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Dynamiques citoyennes et acteurs de développement en Afrique. L’exemple de la société civile ivoirienne.


par Hervé Rabet
Université Bordeaux Montaigne - Master II études interdisciplinaires des dynamiques africaines 2020
  

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Chapitre 1 : Etat de l'art et contexte de l'étude

1.Objet de l'étude

A. La construction de la Citoyenneté en Europe et en Afrique de l'ouest De la construction de la citoyenneté occidentale

Selon Anicet Le Pors, la citoyenneté provient du terme latin de « civitas ». Le citoyen se définit comme un individu qui s'inscrit dans les finalités et les règles d'une cité dont il dépend. Ainsi il dispose de prérogatives, de droits et de devoirs inhérent à son « droit de cité » (Le Pors, 2011).

La Grèce antique constitue le point de départ de la construction de la citoyenneté des sociétés occidentales, dont les valeurs, us et coutumes s'imposent comme paradigme d'organisation civique et citoyenne dominant actuellement à l'échelle mondiale. Cette notion de citoyenneté dans la Grèce antique est incarnée par le terme « politeia » définissant la citoyenneté par le prisme de la communauté de citoyens et de ses règles constitutives.

La démocratie athénienne du 5ème siècle avant Jésus-Christ, est une démocratie dite « directe » qui se fonde sur une communauté de citoyens. Chaque citoyen peut participer aux assemblées du peuple tenues sur l'Agora. Divers sujets d'intérêts généraux tels que la guerre, les lois ou encore les finances sont débattues et votées, à la majorité des citoyens présents. Tous les citoyens, égaux, peuvent prétendre à la magistrature, au gouvernement ou à l'administration de la cité.

Les vertus de la démocratie athénienne, premier modèle de démocratie sont cependant limitées. Elles ne permettent qu'à un résident, de la cité sur dix d'accéder au rang de citoyen. Les femmes, les métèques, les étrangers et les esclaves sont exclus de la vie citoyenne.

La Rome républicaine permet à un plus grand nombre d'habitant d'accéder à la citoyenneté. Cependant le principe d'égalité inhérent à la citoyenneté ne dépasse pas sa fonction juridique, en raison d'une société oligarchique. Ainsi, les citoyens sont avant tout identifiés pour être protégés. Pour la majorité des citoyens, l'exercice de la citoyenneté est assimilé au simple respect des lois. La gouvernance, l'administration et la magistrature sont assurés par une aristocratie politique. Cette « aristocratie » préempte la vie politique

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de la république romaine en rendant l'essentiel des fonctions de gouvernance héréditaire, et ce, malgré la contestation populaire. Face aux nombreux conflits d'intérêt que cette concentration des pouvoirs (économique, politique et judiciaire) entraîne, la République s'effondre pour laisser place à l'Empire où le pouvoir effectif et la citoyenneté sont distingués. Au sein de l'Empire Romain, l'accès au statut de citoyen devient un instrument d'expansionnisme. Tout homme libre d'une province conquise peut alors prétendre à la citoyenneté et à une assimilation à l'empire. La citoyenneté romaine, intégratrice mais inégalitaire s'inscrit comme l'opposé de la citoyenneté grecque, qui était, exclusive mais fortement égalitaire entre citoyens.

Le moyen-âge marque l'avènement du féodalisme en Europe. Dans ce système, le bien commun est la préoccupation du Prince. Les valeurs civiques sont alors délaissées au profit de valeurs chrétiennes. Ainsi pendant le millénaire du moyen-âge, le système politico-social transforme la majorité de la population en sujet et non en citoyen.

Cependant, les valeurs de la citoyenneté ne disparaissent pas totalement pendant cette période. Une partie de la population du Tiers-état qui deviendra la bourgeoisie, en raison de sa puissance économique parvient, au fil des années à obtenir de nouveaux droits individuels et sociaux, qui la distingue des simples sujets. Sur le plan philosophique des auteurs tels que Hobbes, Bodin ou encore Machiavel contribuent à rationnaliser la pensée politique. Dans leurs écrits, l'Homme est replacé au centre de la pensée et de la cité à l'opposé de la doctrine dominante de Saint Augustin où la cité de Dieu était supérieure à la cité des Hommes.

Le travail de ces précédents auteurs permet l'émergence d'auteurs comme Rousseau (Du Contrat Social) ou Montesquieu (De l'esprit des lois) qui remettent en cause l'absolutisme de la monarchie de droit divin. Ils considèrent la volonté générale supérieure à la volonté monarchique et souligne la nécessité d'un développement de contre-pouvoirs. Ces postulats constituent le socle des revendications qui aboutissent aux révolutions américaines et françaises.

La Déclaration des Droits de l'Homme et du Citoyen de 1789 et la constitution de 1793 sont les bases de la conception moderne de la citoyenneté occidentale (Le Pors, 2011).

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De la construction de la citoyenneté en Afrique de l'ouest

En Afrique de l'ouest, la construction de la citoyenneté est tout autre. Elle est caractérisée par trois périodes. La période coloniale marque une rupture séparant un exercice de la citoyenneté que l'on qualifiera de « précolonial » et une autre que l'on qualifiera de « post-colonial ». Contrairement à la construction de la citoyenneté européenne, il n'y a qu'une faible présence d'éléments d'archives relatant de la période précoloniale.

Globalement les sociétés d'Afrique de l'ouest n'ont pas eu le même cheminement que les sociétés européennes, qui ont pu, au fil de l'Histoire, parvenir à consolider l'Etat-Nation.

L'État-nation est un concept théorique, politique et historique, désignant la juxtaposition de l'Etat, en tant qu'organisation politique et de la nation, c'est-à-dire des individus qui se considèrent comme liés et appartenant à un même groupe. C'est donc la concrétisation d'une notion d'ordre identitaire et d'appartenance à un groupe, la nation, et une notion d'ordre juridique, l'existence d'une souveraineté et d'une gouvernance exercée par l'Etat et ses institutions politiques et administratives.

La gouvernance caractérise la manière d'administrer et de gérer un territoire et ses citoyens. Celle-ci, considérée comme vitale pour le devenir humain des sociétés est sacralisée au sein des sociétés ouest africaines précoloniales.

Selon Bruno Doti Sanou, la plupart des empires de l'Antiquité et du Moyen-Âge établis en Afrique de l'ouest ont pour doctrine de gouvernance la théocratie. Le souverain et son gouvernement ne sont alors considérés que comme simple lieutenant du pouvoir. L'autorité suprême est de Droit Divin. C'est en vertu de cette théocratie qu'ils favorisent la décentralisation et l'émergence d'institutions locales répondant aux besoins des populations. Ces institutions locales disposant de marges de manoeuvre dans l'application de la loi. Certaines autres sociétés africaines expérimentent ainsi la théocratie pour permettre à chaque communauté de s'organiser et de développer des initiatives adaptées et appropriées à leurs besoins.

Les chasseurs fondateurs de l'empire du Mali disaient : « Toute vie (humaine) est une vie. Il est vrai qu'une vie apparaît à l'existence avant une autre vie, mais une vie n'est pas plus ancienne, plus respectable qu'une autre vie, de même qu'une vie n'est pas supérieure à

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une autre vie. » Afin d'éviter l'émergence d'une dictature, le pouvoir du souverain est contrôlé et ses décisions peuvent être contestées. Il s'agit de permettre aux différentes catégories représentatives de la société de participer au débat libre, à la gestion et à la recherche des voies pour l'épanouissement communautaire.

