de l'Union est un principe fondamental du droit de l'Union. Il a été consacré par la Cour de justice des Communautés européennes dans l'arrêt Van Gend & Loos39 du 5 février 1963 »40. Dans cet arrêt, l'effet direct du droit de l'Union se caractérise comme le fait de « conférer des droits individuels que les juridictions nationales doivent sauvegarder ». « Les particuliers peuvent se prévaloir de ces droits et invoquer directement des normes européennes devant les juridictions nationales et européennes »41 .

En principe, l'effet direct peut s'observer sous deux perspectives. La première constitue l'effet direct vertical. Il s'agit d'un effet direct qui impacte les particuliers dans leur relation avec l'État. A l'inverse, il existe un effet direct horizontal qui impactera les relations des particuliers entre eux42.

L'effet direct est qualifié de partiel lorsqu'il s'agit d'effet direct vertical. A contrario, il est qualifié de complet ou total lorsqu'il joint la dimension verticale et la dimension horizontale43.

Ainsi, l'effet direct vertical et partiel consiste en une norme qui confère des droits aux particuliers dont ils peuvent se prévaloir à l'encontre de leur État tandis que l'effet direct

38 La fiscalité

39 CJCE, 5 février 1963, Van Gend & Loos c/ Administration fiscale néerlandaise, 26/62

40 Effet direct du droit de l'Union européenne - Octobre 2018, Fiche d'orientation, Dalloz

41 Ibid40

42 Ibid40

43 Ibid40

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complet, à savoir tant horizontal que vertical, vise à octroyer des droits aux particuliers mais également à leur imposer des obligations44.

« Pour se voir reconnaître un effet direct, la disposition de droit européen doit être, du point de vue de son contenu, inconditionnelle et suffisamment précise ; elle ne doit être subordonnée à aucune mesure ultérieure comportant un pouvoir discrétionnaire, soit des organes nationaux, soit des organes européens »45.

En droit de l'Union, la notion d'effet direct est essentielle et utilisée quasiment depuis la création du droit communautaire. Ce concept joue toutefois de pair avec l'applicabilité immédiate du droit de l'Union dans les ordres juridiques internes. Cette applicabilité immédiate doit s'entendre comme le fait pour une norme du droit de l'Union de s'insérer sans besoin de transposition ou de nationalisation. Elle doit s'interpréter en ce sens comme jouant en faveur d'un système moniste46.

Toutefois, au sens de la doctrine47, l'applicabilité immédiate est à distinguer clairement de l'effet direct. En effet, l'applicabilité immédiate intervient en amont de l'effet direct. Il est logique à penser que la norme doit être appliquée dans l'ordre juridique interne avant que de quelconques droits ou obligations ne naissent dans le chef de l'État ou des particuliers.

Le juge communautaire a en conséquence opéré un travail tout particulier dans l'intégration des normes communautaires au sein des systèmes juridiques nationaux. Un véritable tour de force jurisprudentiel, prétorien, qui a permis l'intégration croissante du droit de l'Union. Depuis le célèbre arrêt Simmenthal48 qui promeut notamment ces grands principes, les décisions suivantes de la Cour n'ont fait que confirmer et affirmer cette position. Imposant, entre autres, les principes de primauté et d'applicabilité immédiate au juge national ; faisant ainsi de lui le juge de droit commun du droit de l'Union. Dans l'arrêt

44 Obligations qui n'étaient à la charge que de l'État dans le cadre de l'effet direct partiel

45 Ibid40

CJCE, 4 décembre 1974, Van Duyn, 41/74

46 A la différence du sytème dualiste qui impose une ratification de la norme puis une nationalisation de cette dernière par le législateur de l'État concerné

Henri Chavrier, Droit de l'Union et des Communautés européennes et contentieux administratif - Primauté et effet direct du droit communautaire - Mars 2005 (actualisation : Octobre 2014)

47 Ibid46

48 CJCE, 9 mars 1978, Simmenthal, 106/77

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précité, le « très grand pragmatisme » du juge sera à l'honneur en considérant que ce dernier « ne doit pas appliquer la norme nationale contraire, sans développer les conséquences pour l'ordonnancement juridique interne de cette inapplicabilité »49 .

« L'enracinement des compétences du juge national est en effet passé par certaines adaptations qui rendent nécessaire de prendre la mesure des incidences de la primauté sur l'applicabilité immédiate du droit de l'Union. Plus encore, il ne fait guère de doute que le juge est allé au-delà de cette simple réaffirmation et s'est attaché à en tirer de nouvelles conséquences. Aussi bien l'« émancipation du juge interne au regard du droit national, par l'auto-appropriation de sa part de certains pouvoirs50 » qui résulte de l'arrêt Simmenthal, est poussée plus avant. On note ainsi un nombre significatif de solutions qui ont en définitive pour effet d'affaiblir l'autorité des juridictions supérieures, de sorte qu'il semble important d'évaluer les conséquences nouvelles de la primauté sur la hiérarchie juridictionnelle interne51 ».

La hiérarchie juridictionnelle nationale est bousculée par le droit de l'Union. Ce sont ces grands principes qui, comme la primauté, l'effet direct ou encore l'applicabilité immédiate bouleversent les frontières du droit et de la fiscalité. L'ordre juridique des États membres est en pleine rénovation dont le plus fervent artisan se caractérise par une jurisprudence constructive qui n'en était pas à ses premiers coups d'éclat. La plupart des domaines du droit sont concernés et particulièrement la fiscalité52. Ces principes fondamentaux sont les marqueurs originels d'une jurisprudence constamment évolutive par l'édiction de nouveaux principes généraux applicables en matière fiscale.

II - Une jurisprudence en constante évolution par la consécration des principes généraux du droit de l'Union

49 O. Dubos, Les juridictions nationales, juge communautaire, op. cit., p. 61

50 E. Dubout, Le « contentieux de la troisième génération » ou l'incomplétude du système juridictionnel communautaire, RTD Eur. 2007. 427

51 Brunessen Bertrand, La jurisprudence Simmenthal dans la force de l'âge - RFDA 2011. 367

52 L'arrêt Costa contre ENEL est relatif au droit de la concurrence et concernait le paiement d'une taxe d'électricité à une société en situation de monopole en Italie.

L'arrêt Van Gend & Loos concernait la prohibition des droits de douanes déguisés ou non à l'intérieur du marché commun

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Outre le triptyque originel des grands principes fondateurs du droit de l'Union, il existe également d'autres principes généraux du droit de l'Union « découvert »53 par la suite par le juge européen tels que les principes de proportionnalité (A) et de sécurité juridique (B).

A - Le principe de proportionnalité en matière fiscale

« Le principe de proportionnalité est également omniprésent dans la jurisprudence de la Cour, en particulier lorsqu'après avoir reconnu une restriction à l'exercice d'un droit ou d'une liberté, elle examine à quelles conditions cette restriction pourrait être reconnue compatible : elle doit être propre à atteindre l'objectif recherché et ne doit pas aller au-delà de ce qui est nécessaire » 54.

L'arrêt Commission contre France de 200455 en est un bon exemple. Cet arrêt concernait l'article 522 bis du CGI56. Soumis au contrôle de la Cour par la voie du recours en manquement, les juges apprécient dans un premier temps que la norme en cause est une mesure d'effet équivalent à une restriction quantitative57, car dans d'autres États membres l'appellation « or » peut s'appliquer aux ouvrages dudit métal titrant entre 375 et 585 millièmes, alors qu'en France cette appellation est réservée uniquement aux ouvrages d'or titrant au moins 750 millièmes. Toutefois, la Cour apporte une nuance en jugeant que, bien qu'il s'agisse effectivement d'une mesure d'effet équivalent à une restriction quantitative, l'article 522 bis du CGI assure « la loyauté des transactions commerciales et protège le consommateur »58. Toutefois, et c'est là où la Cour fait application du principe de proportionnalité, l'exception au principe de la libre circulation des marchandises caractérisée par la Cour n'est valable que s'il n'existe pas d'autres moyens pour parvenir à l'objectif susmentionné. En ce sens, à travers un contrôle maximum des normes, le juge ne

53 https://www.carrieres-publiques.com/actualite-fonction-publique-les-principes-generaux-du-droit-d-209

54 Pierre-François Racine, Olivier Fouquet, Cyrille David, Bernard Plagnet, Les grands arrêts de la jurisprudence fiscale, Edition : 07/09 - 5e édition

55 CJCE, 20 octobre 2005, Commission c/ France, C-166/ 03

56 Article 522 bis du CGI « Seuls les ouvrages d'or dont le titre est supérieur ou égal à 750 millièmes peuvent bénéficier de l'appellation "or" lors de leur commercialisation au stade du détail auprès des particuliers.

Les ouvrages contenant de l'or aux titres de 585 ou 375 millièmes bénéficient de l'appellation "alliage
d'or", assortie de leur titre, lors de leur commercialisation au stade du détail auprès des particuliers. »

57 Prohibé par l'article 28 CE

58 Pierre-François Racine, Olivier Fouquet, Cyrille David, Bernard Plagnet, Les grands arrêts de la jurisprudence fiscale, Edition : 07/09 - 5e édition

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se limite pas seulement à apprécier la légalité de la mesure en cause, mais il apprécie également son opportunité et sa cohérence au sein des systèmes fiscaux européens. C'est pourquoi, malgré l'objectif de loyauté des transactions commerciales et de protection du consommateur défendu par l'État français, la Cour a statué en déclarant l'article 522 bis du CGI incompatible avec l'article 28 CE car la mention du titre d'or en millième était considérée comme une garantie suffisante pour les potentiels acheteurs.

Ce contrôle maximum des normes nationales au regard des normes de l'Union induit un véritable pourvoir d'appréciation de la Cour qui recherchera la légalité du droit interne puis procédera à des contrôles de nécessité et de proportionnalité59 des mesures litigieuses. Cette proportionnalité joue très souvent en la faveur de l'harmonisation du droit de l'Union tandis que d'autres principes oeuvrent davantage en la faveur du contribuable tel que le principe de sécurité juridique.

B - La reconnaissance du principe de sécurité juridique

Ayant conscience de sa capacité à édicter des principes généraux du droit, la Cour assure aux particuliers également le droit à une sécurité juridique. Ce principe fondamental pour les acteurs économiques « exige que les règles de droit soient claires et précises et vise à garantir la prévisibilité des situations et des relations juridiques relevant du droit communautaire »60. Fruit d'une jurisprudence constante, le principe de sécurité juridique est le témoignage du pouvoir prétorien de la Cour, lui permettant de différer dans le temps les effets juridiques d'une décision juridictionnelle pour ne pas brusquer certaines activités économiques.

Ce principe est toutefois à distinguer du principe de confiance légitime. Ce dernier doit être perçu davantage comme « le corollaire du principe de sécurité juridique »61 . Ce principe général du droit de l'Union garantie tant les personnes physiques que morales des

59 Tel est le cas concernant la fraude à la TVA à travers les « carrousel de TVA » CJCE 11 mai 2006, Federation of technological industries, C- 384- 04

60 CJCE, 13 avril 1962, Bosch, 13/61, CJCE, 12 décembre 2002, Universal- Bau, C- 470/ 99 ; CJCE, 11 octobre 2007, Lämmerzhal, C- 241/ 06.

61 CJCE 12 juillet 1957, Algera, 7/ 56 ; CJCE, 14 mai 1975, CNTA c/ Commission, 74- 74 ; CJCE 1975, 25 janvier 1979, Racke, C-98/ 78 ; CJCE, 15 février 1996, Duff, C-63/ 93 ; CJCE, 18 mai 2000, Rombi et Arkopharma, C-107/ 97

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changements soudains de normes juridiques existantes si et seulement si le requérant prouve qu'il « avait trouvé dans le comportement de l'administration des espérances fondées dans la stabilité des règles »62. Ce principe peut trouver une application toute particulière en droit fiscal. En effet, une norme appuyée par une doctrine administrative qui s'applique de manière continue dans le temps peut déclencher dans le chef du contribuable un sentiment d'espoir dans le maintien d'une telle législation.

Toutefois, la marge de manoeuvre des États se trouve grandement impactée par ce principe, lorsque la Cour déclare qu'une législation nationale est contraire au droit de l'Union. Ce principe ne peut être utilisé par réciprocité, permettant à la Cour de jouir d'un droit prétorien qui ne peut être contredit. D'une part, la Cour peut garantir les droits de l'Union, ce qui peut être fondamental dans la protection des contribuables établis sur le sol de l'Union. D'autre part, l'impossible contestation s'avère critiquable dans la mesure où ce principe ne peut in fine pas être utilisé à l'encontre du droit de l'Union. La Cour verrouille donc la porte à double tour, emprisonnant les États et leur libre exercice à se défendre.

Dans une décision Ampafrance SA et Sanofi Synthelabo63, la Cour avait refusé, en invalidant une décision du Conseil européen qui autorisait l'État français à « déroger à la clause de gel des exclusions du droit à déduction »64 , de faire application du principe de confiance légitime en arguant le fait que le Conseil n'avait pas fait exacte application du principe de proportionnalité.

En France, le principe de sécurité juridique fait désormais partie du paysage jurisprudentiel national à travers l'arrêt de principe KPMG65, témoignage une fois encore de l'intégration des grands principes du droit de l'Union dans l'ordre juridique interne modifiant peu à peu la substance de ce dernier. Toutefois, le juge administratif français n'est pas encore allé jusqu'à consacrer le principe de confiance légitime qu'il rattache davantage au droit de l'Union qu'à son droit national.

62 Ibid58

CJCE 20 septembre 1990, Commission c/ RFA, C-5/ 89 ; CJCE, 22 juin 2006, Belgique c/ Commission, C- 182/ 03

63 CJCE, 19 décembre 2000, Ampafrance SA et Sanofi Synthelabo, C-177/99 et C-181/99

64 Ibid58

65 CE, 24 mars 2006, KPMG, n°288460

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En ce sens, si les tentatives de résistance des États membres sont visibles, elles sont toutefois minoritaires ; le juge préférant se plier aux exigences de son homologue communautaire.

Section II - La souveraineté fiscale des États membres fragilisée par la jurisprudence évolutive de la Cour

La souveraineté fiscale des États membres se retrouve toutefois fragilisée par cette jurisprudence créative entraînant une mutation des ordres juridiques nationaux avec l'intégration des nouveaux principes du droit de l'Union (I) mais également à travers le fort pouvoir de contrainte des arrêts en manquement rendu par la Cour (II).

I - La mutation de l'ordre juridique interne des États membres par l'intégration de nouveaux principes du droit de l'Union

La mutation de l'ordre juridique interne s'observe à travers la mise en application du principe de l'autonomie procédurale et institutionnelle des États membres (A). Les ordres juridiques des États membres entrent par conséquent en pleine mutation à travers l'imposition du consensus voulu par le législateur européen (B).

A - L'application controversée du principe d'autonomie procédurale et institutionnelle

Le principe d'autonomie procédurale et institutionnelle pourrait induire que les États membres disposent d'une marge de manoeuvre particulièrement importante. Il en est toutefois autrement. En effet, si ce principe laisse bel et bien le champ libre aux États de définir leurs propres règles procédurales, ces dernières doivent être « destinées à assurer la pleine sauvegarde des droits que les justiciables tirent du droit communautaire notamment en matière de répétition de l'indu ou d'action en responsabilité »66 .

66 Marie Hindré-Guégen, Responsabilité des États membres - Août 2006 (actualisation : Janvier 2012), Dalloz

CJCE, 22 janvier 1976, Russo c/ AIMA, C-60/75 ; CJCE, 16 décembre 1976, Rewe c/ Landwirtschaftskammer Saarland, C-33/76; CJCE, 16 décembre 1976, Comet c/ Produktschap voor Siergewassen, C-45/76; CJCE, 19 novembre 1991, Francovich et Bonifaci., C-6/90 et C-9/90

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Il convient donc pour les États membres qui ne disposent pas de règles procédurales en matière de répétition de l'indu, par exemple, de se plier aux exigences de l'Union en créant de nouvelles règles. La souveraineté des États est atteinte car, bien que disposant d'une certaine marge de manoeuvre, ce qui intéresse véritablement le principe d'autonomie institutionnelle et procédurale c'est sa finalité : l'instauration d'une harmonisation des buts. Peu importe le moyen si l'objectif est rempli, si l'indu est recouvré. En effet, ce principe prend une dimension toute particulière en matière fiscale67. Une aide d'État illégalement octroyée devra être répétée, tout comme des avantages fiscaux discriminatoires non conformes avec le droit de l'Union et les grandes libertés promues par le marché unique.

Ainsi, il revient à l'ordre juridique national des États membres « de fixer les critères permettant de déterminer l'étendue de la réparation à la charge de ce dernier » 68. Le but du droit de l'Union en cette matière est de garantir efficacement les droits des justiciables conférant au principe la dénomination de « loi de subsidiarité juridictionnelle »69 . Un seuil minimum de protection des droits est en conséquence garanti70.

En ce sens, « Il ressort de la jurisprudence de la Cour que la mise en oeuvre des critères permettant d'établir la responsabilité des États membres pour des dommages causés aux particuliers par des violations du droit communautaire doit, en principe, être opérée par les juridictions nationales71, conformément aux orientations fournies par la Cour pour procéder à cette mise en oeuvre72, a néanmoins empiété sur les compétences qu'elle a ainsi par ailleurs reconnues aux États membres » 73.

Une ingérence aussi importante de la Cour dans le droit national n'est cependant pas sans conséquence. En effet, l'obligation pour les États membres de faire muter leur système pour appliquer des principes parfois inutilisés en droit interne peut être qualifiée de

67 CJCE, 16 décembre 1976, C-33/76; CJCE, 29 juin 1988, Deville c/ Administration des impôts, C-40/87,

68 Ibid66

CJCE, 5 mars 1996, Brasserie du Pêcheur et Factortame, C-46/93 et C-48/93

69 D. Simon, Droit communautaire et responsabilité de la puissance publique. Glissements progressifs ou révolution tranquille ?, AJDA 1993. 235

70 CJCE, 19 novembre 1991, C-6/90 et C-9/90 ; CJCE, 5 mars 1996, C-46/93 et C-48/93

71 CJCE, 5 mars 1996, C-46/93 et C-48/93

72 CJCE, 17 octobre 1996, Denkavit, C-283/94, C-291/94 et C-292/94

73 Ibid66

CJCE, 30 sept. 2003, Köbler, C-224/01

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changement soudain et brusque. La question de la sécurité juridique est là encore au coeur du sujet et peut entraîner pour le contribuable une incompréhension.

La Cour impose sa vision par le biais des principes qu'elle dégage. Cette vision s'impose en conséquence aux États membres, façonnant ainsi le consensus issu de l'accord desdits États à garantir un droit commun sur le territoire de l'Union.

B - La mutation de l'ordre juridique nationale : objet d'un consensus imposé par la Cour

La mutation de l'ordre juridique nationale est tout d'abord l'objet d'un consensus. Ce consensus tient pour origine le processus législatif européen. Qu'il s'agisse des traités issus de l'accord unanime entre les exécutifs et les législateurs des États membres, ou des actes législatifs de l'Union74 pris par les instances européennes démocratiquement élues par les peuples des États membres75. En effet, depuis 1979, le Parlement européen est élu au suffrage universel76. Chaque institution législative de l'Union dispose d'une légitimité qui lui est propre, fondée tant sur le citoyen européen que national.

A l'inverse la Cour de Justice ne dispose pas de cette légitimité. A ce titre, « la Cour de justice est composée de 28 juges et de 11 avocats généraux. Les juges et les avocats généraux sont désignés d'un commun accord par les gouvernements des États membres, après consultation d'un comité chargé de donner un avis sur l'adéquation des candidats proposés à l'exercice des fonctions en cause. Leur mandat est de six ans, renouvelable. Ils sont choisis parmi des personnalités offrant toutes les garanties d'indépendance et qui réunissent les conditions requises pour l'exercice, dans leur pays respectif, des plus hautes fonctions juridictionnelles ou qui possèdent des compétences notoires »77 .

74 Règlement, directive, décision, recommandation, avis, acte délégué et acte d'exécution.

75 Conseil de l'Union européenne et Parlement euopéen

76 « La décision et l'acte portant élection des représentants au Parlement européen au suffrage universel direct ont été signés à Bruxelles le 20 septembre 1976. Après ratification par tous les États membres, l'acte est entré en vigueur en juillet 1978 et les premières élections ont eu lieu du 7 au 10 juin 1979. » http://www.europarl.europa.eu/factsheets/fr/sheet/11/le-parlement-europeen-contexte-historique

77 Cour de Justice - Présentation

https://curia.europa.eu/jcms/jcms/Jo2_7024/fr/

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Ainsi, contrairement au législateur européen, la Cour ne dispose d'aucune légitimité démocratique. Elle n'est, par essence, ni élue ni représentative de l'intérêt et de l'action politique des États membres. Au contraire, la Cour dispose d'une légitimité judiciaire. Elle est indépendante de toute considération nationale et ne doit pas tirer son pouvoir du peuple, sans quoi elle ne pourrait plus représenter l'intérêt européen. Elle est le bras armé de l'Union, celle par laquelle les actes législatifs sont appliqués avec effectivité. Elle est l'institution qui contourne les entraves nationales et les réprime.

La Cour est le garant de l'effet utile du droit de l'Union. Cet effet utile du droit de l'Union est permis par les grands principes définis précédemment. Le législateur européen est l'initiateur de l'acte issu du consensus78, représentatifs d'un accord des peuples européens. Les juges de Luxembourg, eux, imposent le consensus aux États membres qui laissent ou font naître des réglementations ou des législations nationales non-conformes au droit de l'Union.

La notion de conformité est, de surcroît, employée dans un sens strict par rapport à une autre notion, celle de la compatibilité. A titre d'exemple, une chose peut être compatible à une autre, à défaut d'être conforme. La Cour exige une conformité avec le droit de l'Union. Sa jurisprudence est donc le véritable ciment de la législation européenne. Le consensus est imposé à travers ce besoin de conformité et le but d'atteindre cet effet utile du droit de l'Union, si cher aux fédéralistes.

La fiscalité n'aurait ainsi pu être modifiée avec autant d'aisance. Cette branche du droit hautement inflammable dans son sujet appartient encore de manière pleine et entière aux États, enfin en principe. En pratique, la Cour de Justice a trouvé des moyens détournés pour se mêler de la fiscalité qu'il s'agisse de l'utilisation des textes de droit primaire pour réprimer les atteintes aux grandes libertés ou de l'incursion rapide de sa jurisprudence pour suppléer les directives fiscales.

L'imposition d'un tel consensus peut être également visible à travers la force contraignante des décisions prises à la suite d'un recours en manquement.

78 Qu'il soit unanime comme pour les traités de droit primaire ou adopté à la majorité qualifiée selon la procédure législative ordinaire

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II - Le pouvoir de contrainte des décisions prises à la suite d'un recours en manquement

En matière fiscale, le pouvoir de contraintes des décisions prises à la suite d'un recours en manquement est couvert par l'autorité absolue de chose jugée (A) auxquels de nombreux États peuvent tenter, en vain, de résister (B).

A - L'autorité absolue de chose jugée des décisions prises à la suite d'un recours en manquement

« Le recours en manquement est une procédure juridictionnelle par laquelle la Cour de justice de l'Union européenne contrôle le respect par les États membres des obligations qui leur incombent en vertu du droit européen » 79.

Le recours en manquement peut être qualifié de deux manières. Dans le premier cas, il est intentionnel, dans le second, il résulte d'une négligence. « Le manquement doit être imputable à l'État »80 . Cette notion est à entendre de manière extensive, car elle concerne l'État central ainsi que ses entités infra-étatiques telles que les collectivités locales autonomes ou indépendantes. La seule exemption pouvant être invoquée contre un recours en manquement est la force majeure. Toutefois, elle n'est interprétée que strictement par les juges.

Dans le cas d'un recours en manquement, la Commission met en demeure l'État en cause à régler le problème du litige et lui octroie un délai dans lequel l'État doit s'engager pour résoudre le manquement. Dans l'hypothèse selon laquelle l'État n'applique pas les demandes de la Commission, cette dernière adresse un avis motivé en droit et en fait sur la constatation du manquement en prévoyant « un délai raisonnable pour permettre à l'État d'adapter son droit ou préparer sa défense »81 . A l'expiration du délai, la Commission a ensuite l'opportunité de poursuivre l'État devant la Cour.

79 Fiche d'orientation - Recours en manquement (Droit de l'Union européenne) - Septembre 2018 Dalloz

80 Ibid79

81 Ibid79

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« La constatation du manquement est purement déclaratoire. La Cour de justice ne peut ni annuler, ni abroger les mesures nationales. Il appartient alors aux autorités nationales de prendre toutes les mesures nécessaires pour assurer l'exécution de l'arrêt en manquement »82 au sens du principe d'autonomie procédurale et institutionnelle. « L'article 260 du TFUE permet seulement à la Cour de justice d'infliger à l'État membre récalcitrant des sanctions pécuniaires sous la forme d'une somme forfaitaire et/ou d'une astreinte »83.

En conséquence, la Cour semble en théorie disposer d'un pouvoir de contrainte plutôt limité. Or la pratique de la jurisprudence de la Cour a bien souvent l'effet inverse.

A titre d'illustration, la Cour a jugé pour « la première fois84 » qu'une cour nationale aurait dû la saisir afin d'empêcher une décision juridictionnelle risquant d'interpréter de manière erroné le droit de l'Union.

En l'espèce, le Conseil d'État imposait dans une jurisprudence constante des restrictions relatives au remboursement de l'impôt indûment recouvré sur le précompte mobilier85. En conséquence, dans un arrêt Ministre du Budget, des Comptes publics et de la Fonction publique contre Accor SA86, la Cour a censuré cette jurisprudence française non-conforme au droit de l'Union. Toutefois, le Conseil d'État continua à adopter la même position, à la suite de l'arrêt rendu à la suite d'un recours préjudiciel. La Commission se saisit ainsi du dossier et enjoint l'État français à changer sa jurisprudence. Le changement demandé n'ayant pas eu lieu, la Commission introduit en conséquence un recours en manquement devant la Cour de Justice.

En effet, dès lors que le Conseil d'État a omis de procéder à cette saisine, alors même que l'application correcte du droit de l'Union dans ses arrêts ne s'imposait pas avec une telle

82 Ibid79

83 Ibid79

84 CJUE, 4 octobre 2018, Commission contre France, n° C-310/09 http://www.etudes-fiscales-internationales.com/action-en-manquement/

85 « Le précompte mobilier est une somme prélevée sur un revenu mobilier. Le précompte est en tout ou partie libératoire de l'impôt pour la personne qui le supporte. En France, le précompte mobilier s'est ainsi appliqué aux sociétés qui distribuaient des dividendes et qui n'avaient pas supportés l'impôt au taux plein au cours des 5 exercices précédents la distribution de ces revenus. » https://www.mataf.net/fr/edu/glossaire/precompte-mobilier

86 CJUE, 15 septembre 2011, Ministre du Budget, des Comptes publics et de la Fonction publique contre Accor SA, C-310/09

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évidence, qu'elle ne laissait pas place à aucun doute raisonnable, le manquement est établi. La question dont aurait dû être saisi la Cour concernait le fait de savoir « s'il y avait lieu de refuser de prendre en compte l'imposition subie par une filiale non-résidente sur les bénéfices sous-jacents à des dividendes redistribués par une société non-résidente »87 .

Dans l'arrêt rendu à la suite du recours en manquement, la Cour somme la France de mettre fin au traitement discriminatoire. Le Conseil d'État aurait dû considérer l'absence de double imposition sur les distributions de dividendes des sous-filiales. Cette interprétation extensive sur le fond du litige impose le changement jurisprudentiel et législatif sous astreinte.

Ainsi, si les arrêts rendus à la suite de recours en manquement font preuve d'une force juridique et symbolique toute particulière, certains États effectuent parfois des actes de résistance à l'encontre de telles décisions.

B - Les vaines tentatives de résistances des États à la suite d'une condamnation par un recours en manquement

Dans un arrêt en date du 15 décembre 200088, la France fut condamnée à raison de son régime de sécurité sociale. En effet, « en appliquant la contribution sociale généralisée aux revenus d'activité et de remplacement des travailleurs salariés et indépendants qui résident en France, mais qui, en vertu du règlement89 du 14 juin 1971, ne sont pas soumis à la législation française de sécurité sociale90 », la Cour estime que la législation en matière de prélèvement sociaux de État français n'est pas en conformité avec le droit européen.

Si la France a modifié par la suite sa législation sur ce point précis, elle n'a toutefois pas généralisé cette jurisprudence dans son système de prélèvement social obligatoire. En effet,

87 Ibid85

88 CJCE, Commission c/ France, 15 avril 2000, C-169/98

89 Règlement (CEE) n° 1408/71 du Conseil du 14 juin 1971 relatif à l'application des régimes de sécurité sociale aux travailleurs salariés, aux travailleurs non-salariés et aux membres de leur famille qui se déplacent à l'intérieur de la Communauté modifié par le règlement n° 118/97 du Conseil, du 2 décembre 1996

90 https://www.cleiss.fr/docs/jurisprudence/c169-98.html

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le régime des prélèvements sociaux obligatoires sera une nouvelle fois à l'honneur dans un arrêt de la Cour de Ruyter91 . La Cour réitère sa position en matière de prélèvements sociaux obligatoire sur un non-résident. Dans son arrêt, comme à la suite du recours en manquement formulé devant son prétoire quinze années auparavant, la Cour censure l'application des prélèvements sociaux obligatoires français sur les revenus de capitaux mobiliers d'un non-résident fiscal.

Comble de l'ironie, dans un récent arrêt Wenceslas de Lobkowicz contre Ministère des Finances et des Comptes publics92, la législation en matière de sécurité sociale française est de nouveau censurée. L'État français n'avait dans cette affaire toujours pas tiré les conséquences des deux jurisprudences précédentes en soumettant là encore les revenus fonciers d'un non-résident, en l'espèce un fonctionnaire de la Commission européenne, aux contributions sociales obligatoires.

Entre oubli et mauvaise volonté, il est difficile de croire en la bonne foi de l'État français. La Cour de Justice aura toutefois réussi à faire évoluer crescendo la législation française en matière de contributions sociales, atteignant par là même la compétence fiscale de l'État en cause.

91 CJUE, 26 février 2015, De Ruyter, C-623/13

92 CJUE, 6 décembre 2016, Wenceslas de Lobkowicz contre Ministère des Finances et des Comptes publics, C-690/15

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Chapitre II - La compétence fiscale des États remise en cause par la Cour de Justice

Il ressort des développements précédents, que la compétence fiscale des États est inéluctablement atteinte par la jurisprudence de La Cour de Justice. Cette dernière a ainsi permis l'accroissement du champ de compétence du droit de l'Union en matière fiscale (Section I). Toutefois, certaines juridictions nationales comme la France font parfois preuve de résistance face à ce phénomène d'harmonisation négative (Section II).

Section I - L'accroissement du champ de compétence du droit de l'Union en matière fiscale

L'accroissement du champ de compétence du droit de l'Union en matière fiscale s'observe à travers une harmonisation supplétive de la Cour en matière de fiscalité indirecte (I). Il s'agit, en effet, d'un domaine qui a déjà connu les effets de l'harmonisation positive du législateur européen. En outre, en matière de fiscalité directe, qui reste le plus grand chantier pour les penseurs d'une Union européenne fédérale, l'harmonisation de la Cour se montre davantage créative (II).

I - Une harmonisation supplétive de la Cour en matière de fiscalité indirecte

En effet, il est connu que depuis la directive TVA93, l'harmonisation en la matière (A) a permis à la Cour de jouer un rôle supplétif à l'action du législateur (B). Elle agit en ce sens comme un renfort apportant précisions et nuances.

A - Le domaine harmonisé de la TVA

Le domaine de la TVA est un domaine harmonisé par la directive du 28 novembre 2006. La Cour a, en matière de TVA, exposé une longue série de décisions afin d'harmoniser ce domaine intégralement. En effet, si l'harmonisation effectuée par le législateur tente d'être

93 Directive 2006/112/CE du Conseil du 28 novembre 2006

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exhaustive, chaque situation individuelle offre son lot d'originalité dans l'application générale de la directive. Par ailleurs, la jurisprudence a, semble-t-il, tellement bien effectué sa tâche d'harmonisation négative que le législateur européen plancherait d'ores et déjà sur une nouvelle directive TVA94 codifiant pour certains points la jurisprudence de la Cour.

A titre d'exemple, dans un arrêt Hotel Scandic95, la Cour apporte des précisions si opération facturée à prix faible entre dans le champ de la TVA. Sur cette question, la Cour a tranché qu'une telle opération s'effectue à titre onéreux et pouvait en conséquence être sujette à TVA.

Le plus célèbre arrêt de la Cour en la matière est sans doute la décision Apple Peer96. Dans ce grand arrêt de la jurisprudence fiscale en matière de TVA, le juge communautaire précise le champ d'application de la TVA dans l'espace communautaire. Ainsi, l'opération peut être sujette à TVA en l'existence d'un lien direct individualisé ou individualisable entre la contrepartie au service et le service rendu. Dans cette affaire, une société gérait la publicité et la promotion de produits agricoles. Elle était rémunérée par une cotisation annuelle payée par tous les producteurs. En l'espèce, le caractère à titre onéreux de la prestation semble rempli. Toutefois, au sens de la Cour, la société agissait dans l'intérêt commun des producteurs. Les avantages tirés individuellement par les producteurs bénéficiaient à tout le secteur visé par les campagnes de publicité. Dès lors, il n'existait pas de lien direct suffisant entre le niveau des avantages tirés par les producteurs individuellement et le montant des cotisations annuelles. En conséquence, les opérations visées étaient donc exclues du champ d'application de la TVA.

La Cour caractérise ainsi son harmonisation à travers l'appréciation de la directive TVA. Elle y apporte des nuances, des méthodologies et des définitions essentielles à la bonne application du texte, ou tout du moins, une application à la lumière des travaux parlementaires. A ce titre, les travaux parlementaires sont d'une importance capitale pour les arrêts de la Cour, qui peut ainsi relier toujours sa jurisprudence et sa légitimité en tant qu'organe juridictionnel à la légitimité démocratique du législateur de l'Union.

94 https://www.anafagc.fr/blog-maj/article/150/2022-vers-une-nouvelle-directive-tva

95 CJCE, 20 janvier 2005, Hotel Scandic, C-417/03

96 CJCE, 8 mars 1988, Apple Peer, C-/88

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En ce sens, la TVA est une matière du droit fiscal qui a été quasi-totalement harmonisée sous couvert d'une jurisprudence explicative abondante.

B - Une jurisprudence explicative abondante en matière de TVA

En ce sens, la jurisprudence a abondé le domaine de la TVA dans une optique explicative et pédagogique. En reprenant l'exemple précédent, sont soumises à la TVA, les opérations ayant un lien direct entre le versement d'un prix et la contrepartie à ce prix97. A ce sujet, l'harmonisation négative effectuée par la Cour provient d'une interprétation objective des activités économiques. Une interprétation économique logique à ce sujet, car la TVA est un impôt important pour le budget des États membres. Le recouvrement efficace de cet impôt est nécessaire pour alimenter les ressources de l'État. Ainsi, cette approche économique permet l'harmonisation des systèmes fiscaux européens et le recouvrement efficace et justifié juridiquement des opérations commerciales, même issues d'activités illicites ou de fraudes fiscales98. En la matière, la Cour a ainsi posé les principes distinguant une activité économique d'une activité de gestion privée99.

La Cour a également eu à connaître de litiges en matière de TVA sur la notion d'assujetti. C'est dans ces situations que l'harmonisation négative prend toute sa forme. La Cour joue son rôle d'appui au législateur formant, affaire par affaire, une base juridique solide à laquelle le juge national, premier juge du droit de l'Union, devra se fonder pour ne pas effectuer d'interprétation erronée. Harmonisant alors la notion d'assujetti, la Cour estime que l'assujetti doit être considéré comme tel même s'il exerce à titre occasionnel une activité autre que celle pour laquelle il a obtenu la qualité d'assujetti100.

Sur ce sujet, se pose également la question des personnes morales de droit public, exonérées par principe à la TVA. Si le principe est l'exonération, l'exception est l'assujettissement à la TVA lorsque les opérations réalisées entrent en concurrence avec des

97 CJCE, 1er avril 1982, Hong Kong Crane Dvpt. Council, C-89-81 CJCE, 3 mars 1994, Tolsma, C-16/93

98 CJCE, 21 février 2006, Halifax PLC, C-255/02

99 CJUE, 15 septembre 2011, Jarosaw Saby contre Minister Finansów et Emilian Kuæ et Halina Jeziorska-Kuæ contre Dyrektor Izby Skarbowej w Warszawie, C-181/10

100 CJUE, 13 juin 2013, Galin Kostov, C-225/26

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opérations réalisées par des personnes morales de droit privé et sont en capacité de créer des distorsions de concurrence. A ce sujet, il est fait application de la libre concurrence qui s'applique sur le territoire de l'Union. Elle impose que les agents économiques ne soient pas avantagés ou désavantagés en fonction de leur domaine d'activité. En ce sens, deux critères vont être posés par la jurisprudence101. L'assujetti doit être une personne morale de droit public et son activité, accomplie en tant qu'autorité publique, va créer une distorsion de concurrence. La façon dont la personne morale de droit public exerce l'activité est prise en compte. Ce qui importe pour la Cour n'est pas l'objet mais le résultat de cette activité.

D'autres domaines tels que celui des cessions d'action sont également harmonisées. La Cour précise que les cessions d'actions ne sont jamais soumises à la TVA. Soit elles sont hors du champ d'application de la TVA, car les critères ne sont pas remplis, soit elles entrent dans le champ d'application de la TVA, mais bénéficient d'une exonération102. En ce sens les opérations de gestion de patrimoine des participations se situent en dehors du champ TVA, comme la perception de dividendes par une « holding mixte », même en cas d'immixtion dans la gestion des filiales103. Dès lors que ces opérations de prêt ne constituent pas une activité économique de la holding104, la simple détention par une holding de participations financières dans ses filiales ne rentre pas dans le cadre d'une activité économique au sens de la directive105.

La fiscalité de la TVA est une matière dense et riche sur laquelle le regard de la Cour s'est posé. Agissant comme un dictionnaire de la directive, la jurisprudence de la Cour opère les nuances et garantit une interprétation protectrice de l'activité économique intracommunautaire en favorisant les recouvrements en cas d'opérations illicites, mais également, en restant un système attractif contre les mécanismes de double taxation sur les valeurs mobilières particulièrement.

101 CJCE, 17 octobre 1989, Communes de Carpaneto, Piacentino et de Rivergaro, C-231/87 et C-129/88

102 CJUE, 29 octobre 2009, Skatteverket, C-29/08

103 CJCE, 20 juin 1996, Wellcome Trust Ltd, C-155/94

104 CJCE, 14 juillet 2000, Floridienne SA et Berginvest SA, C-142/99

105 CJCE, 29 avril 2004, EDM, C-77/01

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A l'inverse du domaine harmonisé par une directive, la Cour a dû se montrer davantage créative en matière de fiscalité directe ; disposant de moins de bases juridiques en la matière.

II - Une harmonisation créative de la Cour en matière de fiscalité directe

Au contraire de l'action de la Cour en matière de fiscalité indirecte, la fiscalité directe n'a jamais connu d'harmonisation positive de la part du législateur européen. L'action de la Cour est quasiment purement jurisprudentielle (A) généralement sous couvert du principe de non-discrimination (B).

A - Une harmonisation quasi-jurisprudentielle

« La pénétration du droit communautaire dans les droits nationaux doit beaucoup à l'oeuvre de la Cour de justice » 106.

Les recours en manquement et les recours préjudiciels posés par les juridictions nationales ou encore les recours en appréciation de validité ont fleuri devant le prétoire de la Cour. Le mot d'ordre dans la plupart de ces litiges était la défense des grandes libertés. Ces grandes libertés disposaient d'un effet direct dans les ordres juridiques nationaux au détriment de la souveraineté des États. A l'inverse de la fiscalité indirecte, il n'existe pas d'acte législatif ordinaire pour les questions relatives à la fiscalité directe. Les seuls moyens pour la Cour de pénétrer dans ce domaine farouchement défendu par la souveraineté nationale sont les articles du traité défendant les grandes libertés qui s'exercent sur le marché unique.

« La Cour a développé une jurisprudence particulièrement dynamique en matière fiscale sanctionnant en premier lieu quasi systématiquement les entraves ou restrictions à l'exercice de ces libertés que recelaient bien des droits nationaux, stigmatisant en deuxième lieu comme aides d'État illégales de nombreux dispositifs fiscaux et enfin en

106 Pierre-François Racine, Olivier Fouquet, Cyrille David, Bernard Plagnet, Les grands arrêts de la jurisprudence fiscale, Edition, 07/09 - 5e édition

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mettant en lumière les obligations découlant de ses arrêts qui s'imposent aux États membres dont la responsabilité est engagée » 107.

La Cour dispose d'une interprétation rigoureuse dans les cas d'entraves à une liberté de circulation108. Elle va tout de même exercer un contrôle des justifications données par l'État en cause. En ce sens, l'entrave doit rechercher « un objectif légitime compatible avec le traité ; elle doit répondre à des raisons impérieuses d'intérêt général ; elle doit être de nature à atteindre l'objectif recherché ; elle ne doit pas produire d'effets allant au- delà de ce qui est nécessaire pour l'atteindre »109 en application du principe de proportionnalité.

En outre, la plupart des arrêts de la Cour concernent la protection des grandes libertés de l'Union et on été exercés par la voie du recours préjudiciel. Les arrêts de la Cour bénéficient donc de l'autorité de la chose interprétée. A ce titre, « le Conseil d'État a finalement admis que cette autorité s'étendait également aux points tranchés par la Cour en dehors de là où des questions qui lui avaient été soumises »110.

L'harmonisation effectuée en matière de fiscalité directe relève en grande partie de la jurisprudence qui utilise de très nombreuses fois comme justification le principe de nondiscrimination, fondamental pour assurer la cohésion des systèmes fiscaux au sein de l'Union et ainsi lutter contre la concurrence fiscale.

B - Une harmonisation effectuée au nom du principe de non-discrimination

« L'objectif de la non-discrimination est de permettre à tous les individus de pouvoir accéder, de manière égale et équitable, aux opportunités qu'offre la société. Ce principe signifie essentiellement que les individus qui se trouvent dans des situations similaires doivent être traités de manière similaire et non de manière moins avantageuse, uniquement parce qu'ils possèdent une caractéristique particulière « protégée »111.