Des proverbes répandus en territoire mandé soutiennent que : « Le chef qui refuse la contestation ne dit jamais la vérité ; dire ensemble est une grâce, agir ensemble est une grâce sans pareille » ou « aucun chef ne s'intronise lui-même » ou encore « le pouvoir d'aucun chef n'est éternel ». La gestion du pouvoir au sein des théocraties ouest africaines est donc collégiale et oligarchique. Les institutions de contrôle peuvent être un collège de sages, un gouvernement, une femme (la reine mère dans les royaumes mossi ou la soeur du chef (une forgeronne) dans certaines sociétés de l'Ouest du Burkina, les griots, les forgerons, une assemblée de notables, les responsables des classes d'initiations, etc.

Nous pouvons par exemple citer le « Mande Kalenkan » encore appelé Charte du Mande ou Charte de Kurukanfuga pour illustrer un exemple de conception d'« une citoyenneté » en Afrique de l'Ouest.

La charte dit que :« L'homme en tant qu'individu fait d'os et de chair, de moelle et de nerfs, de peau couverte de poils et de cheveux, se nourrit d'aliments et de boissons ; mais son « âme », son esprit vit de trois choses : voir ce qu'il a envie de voir, dire ce qu'il a envie de dire, et faire ce qu'il a envie de faire ; si une seule de ces choses venait à manquer à l'âme humaine, elle en souffrirait et s'étiolerait sûrement. En conséquence, les chasseurs déclarent que : « chacun dispose désormais de sa personne, chacun est libre de ses actes, chacun dispose désormais des fruits de son travail. Tel est le serment du Mandé à l'adresse des oreilles du monde entier. »

L'organisation des différents empires de la Boucle du Niger, comme dans le royaume Mossi ou encore des sociétés de l'ouest du Burkina Faso de l'époque repose essentiellement sur une décentralisation du pouvoir et une participation de chacun au développement de sa communauté. La charte du Mande a ainsi développée les principes de l'égalité de tous devant les coutumes de l'empire, de l'altérité, de la liberté d'entreprise, de la liberté d'association et de la liberté de parole et d'action des contre-pouvoirs (SANOU,2010).

La période de la traite négrière vient bouleverser les rapports entre les sociétés ouest africaine. Certaines sociétés littorales vont s'enrichir par le trafic d'esclaves et favoriser

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l'implantation européenne sur le continent contribuant elle-même à l'essor du capitalisme industriel.

En parallèle de la traite négrière, l'Etat-nation se construit en Europe à partir des territoires issus du traité de Westphalie (1648), qui institue un ordre basé sur le partage de l'identité religieuse du souverain d'un territoire (catholique ou protestante) et de celle de ses sujets. Le système féodal qui a renforcé les liens sociaux au sein des royaumes en Europe, a laissé place à une territorialisation des identités religieuses plus stable et de ce fait plus favorable à la coexistence pacifique des peuples européens.

La conscience de l'appartenance à un peuple, à une nation, prépare le terrain à l'avènement d'un nouveau modèle qui s'est développé avec la modernité : l'Etat-nation qui est associé à un territoire délimité par des frontières linéaires précises, cartographiées.

Les deux formes d'Etats antérieures sont les cités-Etats, aux territoires limités à une ville et son environnement rural proche, ou l'empire au territoire beaucoup plus vaste, englobant plusieurs ethnies ou nations, aux limites zonales mal définies, à l'image des marches. Ces deux types d'Etats plus anciens sont caractérisés par la pluralité des identités ethniques et/ou nationales, par un cosmopolitisme plus ou moins développé, alors que l'Etat-nation est caractérisé par une seule nation dominante, qui admet éventuellement la coexistence à ses côtés d'autres individus dotés ou non d'un statut et de droits particuliers.

La colonisation est inscrite dans un contexte, d'émergence du capitalisme industriel, de rivalités et de compétitions accrues entre les nations européennes. Lors du « scramble for Africa » qui a pris fin lors de la conférence de Berlin, l'Afrique est prospectée et partagée selon une logique économique. Les critères, sociaux, ethnographique et historique ont été relégué à la marge, ce qui n'a pas été sans conséquences.

L'empire colonial français va imposer le modèle de l'Etat aux sociétés autochtones de l'AOF (Afrique Occidentale Française).

Un Etat présent et fort est mieux à même de contrôler les velléités des indigènes et de les rappeler à l'ordre préconçu par la métropole. C'est selon cette logique que le concept de commandement est central dans le vocabulaire colonial. En effet, les cercles, plus petite unité d'administration coloniale, regroupent plusieurs cantons et villages qui sont dirigés par un administrateur, le commandant de cercle, venu de métropole. Pour neutraliser la

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gouvernance précoloniale, les chefs qui se sont opposés à l'armée de conquête sont déposés. Ensuite dans l'organisation de l'administration coloniale est mis en place un nouvel échelon désacralisé, celui du chef de canton qui assure le lien de transmission entre l'administration coloniale et les indigènes. Les chefs de canton ont été installés pour supplanter les chefs traditionnels garant du pouvoir théocratique décentralisé.

Bien que des commissions municipales existent, le statut de l'indigénat est un frein à la participation et à la prise en compte des intérêts locaux. Seul quelques élites locales peuvent accéder à un poste de gouvernance, sur appréciation du pouvoir colonial. Ce sont ces élites qui prennent le leadership des diverses luttes sociales menant aux indépendances. Lorsque celles-ci sont acquises, le principe d'intangibilité des frontières instaurés par la colonisation a été immédiatement confirmé par l'ensemble des nouveaux Etats.

Le modèle de l'Etat-nation à la française s'est alors diffusé dans la majorité des pays d'AOF. A la différence des états européens dont les nations se sont déterminées de manières endogènes, les nations africaines, héritages de la colonisation, ne se sont pas déterminés elles-mêmes. La colonisation française a mené au recul voire à l'effacement de l'Histoire, de la conception et de la pratique de la citoyenneté ouest africaine. Cette citoyenneté est devenue, depuis les indépendances, un syncrétisme entre les valeurs et pratiques des périodes précoloniales et coloniales.

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B. Le cosmopolitisme et la citoyenneté mondiale Genèse du cosmopolitisme

Pour Louis Lourmes, « les grandes découvertes » européennes des XVe et XVIe siècles constituent une rupture historique. La finitude du monde est enfin prouvée. L'époque moderne est donc celle du monde fini. Cette finitude du monde, alors intégrée dans les consciences individuelles, s'inscrit dans la pratique politique.

L'acceptation d'un monde fini et limité, est une étape décisive dans le rapport occidental au monde, à la différence et à la morale. Les travaux de Paul Valéry permettent de comprendre les conséquences de la disparition de la terra incognita.

Cette terre inconnue dans la représentation n'est pas seulement une « terre inconnue », mais une « terre à conquérir » qui déclenche une féroce concurrence entre les royaumes européens. Trois principales choses ont changées à ce moment de l'Histoire : Dans son ensemble le monde est connu, les distances à l'intérieur du monde sont réduites et les décisions politiques autonomes ne sont plus permises.

Depuis la fin de la seconde guerre mondiale, le postulat concernant notre rapport au monde est le suivant : Nous ne savons pas tout de celui-ci et de ce qu'il abrite mais nous en connaissons ses limites et ses espaces.