107 Ibid107

108 CJCE 13 décembre 1989, Corsica Ferries France, C-48/ 89, pour la circulation des marchandises ; CJCE, 14 décembre 2006, Denkavit, C-170/ 05, pour la liberté d'établissement

109 Ibid107

110 CE, 11 décembre 2006, de Groot, 234560

111 Europa, Page d'accueil EUR-Lex Synthèses de la législation de l'UE Glossaire des synthèses https://eur-lex.europa.eu/summary/glossary/nondiscrimination_principle.html?locale=fr

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L'article 110 alinéa 1er du TFUE prévoit l'interdiction des discriminations qui pourraient être existantes dans les politiques mises en place par les États membres.

« Les citoyens européens peuvent exercer leur droit de recours judiciaire en cas de discrimination directe ou indirecte, tout particulièrement s'ils sont traités différemment dans des situations comparables ou si un traitement désavantageux ne peut être justifié par un objectif légitime et proportionné »112.

La notion de non-discrimination est entendue par la Cour, en matière fiscale, de manière extensive. En ce sens, « selon une jurisprudence constante, l'article 90 CE113 doit recevoir une interprétation large, de manière à permettre d'appréhender tous les procédés fiscaux qui porteraient atteinte, que ce soit de façon directe ou indirecte, à l'égalité de traitement entre les produits nationaux et les produits importés. L'interdiction qu'il édicte doit donc s'appliquer chaque fois qu'une imposition fiscale est de nature à décourager l'importation de biens originaires d'autres États membres au profit de productions intérieures114 ».

Dans cette définition donnée par la jurisprudence de l'article 110 TFUE, la Cour adopte une interprétation systémique, appréciant l'article dans son ensemble plutôt qu'en le scindant alinéa par alinéa. Le principe de non-discrimination est fondamental en droit fiscal de l'Union, car il permet la neutralité des transactions économiques115.

Le principe de non-discrimination en raison de la nationalité est d'une importance essentielle dans l'ordre juridique de l'Union, car il est le pilier de la réalisation du marché commun et le protecteur du libre exercice des grandes libertés économiques.

112 Ibid107

113 Article 90 CE : « Aucun État membre ne frappe directement ou indirectement les produits des autres États membres d'impositions intérieures, de quelque nature qu'elles soient, supérieures à celles qui frappent directement ou indirectement les produits nationaux similaires.

En outre, aucun État membre ne frappe les produits des autres États membres d'impositions intérieures de nature à protéger indirectement d'autres productions ».

114 CJCE, 8 novembre 2007, Stadtgemeinde Frohnleiten et Gemeindebetriebe Frohnleiten, C-221/06, CJUE, 19 décembre 2013, C-437/12,

115 CJCE, 27 février 1980, C-168/78 ; CJCE, Commission. c/ France, C-169/78 ; CJCE, Commission c/ Italie, C-171/78

JCl. Europe Traité, fasc. 1610

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« L'avènement, dans le Traité de Maastricht, d'une citoyenneté européenne dont l'un des principaux attributs est le droit à la non-discrimination en raison de la nationalité a cependant ravivé le caractère fondamental de ce principe : en effet, en particulier grâce à une jurisprudence volontariste, ce principe va devenir la clé de voûte non seulement des objectifs économiques de la Communauté et de l'Union mais également du projet politique communautaire »116.

Le principe de non-discrimination reste toutefois un principe invoqué à titre subsidiaire. A cet effet, il ne peut être invoqué que sous couvert d'une autre norme émanant des traités. Seul, il est inefficace. Il doit être couplé comme moyen de défense avec les grands principes économiques que sont la liberté d'établissement, la libre prestation de service, la libre circulation des capitaux, la libre circulation des marchandises ou encore la libre circulation des personnes.

Et même au sein des grandes libertés « il convient d'opérer ici une distinction entre la libre circulation des marchandises et la libre circulation des personnes. En effet, la Cour a très tôt estimé que les mesures discriminatoires n'étaient pas les seules entraves possibles à la libre circulation des marchandises, alors que le concept de discrimination a longtemps été central en matière d'entrave à la libre circulation des personnes »117.

L'harmonisation par la non-discrimination est au coeur de la protection des grandes libertés de l'Union. Ce principe est, comme rappelé ci-dessus, très souvent attaché à une liberté ; tel est notamment le cas des mesures à effet équivalent à des restrictions quantitatives ou des taxes à effet équivalent à des droits de douanes. Il est en ce sens interdit pour les États de mettre en oeuvre de telles politiques commerciales ayant un impact sur les échanges intracommunautaires.

116 B. Favreau, La Charte des droits fondamentaux après le Traité de Lisbonne, Les spécificités du principe de non-discrimination dans le droit de l'Union européenne, Bruxelles, Bruylant, 2010, p. 125, 2010 https://www.academia.edu/5807052/Les_spécificités_du_principe_de_non-discrimination_dans_le_droit_de_l_Union_européenne

117 Ibid117

Le principe de non-discrimination doit toutefois être relativisé dans son importance. En effet, s'il constitue un cheval de bataille dans les problématiques liées au droit de l'Union et aux interactions que ce dernier possède avec le droit des États membres, il reste marginalisé dans sa force contraignante. Le principe de non-discrimination se retrouve donc particulièrement éclipsé par la libre circulation. L'analyse de ce principe ne peut se faire seule. Au contraire elle doit être effectuée au regard de tous les autres droits. Le problème est qu'il dispose en conséquence d'une force juridique moindre. Toutefois, il ne faut pas non plus laisser entendre que ce principe n'est pas contraignant, car il est une excellente justification face à des entraves ou à des discriminations à rebours.

Concernant les entraves à la libre circulation des marchandises, la Cour adoptait une approche plus stricte, choisissant de qualifier la taxe d'effet équivalent à un droit de douane sans prendre réellement en compte le principe de non-discrimination118. Ainsi que le note D. Martin, « la jurisprudence relative aux taxes d'effet équivalent reste unique en ce que le concept de discrimination n'y joue aucun rôle »119. Le concept de non-discrimination prouve ainsi l'entièreté de ses limites et ne joue pas réellement de rôle essentiel dans la protection des libertés économiques qui se suffisent à elle-même. Le principe est limité dans son appréhension juridique, dans son pouvoir de contrainte. Il reste toutefois fortement utilisé par la Cour et reste tout de même un principe fondateur du droit intégrationiste de l'Union par la prohibition des comportements différenciant les individus, les biens.

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118 CJCE, 1er juillet 1969, Commission c. Italie, C-24/68

119 D. Martin, op. cit., p. 45. Ibid117

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Ab initio, la Cour disposait d'une jurisprudence stricte en matière de non-discrimination, interdisant celles qui n'étaient pas prévue comme justifiée au sens des traités. Cette jurisprudence s'appliquait même lorsqu'il s'agissait d'une discrimination indirecte120. Or depuis les années 90, la Cour admet davantage l'emploi par les États de justifications qui ne sont pas couvertes par les traités, et cela bien qu'il puisse s'agir de discrimination directe121.

« Le principe de non-discrimination en raison de la nationalité, principe fondamental pour la réalisation du marché intérieur, a donc progressivement perdu son caractère central : assez rapidement en matière de libre circulation des marchandises, plus tardivement en matière de libre circulation des personnes. Mais au moment même où le principe de nondiscrimination en raison de la nationalité perdait son caractère véritablement central en matière de libre circulation des personnes, l'instauration d'une citoyenneté européenne contribuait à le replacer au coeur de la construction communautaire, non pas tant en ce qu'il est nécessaire à l'intégration économique qu'en ce qu'il est au fondement de l'intégration politique »122.

Ainsi, le principe de non-discrimination relève parfois davantage de la justification politique voire morale. Il a connu un déclin relatif dans la protection des grandes libertés économiques qui ont pris, décision après décision, leur indépendance. Ainsi, le principe de non-discrimination demeure un principe subsidiaire qui, s'il n'est pas couplé avec d'autres droits de l'Union, révèle toutes ses limites.

S'il résulte que le principe de non-discrimination dispose d'une légitimité toute particulière, permettant d'implémenter lentement, mais sûrement, les principes européens au centre des droits nationaux, les frondes des juridictions nationales existent, à défaut d'être nombreuses.

120 « La discrimination indirecte est définie comme la situation dans laquelle une disposition, un critère ou une pratique apparemment neutre désavantagerait particulièrement des personnes par rapport à d'autres, pour des motifs prohibés, comme le sexe, à moins que cette disposition, ce critère, ou cette pratique ne soit objectivement justifié par un but légitime et que les moyens pour parvenir à ce but soient appropriés et nécessaires »

Projet de loi portant diverses dispositions d'adaptation au droit communautaire dans le domaine de la lutte contre les discriminations : Lutte contre les discriminations https://www.senat.fr/rap/r07-252/r07-2523.html

121 Ibid117

122 Ibid117

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Section II - Les frondes minoritaires des juridictions nationales contre la jurisprudence de la Cour

Si l'harmonisation négative effectuée par la Cour empiète sur la compétence fiscale souveraine des États membres, la réaction de ces derniers ne se fait pas attendre. En effet, certaines juridictions nationales font partie de ces acteurs parfois revêches à l'encontre du droit de l'Union (I). Toutefois, le premier juge de l'Union étant le juge national, ce dernier oeuvre la plupart du temps à la lumière des décisions de la Cour, influencé sinon soumis par le principe de primauté (II).

I - La fronde fiscale : remise en cause de l'autorité de la Cour et de la primauté du droit de l'Union

Au début des années 2000, le Conseil d'État français s'est illustré à travers une décision Syndicat national de l'industrie pharmaceutique123, longuement commentée car à l'encontre du droit de l'Union, allant jusqu'à remettre en cause l'autorité de la chose interprétée d'un arrêt de la Cour rendu à la suite d'une question préjudicielle (A) marquant par là même une rupture caractérisée avec le principe de primauté (B).

A - La fronde du Conseil d'État français à l'encontre de l'autorité des décisions de la Cour

Par un arrêt rendu par le Conseil d'État français en date du 3 décembre 2001124, la haute juridiction administrative s'oppose tant à l'autorité de la chose interprétée d'un arrêt rendu à la suite d'une question préjudicielle posée devant la Cour qu'au principe de primauté du droit de l'Union. En l'espèce une ordonnance en date du 24 janvier 1996125 avait institué « des contributions exceptionnelles à la charge des laboratoires pharmaceutiques assises sur le chiffre d'affaire hors taxe réalisé en 1995 sur les médicaments remboursables126 ».

123 CE, 3 décembre 2001, Syndicat national de l'industrie pharmaceutique (SNIP), n° 2001-063346

124 Ibid124

125 Ordonnance du 24 janvier 1996 tendant au rétablissement de l'équilibre financier de la sécurité sociale

126 Curia, Reflet 2002 n°3

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L'ordonnance prévoyait en outre la possibilité pour ces entreprises de déduire de leur chiffre d'affaire les dépenses de recherches et développements relatifs aux opérations de recherches. Toutefois, le droit à déduction n'était pas octroyé aux succursales d'entreprises pharmaceutiques disposant de leur siège dans un autre État membre de la communauté. La Cour censura une telle discrimination à la suite d'une question préjudicielle du Conseil d'État127.

Toutefois, la loi de financement de la sécurité sociale128 de 2000 créa une nouvelle fois une contribution exceptionnelle assise sur le chiffre d'affaire concernant « les spécialités remboursables et agrées, comportant une exonération au profit des entreprises dont le chiffre d'affaire était inférieur à 100 millions de francs ». A ce titre, le Conseil d'État se défendait en invoquant le fait que cette nouvelle contribution ne concernait ni les mêmes contribuables ni la même assiette. Le droit a déduction est également absent. En conséquence, les juges du Palais-Royal considéraient que la mesure ne portait pas atteinte à l'autorité de chose interprétée de l'arrêt de la Cour.

« Cette solution laisse dubitative une partie de la doctrine. Selon le Professeur Denys Simon, l'aveu même des autorités françaises, selon lequel la nouvelle contribution est destinée à effacer les effets de l'annulation de la première contribution, pourrait conduire à conclure quant à l'existence d'une « validation déguisée », ou plus exactement une « mesure d'effet équivalent à une validation », qui priverait d'effet un jugement définitif et exécutoire de la Cour. Le même auteur ajoute que, dans ces conditions, peut-être aurait-il été plus judicieux pour le Conseil d'État de saisir la Cour d'une question préjudicielle afin qu'elle se prononce sur une situation tout fait inédite ? »129.

En conséquence, dans cette chronique judiciaire, le Conseil d'État a fait preuve de désinvolture refusant d'admettre complètement la primauté du droit de l'Union par la méconnaissance de l'autorité d'une décision de la Cour.

127 CJCE, 8 juillet 1999, Baxter, C-254/97

128 Loi de financement de la sécurité sociale n° 991140 du 29 décembre 1999

129 A. Rigaux et D. Simon, « Summum Jus, Summa injuria ... » à propos de l'arrêt du Conseil d'Etat du 3

décembre 2001 SNIP, Europe, avril 2002, p. 7 Ibid127

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B - Une fronde ayant pour conséquence la remise en cause du principe de primauté

Dans sa décision Syndicat national de l'industrie pharmaceutique130, la haute juridiction administrative avait été saisi de deux moyens à savoir la discrimination sous-jacente initiée par le dispositif et la potentielle qualification d'aide d'État. A cet égard, les requérants considéraient que la contribution exceptionnelle frappait davantage les entreprises pharmaceutiques situées dans d'autres États membres. En effet, pour rappel, la loi avait institué une exonération pour les entreprises qui disposaient d'un chiffre d'affaire inférieure à 100 millions de francs. Les requérants invoquaient en ce sens que « 26 laboratoires français sur 44 bénéficieraient de l'exonération en question, contre seulement 6 sur 50, s'agissant des laboratoires étrangers »131. A ce titre, s'agissant de ces moyens, le Conseil d'État a rétorqué aux requérants que l'exonération litigieuse avait été formulée dans des termes généraux et pouvait s'appliquer tant aux entreprises françaises qu'étrangères. Ainsi, aucune discrimination relative à la liberté d'établissement ne pouvait être retenue.

« Pour conclure, on notera cette incise du Conseil d'État au sujet du principe de primauté. La haute juridiction administrative affirme que ledit principe ne saurait conduire, dans l'ordre interne, remettre en cause la suprématie de la Constitution, et ce alors même s'il n'y avait aucun conflit de normes entre une règle communautaire et une règle constitutionnelle. Cela étant, cette digression permet au Conseil d'État de proclamer formellement la primauté de la Constitution, au moins dans l'ordre interne, et ce dans une formulation se référant, pour la première fois, expressément au droit communautaire. Tel n'était pas le cas dans le fameux arrêt Sarran et Levacher132, lequel mentionnait, plus généralement, les engagements internationaux »133.

Toutefois, cette décision n'est qu'isolée en matière fiscale. En effet, la plupart des juridictions nationales appliquent généralement sans contraintes le droit de l'Union.

130 Ibid127

131 Ibid127

132 CE, 13 octobre 1998, Sarran et Levacher

133 P. Cassia, Droit administratif, mars 2002, n° 55, p. 29 Ibid127

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II - La soumission des juridictions nationales à la jurisprudence

Toutefois, malgré une contestation plutôt visible des administrations fiscales nationales, les juridictions nationales utilisent souvent les principes du droit de l'Union (A) soumises à l'autorité de la chose interprétée des décisions rendues à la suite d'un recours préjudiciel (B).

A - L'utilisation par les juridictions nationales des principes du droit de l'Union

Les exemples en la matière sont nombreux pour prouver l'application du droit de l'Union par les juridictions des États membres. Par exemple, dans une décision134 en date du 4 décembre 2004, le Verwaltungsgerichtshof autrichien a calqué sa jurisprudence sur l'arrêt de la Cour Weber's Wine World135 « concernant les modalités du remboursement d'une imposition indûment perçue au regard du droit communautaire136 ».

Également, en matière de TVA, dans un arrêt Sezioni unite civili137, la Cour de cassation italienne interpréta de manière extensive l'arrêt de la Cour, Commission/ Italie138, du 17 juillet 2008. En effet, « la cour italienne, en s'inspirant de la ratio decidendi énoncé dans l'arrêt de la Cour, n'a pas appliqué une autre disposition de la même loi italienne en estimant celle-ci également contraire au droit communautaire. De la même manière que les dispositions attaquées devant la Cour de justice, ladite disposition prévoyait en fait une facilité de paiement pour le contribuable, à savoir la réduction du 25% du montant dû et l'exclusion du paiement des intérêts moratoires. Une telle facilité de paiement doit être considérée interdite, selon l'avis de la Cour de cassation, en raison du fait qu'elle aussi apparaît contraire au principe d'effectivité, à savoir le principe qui impose d'exiger le paiement exact du montant dû et par conséquent n'admet pas le paiement d'un montant inférieur139 ».

134 Verwaltungsgerichtshof, 4 décembre 2004, n°2003/16/0148

135 CJCE, 2 octobre 2003, Weber's Wine World, C-147/01

136 Curia, Reflet 2004 n°3

137 Corte di Cassazione, 17 février 2010, Sezioni unite civili, n°3674

138 CJCE, 17 février 2008, Commission c/ Italie, C-132/06

139 Curia Reflet 2010 n°2

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Enfin, dans un arrêt en date du 20 février 2008140, le juge national roumain a également suivi la jurisprudence de la Cour. En effet, « la cour d'appel de Timiþoara a jugé que les dispositions de l'article 214bis du Code fiscal roumain concernant la taxe prélevée sur les véhicules d'occasion lors de leur première mise en circulation sur le territoire de la Roumanie (taxe communément appelée de « première immatriculation ») étaient incompatibles avec l'article 90, premier alinéa, CE. Cet arrêt confirme d'ailleurs la solution du Tribunal d'Arad du 7 novembre 2007, représentant le premier arrêt d'une instance juridictionnelle roumaine statuant sur l'incompatibilité de la législation fiscale nationale avec le droit communautaire »141.

« La cour d'appel de Timi°oara a fait application des principes établis par la jurisprudence de la Cour de justice, et notamment les arrêts Nádasdi et Németh142. En vertu de la clarté évidente de cette jurisprudence, la cour d'appel n'a pas considéré nécessaire de saisir la Cour de justice d'une question préjudicielle. Elle a jugé que le montant de ladite taxe était indirectement discriminatoire en raison de ses effets, car une taxe d'immatriculation qui ne tient pas compte de la dépréciation des véhicules d'occasion frappe plus lourdement les produits originaires d'autres États membres. Par conséquence, en raison de cette violation de l'article 90, premier alinéa, CE, la cour d'appel a réaffirmé la solution de l'instance de premier degré, qui avait écarté les dispositions nationales contestées et avait obligé l'administration fiscale à rembourser la taxe illégalement perçue et à payer les intérêts y afférents prévus par la loi, depuis le moment de la perception de la taxe jusqu'au moment de la restitution effective, ce qui équivaut à la réparation intégrale du préjudice, conformément aux dispositions du code civil »143.

A travers ces quelques exemples jurisprudentiels, le constat d'une subordination des juridictions nationales à l'interprétation du droit de l'Union par la Cour est clair. Les frondes juridictionnelles, qui restent minimes en matière fiscale, ne sont que des éclipses au regard de l'application du droit de l'Union par le premier juge dudit droit, à savoir le juge national.

140 Curtea de Apel, 20 février 2008, n°188

141 Curia Reflet 2008 n°3

142 CJCE, 5 octobre 2006, Nádasdi et Németh, C-290/05 et C-333/05

143 Ibid142

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B - Une soumission au regard de l'autorité de la chose interprétée des décisions renduees à la suite d'un recours préjudiciel

« Le renvoi préjudiciel est une procédure permettant à une juridiction d'un État membre d'interroger la Cour de justice de l'Union européenne sur l'interprétation ou la validité du droit de l'Union dans le cadre d'un litige dont elle est saisie »144.

Les juridictions des États membres sont tenues, par principe, de saisir la Cour d'un recours préjudiciel, ou également appelé question préjudicielle, lorsqu'à l'occasion d'un litige un doute subsiste quant à la conformité d'une norme de droit interne par rapport à une norme de l'Union.

Seules les juridictions nationales disposent du pouvoir d'engager un recours préjudiciel devant la Cour. Dans le cadre d'un recours préjudiciel, la Cour ne peut apprécier la validité des traités de droit primaire, car ils sont l'oeuvre des États membres. Au contraire, le rôle de la Cour consiste à protéger ce droit primaire. Toutefois, concernant le droit dérivé, la Cour dispose d'une certaine latitude pour apprécier sa validité.

Cependant, le recours préjudiciel est un atout particulièrement utile, car la Cour peut se permettre de reformuler les questions posées à son prétoire. En effet, la Cour dispose d'une large marge de manoeuvre pour interpréter la question qui lui est posée, et peut y répondre en y ajoutant des éléments. Cette démarche peut être critiquable et attentatoire à la souveraineté des États membres dans le sens selon lequel la Cour peut adopter une posture ultra petita. Cette faculté dont dispose la Cour lui permet de se saisir de problématiques que le juge national n'avait pas évoqué. De plus, à travers les « remarques liminaires » qu'elle peut placer avant de répondre à la question préjudicielle, la Cour s'arroge le droit de donner son point de vue sur le sujet du litige pour le replacer dans son contexte ou introduire une interprétation sur un sujet connexe audit litige.