Paul Valéry démontre dans ses travaux la présence d'une période de prospection, qui s'achève avec la fin de l'inventaire coloniale et une période de relation. Cette période de relation est marquée par une réduction géographique et un développement de l'interdépendance. Deux villes comme Abidjan et Paris sont plus dépendantes et moins éloignés l'une de l'autre qu'elles ne l'ont jamais été.

Il ne s'agit pas ici de se méprendre à propos de cette période de relation. Plus que consenti, on pourrait la qualifier de contrainte. Tant que l'oekoumène1 était infini, il était encore possible d'avoir le choix de la relation ou de l'absence de relation, d'avoir des ennemis et des amis permanents, et d'anticiper les relations sur le long terme.

1 Espace habitable de la surface terrestre ; ensemble des milieux habités par l'être humain.

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Actuellement les individus n'ont plus le choix de la relation et la multiplication des points de contact fait qu'il devient de plus en plus délicat d'anticiper l'avenir. Le caractère inédit de notre période vient donc de ce changement qui ne doit pas être compris sous un angle seulement optimiste : la relation entre les peuples ou les nations est contrainte par la finitude du monde et la croissance démographique, et quasiment tous ne peuvent plus éviter d'entrer en relation. (Valéry,1931)

Emmanuel Kant théorise dans Idée d'une histoire universelle d'un point de vue cosmopolitique, « l'insociable sociabilité » de l'Homme. C'est l'insociabilité qui pousse les individus à se répandre sur terre. Paradoxalement, cette insociabilité, couplée à une sociabilité rendue nécessaire par la géographie et l'instinct grégaire, contraint les hommes à imaginer la forme que pourrait prendre une rencontre pacifiée et un partage organisé du monde commun. L'insociabilité dans un espace fini contraint donc les hommes à organiser juridiquement leurs relations. (KANT,1784).

Le droit cosmopolitique

La théorie de l'insociable sociabilité kantienne, est plus que jamais d'actualité, puisque nous sommes passés durant cette période de 1 à 7 milliards d'habitants sur un même espace fini. Il faut donc penser les conditions d'une coexistence juridique, d'une vie réglée par autre chose que la violence naturelle ou la volonté de domination. C'est l'objet du droit cosmopolitique. C'est ce qui pourrait nous pousser à conclure que le droit cosmopolitique ne s'inscrit pas à proprement parler dans une philosophie historique, au terme de laquelle, évolution après évolution, le droit se serait constitué mais plutôt dans une philosophie géographique. On entend par ceci que si la terre n'avait pas de limites, alors il n'y aurait aucune nécessité de régler par le droit les relations humaines.

Deux concepts déterminent le « citoyen du monde », la citoyenneté et le monde. Se considérer comme citoyen du monde, c'est intégrer « le monde » comme un ensemble unitaire où chaque peuple, chaque nation, chaque relation sont interdépendant l'un de l'autre. Or, cette unité ne va pas de soi. Il y a même une sorte de paradoxe dans le fait que, au moment où l'on rencontre effectivement le monde, il semble impossible d'en penser l'unité. L'Histoire du monde a souvent révélée des crises de l'idéal cosmopolitique, bouleversé par l'extension de l'oekoumène au fil de l'histoire. La découverte d'autres

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peuples et d'autres coutumes a pu historiquement s'accompagner d'une mise en crise du concept de cosmopolitisme tant il a semblé délicat de penser une unité de tous les Hommes au-dessus des si nombreuses différences culturelles. Depuis la fin de la seconde guerre mondiale le cosmopolitanisme existe politiquement.

Le cosmopolitanisme politique

Les États se trouvent aujourd'hui pris dans des liens internationaux contraignants et se doivent d'intégrer les échelons régionaux et mondiaux dans leurs stratégies de gouvernance. La géopolitique mondiale s'est globalisée. Les États souverains ne peuvent plus exercer leurs souverainetés de la même façon qu'avant. Une « érosion » de l'autonomie est ainsi observable. Ce recul de l'autonomie politique est dû à plusieurs facteurs. Tout d'abord la présence d'une gouvernance mondiale multicentrique, celle-ci induit une nouvelle pratique de la souveraineté nationale. Les Etats ne gouvernent plus de manière autonome ; ni pour ce qui relève de la politique extérieure, ni même pour ce qui relève de la politique intérieure traditionnellement considérée comme étant le domaine exclusif de l'État. (Arichibugi,2009).

Les États ne sont plus les seuls centres de pouvoir légitime à l'intérieur de leurs propres frontières (Held,1997). Les organisations politiques mondiales tels que l'ONU, transnationales, comme le FMI, la Banque mondiale ou l'OMC, et régionales à l'instar de l'Union Européenne, ont un droit de regard sur la politique intérieure des États membres ou des États qu'ils aident. Ainsi les gouvernants ne peuvent plus, de fait, se cacher derrière le concept de la souveraineté nationale pour gouverner de manière exclusive. Plus qu'un droit de regard, ces différentes structures disposent de pouvoirs coercitifs sur le gouvernement intérieur d'un État particulier, puisque des conditions d'entrée ou des conditions d'aide parfois très contraignantes sont fixées et peuvent impacter l'exercice du pouvoir politique ou la gestion économique. Les aides que peuvent apporter le FMI ou la Banque mondiale sont conditionnées par certaines prérogatives politiques et économiques directement liées à la politique intérieure des États (Held, 2001).

Nous pouvons également remarquer une crise mondiale de la démocratie due à l'inachèvement de la mise en oeuvre d'une démocratie cosmopolitique. La difficulté que révèle l'effectivité d'une démocratie cosmopolitique est l'articulation entre des intérêts supranationaux qui nécessiteraientt une gouvernance mondiale et des intérêts locaux

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comme le renforcement du contrôle citoyen sur les décisions politiques les impactant. Il semble en effet que les citoyens des États du monde sont éloignés des prises de décisions politiques importantes, à cause du réseau complexe d'enchevêtrement d'organisations internationales et locales qui participent à la gouvernance mondiale. Le contrôle et la participation, caractéristiques des démocraties libérales, semblent plus difficiles pour les citoyens (Lourmes,2014).

Cependant, le fait que l'exercice de la citoyenneté démocratique soit plus complexe ne signifie pas nécessairement sa disparation mais plutôt l'évolution de sa pratique. Prenons le cas de l'Union Européenne (UE). Les institutions européennes reposent sur une double légitimité, qui se traduit par la « codécision » législative. Les lois y sont votées à la fois par le Parlement, instance représentative des citoyens européens, et par le Conseil des ministres instance représentative des Etats. Il existe une démocratie sui generis qui combine plusieurs types de représentation. La représentation égale des citoyens et des États, la représentation quasi directe par les élections au Parlement européen et la représentation à l'indirecte. Les Français sont ainsi représentés au Conseil européen et au Conseil des ministres par le chef du gouvernement et les ministres qui ont été élus nationalement et au parlement européen par des députés européens élus au suffrage universel direct. L'union européenne n'est pas représentative de l'ensemble des organisations internationales, mais son exemple permet de démontrer que la démocratie est exportable à d'autres échelles que l'échelle nationale, et qu'elle ne peut pas obéir aux mêmes procédures selon les échelles de gouvernance où elle s'applique. La distinction de plus en plus difficile des citoyens entre acteurs politiques et économiques vient s'ajouter à la défiance des citoyens aux institutions et personnes représentatives de leurs intérêts. Cette défiance a pour effet un recul de la participation électorale et une montée des extrémismes. (Ferry,2012)

La gouvernance mondiale, multi-acteurs, se pratique à différentes échelles du local au global. Elle intègre des États, des associations, des syndicats, des organisations gouvernementales, des collectivités territoriales des entreprises etc....Cependant ces acteurs sont confrontés au même enchevêtrement de compétences et de responsabilités au sein d'un réseau d'acteurs participant tous à la vie politique, qui se densifie rapidement. Par voie de conséquence, cette juxtaposition de compétences et de responsabilités aboutit

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à une complexification des mécanismes de décision politique dont on peut remettre en cause l'efficacité et la légitimité politique qui est régulièrement questionnée.

Plusieurs points de rupture entre notre époque contemporaine et ce qui la précède sont observable. Les individus sont directement sujets du droit international, les mécanismes de prise de décisions politiques sont internalisés dans de nombreux domaines , les démocraties nationales ne sont plus considérées comme ayant une faculté de décision autonome face aux nouvelles dimensions de la sécurité internationale , la globalisation des systèmes de communication facilite la constitution de communautés de choix et affaiblit les identités nationales ,et l'économie et les capacités de décision des États nationaux ne coïncident plus. Nous pouvons observer chacun de ces points à travers la mise en oeuvre du développement.

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C. Le développement et la solidarité internationale Le développement

« La course au développement » a eu d'importantes répercussions sociales, économiques, climatiques et environnementales auxquelles sont confrontés l'ensemble des Etats. Le cosmopolitisme atteint donc son paroxysme. Les récentes crises migratoires, qu'elles soient dues à la guerre, à l'économie, au dérèglement climatique ou encore à une épidémie sanitaire rappellent à l'ensemble de l'humanité la finitude de l'oekoumène et la nécessité de repenser notre modèle de développement.

Le développement est un concept qui a été introduit par le président Harry Truman en 1949. A travers son discours, il distingue des Etats « développés » et des Etats « sous-développés ». L'industrialisation et l'achèvement de l'Etat-nation sont alors les principaux indicateurs de développement d'un pays. Au moment de l'indépendance, la Côte d'Ivoire, comme l'ensemble des anciennes colonies, débute sa course au développement.

Bernard Bret définit le développement comme l'amélioration des conditions et de la qualité de vie d'une population, l'organisation sociale servant de cadre à la production du bien-être. Il est à distinguer de la croissance économique qui mesure la richesse produite par un Etat en une année et son évolution d'une année à l'autre.

Le Produit Intérieur Brut (PIB) est l'indicateur de référence de la croissance économique. Le PIB n'est pourtant qu'un agrégat d'attributs économiques, qui ne permet pas de mesurer les effets sociaux réels qu'une croissance économique engendre. Il informe peu sur le niveau de vie et la qualité de vie. Le développement peut contribuer à la croissance économique, mais il n'est en aucun cas indispensable à cette dernière et à contrario, il peut y avoir une forte croissance économique sans création de développement, tout du moins sans amélioration sociale.

On parle alors de croissance sans développement quand la production de richesse ne s'accompagne pas de l'amélioration des conditions de vie. Par opposition, la priorité donnée aux productions les plus utiles et une plus grande équité dans la distribution des biens produits améliore les conditions de vie des populations et crée du développement et ce même sans croissance économique.

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Le développement révèle ainsi la notion de bien-être. L'Indicateur de Développement Humain (IDH) considère que la qualité de la vie ne se réduit pas au bien-être matériel et comprend aussi des valeurs telles que la justice sociale, l'estime de soi et la qualité du lien social.

Ces trois valeurs constituent les bases du « pouvoir d'agir », venant de l'anglais « empowerment ». Le pouvoir d'agir désigne la capacité d'un individu ou d'un groupe à décider pour lui de ce qui le concerne et à participer au débat citoyen. En effet, le développement ne peut pas pleinement se réaliser sans la participation des citoyens, c'est-à-dire sans système démocratique. Il faut donc porter attention à la possibilité effective que les personnes ont ou n'ont pas de définir leur projet de vie et de conduire ce dernier en fonction des conditions réelles qui leur sont imposées. Ces conditions dépendent, certes, de ressources financières et matérielles, mais aussi de données propres à chaque individu, telles que la santé etc. mais aussi de données relatives à l'organisation sociale et politique et la représentation de la place de chacun au sein de la société (SEN,1990). Le développement peut donc être apprécié selon différents prismes qu'ils soient économiques, sociaux ou politiques.

En définissant la « capabilité » par le champ des possibilités qui s'offrent aux personnes et la liberté qu'ont ces dernières de choisir, Amartya Sen affirme que la liberté apparaît comme la fin ultime du développement. La liberté apparaît comme le principal moyen de consolider le développement car il peut être considéré comme un processus d'expansion des libertés réelles dont jouissent les individus. Les expériences historiques montrent d'ailleurs que les systèmes autoritaires, dans l'économie de marché comme dans l'économie planifiée, ont échoués. Qu'ils aient ou non produit une croissance économique forte, les uns et les autres ont dû se transformer et s'ouvrir à la démocratie pour atteindre le développement.

Le développement transforme la planète depuis la seconde Révolution industrielle du XIXème siècle. En parallèle, il creuse les écarts entre les territoires et leurs populations. Non seulement le développement n'a pas supprimé les inégalités entre les Hommes, selon leurs origines, mais il les accentue parfois voire en crée. L'opposition entre les pays développés et les pays sous-développés, révélé par le président Truman, repose

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néanmoins sur une base fragile, la faute à un seuil entre les deux catégories, trop subjectif pour être intangible.

Le développement a néanmoins pu être considéré comme un phénomène historique, linéaire et universel. L'économiste Eugen Rostow définit l'histoire des peuples comme une succession de périodes où les sociétés traditionnelles évoluent en sociétés de consommation. Le décollage (take-off), est l'élément qui déclenche le processus cumulatif de production élargie, qui augmente et diversifie les biens consommables par les hommes, augmentant de ce fait les niveaux de vie. Certains pays, comme les Etats-Unis, ont entamés cette marche avant les autres, il était donc cohérent avec cette lecture du passé d'identifier la situation des pays pauvres comme un retard historique. (ROSTOW,1963)

Il est plus convaincant de voir les inégalités de développement à l'échelle mondiale comme le résultat de relations asymétriques établies entre les pays « développés » et ceux dits « sous-développés » du fait de la domination que les premiers ont fait subir aux seconds. La colonisation en est la forme la plus brutale, sans être la seule. Le sous-développement résulte selon de nombreux économistes tels que André Gunder Frank ou encore Celso Furtado, de la dépendance à l'égard de l'extérieur. Certains ont préféré parler de pays dominés ou de pays exploités, plutôt que de pays sous-développés.

L'espace-monde peut être considéré comme un espace où les pays développés constituent un centre exerçant une domination sur une « périphérie » constituée par les pays sous-développés (AMIN,1973). Les faits à l'échelle mondiale confirment cette théorie de la dépendance. Cependant elle doit être nuancée. Le couple Centre-périphérie se vérifie à toutes les échelles géographiques, aussi bien dans les pays dits développés que dans ceux dits sous-développés. Il est observable entre les régions, entre la ville et la campagne, entre les quartiers d'une même ville.

La géographie allemande a précédé Amin sur la relation centre-périphérie, comme le démontre les travaux de Walter Christaller. Le géographe Alain Reynaud a systématisé cette relation centre-périphérie dans un modèle général qui offre une grille de lecture des territoires à un moment donné autant que l'évolution de leurs relations dans le temps, dans la perspective de la géohistoire.