144 Fiche d'orientation - Renvoi préjudiciel (Droit de l'Union européenne) - Septembre 2018 Dalloz

« L'arrêt rendu sur renvoi en interprétation est revêtu de l'autorité générale de chose interprétée. Il s'impose à la juridiction nationale à l'initiative du renvoi, mais aussi à toutes les juridictions nationales des États membres qui rencontreraient une question identique ou similaire »145.

Concernant le cas plus rare des questions en appréciation de validité, lorsqu'un acte est déclaré non conforme au droit de l'Union, le juge national est tenu d'écarter l'acte litigieux. En outre, lors de réponses obscures ou équivoques rendues par la Cour à une question préjudicielle, le juge national dispose de la faculté de saisir de nouveau le juge de Luxembourg afin qu'il puisse clarifier sa jurisprudence.

En matière fiscale, l'autorité de la chose interprétée revêt un caractère fondamental car elle permet une harmonisation des législations fiscales des États membres. Comme vu précédemment, le juge national se plie et se soumet aux principes du droit de l'Union et à l'interprétation de la Cour. Cette hiérarchie d'un ordre juridique de l'Union supérieur à l'ordre juridique national est la conséquence directe de l'application des grands principes du droit de l'Union. La souveraineté des États membres se voit réduite en matière fiscale à travers une pénétration du droit de l'Union dans le droit fiscal national. Telle est la conséquence de cette harmonisation négative qui pose le cadre de ce qui est interdit, ainsi que du sens qui doit être compris par les États. La jurisprudence de la Cour est mouvante et flexible, prétorienne diront certains, bien focalisée sur les objectifs découlant des traités.

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145 Ibid31

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Partie II - Une harmonisation par une jurisprudence téléologique pour lutter contre la concurrence fiscale

L'harmonisation des législations fiscales des États peut également s'analyser sous l'angle de l'interprétation téléologique des décisions de la Cour. Une portée téléologique assumée par la Cour concernant des objectifs considérés comme légitimes comme c'est le cas pour la protection du marché intérieur, véritable objet de divergence entre la vision libérale défendue par l'Union et particulièrement par la Cour et le protectionnisme fiscal des États (Chapitre I). Toutefois, intérêt de l'Union et intérêts nationaux peuvent parfois converger notamment à travers des directives instigatrices d'un véritable espace de liberté et de justice fiscale (Chapitre II). Des mesures pour lesquels la majorité des États membres est prompte à s'engager.

Chapitre I - Le marché commun : objet de l'harmonisation des systèmes fiscaux

La vision libérale de la Cour s'observe dans sa jurisprudence, majoritairement à travers sa volonté de protéger le marché commun, véritable fer de lance de l'Union économique. La jurisprudence harmonisatrice de la Cour est donc particulièrement marquée par la protection des grandes libertés défendues par l'Union (Section I) mais également par l'interdiction stricte des aides d'État (Section II).

Section I - La protection des grandes libertés défendues par l'Union

Il ne fait nul doute que les grandes libertés de l'Union sont défendues becs et ongles par la Cour afin de favoriser l'intégration économique communautaire des États membres. En ce sens, ce favoritisme du marché unique (I) encadre fortement les libertés économiques des États membres (II).

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I - La faveur donnée au marché unique

Le favoritisme du marché unique clairement affirmé dans la jurisprudence de la Cour est destiné à protéger les grandes libertés au sein de l'Union à travers la suppression de toute entrave à la circulation tant des marchandises et des capitaux (A), liée à la mobilité de la richesse, que la liberté d'établissement et la liberté de circulation des individus (B), davantage liée à la mobilité des personnes physiques ou morales.

A - L'apologie des libertés de circulation des marchandises et des capitaux

L'Union a toujours eu pour mot d'ordre la protection du marché intérieur. Cette volonté s'est construite sur un projet de libre circulation des flux économiques ou matériels. La Cour a, en ce sens, toujours eu pour mission de protéger les grandes libertés, et particulièrement la libre circulation des capitaux et la libre circulation des marchandises : deux libertés fondamentales en faveur d'un système économique harmonisé.

Ainsi, au sein de l'Union, il est interdit pour un État membre d'édicter des taxes d'effet équivalent à des droits de douanes146. La Cour dispose en la matière d'une jurisprudence abondante. Elle égalise les situations de sorte que la liberté puisse s'exercer pleinement sur le territoire intracommunautaire. En effet, la Cour a jugé de la non-conformité d'un droit de douane sur les produits d'outre-mer147.

Parallèlement au contentieux relatif aux taxes d'effet équivalent à des droits de douanes, la Cour prohibe également dans sa jurisprudence les mesures d'effet équivalent à des restrictions quantitatives148. Cela signifie qu'il est interdit au sein de l'Union d'appliquer des mesures d'imposition frappant plus lourdement les produits provenant d'autres États par rapport aux produits nationaux. A ce sujet, la France a été condamnée à de maintes

146 Article 30 TFUE

147 CJCE, 16 juillet 1992, Legros, Cc-163/ 90

148 Articles 34 et 35 TFUE

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reprises notamment en ce qui concerne les droits sur les alcools149, les droits sur le tabac150 ou encore la taxe sur les véhicules automobiles151.

Toujours sous un angle économique, la Cour oeuvre également pour la protection de la liberté de circulation des capitaux. En effet, pilier d'une économie libérale et globalisée, la libre circulation des capitaux sur le territoire de l'Union joue en faveur d'une harmonisation des systèmes fiscaux vers davantage d'attractivité et l'application de règle commune pour garantir la sécurité juridique des contribuables.

La libre circulation des capitaux présente un intérêt tout particulier pour la Cour et l'Union de manière générale. En effet, elle s'applique tant aux États membres qu'aux États tiers, et sa limitation est entendue de manière très restrictive152. En ce sens, les entraves à la liberté de circulation des capitaux ne peuvent être autorisées si une « discrimination arbitraire »153 ou une « restriction déguisée »154 est caractérisée.

Toutefois, l'arrêt le plus célèbre concernant la libre circulation des capitaux dans l'Union est sans aucun doute la décision Petri Manninen155. En l'espèce, « le droit finlandais prévoyait un avoir fiscal limité aux dividendes versés par une société établie en Finlande »156. A cet effet, la Cour analysait cette législation comme une entrave à l'investissement dans des participations étrangères. La Finlande argumentait sur ce point en exposant la cohérence de son système fiscal, car l'avoir fiscal constituait une contrepartie à l'impôt sur les sociétés finlandais. En ce sens, il n'était pas possible d'attribuer cette contrepartie à des sociétés étrangères ne payant pas d'impôt dans le pays. La Cour ne suivra pas l'argument de l'État finlandais, jugeant que « la cohérence du régime fiscal reste assurée pour autant que la corrélation entre l'avantage fiscal consenti en faveur de l'actionnaire et l'impôt dû au titre de l'impôt sur les sociétés est maintenue.

149 CJCE, 27 février 1980, Commission c/ France, C-168/ 78

150 CJCE, 27 février 2002, C- 302/ 00

151 CJCE, 9 mai 1985, Humblot, C-112/ 84 ; CJCE, 17 septembre 1987, Feldain, C-433/ 85; CJCE, 15 juin 1999, Tarantik, C- 421/97; CJCE, 15 mars 2001, Commission c/ France, C- 265/ 99

152 CJCE, 6 juin 2000, Verkooijen, C-35/ 98,

153 Pierre-François Racine, Olivier Fouquet, Cyrille David, Bernard Plagnet, Les grands arrêts de la jurisprudence fiscale, Edition : 07/09 - 5e édition

154 Ibid154

155 CJCE, 7 septembre 2004, Petri Manninen, C- 319/ 02

156 Ibid154

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Dès lors, l'octroi à un actionnaire assujetti à l'impôt à titre principal en Finlande et détenant des actions d'une société établie en Suède d'un avoir fiscal qui serait calculé en fonction de l'impôt dû par celle- ci au titre de l'impôt sur les sociétés dans ce dernier État ne mettrait pas en cause la cohérence du système fiscal finlandais et constituerait une mesure moins restrictive pour la libre circulation des capitaux que celle prévue par la réglementation fiscale finlandaise157. »

A travers cet arrêt, il est à noter la rigueur de la Cour qui s'emploie à assurer le libre exercice de la liberté de circulation des capitaux, même si les sociétés peuvent profiter de cet avantage pour réduire leur base imposable. Les règles communes s'appliquent de manière harmonieuse peu importe la cohérence du système en cause qui doit s'adapter au standard minimum de protection qu'offre la jurisprudence de l'Union.

B - La protection stricte de la liberté d'établissement et de la libre circulation des personnes en matière fiscale

La libre circulation des personnes est un principe de l'Union souvent utilisée en matière de fiscalité des personnes physiques. Son arrêt de principe est la décision Schumaker158. Dans cette affaire était en cause le cas d'un résident Belge salarié en Allemagne. Dans cette affaire, « la Cour de justice a jugé que si ce contribuable était marié et que ses revenus salariaux d'origine allemande constituaient l'essentiel des revenus du ménage, son impôt allemand devait être calculé selon les mêmes règles de prise en compte des charges de famille et de procédure qu'un résident d'Allemagne ayant les mêmes charges de famille »159.

De même, ne respecte pas la liberté de circulation des personnes sur le territoire de l'Union l'absence de prise en compte des pertes fiscales issues d'un bien immeuble situé dans un autre État membre que celui de résidence160. La Cour trouve toujours un moyen pour assurer cette liberté aux personnes physiques en se basant parfois même sur le droit des citoyens européens de séjourner librement sur le territoire d'autres États membres161. Ainsi,

157 Ibid10

158 CJCE, 14 février 1995, Schumacker, C-279/ 93

159 Ibid8

160 CJCE, 21 février 2006, Ritter Coulais, C-152/ 03

161 CJCE 9 novembre 2006, Pirkko Marjatta Turpeinen, C-520/ 04

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la Cour opère par sa jurisprudence une harmonisation, certes casuistique, mais nécessaire pour garantir les fondements du marché commun.

Enfin, la liberté d'établissement est une liberté essentielle pour les acteurs économiques de l'Union. Son champ d'application couvre tant les personnes physiques que les personnes morales. Il peut s'agir de restriction à l'établissement d'individus étrangers ou encore de restrictions à l'encontre des ressortissants nationaux de s'établir à l'étranger162.

Pour ce qui concerne les restrictions dites « à l'entrée », l'arrêt de principe est la décision Commission contre France163. Il était également question dans cet arrêt d'un avoir fiscal qui ne bénéficiait pas aux dividendes de succursales de société d'assurance dont le siège de direction effective se situait dans un autre État membre.

Concernant les restrictions dites « à la sortie », la Cour illustre son action d'harmonisation en protégeant la liberté d'établissement des contribuables par la sanction de mesures fiscales nationales restrictives. A titre d'exemple, l'ancien article 167 bis du CGI permettait l'imposition des plus-values de droits sociaux lorsqu'un contribuable français décidait de transférer son domicile hors de France. L'imposition était constituée dès lors que le transfert de domicile était effectif, à l'exception que le contribuable dispose d'un représentant fiscal en France. Une autre garantie se trouvait dans le fait qu'une décharge d'impôt était prévu à la condition que les droits sociaux soient toujours dans le patrimoine après une période de cinq ans passé le transfert de domicile ou si le contribuable retournait en France. A ce sujet, la Cour164 a jugé qu'une telle mesure entravait la liberté d'établissement du contribuable dans d'autres États. L'État français a exposé que la mesure poursuivait un objectif légitime, celui de la lutte contre la fraude fiscale. Toutefois, la Cour jugea la mesure ni nécessaire ni proportionnée.

L'action de la Cour lors d'un litige avec un État membre lui permet d'harmoniser l'ensemble du système fiscal européen. La Cour emploie une rigueur toute particulière aux problématiques s'attachant à la liberté d'établissement, car, comme il a été vu précédemment, les impacts économiques et financiers peuvent être important si une mesure

162 CJCE 16 juillet 1998, ICI, C-264/ 96

163 CJCE 28 janv. 1986, Commission c/ France, C-270/ 83

164 CJCE, 11 mars 2004, C- 9/ 02,

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nationale est prise en non-conformité de ladite liberté. Cet effet « rebond » de la jurisprudence de la Cour est particulièrement marquante à travers les suites données à l'arrêt Lankhorst Hohorst GmbH165 dans lequel avait été censuré la législation allemande prévoyant la limitation de la déductibilité des intérêts supportés à la suite de prêt émanant de la société-mère. A la suite de cet arrêt, la France a échappé à la censure de l'article 212 du CGI en l'amendant complètement pour se mettre en conformité avec le droit communautaire. Il en a été de même pour la législation française à la suite de l'arrêt finlandais Verkooijen166. Chaque État membre dont une législation fiscale est déclarée non conforme influe sur la législation fiscale de tous les État. La part de souveraineté de chaque État est ainsi touché en plein coeur par la décision d'une institution juridictionnelle.

II - Les libertés économiques des États membres encadrées strictement par la jurisprudence

En ce sens, les libertés économiques des États membres se voient considérablement encadrées par une jurisprudence assez autoritaire et implacable en la matière167, dont les rares exceptions se voient très rapidement réduites à peau de chagrin (A). Cette jurisprudence extensive peut paraître en ce point contestable dans sa vision libérale notamment en ce qui concerne la liberté d'établissement à travers la décision très commentée Mark & Spencer (B).

A - De rares exceptions réduites à peau de chagrin

Il existe de nombreux moyens de défense des États invocables devant la Cour. Parmi eux les moyens de préservation de l'ordre public ou de protection de la santé publique sont des atteintes à l'exercice des grandes libertés au sein de l'Union. L'État français avait, sur ce sujet, exprimé un motif d'efficacité des contrôles fiscaux à l'occasion du célèbre arrêt Cassis de Dijon 168. Toutefois, la Cour n'a pas toujours été aussi clémente en se fondant

165 CJCE, 12 décembre 2002, Lankhorst Hohorst GmbH, C-324/ 00

166 CJCE, 6 juin 2000, Verkooijen , C-35/ 98

167 CJCE, 9 décembre 1997, Commission c/ France, « la guerre des fraises », C-265/95

168 CJCE 20 février 1979, Cassis de Dijon, C-120- 78

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« sur la directive169 relative à l'assistance mutuelle entre État membre pour établir les impôts directs »170.

De nombreux moyens ont été tenté par les États membres avec plus ou moins de succès. Certains ont invoqué « la nécessité d'assurer le recouvrement de l'impôt »171, la nécessité de prévenir un « vide fiscal »172 ou encore « la cohérence du système fiscal »173. Toutefois, ces justifications seront laissées à l'appréciation de la Cour qui, par son contrôle maximum, jugera de la nécessité de la mesure et de sa proportionnalité. Dit autrement, l'objectif atteint doit être atteint en minimisant les effets négatifs sur les grandes libertés. En conséquence, très peu de moyens des États membres sont admis pour justifier une entrave aux grandes libertés de l'Union. Par ce biais, la Cour s'assure donc de minimiser les justifications issues de spécificités nationales dans le sens d'une harmonisation négative. Cette harmonisation est lente mais subtile, réduisant petit à petit les spécificités nationales en droit fiscal.

Ce droit national qui, malgré les justifications comme dans l'arrêt Mark and Spencer, se voit restreint si ce n'est obligé d'appliquer un traitement fiscal qui n'était pas prévu dans les textes.

B - Des apports jurisprudentiels parfois contestables : la décision Mark and Spencer

Les libertés économiques sont ainsi solidement encadrées par la jurisprudence. Une jurisprudence qui est parfois insensible à certaines considérations nationales comme dans le grand arrêt Mark and Spencer174. En 2003, la Cour reçoit une question préjudicielle de la High Court britannique dans un litige opposant la société Marks and Spencer à l'administration fiscale britannique. La société disposait de filiale qu'elle a liquidé en raison des pertes fiscales importantes desdites filiales. La société-mère a demandé la

169 Directive 77/ 799/ CEE

170 CJCE, 28 octobre 1999, Vestergaard, C-55/ 98 Ibid154

171 CJCE, 15 mai 1997, Futura Participations SA et Singer, C-250/ 95

Ibid154 « législation luxembourgeoise jugée compatible avec le droit communautaire en ce qu'elle exigeait

que la comptabilité d'une succursale luxembourgeoise soit tenue selon les normes luxembourgeoises »

172 CJCE, 28 avril 1998, Jessica Safir, C-118/ 96

173 CJCE, 28 janvier 1992, Bachmann, C-204/ 90

174 CJCE, 13 décembre 2005, Mark and Spencer, C-446/03

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censure du « group relief »175 qui permet le transfert de pertes fiscales reportables entre sociétés britanniques mais pas entre une société britannique et une société étrangère. L'argument de la société était que la règle britannique contrevenait au principe de la liberté d'établissement.

Dans un premier temps, l'avocat général Poiares Maduro estimait que la société avait le droit d'invoquer la différence de traitement en fonction de la localisation de la filiale. Cette problématique avait déjà été plus ou moins esquissé dans l'arrêt Futura participations et Singer176 dans lequel le Luxembourg autorisait, à bon droit, la possibilité de transférer les pertes reportables des établissements stables situés dans d'autres États membres que le Luxembourg à la condition que ces pertes aient un lien économique avec les revenus réalisés. Cependant l'avocat général s'est refusé d'effectuer un raisonnement par analogie de cette jurisprudence.

A ce titre, l'État britannique invoqua le principe de territorialité consistant dans le fait de ne pas troubler ses relations avec un autre État en matière fiscale. Toutefois, l'avocat général considéra que la justification par la territorialité n'était pas fondée, l'État britanniques ne souffrant pas d'une concurrence fiscale particulière avec d'autres États membres. En second lieu, la Grande-Bretagne invoqua le principe de cohérence du système fiscal. Là encore, l'avocat général balaie l'argument qui doit « être examiné au regard de l'objectif poursuivi par la réglementation fiscale en cause. La notion de cohérence fiscale vise à garantir que les ressortissants communautaires n'utilisent pas les dispositions communautaires pour en tirer des avantages qui ne sont pas liés à l'exercice de la liberté de circulation »177.

Le problème est que la liberté d'établissement pourrait être entravée dans cette situation si d'autres États membres permettraient le transfert des pertes fiscales entre la société mère et ses filiales non-résidentes. La Cour adopte en conséquence une démarche prudente : en admettant que l'entrave puisse être justifié par trois arguments. Le premier consiste dans le respect de la répartition du pouvoir d'imposition entre les États membres, les pertes

175 Ibid154

176 CJCE, 15 mai 1997, Futura participations et Singer, C- 250/ 95

177 Ibid154

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fiscales réalisées par une filiale ont un effet sur l'imposition de cette dernière dans l'État dans laquelle elle a son siège. La seconde justification peut être tirée d'un risque de double emploi des pertes en permettant à la filiale de ne pas payer d'impôt dans son État de résidence et en les transférant à sa société-mère afin d'écraser sa base imposable. En ce sens, le troisième moyen invocable réside dans le fait qu'une telle liberté de transfert des pertes fiscales pourrait inciter certaines entreprises à frauder fiscalement.

« Néanmoins la Cour juge, en vertu du principe de proportionnalité (l'entrave ne doit pas excéder les nécessités de l'objectif poursuivi) qu'une société mère britannique doit pouvoir imputer les pertes de sa filiale étrangère lorsque celle- ci a épuisé les possibilités, en avant et en arrière, de les prendre en compte dans son pays ou par un tiers »178.

En ce sens, la Cour garantie que les pertes fiscales doivent en premier lieu être reportées sur la base imposable de la filiale dans son État de résidence avant de pouvoir être transférées dans un second temps à la société-mère. Si cet arrêt semble avoir trouvé un juste milieu entre l'excès de liberté et l'entrave fiscale, il n'en demeure pas moins contestable dans le sens où la liberté est clairement privilégiée et où des montages fiscaux peuvent facilement s'immiscer dans les failles de cette consécration de la liberté d'établissement. Si l'harmonisation permet une liberté au sein de l'Union européenne, elle est aussi son propre piège, car les États sont ainsi impuissants pour contrecarrer les phénomènes de fraudes fiscales. En effet, une société-mère qui dispose de plusieurs filiales dans des États différents qui ne réalisent aucun bénéfice pourra amoindrir sa base imposable.

En ce sens, l'harmonisation de la Cour touche de nombreuses libertés et encadre strictement les entraves fiscales nationales. Dans cette lignée, la Cour prohibe également avec vigueur les traitements de faveurs envers certains contribuables à travers le dispositif de sanctions des aides d'État.

178 Ibid154

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Section II - L'interdiction strictes des aides d'État

La portée protectrice de la Cour ne s'arrête pas à la garantie des grandes libertés de circulation ou d'établissement. La Cour intervient également pour harmoniser le droit de la concurrence fiscale à travers l'interdiction des aides d'État (I) dont l'analyse méthodologique a été considérablement étendue (II).

I - Une harmonisation du droit à la concurrence fiscale

L'harmonisation du droit de la concurrence fiscale entre États membres est donc notable à travers de multiples précisions jurisprudentielles apportées par la Cour (A), et caractérisées par un combat mené de pair avec la Commission européenne (B).

A - La définition des aides d'État aux contours définis par les textes et précisée par la jurisprudence

Inscrite dans le TFUE179, l'interdiction des aides d'État se caractérise par « une mesure procédant d'une intervention de l'État ou de la mobilisation de ressources d'État, quelle qu'en soit la forme ; constituant un avantage économique susceptible de fausser la concurrence; présentant caractère sélectif pour une entreprise ou une catégorie d'entreprises susceptible d'affecter les échanges entre États membres »180.

Cette notion d'aide d'État a été caractérisé par la Cour181 comme des mesures présentant un avantage pour une catégorie de contribuable telle que des droits à déduction. Cela remet donc en cause la compatibilité du droit national avec le droit de la libre concurrence au sein de l'Union et le principe de non-discrimination. En effet, en accordant des aides d'État ou avantage fiscaux à certains contribuables, le marché commun et la libre concurrence entre les entreprises se faussent182. Par ailleurs, comme vu précédemment, la Cour impose aux

179 Article 107 TFUE

180 Ibid154

181 CJCE 21 mars 1990, Belgique c/ Commission, C 142/ 87 CJCE, Altmark, 24 juillet 2003, C- 280/ 00

182 CJUE, 22 décembre 2008, Sté Régie Networks, C- 333/ 07

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États de recouvrer en conséquence l'aide illégalement accordé sous peine de voire leur responsabilité engagée.

La Cour qualifie donc l'aide d'État comme une violation de la législation de l'Union, conférant des droits aux particuliers dans un domaine où « le législateur bénéficie d'un large pouvoir d'interprétation »183. Enfin, un lien de causalité doit exister entre le dommage et la violation de la législation de l'Union.

La Cour définit donc les contours de la notion d'aide d'État en se fondant sur le TFUE et en précisant sa jurisprudence. C'est également cette notion d'aide d'État et de protection de la libre concurrence entre les acteurs économiques que l'harmonisation s'effectue et que le principe d'autonomie institutionnelle et procédurale joue son rôle. En effet, la Cour dessine la notion d'aide d'État, la caractérise, l'interdit et oblige les États membres à la recouvrir. Si la créance n'est pas recouvrée, l'État peut voir sa responsabilité engagée. De surcroît, un recours en manquement est également envisageable. Si le droit national de l'État ne lui permet pas de recouvrer sa créance, en vertu du principe d'autonomie procédurale et institutionnelle, il devient obligé de mettre des règles parfois contra legem à son droit interne pour obéir aux prérogatives de l'Union. Ainsi, à travers cet exemple, de nombreuses notions et grands principes ou libertés se recoupent, diminuant la souveraineté fiscale mais également procédurale des États membres pour favoriser une harmonisation des législations, un marché unique.

B - La sanction des aides d'État : un travail de coopération avec la Commission européenne

L'intérêt de l'Union est protégé majoritairement par deux institutions : la Cour de Justice bien entendu et la Commission européenne. Ces dernières veillent au grain censurant les États membres mettant en place des dispositifs fiscaux trop généreux, à leur sens, pour certains de leurs contribuables.

« Le contrôle des aides d'État vise à la fois les aides existants déjà (par exemple celles qui seraient en vigueur dans un État membre avant qu'il n'intègre l'UE), et les nouvelles.

183 Ibid154

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Pour les premières, la Commission exerce une surveillance permanente. Si elle constate qu'une aide n'est pas compatible, elle en informe l'Etat membre. Celui-ci, s'il ne choisit pas de la modifier ou de l'interrompre, s'expose à l'ouverture d'une procédure d'examen formel, au terme de laquelle la Commission devra réitérer sa décision en la motivant »184.

« La seconde catégorie d'aide inclut les aides individuelles et les régimes d'aide. En général, l'Etat notifie à la Commission les régimes d'aide qu'il souhaite mettre en place avant de le faire. Mais pour les aides individuelles, qui ont souvent lieu dans l'urgence (afin de "sauver" une entreprise par exemple), il arrive que l'Etat les verse avant de se lancer dans les négociations avec la Commission, quitte à faire des ajustements ou à devoir se faire rembourser par la suite. La Commission a l'obligation de répondre à toute notification, sans quoi l'aide est automatiquement validée »185.

Concrètement, la Commission avait estimé186 que « France Télécom avait bénéficié entre 1990 et 2002 de régimes dérogatoires en matière d'impôts locaux »187. L'aide, non-conforme au droit de l'Union, s'élevait à environ 900 millions d'euros. La somme étant difficile à évaluer en raison des réticences de l'État français, la Cour a condamné l'État membre à de sévères sanctions188.

Le lien entre la Commission et la Cour est flagrant à l'occasion de certains arrêts dans lesquels la notification de la Commission demeure obligatoire pour que l'État membre recouvre la créance fiscale indue. Tel a été le cas pour un juge national qui refusa d'engager la responsabilité de l'État et en conséquence d'exiger le remboursement de l'aide sans notification préalable de la Commission189.

184 Toute l'Europe, Le contrôle des aides d'État, 30 août 2017

« Pour statuer sur l'aide, la Commission dispose de deux mois, sans quoi l'aide est acceptée. En cas de doute sérieux, c'est la procédure de l'examen formel qui s'ouvre, avec un nouveau délai de 18 mois. Il s'agit d'une phase de négociation, au cours de laquelle la Commission va proposer à l'Etat de nouvelles conditions pour rendre l'aide compatible. S'il les refuse, l'aide ne peut être versée ou bien doit être récupérée par l'Etat dans le cas où elle aurait déjà été versée ». https://www.touteleurope.eu/actualite/le-controle-des-aides-d-etat.html

185 Ibid185

186 Dans une décision 2005/709 du 2 août 2004

187 Ibid154

188 CJCE, 18 octobre 2007, Commission c/ France, C- 441/ 06

189 CJCE, 12 février 2008, C- 199/ 06

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Toutefois, si la Cour sanctionne strictement les aides d'État en vue de garantir une harmonisation des systèmes fiscaux, l'examen desdites aides n'est pas chose aisée. La Cour et la Commission ont ainsi développé une méthodologie afin d'analyser de tels dispositifs.

II - L'extension de l'examen méthodologique des aides d'État par la Cour

L'examen méthodologique des aides d'État a progressivement évolué passant d'une analyse classique fondée sur les textes (A) à une extension observable à l'occasion du célèbre arrêt Gibraltar (B).

A - L'analyse méthodologique classique par la Cour de la notion d'aide d'État

Un système fiscal anormal peut parfois être considéré d'« avantage fiscal, de dépense fiscale ou encore de niche fiscale »190. Par ailleurs, les rapports publics font souvent état de fiscalité dérogatoire. Ainsi, coexisteraient des systèmes fiscaux normaux donc « vertueux »191 et d'autres anormaux donc facilitant potentiellement la fraude et nécessitant une surveillance accrue. Par ailleurs, la qualification de système fiscal normal ou dérogatoire relève de la subjectivité. C'est d'ailleurs autour de cette problématique que l'arrêt Gibraltar192 est né.

Comme rappelé précédemment, l'article 107 TFUE et la jurisprudence193 condamne « les aides accordées par les États ou au moyen de ressources d'État sous quelque forme que ce soit qui faussent ou qui menacent de fausser la concurrence en favorisant certaines entreprises ou certaines productions ». En ce sens, la doctrine et la Cour ont établi quatre catégories d'aides d'État : « les aides géographiques, les aides sectorielles, les pratiques discrétionnaires et les régimes préférentiels »194.

190 Édouard Dubout et Alexandre Maitrot de la Motte, Aides d'État, Normalité, sélectivité et légitimité des régimes fiscaux dans l'Union européenne : les paradis fiscaux au purgatoire des aides d'État ?, Droit fiscal n° 5, 2 Février 2012, comm. 126

191 Ibid189

192 CJUE, 15 novembre 2011, Commission c/ Gvt of Gibraltar et Royaume-Uni de Grande-Bretagne et d'Irlande du Nord, C-106/09

193 CJCE, Altmark, 24 juillet 2003, C- 280/ 00

194 Sélectivité matérielle Ibid189

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La Cour dans l'arrêt Gibraltar débat autour de la notion d'« avantage fiscal »195 et plus particulièrement sur la notion de « sélectivité d'une mesure générale »196, qualifié de « normal » dans sa forme et d'« anormal » sur le fond. En l'espèce, le gouvernement de Gibraltar avait initié une réforme fiscale selon laquelle devait être instituée sur l'ancienne législation fiscale « une taxe d'enregistrement des sociétés, un impôt sur le nombre de salariés et un impôt sur l'occupation des locaux professionnels (business property occupation tax)197, étant entendu que l'assujettissement à ces deux derniers était plafonné à 15 % des bénéfices »198. La Commission199 a estimé à ce titre que la réforme fiscale constituait une exemption totale aux obligations fiscales des entreprises qualifiées d'« offshore ». En effet, ce type d'entreprise, très courant à Gibraltar, n'aurait pas eu à payer d'impôt, car elle ne dispose pas de locaux professionnels ou de salariés et ne réalise qu'une faible part de bénéfice. Ce système venait en conséquence accorder une exemption générale à la plupart des sociétés constituées à Gibraltar. En outre, la Commission qualifiait également la sélectivité géographique200 de la mesure car les sociétés domiciliées à Gibraltar étaient moins imposées qu'au Royaume-Uni.

« Traditionnellement, la méthode retenue par la Commission européenne et la Cour de justice aux fins d'apprécier le caractère sélectif d'un avantage fiscal consiste à raisonner en trois étapes. » Premièrement, il convient d'identifier si le système fiscal en cause peut être qualifié de « normal ». Deuxièmement, les deux institutions européennes apprécient la sélectivité de la mesure litigieuse au sein du système fiscal. Troisièmement, la Cour et la Commission vérifient la justification tirée de « la nature ou l'économie du système fiscal »201. En d'autres termes, la mesure doit être justifiée par des objectifs légitimes202. Par

195 Ibid189

196 Ibid189

197 BPOT

198 Cour de justice de l'Union européenne, Communiqué de presse n° 120/11, Luxembourg, le 15 novembre 2011, Un régime fiscal conçu de telle façon que des sociétés offshores échappent à l'imposition constitue un régime d'aide d'État incompatible avec le marché intérieur

199 Décision 2005/261/CE de la Commission, du 30 mars 2004, relative au régime d'aides que le Royaume-Uni envisage de mettre à exécution concernant la réforme de l'impôt sur les sociétés par le gouvernement de Gibraltar

200 Dans le cas présent régional

201 CJCE, 2 juillet 1974, Italie c/ Commission, C-173/73

202 Cf. A - De rares exceptions réduites à peau de chagrin

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la qualification d'aide d'État, le système fiscal « normal » devient « anormal » sous couvert des éventuelles justifications apportées par l'État membre.

Cette analyse méthodologique avait pour but de ne pas restreindre la liberté des États membres dans le choix de leurs politiques fiscales et in fine économiques. En ce sens, un système fiscal qui « n'a pas créé une dérogation en faveur de certaines entreprises ou de certaines productions par rapport à un « système normal » de taxation (...) n'est pas constitutif d'un régime d'aides au sens de l'article 107 du Traité »203. En ce sens, « le seul élément fondamental requis pour l'application de l'article (107), paragraphe 1, est le caractère dérogatoire de la mesure, dans sa nature même, par rapport à l'économie du système général dans lequel elle s'insère »204. La méthodologie utilisée était donc claire, il s'agissait de comparer les mesures potentiellement « anormales » d'un système fiscale avec la « normalité » de ce même système fiscal.

La problématique était toutefois plus complexe dans l'arrêt Gibraltar car la réforme fiscale s'appliquait à quasiment toutes les sociétés dûment constituées dans l'État membre. Il s'agissait donc, par application de la méthodologie traditionnelle, d'un système fiscal « normal ». C'est pour cela que le Tribunal de première instance avait considéré que la mesure ne rentrait pas dans le champ d'application des aides d'État.

La Cour a cependant opéré un autre raisonnement, engageant le développement d'une « méthode alternative »205 pour davantage apprécier la sélectivité de la réforme litigieuse.

203 Conclusion de l'avocat général Jean Mischo à l'arrêt CJCE, 8 novembre 2001, Adria-Wien Pipeline GmbH et Wietersdorfer & Peggauer Zementwerke GmbH c/ Finanzlandesdirektion für Kärnten, C143/99

204 Conclusion de l'avocat général Marco Darmon à l'arrêt CJCE, 17 mars 1993, Firma Sloman Neptun Schiffahrts AG / Seebetriebsrat Bodo Ziesemer der Sloman Neptun Schiffahrts AG, C-72/91 et C-73/91

205 Ibid189

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B - L'extension de l'analyse méthodologique

La méthode traditionnelle étant particulièrement inadaptée dans l'arrêt Gibraltar, la Cour définit elle-même une autre méthode afin d'apprécier la sélectivité d'un système fiscal analysant davantage le fond de la réforme fiscale plutôt que son appréciation globale. La Cour reconnaît ainsi la faille de son analyse méthodologique traditionnelle. Elle explique ainsi qu'il serait trop facile pour les États membres d'appliquer une réforme fiscale générale des entreprises pour contourner le droit de l'Union concernant la prohibition des aides d'État. Le problème étant qu'adopter une analyse globale des systèmes fiscaux des États membres peut être contestable dans la mesure où aucun de ces systèmes fiscaux ne se correspondent parfaitement et restent en principe attachés à la souveraineté de l'État membre.

Ainsi, la Cour tente de trouver une alternative à une analyse méthodologique, qui si elle fonctionnait jusque-là, a su prouver ses limites. En conséquence, « contrairement à la « méthode traditionnelle », la « méthode alternative » est ainsi subjective au stade de l'appréciation de la sélectivité d'un régime206, et objective au stade de la justification de cette sélectivité »207. L'utilisation de cette nouvelle méthode a une portée purement téléologique consistant à gommer un maximum les différences entre les différents systèmes fiscaux des États membres. L'usage de la sélectivité d'une mesure, d'une réforme, d'un système n'étant que des moyens pour assurer l'harmonisation des systèmes fiscaux de l'Union.

Ainsi, se retrouve également au titre des arguments de la Cour le principe de nondiscrimination, qui, s'il ne peut être invoqué qu'à titre complémentaire, constitue une justification non négligeable à la charge de Gibraltar. En effet, « au regard des caractéristiques de ce régime, rappelées au point précédent, il apparaît que le régime litigieux, en combinant ces bases, même si celles-ci reposent sur des critères, en eux-mêmes, de nature générale, opère, en fait, une discrimination entre des sociétés se trouvant dans une situation comparable au regard de l'objectif poursuivi par le projet de réforme

206 Car fondée sur les objectifs poursuivis par le régime fiscal

207 Car fondée sur la normalité du régime fiscal Ibid189

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fiscale, à savoir celui d'introduire un système général d'imposition pour toutes les sociétés établies à Gibraltar »208.

En ce sens, la méthode alternative de la Cour s'observe particulièrement des paragraphes 101 à 107 dudit arrêt. En effet, les paragraphes 106 et 107 en particulier selon lesquels « la circonstance que les sociétés « offshore » ne sont pas imposées est non pas une conséquence aléatoire du régime en cause, mais la conséquence inéluctable du fait que les bases d'imposition sont précisément conçues de façon à ce que les sociétés « offshore » qui, par leur nature, n'emploient pas de salariés et n'occupent pas de locaux professionnels, ne disposent pas de l'assiette fiscale au sens des bases d'imposition retenues dans le projet de réforme fiscale. Ainsi, la circonstance que les sociétés « offshore », qui constituent à l'égard des bases d'imposition retenues dans le projet de réforme fiscale un groupe de sociétés, échappent à l'imposition, précisément en raison des caractéristiques propres et spécifiques à ce groupe, permet de considérer que ces sociétés bénéficient d'avantages sélectifs ».

La Cour sanctionne, de manière implicite, la « concurrence fiscale dommageable »209 entre États. En effet, si la réforme fiscale n'avait pas été qualifié d'aide d'État, Gibraltar serait devenu une plate-forme, voire un « paradis » fiscal des sociétés européennes qui auraient utilisé l'État membre à des fins uniquement fiscales. En effet, si un tel régime n'avait pas été sanctionné, l'Union européenne aurait fait un aveu de faiblesse en faveur de la souveraineté fiscale des États membres. Or, comme observé précédemment, la Cour ne s'inscrit pas dans une telle optique, bien au contraire. Son pouvoir prétorien et sa vision téléologique d'harmoniser le marché commun, le droit de la concurrence et le droit fiscal des États. Elle ne va toutefois pas jusqu'à imposer une vision de politique fiscale et économique. Sur ce point les États demeurent libres et souverains. Toutefois, la Cour s'octroie le droit de censurer, d'harmoniser négativement, ce qui lui semble contraire aux intérêts économiques de l'Union.

L'arrêt Gibraltar induit en ce sens un renversement de la charge de la preuve pour les États en matière d'aide d'État. En effet, dans cette méthode alternative, la Cour dispose juste de la faculté de démontrer que le régime fiscal en cause est « anormal ». Il appartient en ce

208 Ibid191, paragraphe 101

209 Ibid191

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sens à l'État de prouver la « normalité », voire même la légitimité de son système fiscal. L'application d'une telle méthode est donc contestable concernant la souveraineté des États membres. En effet, la Commission, qui opère la première la qualification d'aide d'État, s'en trouve grandement avantagée car elle pourra caractériser plus facilement les aides d'État. « Cette démarche n'est pas sans risque sur les autres régimes, et la Cour s'est sans doute engagée sur une pente glissante qui l'amène à élargir le cadre général de ce qu'il convient de considérer comme « normal » en matière de fiscalité dans l'Union européenne. Car au-delà de la question de savoir qui doit juger en premier chef de la normalité, il faut aussi déterminer par rapport à quoi elle doit être évaluée »210.

En effet, « une extension trop grande du régime des aides ait pour conséquence de soumettre tous les choix de politique économique des États membres au contrôle des autorités communautaires »211. La crainte de la concurrence fiscale au sein de l'Union ne doit toutefois pas aveugler la Cour dans ses décisions. En effet, il serait dommageable pour l'institution juridictionnelle que les aides d'État fassent l'objet d'un contrôle de légitimité à défaut d'un contrôle de légalité.

Si la méthode alternative n'a été que peu utilisé par la suite et est devenue une méthode utilisée à titre subsidiaire, le marché unique fait sans aucun doute l'objet d'une protection renforcée de la Cour. En effet, l'utilisation des grandes libertés sous couvert également du principe de non-discrimination font tendre l'Union européenne vers un système économique libéral. Le droit fiscal des États membres se trouve donc harmonisée à travers des séries de décisions jurisprudentielles oeuvrant dans un sens commun et obéissant souvent à la même méthodologie. Toutefois, si une telle libéralisation des régimes fiscaux des États membres est évidente, la Cour pose des limites notamment en matière de fraude fiscale, effet pervers d'un régime économique constamment fluidifié au sein de l'Union.

210 Ibid189

211 Conclusion de l'avocat général Poiares Maduro à l'arrêt CJCE, 23 mars 2006, Enirisorse, C-237/04

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Chapitre II - Une harmonisation négative de la Cour pour consacrer un espace de liberté et de justice fiscale

L'harmonisation jurisprudentielle vient suppléer les directives européennes qui ont d'ores et déjà initiée un espace de liberté et de justice fiscale. Par l'expression « espace de liberté et justice fiscale » promue par les directives, il convient d'entendre dans un premier temps l'harmonisation de la fiscalité des revenus de capitaux mobiliers au sein de l'Union : caractéristique phare de la liberté fiscale au sein de l'Union (Section I). Dans un second temps, la notion de « justice fiscale » se rapporte davantage à la protection consacrée par le législateur et la Cour contre les divers abus, conséquences de la liberté fiscale (Section II).

Section I : L'harmonisation négative de la Cour sur les libertés fiscales initiés par les directives212 de l'Union

Les directives européennes sont à l'origine de l'harmonisation de pans très restreints de la fiscalité directe. Toutefois, en matière de fiscalité des entreprises et dans le but de favoriser l'investissement sur le territoire de l'Union, il a été rapidement nécessaire d'harmoniser la fiscalité des revenus de capitaux mobiliers (I) mais également les régimes de faveur permettant l'application d'un report213 ou sursis214 d'imposition (II).

212 Directive 2011/96/UE du Conseil du 30 novembre 2011 concernant le régime fiscal commun applicable aux sociétés mères et filiales d'États membres différents, directive 2003/49/CE du Conseil du 3 juin 2003 concernant un régime fiscal commun applicable aux paiements d'intérêts et de redevances effectués entre des sociétés associées d'États membres différents, directive 90/434/CEE du Conseil, du 23 juillet 1990, concernant le régime fiscal commun applicable aux fusions, scissions, apports d'actifs et échanges d'actions intéressant des sociétés d'États membres différents

213 « Dans le cadre d'un report d'imposition, la plus-value est calculée et déclarée au moment de l'échange de titres, mais son imposition est différée au moment où s'opère la cession des titres reçus lors de l'échange. » https://www.l-expert-comptable.com/a/532037-le-sursis-d-imposition-sur-les-plus-values.html

214 « Le sursis d'imposition signifie que l'opération visée présente un caractère intercalaire. Elle n'est pas imposable lors de son événement, à savoir l'échange ou l'apport des titres, mais lors de la cession ultérieure des titres reçus. »

Ibid215

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I - Le rôle de précision de la Cour en matière de fiscalité des revenus de capitaux mobiliers

Comme en matière de TVA, la Cour n'opère pas réellement de création jurisprudentielle. Lorsqu'il s'agit de litige mettant en cause une directive et le droit national, l'action d'harmonisation de la Cour est davantage supplétive. En effet, son rôle va consister dans l'apport de nuances, de précisions, voire de nouvelles conditions dans le cadre des directives fiscales plus connues sous le nom de directive mère-fille (A) et de directive intérêts et redevances (B).