Bien qu'à nuancer, la réflexion d'Amin a révélé l'insuffisance de la terminologie du développement. En effet, les inégalités ne sont conséquence, ni d'un retard historique pris

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par certains territoires, ni de dysfonctionnements dans le processus du développement. Elles sont la conséquence du développement lui-même. On entend par cela qu'il bouleverse les hiérarchies existantes, en créé d'autres, produit des dépendances et des inégalités de nature sociale et spatiale. L'inégalité est un élément constitutif du développement, observable à toutes les échelles géographiques et requérant donc une analyse géographique à plusieurs échelles. Si on admet l'idée que le développement comporte inévitablement une référence à la justice, et que l'on admet également que le développement est inévitablement inégal, nous pouvons alors nous interroger sur la nature des conditions à remplir pour rendre compatible ces deux affirmations.

Après les économistes, les géographes ont investi le champ du développement. Le développement s'exprime en effet dans l'organisation des territoires en ce qui concerne les conditions de vie des populations, l'urbanisation, la densité et la configuration des réseaux de circulation, la distribution des équipements publics, l'intensité des activités économiques, la répartition des pouvoirs décisionnels, les asymétries de flux etc. L'approche géographique des territoires permet de remarquer la distinction faite initialement entre croissance économique et développement, et d'opposer ce qui est croissance économique extravertie et développement autocentré.

La première, pierre angulaire de la globalisation Saskia Sassen, désigne une croissance économique orientée vers l'extérieur et dans la dépendance de l'extérieur. Ses activités, et donc ses emplois, relèvent de décisions prises ailleurs et pensées pour servir d'abord des intérêts extérieurs. Les retombées à en attendre sont donc limitées et souvent ambiguës. L'économie de plantation et l'extraction minérale en Côte d'Ivoire en sont de parfaits exemples. Elles sont majoritairement opérées par des firmes étrangères versant des salaires faibles et contrôlant assez les marchés internationaux pour maintenir les cours à un bas niveau (SASSEN,1988).

Un développement est dit « autocentré » quand la croissance économique est au service des populations du territoire dont provient cette croissance. La dynamique sociale des populations s'inscrit alors dans un rapport de forces favorable avec les intérêts extérieurs.

La politique de décentralisation de la France a favorisé l'émergence des collectivités territoriales. Celles-ci sont en charge de l'articulation entre intérêts locaux et intérêts globaux. Ce questionnement sur l'articulation de la société « du local au global » est la

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conséquence de citoyens qui sont de plus en plus en demande d'initiatives de développement autocentrées. Cela en vertus du fait qu'elles sont, plus à « l'échelle humaine », moins injustes économiquement à l'échelle du monde et moins dégradantes pour l'environnement.

Les dégradations que le développement peut faire subir aux équilibres naturels ont longtemps été ignorées parce que la nature avait une capacité de résistance et de résilience suffisante. Mais nous connaissons actuellement la crise des relations Sociétés-Nature, qui ont permis l'émergence du concept de développement durable.

Ce terme est utilisé largement, par les géographes comme par les écologistes, les économistes et les sociologues. Il s'est imposé dans le langage courant. Le développement durable est avant tout un développement viable sur le plan économique, qui se veut équitable sur le plan social et durable sur le plan environnemental. Ces trois piliers du développement durable sont indissociables, mais ils ne peuvent s'articuler les uns avec les autres que si le contexte démocratique et citoyen les met en cohérence et leur donne une efficacité systémique.

La viabilité économique est nécessaire pour produire le bien-être matériel. L'équité sociale est nécessaire pour la qualité de vie de tous. La durabilité environnementale est nécessaire dans l'intérêt des générations futures. Inscrite dans le processus de développement, elle ne peut signifier la conservation en l'état de l'existant, mais elle implique que l'environnement légué aux générations futures donne à celles-ci les conditions pour penser et réaliser leur propre développement.

Les trois piliers du développement durable que sont l'environnement, l'économie et le social, ne sont donc pas des contraintes qui, chacune, devrait limiter ses ambitions pour ne pas ébranler les deux autres. Il ne s'agit pas de brider le développement pour ne pas agresser la nature, ni d'être timide en matière de justice sociale pour ne pas gêner l'économie, mais d'inventer un mode de développement où chacune des dimensions constitue un atout pour le système d'ensemble.

Ainsi pensé, le développement durable est un objectif difficile que certains jugeront utopique. N'est-ce pas parce que le développement lui-même est une utopie ? Le développement est un processus de progrès de la qualité de la vie à qui il serait arbitraire de fixer un terme, mais auquel il est nécessaire de fixer un cap (Bret,2006).

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La Solidarité Internationale

Un des corolaires du développement de Truman est le devoir de solidarité des nations développés envers les nations sous-développés. La Solidarité Internationale se définit comme l'ensemble des initiatives qui permettent, l'éveil des consciences des citoyens au sujet des inégalités ou injustices entre pays ou entre un pays et des entités d'autres pays, ou entre les individus d'un pays..., de permettre à chacun de comprendre les causes de ces injustices afin de, tant que possible, agir manière solidaire pour les combattre ou les résoudre. On peut distinguer deux types de pratiques de la Solidarité Internationale. Une pratique politique voir géopolitique illustrée par la création d'organismes internationaux (FMI, Banque Mondiale, ONU, etc...), la mise en place par les Etats d'une Aide Publique au Développement et d'entités paraétatique (Agence Française de Développement). Mais également une pratique citoyenne illustrée par l'essor des ONG depuis 1945.

Le terme Organisation Non Gouvernementale (ONG) est née de l'article 71 du chapitre 10 de la Charte des Nations Unies qui donne un rôle consultatif à des organisations ne faisant pas partie d'un gouvernement. La première définition du terme ONG voit le jour dans la résolution 288 du Conseil économique et social des Nations Unies : ainsi une ONG est « une organisation internationale qui n'est pas fondée par un traité international ».

La pratique citoyenne de la Solidarité Internationale a évolué au cours du temps. De la fin de la Seconde Guerre mondiale jusque dans les années 60, la Solidarité Internationale a été essentiellement motivé par « Charité Chrétienne ». On peut citer l'exemple de l'Association Care qui a été fondée par des Européens immigrés aux Etats-Unis et des Américains afin de venir en aide aux populations européennes sinistrées ou du Comité Catholique Contre la Faim et pour le Développement (aujourd'hui CCFD-Terre Solidaire) première ONG française de développement.

C'est après la décolonisation que les ONG ne se sont plus seulement focalisées sur les victimes de guerre mais ont commencées à participer au développement des sociétés du « Tiers-monde », ce qui marqua l'émergence de l'Aide au Développement. Les conflits sécessionnistes du Biafra (1968) et du Bangladesh (1970), ont fait émerger le Sans frontiérisme, avec des structures tels que Médecins sans Frontières. Il y a eu à partir des 80 une émergence des ONG dans les pays dit « du Sud », notion qui a remplacé celle de pays du « Tiers-monde » et de pays « sous-développés ».

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Cette émergence révèle la prise de conscience des populations bénéficiaires de l'Aide au Développement de la nécessité de passer de simple bénéficiaire à partie prenante de leur développement. La conséquence de ce changement de mentalité transforme les relations de coopération entre acteurs mais également entre Etats. La politique de décentralisation a permis l'émergence des collectivités territoriales. Des coopérations décentralisées sont nées de l'autonomie financière accru des collectivités territoriales et de la multiplication des actions de la part de citoyens et d'ONG dépendant de ces collectivités en Europe comme en Afrique de l'ouest.