A - Les apports jurisprudentiels nécessaires par la Cour à la directive mère-fille

La directive vise à éliminer les problèmes de double imposition économique215 permettant une exonération de la retenue à la source des dividendes sous certaines conditions déterminées par le droit national. Elle permet ainsi de faciliter le regroupement des entreprises sur le territoire de l'Union216. La directive a donc pour conséquence la neutralité fiscale des opérations de distributions de dividendes par une filiale établie dans un État membre à sa société-mère établie, elle aussi, dans un État membre. Toutefois, s'agissant de participations qui ne sont pas visées par la directive, les États sont souverains quant à l'imposition ou non de la distribution des dividendes217.

Le rôle d'harmonisation de la Cour s'analyse dans le sens où elle permet l'apport de précisions quant au champ d'application de ladite directive. Par exemple, la directive ne s'applique pas en ce qui concerne les sociétés exonérées d'impôt sur les sociétés218. En effet, il s'agit dans cette hypothèse d'une exonération personnelle à laquelle l'exonération « matérielle » de la directive pourrait octroyer un avantage discriminant vis-à-vis d'autres sociétés.

215 « La double imposition économique est la situation dans laquelle plusieurs personnes sont imposables sur un même revenu. C'est le cas des dividendes qui sont des bénéfices dégagés par la filiale et qui sont imposés. Une partie est distribuée à la société mère qui sera imposée une seconde fois puisque c'est une recette. » https://www.doc-du-juriste.com/droit-prive-et-contrat/droit-fiscal/dissertation/lutte-double-imposition-conventions-fiscales-internationales-455207.html

216 CJUE, 24 juin 2010, Ferrero Spa, C-338/08

217 CJUE, 1er octobre 2009, Gaz de France, C-247/08

218 CJUE, 18 juin 2009, Aberdeen Property Fininvest Aplha Oy, C-303/07

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La directive impose pour bénéficier du régime de la directive que la participation de la société-mère dans la filiale soit qualifiée de participation importante. En ce sens, le seuil de détention actuellement requis pour l'application des dispositions de la directive est de 10 % du capital social dans la filiale. Les États peuvent en outre appliquer des seuils inférieurs, la directive ne garantissant qu'un seuil minimal de protection à l'égard de la double imposition économique219. A ce sujet, s'est également posé la question de savoir ce qu'il convenait d'entendre par la notion de participation. En effet, deux conceptions se sont opposées : certains entendent la participation dans son sens juridique220 lorsque d'autres analysent les revenus de participations d'un point de vue économique221. A cette problématique, la Cour a tranché pour l'analyse juridique de la notion de participation en considérant que des actions détenues en usufruit ne constituent pas des participations222. Sur la notion de dividendes, la Cour a également jugé que ne rentre pas dans le champ de la directive les dividendes de liquidation et les avoirs fiscaux223.

Des précisions peuvent également être apportées concernant la durée de détention requise pour pouvoir bénéficier du régime de la directive. La directive impose à minima une période de détention de deux ans. Toutefois, une telle condition peut être remplie avant la durée imposée dans l'hypothèse selon laquelle la société s'engage à conserver la participation pendant la durée requise224.

Les États ont toutefois tenté d'imposer par prélèvement obligatoire qui n'est pas qualifié comme une retenue à la source les dividendes émis. Toutefois, la Cour a considéré qu'une imposition revêtant le caractère d'un prélèvement obligatoire était une imposition cachée et devait donc être censurée225. Le but final de la directive est en conséquence l'imposition de l'actionnaire personne physique et non la société226.

La directive émet aussi l'obligation pour l'État membre de la société-mère de ne pas imposer le bénéfice tiré du dividende reçu. En conséquence, la directive laisse le choix aux

219 CJUE, 20 octobre 2011, Commission c/ Allemagne, C 284/09

220 La détention de participations

221 La perception des dividendes peu importe s'il existe une détention juridique

222 CJCE, 22 décembre 2008, Les Vergers du Vieux Tauves, C-48/07

223 CJCE, 25 septembre 2003, Océ van der Grinten, C-58/01

224 CJCE, 17 octobre 1996, Denkavit, C-283/94

225 CJCE, 13 février 1996, Bautiaa, C-252/94

226 CJUE, 26 juin 2008, Burdia GmbH, C-284/06

États de la méthode à appliquer pour ne pas imposer le revenu reçu par la société-mère. En l'occurrence, les États peuvent faire le choix d'exonérer le revenu, ou peuvent décider d'appliquer la méthode de l'imputation227 ou encore d'appliquer une combinaison entre les deux méthodes228. Dans cette optique, la Cour reste éloignée de la souveraineté des États et n'opère qu'un contrôle assez limité. En effet, la directive étant une base textuelle précise et inconditionnelle, l'action de la Cour est beaucoup moins marquée en l'espèce par sa créativité et son caractère prétorien.

Toutefois, la Cour profite toutefois de la directive pour donner son point de vue sur les systèmes fiscaux des États membres qui mettent en oeuvre la directive. En effet, dans un arrêt Cobelfret229, la Cour censure le refus de l'État belge d'appliquer l'exonération prévue dans son droit national en raison du fait que la société présentait des pertes fiscales reportables. Toutefois, les États peuvent prévoir que les charges en relation avec les participations sujettes à dividendes ne soient pas déductibles230.

Toutefois, si la directive mère-fille est sujette à de nombreux arrêts, les apports jurisprudentiels sont plus limités concernant la directive intérêts et redevances dont les libertés qui en sont issues font moins débat que les problématiques en termes d'abus de droit qu'elle pose.

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227 Caractérisée par l'égalisation du taux d'imposition en droit interne et à l'étranger

228 CJCE, 12 décembre 2006, Test Claimant in the II Group Litigation, 446/04

229 CJUE, 12 février 2009, Coblefret, C-138/07

230 CJUE, 3 avril 2008, Banque Fédérative du Crédit Mutuel, C-27/07

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B - Les apports jurisprudentiels limités par la Cour à la directive intérêts231 et redevances232

L'objectif de la directive est la non-imposition à la source des revenus tirés des intérêts et des redevances. En conséquence, ces revenus particuliers de capitaux mobiliers ne seront imposables que dans l'État de résidence du bénéficiaire effectif. Toutefois la lecture de la directive intérêts et redevances au regard de la jurisprudence est bien différente de celle de la directive mère-fille. En effet, la directive intérêt redevance a mis de nombreuses années à être créé. En effet, cette dernière pouvait être beaucoup plus sujette à des tentatives de fraudes de la part des contribuables européens. La particularité des intérêts était le problème majeur de l'implémentation de la directive en droit de l'Union. En effet, il fallait prévoir des mesures anti-abus pour contrecarrer les potentielles mauvaises intentions des contribuables européens.

C'est d'ailleurs pour cela que la doctrine a observé dans la directive que la durée de détention de la participation dans la filiale par la société-mère devait être obligatoirement d'au moins deux ans. Il n'y pas de possibilité en l'espèce de déroger par l'engagement de détenir ladite participation pendant le temps requis. En effet, cette interprétation est tirée de la différence des temps employés dans la directive233 par rapport au temps employé234 dans la jurisprudence Denkavit235.

Le risque de fraude étant particulièrement élevé en matière d'intérêts et de redevances. En effet, dans plusieurs affaires d'importance dénommée « Danish cases »236, la Cour a eu à

231 Article 2 de la directive : « les revenus des créances de toute nature, assorties ou non de garanties hypothécaires ou d'une clause de participation aux bénéfices du débiteur, et notamment les revenus d'obligations ou d'emprunts, y compris les primes et lots attachés à ces obligations ou emprunts. Les pénalités pour paiement tardif ne sont pas considérées comme des intérêts »

232 Article 2 de la directive : « les paiements de toute nature reçus à titre de rémunération pour l'usage ou la concession de l'usage d'un droit d'auteur sur une oeuvre littéraire, artistique ou scientifique, y compris les films cinématographiques et les logiciels informatiques, d'un brevet, d'une marque de fabrique ou de commerce, d'un dessin ou d'un modèle, d'un plan, d'une formule ou d'un procédé secret, ainsi que pour des informations ayant trait à une expérience acquise dans le domaine industriel, commercial ou scientifique. Les paiements reçus pour l'usage ou la concession de l'usage d'un droit concernant des équipements industriels, commerciaux ou scientifiques sont considérés comme des redevances. »

233 En l'espèce le passé composé

234 Bien que concernant les distributions de dividendes le temps utilisé était le présent

235 Ibid225

236 CJUE, 26 février 2019, N Luxembourg 1, X Denmark A/S, C Danmark I et Z Denmark ApS, C-115/16, C118/16, C-199/16 et C-299/16

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débattre de la notion de bénéficiaire effectif pour préciser le texte afin d'empêcher les potentielles fraudes. A ce titre la Cour juge que « l'article 1er, paragraphe 1, de la directive 2003/49/CE du Conseil, du 3 juin 2003, concernant un régime fiscal commun applicable aux paiements d'intérêts et de redevances effectués entre des sociétés associées d'États membres différents, lu conjointement avec l'article 1er, paragraphe 4, de cette directive, doit être interprété en ce sens que l'exonération de toute imposition des paiements d'intérêts qu'il prévoit est réservée aux seuls bénéficiaires effectifs de tels intérêts, à savoir aux entités qui bénéficient réellement de ces intérêts sur le plan économique et qui disposent dès lors du pouvoir d'en déterminer librement l'affectation »237 .

Si les développements jurisprudentiels paraissent moins nombreux concernant la directive intérêts et redevances, cela ne signifie pas que la directive ne fait pas l'objet d'un large contentieux. Bien au contraire, elle est sujette à un contentieux se plaçant davantage sur le terrain de la fraude fiscale et de l'abus de droit. Toutefois, dividendes, intérêts et redevances ne sont pas les seuls domaines ayant connu une harmonisation par le biais d'une directive, le régime des fusions, scission, apport partiel d'actifs en est également sujet.

II - Le rôle de la Cour dans le cas des directives relative aux opérations de fusions et aux opérations y assimilées

Le rôle de la Cour, en matière de fusion et opérations assimilées238, est là encore un rôle supplétif visant à harmoniser et préciser les termes et notions définis dans la directive. Ces apports jurisprudentiels sont importants économiquement pour les entreprises dans leur restructuration notamment intra-groupe. En conséquence, elle traite du « rassemblement des capitaux239 » à l'occasion des opérations susmentionnées (A) et des fusions qualifiées de transfrontalières (B).

237 Ibid237

238 Scission, apport partiel d'actif, échange de participations

239 Pierre-François Racine, Olivier Fouquet, Cyrille David, Bernard Plagnet, Les grands arrêts de la jurisprudence fiscale, Edition : 07/09 - 5e édition

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A - Les apports jurisprudentiels en matière de « rassemblement des capitaux »240

La directive du 17 juillet 1969241 modifié à de nombreuses reprises242 « est venue définir le régime d'impôts indirects susceptibles de frapper les rassemblements de capitaux »243. La directive concerne en ce sens les « créations de sociétés, mais également les opérations de fusions »244. La directive apporte en conséquence des limites concernant le prélèvement effectué sur le droit d'apport. En effet, la Cour dans un arrêt Bautiaa245 que le taux d'1,20 % appliquée à une opération de fusion par application de l'article 816-1, 2° ancien du CGI est en confrontation avec les garanties octroyées par le droit communautaire. A ce titre la France n'a supprimé l'article litigieux qu'en 1993. La Cour a refusé en ce sens de moduler les effets de sa décision dans le temps imposant la restitution desdits droits d'apport par la France aux entreprises ayant effectué les opérations concernées par la directive.

La Cour a ensuite précisé sa jurisprudence en la matière en autorisant parfois certains prélèvements tels qu'un droit d'enregistrement dans l'hypothèse où la société détient la totalité des participations de la société absorbée246 . N'entre également pas en confrontation avec la directive la perception d'un impôt sur le patrimoine de l'entreprise247. Il est toutefois interdit au sens de la Cour de « soumettre des emprunts obligataires à l'impôt sur les actes notariés établis lors du remboursement »248.

La jurisprudence de la Cour apporte donc des précisions non négligeables pour harmoniser les systèmes fiscaux des impôts indirects pesant sur les entreprises réalisant des opérations de fusion et assimilées. L'action d'harmonisation de la Cour est toutefois plus visible en ce qui concerne le régime de faveur applicable à de telles opérations.

240 Ibid240

241 Directive 69/335 du Conseil du 17 juillet 1969

242 Directive 85/303 en vigueur le 1er janvier 1986

243 Ibid240

244 Ibid240

245 CJCE, 14 février 1996, Bautiaa, C-197/94

246 CJCE, 27 octobre 1998, Abbruzi Gas SpA, C-152/ 97

247 CJCE, 27 octobre 1998, Manifattura italiana Nonwoven SpA, C-4/ 97

248 CJCE, 27 octobre 1998, Fuerzas electricas de Catalunya, C-31/ 97 et 32/ 97 Ibid240

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B - Les apports jurisprudentiels importants en matière du régime de faveur à une fusions et des opérations y assimilées pour les restructurations d'entreprises

La directive modifiée du 23 juillet 1990249 concerne le régime fiscal applicable aux « opération de fusion, de scissions, d'apports partiels d'actifs et d'échange d'actions au sein des États membres »250 . Dans un grand arrêt Leur Bloem251, la Cour a admis l'application de la directive dans le cadre d'une opération purement interne. En l'espèce, il s'agissait d'un échange de titres de participation « appartenant à un ressortissant néerlandais entre deux sociétés néerlandaises »252. En effet, la directive ne visait que les opérations transfrontalières. Or, il aurait été discriminant de ne pas l'appliquer à une situation purement interne. La Cour apporte donc de la nuance à la lettre de la directive afin qu'elle ne puisse perturber les opérations internes et la liberté d'établissement.

En matière d'apport partiel d'actifs, la Cour a également défini la notion de branche complète d'activité afin d'assurer une interprétation téléologique de la directive, conforme à la volonté du législateur de l'Union. En ce sens, « l'exploitation apportée doit pouvoir fonctionner non seulement avec les actifs corporels ou incorporels qui lui sont affectés mais aussi avec les moyens financiers adéquats. Tel n'est pas le cas lorsque l'entreprise apporteuse conserve le bénéfice d'un emprunt dont la charge de remboursement et d'intérêt est attribuée à la branche apportée »253.

La directive est fondée sur l'idée de la neutralité fiscale des opérations susvisées. Elle implique en ce sens, le report d'imposition pour les opérations de fusion, de scission, d'apport partiel d'actifs et d'échange de titres254. Concernant l'évaluation des titres de participation dans le cas des opérations visées par la directive, les États demeurent libres de ladite évaluation des titres à valeur comptable ou à valeur de marché255. Le but du report d'imposition étant l'imposition de la plus-value latente lors de la sortie des titres du

249 Directive 90/434 du Conseil du 23 juillet 1990 modifiée par la directive 2005/19/CE du 17 février 2005

250 Ibid240

251 CJCE, 17 juillet 1997, Leur Bloem, C-28/ 95

252 Ibid240

253 CJCE, 15 janvier 2002, Andersen & Jensen Aps, C-43/ 00

254 CJCE, 5 juillet 2007, Hans Markus Kofoed, C-321/05

255 CJUE, 9 décembre 2012, 3D I Srl, C-207/11

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patrimoine de l'entreprise, l'évaluation, si elle est effectuée à valeur de marché ne devra cependant pas être imposable pour la société-mère256.

Ces précisions jurisprudentielles étant faites, de telles libertés pour les entreprises doivent cependant être couvertes par des mesures anti-abus afin de lutter contre les éventuelles utilisations pernicieuses desdites directives.

Section II - L'action d'harmonisation de la Cour à l'appui des directives luttant contre l'évasion fiscale.

Dans le droit de l'Union, il existe deux types de directives qui ont pour objet la lutte contre l'évasion et la fraude fiscale. Dans un premier temps, il existe des directives et des jurisprudences dont l'objet est de qualifier la fraude et d'en interdire le procédé. Il s'agit en l'occurrence des récentes directives plus connues sous le nom d'« ATAD »257 mais dont la jurisprudence avait parfois esquissé les formes en se servant des mesures anti-abus général qui se trouvait dans les directives mère-fille et intérêts et redevances (I). Toutefois, d'autres mesures peuvent être prises pour lutter contre l'évasion fiscale et l'érosion de la base fiscale à travers la consécration d'un échange d'informations renforcées entre les États membres (II).

I - Une harmonisation jurisprudentielle pour lutter contre le phénomène d'évasion fiscale

L'harmonisation jurisprudentielle dont l'objectif est de lutter contre l'évasion fiscale a pour objectif de pouvoir s'adapter à tous types de fraudes initiées au sein de l'Union par notamment une application excessivement favorable des directives de l'Union. Elle est souvent l'objet de convergence entre intérêts de l'Union et intérêts nationaux car tous deux mettent en oeuvre des mesures afin de protéger le budget des États membres. Le but comme rappelé précédemment étant de créer un espace de liberté mais également de justice fiscale.

256 CJUE, 11 décembre 2008, A.T., C-285/07

257 « Anti tax avoidance directive » traduit en directive anti-évasion fiscale

Directive (UE) 2016/1164 du Conseil du 12 juillet 2016 établissant des règles pour lutter contre les pratiques d'évasion fiscale qui ont une incidence directe sur le fonctionnement du marché intérieur supplée récemment par la directive « ATAD 2 » apportant des précisions sur les règles anti-hybrides en relation avec les États tiers à l'Union

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Les apports jurisprudentiels sont en ce sens nombreux notamment en matière de société étrangère contrôlée et de mesure anti-hybrides (A) mais également en terme de règle général anti-abus et d'imposition à la sortie plus connue sous le nom d'« exit tax » (B).

A - Les apports jurisprudentiels édifiants en matière de règles anti-abus générales et de sociétés étrangères contrôlées

Ab initio, en matière de lutte contre la fraude fiscale, l'approche de la Cour a longtemps été balbutiante. En effet, en 1986, les juges de Luxembourg avaient initié que le risque d'évasion fiscale ne pouvait contrevenir aux dispositions de l'article 52 CE relatif à la liberté d'établissement258. « Prenant toutefois le contre-pied de cette analyse rigoureuse en 1998, les juges communautaires se montraient plus réceptifs aux inquiétudes gouvernementales et révisaient en conséquence leur liste, exhaustive, des justifications légitimant les entraves aux libertés de circulation. Ainsi, la décision Imperial Chemical Industries259 peut être interprétée comme reconnaissant, a contrario, la lutte contre l'évasion fiscale comme justification recevable aux discriminations créées »260.

Toutefois, la Cour en la matière avait la fâcheuse tendance à botter en touche faisant reposer la responsabilité fiscale sur les États membres au nom du principe de souveraineté261. Toutefois, meut par le principe de sécurité juridique, la Cour décida enfin de sortir de ses hésitations en donnant une première définition de la notion de fraude fiscale en matière de TVA262. A la demande de la Commission, la Cour a, par la suite, défini la notion de « montage purement artificiel »263 à travers l'observation « d'un élément subjectif, résidant dans la volonté d'obtenir un avantage fiscal, qui avait pourtant été

258 CJCE, 28 janvier 1986, Commission c/ France, C-270/86

Eric Meier, Avocats à la Cour, Bernard Boutemy, Avocats à la Cour, Petites affiches - n°221 - page 4, Sociétés étrangères contrôlées et liberté d'établissement, Lextenso

259 CJCE, 16 juillet 1998, Imperial Chemical Industries, C-264/96

260 Ibid259

261 CJCE, 13 décembre 2005, Marks & Spencer, C-

262 CJCE, 21 février 2006, Halifax, C-255/02

En premier lieu, « la pratique abusive doit permettre d'obtenir un avantage fiscal et il convient de constater, à partir d'un ensemble d'éléments objectifs, que le but essentiel des opérations est l'obtention de cet avantage fiscal. À cette fin, l'on peut, selon les indications données par la Cour de justice, tenir compte notamment du « caractère purement artificiel de ces opérations ainsi que les liens de nature juridique, économique et/ou personnelle entre les opérateurs impliqués dans le plan de réduction de la charge fiscale. »

Ibid259

263 Ibid259

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expressément écarté par l'avocat général comme étant non pertinent »264 ainsi que « d'éléments objectifs vérifiables par des tiers et révélant l'absence d'« implantation réelle ayant pour objet l'accomplissement d'activités économiques effectives dans l'État membre d'accueil »l265 .

Cette méthode a notamment été utilisé dans les récent « Danish cases », en précisant que « le principe selon lequel les justiciables ne sauraient frauduleusement ou abusivement se prévaloir des normes du droit de l'Union est un principe général du droit de l'Union. Elle en précise les conséquences s'agissant, d'une part, de l'exonération de la retenue à la source sur les bénéfices distribués par une filiale à sa société-mère »266. Cette série judiciaire reprend peu ou prou la définition ci-avant par la réunion d'un critère objectif et subjectif afin de caractériser l'abus de droit. La Cour précise en outre l'exigence que les sociétés doivent disposer d'une certaine substance, à savoir une certaine activité économique sans laquelle elle ne pourrait bénéficier des libertés fiscales octroyées par les directives mère-fille et intérêts et redevances.