Depuis les années 1990 et l'avènement de l'Altermondialisme, le nombre d'acteurs et d'actions de Solidarité Internationale a augmenté et a complexifié la pratique de la cette dernière. L'émergence de la société civile et l'accélération de la décentralisation a transformé la pratique du développement jusqu'alors domaine exclusif de l'Etat en Afrique de l'ouest. Cette société civile, en transcendant sa seule vocation de contrepouvoir s'est muée en acteur majeur du développement. Connaissant le potentiel et les limites de son continent, elle milite en faveur d'un renouveau des relations entre l'Afrique et le reste du monde. Son action suit donc deux logiques. La première dite « up-down », mène à l'action politique. Ce n'est qu'avec un renouveau politique en rupture avec le passé que l'Afrique pourra se développer. Cependant, ce renouveau politique est sine qua non d'un renouveau de pratique de la citoyenneté.

La seconde logique dite « bottom-up » mène à l'initiative citoyenne et à la multiplication de projets de développement menés localement afin de sensibiliser les populations et transformer les mentalités et pratiques.

Les dynamiques associatives bénévoles françaises et ivoiriennes sont croisées. Vieillissantes en France, elles peinent à se renouveler et à attirer. Un décalage d'approches et de pratiques, existe entre « une ancienne » et « une nouvelle génération ». La technocratisation de la Solidarité Internationale, illustrée par les appels à projets, a précipité la professionnalisation du milieu associatif. En Afrique, les acteurs associatifs, à l'image de la population, sont majoritairement jeunes, volontaires, éduqués mais non qualifiés en ce qui concerne la coopération internationale et la gestion de projet de Solidarité Internationale. Dans le souci de s'inscrire dans une logique de transfert de compétences, étape indispensable à l'autonomisation et la pérennité des projets plus que

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d'assistanat, considérée néocoloniale de la part de la nouvelle génération d'acteurs, les acteurs associatifs ouest africain collaborent de plus en plus avec des professionnels de la Solidarité Internationale.

Nous avons vu que la construction de l'exercice citoyen est le résultat d'un long processus. A l'échelle du monde, il a été conditionné par la représentation et la pratique du cosmopolitanisme. De la part des nations, à travers l'établissement d'un cosmopolitisme politique qui régule les relations internationales mais également de la part des individus, traduit par l'émergence de la Citoyenneté Mondiale. Si l'avènement du développement marque l'acceptation d'un droit inaliénable des populations au bien être, le développement durable rappelle à l'humanité la finitude de l'oekoumène. C'est dans ce contexte que la Côte d'Ivoire, indépendante depuis 1960 poursuit sa construction démocratique et citoyenne. Avec une population jeune, à prédominance rurale, l'enjeu de la transformation des mentalités et des pratiques en vue d'un développement durable apparaissent cruciaux, tant l'impact du dérèglement climatiques pourrait être désastreux pour ce pays qui panse encore les vives plaies de sa douloureuse construction identitaire.

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D. La société civile ivoirienne

D'une définition de la société civile ivoirienne

René Otayek met en avant que l'émergence de la société civile, à partir de 1990 en Côte d'ivoire et plus globalement en Afrique de l'ouest témoigne du démarrage d'un processus de transition démocratique au sein des pays d'Afrique francophone. Cette émergence de la société civile révèle également une problématique relative à son analyse politique, dans la mesure où sa définition trop large permet encore son instrumentalisation politique.

Comprendre la nature et le fonctionnement de la société civile d'un pays ouest africain tel que la Côte d'ivoire permet de mieux appréhender la question des changements politiques que l'Afrique connaît depuis une trentaine d'années maintenant. Elle est donc à mettre en corrélation avec la problématique anti-autoritaire et la remise en cause quasi-universelle des modes de régulation politiques caractérisés par la prééminence absolue de l'Etat. Tel est le cas en Côte d'ivoire où la rhétorique de la société civile s'impose avec d'autant plus de vigueur qu'elle s'articule autour de l'idée que la société civile a un rôle majeur à jouer dans la démocratisation et le développement économique du pays libéré depuis 1990 du joug du parti unique.

Aussi populaire qu'imprécis, le concept de société civile est un concept « vénérable » mais « fuyant » (C. Young, 1994), « ambigu » (V. Pérez-Diaz,1993), « gadget » (D. Lochak, 1986) voire « mythique » (J.-J. Chevallier,1986). Nous sommes face à un concept éminemment polysémique dont la difficulté de définition est compensée par la richesse et la complexité de la généalogie scientifique (Otayek,2009).

Comme Seligman nous admettons que l'idée de société civile se réfère à celle de civilité. Celle-ci, au coeur des relations sociales implique l'existence d'une vision éthique de l'ordre social et de l'harmonisation entre intérêts individuels et bien commun, partagée par l'ensemble des individus d'une société (Seligman, 1992).

L'imprécision de ce concept favorise la remise en cause de sa pertinence en tant qu'outil d'analyse des processus de transition et de consolidation démocratique engagés en Côte d'ivoire, dans la mesure où son instrumentalisation politique rend difficile la lecture claire des relations entre acteurs de la gouvernance. Alors que le monde plébiscite l'émergence

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d'une société civile internationale, figure vertueuse de l'opposition altermondialiste à la mondialisation libérale, la méfiance caractérise la relation des ivoiriens à la société civile.

La société civile ivoirienne peut être analysée selon deux conceptions opposées. La première, contractuelle, identifie la société civile à l'Etat, y voyant l'élément autorisant la distinction entre la société politique organisée et l'état de nature. C'est la conception des philosophes du 18ème siècle. La seconde, repose sur une opposition entre l'Etat et la société et entre intérêts publics et privés incarnés par l'opposition entre doctrines libérales et marxistes (Otayek,2009).

Pour les libéraux, la société civile constitue l'espace d'harmonisation des intérêts privés, sur la base d'un contrat social excluant par principe l'intervention d'un Etat qui se poserait comme le garant du bien commun. Pour les marxistes, il y a inéluctablement opposition, mais entre dominants - qui contrôlent l'Etat et les moyens de production - et dominés. La production contemporaine de la société civile renvoie ainsi à trois ordres de critiques : celui du marxisme, celui de la nature et du culte de l'Etat, et celui du totalitarisme, tel qu'il s'exprime à partir des années 1970 (M.Offerlé, 2003).

Paradoxalement l'émergence de la société civile est étroitement liée à la montée de l'individualisme dans la société ivoirienne dans la mesure où sans l'affirmation d'une citoyenneté « libre et égalitaire » symbole de la primauté de l'intérêt individuel sur l'intérêt collectif, son existence est difficile à concevoir (A. Seligman,1992).

Bernard Badié souligne que cette individualisation de la société a pour conséquence de modifier les pratiques sociales. La Côte d'ivoire vit actuellement une période de transition où les liens sociaux fonctionnels tels que les relations entretenues dans l'espace public supplantent peu à peu les liens de solidarités « mécaniques », inhérents aux relations de filiations ethniques et familiales, héritages de la société précoloniale. Cette représentation nouvelle de la pratique sociale, vient bouleverser la culture politique et civique ivoirienne, où intérêts publics et privés s'amalgament encore trop souvent (B. Badie,1992).

L'émergence de la société civile ivoirienne à partir des années 1990, est en définitive à mettre en corrélation avec la fin du totalitarisme « houphouëtien » qui a permis dès lors l'espérance d'un idéal de société s'appuyant sur la distinction du public et du privée,

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l'individualisation des relations sociales et la primauté des solidarités horizontales sur les allégeances verticales.

Si l'on considère l'association comme la condition sine qua non de l'existence de la société civile, on peut néanmoins se questionner si son existence induit de fait de l'existence d'une société civile « politisée », et de ce fait de la culture démocratique en Côte d'Ivoire. La question est importante, en particulier au regard des thèses de R. Putnam (1993, 1995) sur le « capital social ».

Le capital social peut être défini comme un stock de ressources sociales (confiance, normes de réciprocité généralisée, engagement civique) ayant le pouvoir de faciliter la coopération, donc de renforcer l'efficacité de l'action collective et de la participation citoyenne, et de favoriser ainsi la régulation démocratique. On peut donc affirmer que plus une société coopère, plus conséquent est le capital social et plus la démocratie a de chances d'être effective (Otayek,2009).

Pour Michel Camau, si les associations constitutives de la société civile n'entrent pas dans un processus de politisation, leurs actions ne saurait engendrer d'« investissement démocratique » des citoyens comme des dirigeants politiques. En Côte d'ivoire, les associations ne se donnent pas toujours des objectifs civiques ou d'intérêt collectif et sont susceptibles de servir des intérêts privés. Leur contribution au développement d'une culture démocratique est donc loin d'être toujours avérée (Camau,2002).

Les associations ivoiriennes, dont les fonctions principales ont été en premier ressort les entraides ethniques et communautaires ont pu être instrumentalisées comme « fusible » permettant d'éluder toute contestation politique sérieuse. Plusieurs Etats autoritaires subsahariens ont également entrepris d'instrumentaliser la société civile, non sans succès, la vigueur du principe associatif témoignant de l'incomplétude de la domination étatique. La critique du culturalisme absolu serait incomplète si la problématique de l'individualisation posée par Seligman, sans laquelle l'existence de la société civile était impossible dans les sociétés holistes subsahariennes n'est pas mentionnée (Otayek, 2009).

Pourtant, les recherches anthropologiques les plus récentes tendent à nuancer très sensiblement notre perception de ces sociétés, en y identifiant des processus multiformes

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d'individualisation, en particulier dans les milieux urbains (Marie, 1997). La thèse centrale qui oriente ces recherches est que les différentes crises économiques qu'ont traversé les Etats africains ont jusqu'ici profondément déstabilisées les systèmes communautaires de solidarité tout en fragilisant les réseaux clientélistes qui permettaient une certaine redistribution.

On assisterait donc, en réaction, à l'amorce d'un processus d'individualisation dont témoigneraient l'explosion du secteur informel, la généralisation des « petits boulots », la montée de la criminalité ou la multiplication des dissidences religieuses, en rupture avec l'ordre traditionnel. Mais les auteurs de ces recherches anthropologiques n'assimilent pas ces processus à ceux qui ont mené à l'émergence de l'individu en Occident. Ils préfèrent plutôt parler d'une trajectoire africaine en la matière, fruit d'un compromis dynamique entre l'individualisation subjective et la recomposition des solidarités communautaires.

On peut d'avantage relativiser la thèse de Seligman, pour autant qu'on la mette en perspective avec l'hypothèse de Christophe Jaffrelot selon laquelle l'émergence d'une société civile et de la démocratie dans les sociétés prétendument holistiques est susceptible de se réaliser au travers de la capacité des groupes « organiques » à s'organiser en politique. L'ethnie, la caste ou encore la tribu semblent donc être le cadre structurant d'une société civile non-individualiste, le groupe faisant fonction d'individu collectif au sein duquel s'exprimeraient les stratégies individuelles (Otayek,2009).

Fondement de l'action de la société civile ivoirienne

L'entrée de la Côte d'ivoire en situation de crise politique a manifestement surpris la communauté internationale. La locomotive d'Afrique de l'Ouest, le modèle économique gagnant et le bon exemple d'intégration sociale se sont effondrés le 24 décembre 1999. Si avant cela le développement du pays est surtout une question d'investissements dans de grandes infrastructures, désormais les problématiques sont plus celles de situations de sous-développement assez aigues. Que ce soit dans les quartiers populaires caractérisés par un habitat toujours plus informel où l'accès aux services de base est presque impossible (eau potable, assainissement, santé, éducation, etc.) ou en milieu rural. Pour la première fois depuis des décennies la pauvreté se généralise non seulement dans le Nord du pays mais aussi dans les régions plus développées du Sud.

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L'enquête concernant le niveau de vie des ménages, conduite par l'Institut National de la Statistique de Côte d'ivoire en 2008, donne des indications précises relatives à l'évolution des dépenses de ménage ainsi qu'aux structures de la pauvreté en Côte d'Ivoire. Elle a servi à la préparation du Document de Stratégie de la Relance du Développement et de Réduction de la Pauvreté (DSRP).

Une comparaison des résultats des enquêtes 2002 et 2008 sur les dépenses des ménages, permet de constater une baisse de 25 % de ces dépenses entre ces deux dates passant de 461 243 FCFA (704€) en 2002 à 342 730 FCFA (523€) en 2008 et à laquelle il convient d'ajouter l'impact de l'inflation entraînant une baisse du pouvoir d'achat réel de 45 % en moyenne et conduisant près de la moitié de la population au-dessous du seuil de pauvreté soit 220 000 FCFA (336€) par personne et par an en 2008/2009 (Floridi et Verdecchia,2010).

Si la dépense moyenne annuelle par individu était de 342 730 FCA (523€) en 2008, des écarts importants existent cependant entre les différentes zones du pays allant de 191.540 FCFA (292€) dans la zone Nord à 561 575 F CFA (857€) à Abidjan.

La décennie de crise (2002-2011) traversée par le pays est donc marquée par l'augmentation du nombre de pauvres (38,4 % de la population totale en 2002 ; 48,9% en 2008) mais s'inscrit cependant dans une tendance lourde constatée depuis plusieurs décennies puisque ce taux n'était que de 10 % en 1985.

Pour la période 2002-2008 la pauvreté rurale représente le double de celle en zone urbaine et a très fortement augmentée dans le Centre-Nord, le Nord, et dans une moindre mesure dans le Centre-Ouest, le Centre et le Sud.

Ce sont bien les Ivoiriens comme les partenaires techniques et financiers actifs dans le cadre de la coopération au développement qui ont été désorientés par ce processus de dégradation rapide. L'approche de la sortie de crise adoptée à partir de 2003 est celle de l'urgence où les protagonistes principaux sont les acteurs internationaux spécialisés dans l'action humanitaire. Malheureusement, il apparait clair que l'on peut qualifier leur réaction de « partielle » tant l'approche et la posture des acteurs internationaux spécialistes de l'humanitaire ont été celles de l'urgence et non du développement.

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Avec l'installation longue de la crise, ce sont donc les logiques et approches humanitaires qui ont prévalues avec des conséquences négatives sur le fonctionnement des Organisation de la Société Civile (OSC) ivoiriennes existantes à l'époque et avec une très forte influence sur la dynamique plus générale de la société civile.

Bien évidemment l'approche humanitaire n'est pas négative en soi mais elle n'a de sens que dans le court terme. Si une telle approche est perpétuée dans le temps, le risque est d'alimenter un cercle vicieux qui éloigne toujours plus la possibilité d'inventer le futur et de résoudre les problèmes structuraux, tant sur les plans économiques, politiques et sociaux, et donc d'agir dans une optique de moyen et long terme.