Concernant les règles relatives aux sociétés étrangères contrôlées (SEC)267, et afin de comprendre davantage cette notion et les apports de la jurisprudence en la matière, il convient d'analyse le plus célèbre arrêt en la matière, à savoir la décision Cadbury Schweppes268. En l'espèce, la législation britannique relative aux SEC, prévoyait qu'une telle société détenue à 50 % au moins par une société britannique devait être imposée selon les règles dudit pays dans l'hypothèse selon laquelle l'État de résidence de la SEC disposait d'un taux d'imposition des sociétés inférieur aux trois quarts du taux britannique269. Toutefois, la règle britannique relative aux SEC ne s'appliquait pas si ladite SEC versait « la quasi-intégralité de ses bénéfices à sa société-mère de droit britannique »270. En effet, sous cette perspective, la société britannique devrait ensuite être imposée au

264 Ibid259

265 Ibid259

266 Sandrine Rudeaux, La CJUE précise les conditions de mise en oeuvre de la théorie de l'abus de droit et la notion de bénéficiaire effectif, 1 mars 2019 https://taj-strategie.fr/cjue-precise-conditions-de-mise-oeuvre-de-theorie-de-labus-de-droit-notion-de-beneficiaire-effectif/

267 Ci-après SEC

268 CJCE, 12 septembre 2006, Cadbury Schweppes, C-164/04

269 Ibid259

270 Ibid259

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titre des dividendes reçus. Le point important de la législation anglaise consiste dans le fait que « la société de droit anglais doit parvenir à démontrer que la création de la filiale contrôlée et les transactions conclues avec celle-ci, n'ont pas pour objectif de détourner des bénéfices en principe imposables au Royaume-Uni »271 .

« En l'espèce, Cadbury Schweppes avait créé deux filiales en Irlande, lesquelles, domiciliées au Centre de services financiers internationaux, étaient éligibles à un régime fiscal incitatif prévoyant notamment un taux d'imposition à 10 %. L'objet de ces filiales consistait à fournir divers services financiers aux sociétés du groupe Cadbury Schweppes. L'Inland Revenu, estimant que les deux filiales avaient été établies en Irlande dans le seul but d'y assujettir à un taux moindre des bénéfices autrement passibles du taux de droit commun du « corporate income tax » anglais, avait appliqué la législation sur les SEC et avait en conséquence notifié un rappel d'impôt à Cadbury Schweppes. Portant le débat devant les « Special Commissioners », Cadbury Schweppes souleva alors l'incompatibilité du dispositif SEC au droit communautaire »272.

L'avocat général avait en effet considéré qu'un tel dispositif était discriminatoire, mais pouvait en outre être défendu au regard de « l'objectif de lutte contre l'évasion fiscale »273. L'État britannique avait sans aucun doute la légitimité suffisante pour interdire une telle pratique dommageable à son Trésor. Cet apport jurisprudentiel « en fiscalité directe constitue donc un nouvel avertissement à l'encontre des États membres, lesquels, tout en s'opposant à une harmonisation en ce domaine, s'étaient déjà vu défendus de tirer prétexte du faible niveau d'imposition de l'État membre d'implantation d'établissements secondaires pour légitimer une quelconque entorse à la liberté d'établissement d'une société-mère »274.

Si les deux règles anti-abus précités font l'objet d'une grande partie du contentieux, les apports de la jurisprudence en matière de règles anti-hybrides et d'« exit tax » sont, à l'inverse, d'application plus limitée, car les directives sur lesquelles la Cour se fonde sont très généralement non-équivoques.

271 Ibid259

272 Ibid259

273 Ibid259

274 CJCE, 28 janvier 1986, Commission c/ France, C-270/86 Ibid259

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B - Les apports jurisprudentiels respectivement maigre et créatif en matière de règles anti-hybride et d'« exit tax »

Les hybrides se définissent comme étant « instruments dont le régime fiscal est différent dans les pays concernés, étant le plus souvent considérés comme titres de dette dans un pays et comme titres de participation dans un autre »275. Il peut également s'agir d'une société considérée comme fiscalement transparente dans un État mais observée comme fiscalement opaque dans un autre État. En conséquence, l'hybridité des flux ou des sociétés est un problème de taille au sein de l'Union car elle implique parfois une double déduction ou une double imposition des flux monétaires transmis entre sociétés liées.

A cet effet, si la jurisprudence en matière d'hybridité n'est pas florissante276, le terme hybride apparaît quelques fois dans les conclusions des avocats généraux et dans les arrêts de la Cour. En témoigne cet arrêt277 concernant l'hybridité des SCA de droit polonais. Par une interprétation téléologique en faveur du législateur la Cour juge que « le législateur de l'Union a entendu exclure de la notion de «société de capitaux» les structures juridiques à caractère hybride, telles que la SCA, dont seule une partie des parts représentatives du capital ou de l'avoir social est susceptible d'être négociée en Bourse ou dont seule une partie des membres ont le droit de céder sans autorisation préalable leurs parts sociales à des tiers et ne sont responsables des dettes de la société qu'à concurrence de leur participation »278. En conséquence, le juge de l'Union rappelle sur ce point précis qu'« une société en commandite par actions de droit polonais doit être considérée comme une société de capitaux au sens de la directive, quand bien même seule une partie de son capital et de ses membres est susceptible de remplir les conditions prévues par ladite directive »279.

L'« exit tax » consiste dans le fait d'imposer les plus-value latente d'une entreprise qui transmet son siège de direction effective à l'étranger, généralement dans un pays tiers. En

275 Plan d'action BEPS, OCDE, action 2

276 Car la directive est suffisamment claire, précise et inconditionnelle

277 CJUE, 22 avril 2015, Drukarnia Multipress sp. z o.o. c/ Minister Finansów, C-357/13

278 Ibid278

279 Ibid278

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effet, au sein de l'Union, le transfert de siège bénéficie de la neutralité fiscale lorsque le siège de la société est transféré dans un État membre. A cet effet, la Cour tient à assurer le libre exercice de cette activité au sein du territoire de l'Union. En effet, dans un arrêt National Grid Indus280, une société de droit néerlandais avait choisis de transférer son siège au Royaume-Uni. En vertu du droit national néerlandais, l'administration fiscale dudit pays a décidé d'imposer la plus-value latente conséquente au transfert. La société s'est défendue en argumentant qu'une telle imposition était contraire au droit de l'Union et en particulier à la liberté d'établissement281. La Cour a dans un premier temps reconnu l'existence d'une restriction à la sortie de la société mais a considéré que la mesure nationale était justifiée au regard de l'objectif de lutte contre la fraude fiscale. Toutefois, ce sera sur le terrain de la proportionnalité de la justification que la Cour émettra des doutes sur la législation néerlandaise car un recouvrement immédiat de la plus-value issue du transfert de siège peut sembler particulièrement brutale pour les finances de l'entreprise. A ce titre, la Cour choisira de botter en touche offrant la possibilité pour la société de se voir appliquer un report d'imposition ou de payer immédiatement l'imposition exigée auprès de l'administration fiscale néerlandaise.

La Cour va toutefois, étoffer sa jurisprudence en se montrant davantage entreprenante dans un arrêt Commission c/ Portugal282. « En l'espèce, une société portugaise qui transfère son siège statutaire ou sa direction effective hors du Portugal est imposée sur ses plus-values latentes. Une société maintenant son siège sur le territoire portugais ne sera imposable que sur les plus-values qu'elle réalise effectivement. L'imposition des plus-values latentes est également prévue en cas de transfert partiel ou total des actifs d'un établissement stable d'une société non-résidente, alors qu'un transfert d'actifs sur le territoire portugais n'entraîne pas une telle conséquence »283.

Le principal apport de l'arrêt consiste à « faire entrer expressément au rang des restrictions les impositions à la sortie frappant les transferts d'actifs attachés à un établissement stable. La Cour affirme ici sans détour que sont visés non seulement les

280 CJUE, 29 novembre 2011, National Grid Indus, C-371/10

281 Restriction à la sortie

282 CJUE, 6 septembre 2012, Commission c/ Portugal, C-38/10

283 Michel Aujean, Marie-Pierre Hôo, Transferts d'actifs intracommunautaires et Exit tax, 7 décembre 2012 https://taj-strategie.fr/transferts-dactifs-intracommunautaires-exit-tax/

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transferts de siège sociaux comme les transferts de siège de direction effective, mais également tout transfert, partiel ou total, des éléments d'actifs affectés à un établissement stable. Comme le relève d'ailleurs l'avocat général, la liberté d'établissement est applicable aux transferts d'activités d'une société d'un État membre vers un autre État membre et cela indépendamment de la question de savoir si la société en question transfère son siège statutaire et sa direction effective ou si elle transfère des actifs d'un établissement stable. La Cour rejoint ici les conclusions du Conseil de l'union européenne dans sa résolution 2008/C323/01 du 2 décembre 2008 »284.

Toutefois, il est dommageable que la Cour n'ait pas apporté de précision relative aux sociétés de capitaux fiscalement opaque. Les hésitations jurisprudentielles de l'arrêt National Grid Indus demeure en conséquence d'actualité, sauf si la Cour généralisait à demi-mot l'application des principes énoncés dans l'arrêt Commission c/ Portugal aux systèmes d'« exit tax » des États membres concernant le transfert de société d'un État membre à un autre État membre.

La Cour bien qu'opérant en faveur de la lutte contre la fraude fiscale en maintenant en équilibre cette balance fragile de la liberté et de la restriction, apporte également sa vision d'harmonisation concernant la coopération entre États membres.

II - L'harmonisation par la Cour de la coopération administrative

En effet, la Cour insère également sa jurisprudence en matière de coopération administrative en vue de lutter contre les phénomènes transfrontaliers de fraude fiscale. Au soutien des nombreuses directives de coopération administrative285, elle apporte une vision neuve et protectrice des intérêts des contribuables (A). Cette vision amène en ce sens à s'interroger sur les potentiels apports de sa jurisprudence concernant la toute nouvelle directive de coopération administrative entre États membres, également connues sous le nom de « DAC 6 »286 (B).

284 Ibid284

285 Dont la dernière version est la directive 2011/16/UE du Conseil du 15 février 2011 relative à la coopération administrative dans le domaine fiscal et abrogeant la directive 77/799/CEE

286 Directive 2018/822 du 25 mai 2018

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A - Les apports jurisprudentiels protecteur du contribuable en matière de coopération administrative

La directive de coopération administrative impose que les Etats membres peuvent demander à un contribuable résident fiscal toutes informations jugées utiles pour préserver l'objectif de lutte contre la fraude fiscale. A l'occasion d'un arrêt Berlioz, des sociétés requérantes se sont vues exigées de la part de l'administration fiscale luxembourgeoise certaines informations. Refusant de transmettre ces informations à l'administration, les sociétés requérantes s'étaient vues appliquées une amende d'un montant de 250.000 euros. La loi luxembourgeoise refusait en outre tout recours contre une telle sanction. Les sociétés requérantes se sont donc prévalues de l'article 47 de la Charte des droits fondamentaux de l'Union287 qui implique le droit à un recours effectif à l'encontre des décisions administratives prononcées par un État membre. La Cour juge dans cet arrêt de principe qu'il st de droit pour un administré d'exercer un recours à l'encontre d'une décision administrative qu'il estime illégale au sens de l'article 47 de ladite Charte. La Cour juge en outre qu'il appartient légitimement à l'État au titre de l'article 51 de la Charte de mettre en oeuvre le droit de l'Union et in fine la directive 2011/2016. En ce sens, la sanction adressée par l'État membres aux sociétés requérantes apparaît donc comme conforme au droit de l'Union car elle met en oeuvre la directive.

Toutefois, la Cour ne méconnaît pas le droit aux administrés de se prévaloir des dispositions de l'article 47 de la Charte. La Charte s'applique en conséquence à toutes les situations régies par le droit de l'Union288. Les juridictions nationales sont en ce sens tenues d'appliquer la Charte y compris le droit au recours effectif présent à l'article 47 de ladite Charte bien que le contrôle par voie d'exception de la sanction de l'administration ne fût pas permis dans le cas d'espèce par le droit luxembourgeois. Il résultait en ce sens une potentielle atteinte au droit de traitement des données à caractère personnel garantie à l'article 7 de la Charte289.

287 Ci-après la Charte

288 CJUE, 26 février 2013, Aklagaren c/ Hans Akerberg Fransson, C-617/10

289 CJUE, 17 octobre 2013, Michael Schwartz c/ Stadt Bochum, C-291/12

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La Cour agit ainsi en protégeant tant la vie privée des particuliers soumis à une demande d'information mais surtout assure leur droit à un recours effectif. En ce sens, la directive administrative de coopération, bien qu'elle protège les intérêts économiques des États membres, ne doit pas être lues comme n'octroyant aucunes garanties aux particuliers. La Cour harmonise ainsi le système procédural de demande d'information assurant un juste équilibre entre les droits de l'État membre et les droits du particulier.

B - La « DAC 6 » : une directive méritant des précisions jurisprudentielles

« En vue de lutter contre la fraude fiscale internationale, plus particulièrement en ce qui concerne la planification fiscale agressive, l'Union européenne a introduit de nouvelles obligations déclaratives à la charge des intermédiaires fiscaux, pour ce qui concerne certains dispositifs transfrontières dans le cadre de la directive (UE) 2018/822, du 25 mai 2018. Cette évolution s'inscrit dans le cadre de l'action 12 du projet BEBS de l'OCDE, selon lequel « à ce jour l'une des principales difficultés rencontrées par les administrations fiscales est l'absence d'accès en temps voulus à des informations complètes et pertinentes sur les stratégies de planifications fiscales »290 .

La directive impose aux intermédiaires fiscaux tels que les banques ou encore les conseils fiscaux de reporter à l'administration certaines opérations fiscales rentrant dans le champ d'application de l'annexe de la directive. En effet, à l'annexe de la directive se trouve une série de marqueurs décrivant les opérations devant être reporter à l'administration fiscale.

Dans un premier temps si ces marqueurs semblent exhaustifs, il serait appréciable que la Cour ait à se prononcer concernant leur champ d'application. En effet, de nombreux droits tels que celui précédemment mentionnés de protection des données ou encore le droit au respect de la vie privée pourraient être atteint de plein fouet par la nouvelle directive. Il conviendrait en conséquence que le Cour clarifie plus particulièrement le régime juridique de tels marqueurs au regard des droits et libertés fondamentaux protégés par la Charte.

290 Florent Roemer, l'introduction de la directive (UE) 2018/822 du 25 mai 2018 dans le droit français : la mise en place des échanges entre les intermédiaires fiscaux et l'administration fiscales, Revue Internationale du Patrimoine, Lexnow

Si l'objectif de la directive est clairement assumé291, de nombreuses questions restent en suspens. En effet, quid de la proportionnalité sanction appliquée en cas de non-retransmission des informations ? Assiste-t-on en conséquence à un renversement de la charge de la preuve en matière fiscale ? En effet, le contribuable n'est pas censé292 apporter la preuve de l'absence de montages fiscaux. Un tel renversement de la charge de la preuve peut être problématique notamment au regard du principe de proportionnalité mais également du droit de ne pas s'auto-incriminer.

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291 Dissuader les intermédiaires fiscaux de conseillers des montages abusifs

292 En dehors de cas limitativement énumérés

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Conclusion

Si les législations fiscales des États membres de l'Union ne sont pas totalement harmonisées, la Cour de Justice oeuvre, dans ce sens, à travers de nombreuses décisions clés. Servant, dans la plupart de ses arrêts, un objectif d'intégration, la Cour opère cependant de manière progressive. En effet, si les législations nationales se sont conformées progressivement au droit de l'Union en matière de fiscalité indirecte, il se développe, en parallèle, une maturation de l'harmonisation de la fiscalité directe tant du côté du législateur de l'Union qu'à travers la jurisprudence prétorienne et téléologique de la Cour.

Par conséquent, en matière de fiscalité indirecte et dans le cadre des directives relative à la fiscalité directe des entreprise, la Cour procède davantage à des précisions ou à des explications et interprétations des textes européens. Sa jurisprudence abondante en matière de TVA et d'imposition des revenus de capitaux mobiliers est, en ce sens, un renfort accordé au législateur européen et un moyen d'appliquer ce « droit fiscal européen » dans l'ordre juridique national. A l'inverse, en matière de fiscalité directe, il reste pour la Cour un vaste chantier en construction.

En, effet, la législation de l'Union est beaucoup moins régulatrice en matière de fiscalité directe, de tel sorte qu'il pourrait être observer, de prime abord, que ladite fiscalité directe est par principe de la compétence exclusive des États membres. Toutefois, ce n'était pas sans compter sur la jurisprudence de la Cour qui, au travers des décisions, apporta un peu plus de mouvance à cet environnement statique. Ainsi, contribuant par « petites touches » et précisant son interprétation des textes de droit primaire, la Cour devint progressivement actrice de l'harmonisation de la fiscalité directe. La Cour effectuait alors ce que la doctrine a théorisé avec l'expression « harmonisation négative ». C'est d'ailleurs cette même « harmonisation négative » de la fiscalité directe qui a été exprimé de manière abondante, tant en quantité qu'en qualité, ces trente dernières années.

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En conséquence, ce travail d'harmonisation infléchit inéluctablement la souveraineté des États en matière fiscale. Cependant, la Cour n'exerce pas une harmonisation à travers une jurisprudence fondée ex-nihilo. Au contraire, en raison des principes de légalité et de sécurité juridique auxquels elle se se soumet, cette dernière utilise toujours une base légale dans son raisonnement. En effet, qu'il s'agisse de fiscalité directe ou indirecte, l'harmonisation négative apparaît, notamment, pour protéger les grandes libertés promues par l'Union européenne.

Cet argument permet ainsi d'éviter toute entrave ou discrimination à ces grandes libertés. De surcroît, cette protection garantie un système économique européen au sein duquel les investisseurs, et plus largement les contribuables, doivent avoir confiance. En effet, cette confiance « verticale » des contribuables envers le système fiscal des États membres est garantie par l'inspection et le contrôle de plus en plus renforcée de la Commission européenne notamment en matière d'aide d'État.

De plus, pour appuyer son raisonnement, la Cour peut avoir recours aux principes généraux du droit de l'Union. Elle justifie de la sorte sa décision et exprime, dans le même temps, son point de vue sur l'application d'une législation nationales. De la primauté du droit de l'Union à l'effet utile dudit droit, le juge, tant national qu'européen, se doit de prendre en considération de tels principes dans la motivation sa décision. Et si les frondes juridictionnelles et législatives peuvent exister, la Commission comme la Cour veillent à ce que les sanction juridiques, politiques ou financières soient effectives.

L'harmonisation fiscale s'observe également à travers son objectif de lutte contre la fraude fiscale. En effet, face à des fraudeurs toujours plus ingénieux et des montages plus complexes, la Cour livre avec les États membres une véritable bataille contre le fléau de la fraude fiscale issue de la concurrence fiscale entre les États. « A ce titre, la concurrence fiscale peut notamment déboucher sur une remise en cause de la souveraineté nationale, si chaque État doit continuellement réagir aux changements intervenant ailleurs afin de rester compétitif dans cette course au « moins-disant fiscal293 ».

293 Politique fiscale communautaire, Encadrement politique des sources juridiques, Méthode d'intégration envisageable, §1 Concurrence fiscale

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Toutefois, l'action d'harmonisation de la Cour n'est pas achevée et de nombreux pans de la fiscalité directe comme l'impôt sur le bénéfices des sociétés mériteraient une harmonisation de la part du législateur européen. Bien que la Cour puisse agir parfois ultra petita lorsqu'elle reformule certaines questions préjudicielles des juges nationaux, son expertise demeure cantonnée à des problématiques précises. Ce rôle doit rester tel qu'il est afin de ne pas tomber dans les écarts d'un gouvernement des juges, qui pourrait, à bon droit, susciter de nombreuses critiques, ne serait-ce qu'en matière de légitimité.

Ainsi, si la Cour de Justice est limitée dans son action par le Parlement et le Conseil de l'Union européenne. Ces institutions sont soumises à des aléa politiques empêchant une intégration pleine et entière. La Cour se retrouve ainsi en binôme avec la Commission afin de défendre et préserver les intérêts politiques et économiques de l'Union sans lesquels elle cesserait d'être cette organisation internationale sui generi que nous connaissons.

Ce statut est toutefois ambigu. En effet, l'Union européenne est une institution à cheval entre la confédération et la fédération. Cette qualification, si elle semble satisfaisante pour certains États membres, demeure fragile comme l'a récemment démontré la sortie de l'Union européenne du Royaume-Uni. Si une uniformisation des législations fiscales semble utopique dans sa mise en oeuvre comme dans son application, l'encadrement des législations fiscales européennes est privilégié par l'Union. En effet, l'harmonisation décrite laisserait la liberté aux États membres d'élaborer des normes circonscrites dans un cadre défini par le législateur ou la Cour, et qui tiendra, bien entendu, des circonstances locales particulières de chaque États.

Cependant, « l'alternative de l'harmonisation ne constitue pas la panacée non plus. La souveraineté fiscale reste la dernière parcelle de souveraineté nationale au sein de l'Union, et, à choisir, les États membres préféreront sans doute perdre une partie de cette souveraineté en raison de la concurrence fiscale interétatique à laquelle ils participent, que du fait fait de l'harmonisation d'en haut dont ils ne sont que les spectateurs. Il ne faut pas oublier non plus l'enracinement du droit de prélever l'impôt dans l'idée du consentement à l'impôt par la Nation représentée par son Parlement. Rien de tel dans l'harmonisation communautaire issue des technocrates de Bruxelles. Le déficit

démocratique présidant à l'élaboration des textes communautaires constitue une faiblesse irrémédiable et ne manque pas de rappeler la fameuse expression de James Ottis « l'imposition sans représentation est de la tyrannie ». L'on peut se demander également si le fait de fermer la porte à la concurrence fiscale n'est pas synonyme de fermer la porte à la découverte. Cela pourrait être la fin de l'esprit d'entreprise. Si nous ne préservons pas la liberté, nous nous engageons sur la route de la servitude dont parlait Friedrich von Hayek »294. En ce sens, comme tenait à le rappeler Benjamin Franklin « Un peuple prêt à sacrifier un peu de liberté pour un peu de sécurité ne mérite ni l'une ni l'autre, et finit par perdre les deux ».

Toutefois, à l'heure actuelle, l'Union n'est pas parvenue à gommer les disparités nationales, et ne sera une communauté économique aboutie, que lorsqu'il existera une harmonisation fiscale intégrale. L'Union européenne n'est pas une organisation internationale classique. Elle est le fruit de convergences historiques, politiques et économiques, constituant une communauté sui generi dont la volonté de son organe juridictionnelle semble parfois tendre, et cela de manière insidieuse, à la réalisation du doux rêve de ses pères fondateurs : les États Unis d'Europe.

89/101

294 Ibid294

90/101

Table des matières

Introduction 9

Partie I - Une harmonisation jurisprudentielle mouvante et flexible au détriment de la

souveraineté des États membres 17

Chapitre I - La jurisprudence de la Cour, créatrice d'un droit de l'Union prétorien 17

Section I - Un droit prétorien à travers l'édiction de principes généraux du droit de

l'Union 17

I - Une jurisprudence novatrice construite autour du triptyque de la primauté, de

l'effet direct et de l'application immédiate du droit de l'Union 18

A - La reconnaissance de la primauté du droit de l'Union 18

B - L'effet direct et l'applicabilité immédiate 19

II - Une jurisprudence en constante évolution par la consécration des principes

généraux du droit de l'Union 22

A - Le principe de proportionnalité en matière fiscale 22

B - La reconnaissance du principe de sécurité juridique 23

Section II - La souveraineté fiscale des États membres fragilisée par la jurisprudence

évolutive de la Cour 25

I - La mutation de l'ordre juridique interne des États membres par l'intégration de

nouveaux principes du droit de l'Union 25

A - L'application controversée du principe d'autonomie procédurale et

institutionnelle 25

B - La mutation de l'ordre juridique nationale : objet d'un consensus imposé

par la Cour 27

II - Le pouvoir de contrainte des décisions prises à la suite d'un recours en

manquement 29

A - L'autorité absolue de chose jugée des décisions prises à la suite d'un

recours en manquement 29

B - Les vaines tentatives de résistances des États à la suite d'une condamnation

par un recours en manquement 31

Chapitre II - La compétence fiscale des États remise en cause par la Cour de Justice 33

Section I - L'accroissement du champ de compétence du droit de l'Union en matière

fiscale 33

I - Une harmonisation supplétive de la Cour en matière de fiscalité indirecte 33

A - Le domaine harmonisé de la TVA 33

B - Une jurisprudence explicative abondante en matière de TVA 35

II - Une harmonisation créative de la Cour en matière de fiscalité directe 37

A - Une harmonisation quasi-jurisprudentielle 37

B - Une harmonisation effectuée au nom du principe de non-discrimination 38

Section II - Les frondes minoritaires des juridictions nationales contre la

jurisprudence de la Cour 43
I - La fronde fiscale : remise en cause de l'autorité de la Cour et de la primauté du

droit de l'Union 43
A - La fronde du Conseil d'État français à l'encontre de l'autorité des

décisions de la Cour 43

91/101

B - Une fronde ayant pour conséquence la remise en cause du principe de

primauté 45

II - La soumission des juridictions nationales à la jurisprudence 46

A - L'utilisation par les juridictions nationales des principes du droit de

l'Union 46

B - Une soumission au regard de l'autorité de la chose interprétée des

décisions renduees à la suite d'un recours préjudiciel 48
Partie II - Une harmonisation par une jurisprudence téléologique pour lutter contre la

concurrence fiscale 50

Chapitre I - Le marché commun : objet de l'harmonisation des systèmes fiscaux 50

Section I - La protection des grandes libertés défendues par l'Union 50

I - La faveur donnée au marché unique 51

A - L'apologie des libertés de circulation des marchandises et des capitaux 51

B - La protection stricte de la liberté d'établissement et de la libre circulation

des personnes en matière fiscale 53

II - Les libertés économiques des États membres encadrées strictement par la

jurisprudence 55

A - De rares exceptions réduites à peau de chagrin 55

B - Des apports jurisprudentiels parfois contestables : la décision Mark and

Spencer 56

Section II - L'interdiction strictes des aides d'État 59

I - Une harmonisation du droit à la concurrence fiscale 59

A - La définition des aides d'État aux contours définis par les textes et précisée

par la jurisprudence 59

B - La sanction des aides d'État : un travail de coopération avec la

Commission européenne 60

II - L'extension de l'examen méthodologique des aides d'État par la Cour 62

A - L'analyse méthodologique classique par la Cour de la notion d'aide d'État

62

B - L'extension de l'analyse méthodologique 65

Chapitre II - Une harmonisation négative de la Cour pour consacrer un espace de liberté

et de justice fiscale 68
Section I : L'harmonisation négative de la Cour sur les libertés fiscales initiés par les

directives de l'Union 68

I - Le rôle de précision de la Cour en matière de fiscalité des revenus de capitaux

mobiliers 69

A - Les apports jurisprudentiels nécessaires par la Cour à la directive mère-fille

69

B - Les apports jurisprudentiels limités par la Cour à la directive intérêts et

redevances 72

II - Le rôle de la Cour dans le cas des directives relative aux opérations de fusions

et aux opérations y assimilées 73

A - Les apports jurisprudentiels en matière de « rassemblement des capitaux »

74

B - Les apports jurisprudentiels importants en matière du régime de faveur à une fusions et des opérations y assimilées pour les restructurations

d'entreprises 75

92/101

Section II - L'action d'harmonisation de la Cour à l'appui des directives luttant

contre l'évasion fiscale. 76
I - Une harmonisation jurisprudentielle pour lutter contre le phénomène

d'évasion fiscale 76

A - Les apports jurisprudentiels édifiants en matière de règles anti-abus

générales et de sociétés étrangères contrôlées 77

B - Les apports jurisprudentiels respectivement maigre et créatif en matière de

règles anti-hybride et d'« exit tax » 80

II - L'harmonisation par la Cour de la coopération administrative 82

A - Les apports jurisprudentiels protecteur du contribuable en matière de

coopération administrative 83

B - La « DAC 6 » : une directive méritant des précisions jurisprudentielles 84

Conclusion 86

93/101

Bibliographie

Manuels

G. Jèze, Cours de finances publiques, 1936-1937

P. Cassia, Droit administratif, 2002

Pierre-François Racine, Olivier Fouquet, Cyrille David, Bernard Plagnet, Les grands arrêts de la jurisprudence fiscale, 5e édition, 2009

B. Favreau, La Charte des droits fondamentaux après le Traité de Lisbonne, Les spécificités du principe de non-discrimination dans le droit de l'Union européenne, Bruxelles, Bruylant, 2010

Jean-Louis Clergerie, Annie Gruber et Patrick Rambaud, L'Union Européenne, 11e édition, Dalloz, 2011

Sous la direction de Marcel Picod, Jurisprudence de la CJUE 2014, Décisions et commentaires, Bruylan, 2014

Sous la direction de Marcel Picod, Jurisprudence de la CJUE 2015, Décisions et commentaires, Bruylan, 2015

Guy Isaac et Marc Blanquet, Droit général de l'Union européenne, 10e édition, Sirey, 2016 Sous la direction de Marcel Picod, Jurisprudence de la CJUE 2017, Décisions et commentaires, Bruylan, 2017

Thèses

Sébastien Marciali, La flexibilité du droit de l'Union européenne, 2007

Articles

D. Simon, Droit communautaire et responsabilité de la puissance publique. Glissements progressifs ou révolution tranquille ?, AJDA, 1993

T. Georgopoulos, Le rôle créatif du juge communautaire en matière de fiscalité directe, Revue trimestrielle de droit de l'Union, 2005

Marie Hindré-Guégen, Responsabilité des États membres, Dalloz, 2006

L. 94/101

Vallée, Heurt et malheurs de l'harmonisation fiscale européenne, CJEG, 2006

Eric Meier et Bernard Boutemy, Sociétés étrangères contrôlées et liberté d'établissement, Lextenso, 2006

M. Aujan, Fiscalité directe : vers une coordination des systèmes fiscaux dans l'Union élargie, Gazette du Palais, 2007

E. Dubout, Le « contentieux de la troisième génération » ou l'incomplétude du système juridictionnel communautaire, RTD Eur. 2007

Amélie Barbier-Gauchard, La concurrence fiscale dans l'Union européenne, Politique étrangère, 2008

Innocent Fetze Kamdem, Harmonisation, unification et uniformisation. Plaidoyer pour un discours affiné sur les moyens d'intégration juridique, Revue de droit uniforme, 2008 Brunessen Bertrand, La jurisprudence Simmenthal dans la force de l'âge, RFDA, 2011 Édouard Dubout et Alexandre Maitrot de la Motte, Aides d'État, Normalité, sélectivité et légitimité des régimes fiscaux dans l'Union européenne : les paradis fiscaux au purgatoire des aides d'État ?, LexisNexis, 2012

Michel Aujean et Marie-Pierre Hôo, Transferts d'actifs intracommunautaires et Exit tax, Taj, 2012

Jean-Bernard Auby, L'influence du droit européen sur les catégories juridiques du droit public, Cairn, 2013

Curia, Reflet, 1999-2016

Jean-Christophe Catalon, Paradis fiscaux : quatre pays de l'Union européenne méritent d'être sur liste noire, selon Oxfam, La Tribune, 2017

Lexnow, Politique fiscale communautaire, 2018

Dominique Berlin, Synthèse - Droit fiscal de l'Union européenne, JurisClasseur Europe Traité, LexisNexis, 2018

Sandrine Rudeaux, La CJUE précise les conditions de mise en oeuvre de la théorie de l'abus de droit et la notion de bénéficiaire effectif, Taj, 2019

Florent Roemer, l'introduction de la directive (UE) 2018/822 du 25 mai 2018 dans le droit français : la mise en place des échanges entre les intermédiaires fiscaux et l'administration fiscales, Revue Internationale du Patrimoine, Lexnow, 2019

95/101

Encyclopédie

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Textes

TFUE

TCE

Constitution de la Vème République (France)

Code général des impôts

Règlement de l'Union

Règlement (CEE) n° 1408/71 du Conseil du 14 juin 1971 relatif à l'application des régimes de sécurité sociale aux travailleurs salariés, aux travailleurs non-salariés et aux membres de leur famille qui se déplacent à l'intérieur de la Communauté modifié par le règlement n° 118/97 du Conseil, du 2 décembre 1996

Directives de l'Union

Directive 69/335 du Conseil du 17 juillet 1969

Directive 77/ 799/ CEE

Directive 85/303 en vigueur le 1er janvier 1986

Directive 90/434/CEE du Conseil, du 23 juillet 1990, concernant le régime fiscal commun applicable aux fusions, scissions, apports d'actifs et échanges d'actions intéressant des sociétés d'États membres différents

Directive 2005/19/CE du 17 février 2005

Directive 2011/96/UE du Conseil du 30 novembre 2011 concernant le régime fiscal commun applicable aux sociétés mères et filiales d'États membres différents

Directive 2003/49/CE du Conseil du 3 juin 2003 concernant un régime fiscal commun applicable aux paiements d'intérêts et de redevances effectués entre des sociétés associées d'États membres différents

96/101

Directive (UE) 2016/1164 du Conseil du 12 juillet 2016 établissant des règles pour lutter contre les pratiques d'évasion fiscale qui ont une incidence directe sur le fonctionnement du marché intérieur

Directive 2018/822 du 25 mai 2018

Dictionnaires

Cornu, Vocabulaire juridique, PUF, 2018

Alain Steichen, Lexique fiscal, Édition Saint-Paul, 2018 Dictionnaire Larousse, 2018

Conclusions et rapports de l'Union Européenne

Rapport Neumark, 7 et 8 juillet 1962

Rapport Werner, 22 mars 1971

Rapport Burke, 1980

Rapport Ruding, 1992

Rapport de la Commission, 2001

Jean Mischoo, conclusion de l'avocat général à l'arrêt CJCE, 8 novembre 2001, Adria-

Wien Pipeline GmbH et Wietersdorfer & Peggauer Zementwerke GmbH c/

Finanzlandesdirektion für Kärnten, C-143/99

Marco Darmon, conclusion de l'avocat général à l'arrêt CJCE, 17 mars 1993, Firma

Sloman Neptun Schiffahrts AG / Seebetriebsrat Bodo Ziesemer der Sloman Neptun

Schiffahrts AG, C-72/91 et C-73/91

Poiares Maduro, conclusion de l'avocat général à l'arrêt CJCE, 23 mars 2006,

Enirisorse, C-237/04

97/101

Jurisprudences de la Cour de justice

CJCE 12 juillet 1957, Algera, 7/ 56

CJCE, 13 avril 1962, Bosch, 13/61

CJCE, 5 février 1963, Van Gend & Loos c/ Administration fiscale néerlandaise, 26/62

CJCE, 15 juillet 1964, Costa c/ ENEL, 6/64

CJCE, 1er juillet 1969, Commission c/ Italie, C-24/68

CJCE, 11 décembre 1970, Internationale Handelgesellchaft, 11-70

CJCE, 4 décembre 1974, Van Duyn, 41/74

CJCE, 2 juillet 1974, Italie c/ Commission, C-173/73

CJCE, 14 mai 1975, CNTA c/ Commission, C-74- 74

CJCE, 22 janvier 1976, Russo c/ AIMA, C-60/75

CJCE, 16 décembre 1976, Rewe c/ Landwirtschaftskammer Saarland, C-33/76

CJCE, 9 mars 1978, Simmenthal, 106/77

CJCE, 20 février 1979, Cassis de Dijon, C-120- 78

CJCE, 25 janvier 1979, Racke, C-98/ 78

CJCE, 27 février 1980, Commission c/ France, C-168/ 78

CJCE, 1er avril 1982, Hong Kong Crane Dvpt. Council, C-89-81

CJCE, 9 mai 1985, Humblot, C-112/ 84

CJCE, 28 janvier 1986, Commission c/ France, C-270/86

CJCE, 23 octobre 1986, Les Verts c/ Parlement, 294/83

CJCE, 17 septembre 1987, Feldain, C-433/ 85

CJCE 28 janv. 1986, Commission c/ France, C-270/ 83

CJCE, 8 mars 1988, Apple Peer, C-/88

CJCE, 29 juin 1988, Deville c/ Administration des impôts, C-40/87

CJCE, 17 octobre 1989, Communes de Carpaneto, Piacentino et de Rivergaro, C-231/87 et

C-129/88

CJCE 13 décembre 1989, Corsica Ferries France, C-48/ 89

CJCE 20 septembre 1990, Commission c/ RFA, C-5/ 89

CJCE, 19 novembre 1991, Francovich et Bonifaci, C-6/90 et C-9/90

CJCE 16 juillet 1992, Legros, C-163/90

CJCE, 9 juillet 1994, Lancry SA et alii, C-363/ 93

98/101

CJCE, 3 mars 1994, Tolsma, C-16/93

CJCE, 14 février 1995, Finanzamt Köln-Altstadt contre Roland Schumacker, C-279/93

CJCE, 13 février 1996, Bautiaa, C-252/94

CJCE, 15 février 1996, Duff, C-63/ 93

CJCE, 20 juin 1996, Wellcome Trust Ltd, C-155/94

CJCE, 17 octobre 1996, Denkavit, C-283/94, C-291/94 et C-292/94

CJCE, 15 mai 1997, Futura Participations SA et Singer, C-250/ 95

CJCE, 17 juillet 1997, Leur Bloem, C-28/ 95

CJCE, 9 décembre 1997, Commission c/ France, C-265/95

CJCE, 19 févr. 1998, Chevassus, C- 212/ 96

CJCE, 28 avril 1998, Jessica Safir, C-118/ 96

CJCE, 27 octobre 1998, Abbruzi Gas SpA, C-152/ 97

CJCE, 27 octobre 1998, Manifattura italiana Nonwoven SpA, C-4/ 97

CJCE, 27 octobre 1998, Fuerzas electricas de Catalunya, C-31/ 97 et 32/ 97

CJCE, 8 juillet 1999, Baxter, C-254/97

CJCE, 15 juin 1999, Tarantik, C-421/97

CJCE, 28 octobre 1999, Vestergaard, C-55/ 98

CJCE, 18 mai 2000, Rombi et Arkopharma, C-107/ 97

CJCE, 6 juin 2000, Verkooijen, C-35/ 98,

CJCE, 15 avril 2000, Commission c/ France, C-169/98

CJCE, 14 juillet 2000, Floridienne SA et Berginvest SA, C-142/99

CJCE, 19 décembre 2000, Ampafrance SA et Sanofi Synthelabo, C-177/99 et C-181/99

CJCE, 15 mars 2001, Commission c/ France, C- 265/ 99

CJCE, 12 décembre 2002, Universal- Bau, C- 470/ 99

CJCE, 15 janvier 2002, Andersen & Jensen Aps, C-43/ 00

CJCE, 12 décembre 2002, Lankhorst Hohorst GmbH, C-324/ 00

CJCE, 24 juillet 2003, Altmark, C- 280/ 00

CJCE, 25 septembre 2003, Océ van der Grinten, C-58/01

CJCE, 30 septembre 2003, Köbler, C-224/01

CJCE, 2 octobre 2003, Weber's Wine World, C-147/01

CJCE, 29 avril 2004, EDM, C-77/01

CJCE, 7 septembre 2004, Petri Manninen, C- 319/ 02

99/101

CJCE, 20 janvier 2005, Hotel Scandic, C-417/03

CJCE, 20 octobre 2005, Commission c/ France, C-166/ 03

CJCE, 13 décembre 2005, Mark and Spencer, C-446/03

CJCE, 21 février 2006, Ritter Coulais, C-152/ 03

CJCE, 21 février 2006, Halifax PLC, C-255/02

CJCE 11 mai 2006, Federation of technological industries, C- 384- 04

CJCE, 22 juin 2006, Belgique c/ Commission, C- 182/ 03

CJCE, 12 septembre 2006, Cadbury Schweppes, C-164/04

CJCE, 5 octobre 2006, Nádasdi et Németh, C-290/05 et C-333/05

CJCE 9 novembre 2006, Pirkko Marjatta Turpeinen, C-520/ 04

CJCE, 12 décembre 2006, Test Claimant in the II Group Litigation, 446/04

CJCE, 14 décembre 2006, Denkavit, C-170/ 05

CJCE, 17 février 2008, Commission c/ Italie, C-132/06

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CJUE, 26 juin 2008, Burdia GmbH, C-284/06

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CJUE, 22 décembre 2008, Sté Régie Networks, C- 333/ 07

CJUE, 12 février 2009, Coblefret, C-138/07

CJUE, 18 juin 2009, Aberdeen Property Fininvest Aplha Oy, C-303/07

CJUE, 1er octobre 2009, Gaz de France, C-247/08

CJUE, 29 octobre 2009, Skatteverket, C-29/08

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CJUE, 15 septembre 2011, Ministre du Budget, des Comptes publics et de la Fonction

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CJUE, 15 septembre 2011, Jarosaw Saby contre Minister Finansów et Emilian Kuæ et

Halina Jeziorska-Kuæ contre Dyrektor Izby Skarbowej w Warszawie, C-181/10

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100/101

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Bretagne et d'Irlande du Nord, C-106/09

CJUE, 9 décembre 2012, 3D I Srl, C-207/11

CJUE, 6 septembre 2012, Commission c/ Portugal, C-38/10

CJUE, 26 février 2013, Åklagaren/Hans Åkerberg Fransson, C-617/10

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CJUE, 6 décembre 2016, Wenceslas de Lobkowicz contre Ministère des Finances et des

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CJUE, 26 février 2019, N Luxembourg 1, X Denmark A/S, C Danmark I et Z Denmark ApS,

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Curtea de Apel, 20 février 2008, n°188

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Autres

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Hugues Rabault, Cour d'introduction au droit fiscal, 2016

Claudie Weisse-Marchal, Cour de droit fiscal général, 2017

Claudie Weisse-Marchal, Cour d'ordre juridique de l'Union européenne, 2017

Claudie Weisse Marchal, Cour d'ordre matériel de l'Union européenne, 2017

Florent Roemer, Cour de fiscalité des entreprises, 2017

Doyen Pierre Tiffine, Cour de Théorie de l'impôt, 2019

Dalloz, Fiche d'orientation, 2018

Liens internets

https://www.lepoint.fr http://www.toupie.org https://www.insee.fr/ https://www.latribune.fr https://www.carrieres-publiques.com https://curia.europa.eu http://www.etudes-fiscales-internationales.com https://www.cleiss.fr/docs/jurisprudence https://www.anafagc.fr https://www.senat.fr https://www.l-expert-comptable.com https://www.doc-du-juriste.com https://www.touteleurope.eu






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