En d'autres termes, les logiques et les approches humanitaires adoptées dans un contexte d'urgence, peuvent augmenter davantage l'urgence si elles inspirent le seul mode opératoire possible des propositions techniques et financières. C'est justement le cas de la Côte d'Ivoire où l'urgence est devenue pérenne également parce que les outils pour la combattre en réalité ne font que la reproduire. Finalement, le cercle vicieux s'instaure et le court terme s'impose comme le seul contexte qui justifie l'intervention extérieure.

Dans ce cadre, le risque est que la sortie de la crise soit le seul univers sémantique possible pour agir dans une temporalité où imaginer ce qu'il y a au-delà de la crise devient impossible simplement parce qu'une génération entière n'a vécu que dans cette condition de « pérenne urgence ». Certes, il est difficile d'imaginer que des partenaires techniques et financiers puissent agir et investir dans un pays dont le présent est désormais cristallisé et le futur incertain. Cela produit un bouleversement non seulement de la manière de concevoir la solidarité internationale mais aussi du rôle de la société civile et de ses organisations (Floridi et Verdecchia,2010).

En effet, trop souvent les partenaires techniques et financiers, plus spécifiquement les ONG internationales considèrent les OSC ivoiriennes comme des prestataires de services. Au lieu de les accompagner ou d'accompagner les processus sociaux dans lesquels elles s'inscrivent dans la perspective de valoriser leur rôle d'acteur de développement, on « achète » simplement leurs activités selon des directives et des choix qui sont faits ailleurs. Dans ce contexte de crise pérenne, les bailleurs interviennent souvent sur des problèmes très ponctuels selon la logique de l'urgence sans pour autant jamais intervenir sur les

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racines de ces problèmes. C'est le cas, par exemple, de l'enfance abandonnée qui fait l'objet de plusieurs interventions de la part d'organisations et ONG internationales ou celui du SIDA qui est devenu un des secteurs de l'urgence le plus « économiquement rentable » pour les OSC ivoiriennes.

Dans ce cadre, il n'est pas étonnant que des coopérations bilatérales, comme celle de la France, optent pour une forme d'attentisme en évitant d'appuyer les acteurs de la société civile qui pourraient s'avérer fondamentaux pour la sortie de la crise et l'avenir du pays et ouvrent un guichet pour financer des petits projets dont la logique et l'efficacité restent à prouver.

Ce n'est pas étonnant non plus que la GIZ (agence allemande de la coopération internationale) pour ses projets et actions de coopération, surtout dans le domaine de la justice, préfère la collaboration avec le secteur privé y compris les bureaux d'études ou les associations professionnelles de magistrats et d'avocats, car il est plus « motivé » que la société civile qui en réalité serait, hormis quelques exceptions, « léthargique ».

Par ailleurs il est intéressant de noter que la GIZ est parmi les rares acteurs qui ont refusés l'approche de l'urgence et de l'humanitaire et qui travaillent exclusivement dans une optique de développement. En réalité à la base du comportement des bailleurs il y a toujours la même attitude : vivre dans l'attente que le pays sorte de sa crise sans pour autant s'attaquer véritablement aux causes profondes qui sont à son origine. Impliquer des acteurs qui pourraient assurer, comme la société civile, le saut qualitatif nécessaire dans l'exercice difficile du dialogue social et politique devient une entreprise impossible si l'on reste dans l'univers sémantique de l'humanitaire. Et ce, surtout parce que les acteurs de la société civile ne sont plus légitimés ni motivés à exercer leur rôle d'acteurs de développement.

Sortir de la crise c'est donc avant tout sortir de la logique de sortie de crise tout en commençant à imaginer le futur et à ce qu'il y aura au-delà du mur de cette crise qui peut sembler infinie lorsque qu'elle atteint son paroxysme. En d'autres termes, il faut commencer à « sortir de la sortie de crise » et à considérer cela non comme la seule prérogative du pouvoir politique ou des institutions mais surtout comme une aptitude de la société ivoirienne toute entière, et notamment de la société civile.

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Pour ce faire il faut que l'énergie sociale des Ivoiriens soit canalisée sur des objectifs qui puissent aller aussi au-delà des simples mais non moins difficiles « élections démocratiques et apaisées » et qui puissent investir la possibilité même d'imaginer le futur et les solutions pour y arriver. C'est justement le rôle qui incombe à la société civile et surtout à ses organisations collectives, de celles qui sont actives au niveau de la base dans les villages et les quartiers du pays jusqu'aux organisations faîtières.

En somme, il s'agit de faire en sorte que les organisations de la société civile puissent canaliser cette énergie sociale vers les objectifs du développement du pays selon une perspective de dialogue social et politique avec les autres acteurs. Dans ce sens il faut que les organisations de la société civile aient le courage et la détermination d'affirmer que leur rôle ne peut pas être cloué uniquement à la prestation de services, comme malheureusement la tendance et l'approche de bon nombre des partenaires techniques et financiers induisent.

En effet, la société civile a aussi une autre fonction fondamentale : être un acteur de dialogue sur les politiques et les stratégies nationales et sectorielles de développement. Pour ce faire les organisations collectives de la société civile qui ont une orientation à la responsabilité sociale et qui agissent selon la perspective de l'intérêt collectif, doivent commencer à s'intéresser à leur investissement au sein d'un espace public qui doit tout d'abord être construit et ensuite géré avec toutes les autres familles d'acteurs, étatiques et non étatiques (Floridi et Verdecchia,2010).

De la typologie de la société civile ivoirienne

La société civile ivoirienne est composée de l'ensemble des acteurs collectifs qui agissent au niveau local, régional ou national et qui sont porteurs d'une orientation à la responsabilité sociale. Ces acteurs de la société civile, dans ces conditions, expriment une intentionnalité et opèrent en faveur du développement social et économique de leur propre territoire, dans l'intérêt général, souvent à travers la production de biens ou de services d'intérêt public, en concertation avec les acteurs publics compétents.

Pour définir une typologie des dynamiques de la société civile ivoirienne nous nous appuierons sur une analyse différenciée selon 4 niveaux d'analyses qui définissent quatre types de structure couramment utilisés par les chercheurs et les experts en mouvements

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associatifs. Cette typologie suggérée également par le « Manuel à l'usage des acteurs non étatiques » promu par le Secrétariat Afrique caraïbes Pacifique (ACP), permet en outre d'éviter toute confusion sur le rôle et le positionnement de chacun des acteurs présents au sein de la société d'un pays, mais aussi d'éviter la mise en concurrence entre acteurs qui ne peuvent pas partager le même point de départ. En effet, les valeurs, la mission des organisations, les compétences techniques, le fonctionnement et le leadership d'un acteur de base ne peuvent pas être comparés avec ceux d'une organisation faîtière de niveau supérieur même s'ils agissent dans le même secteur ou domaine d'activités.

Figure 2: Typologie des acteurs de la société civile ivoirienne (UE,2010)

Notre typologie se base sur quatre niveaux d'analyse (ou de structuration) qui sont présentés dans la figure ci-dessus. Dans cette figure, chacune des 4 grandes flèches reportées dans la colonne gauche représente un des 4 niveaux de structuration des acteurs non étatiques, à savoir (du haut vers le bas) : les organisations faîtières de 4ème

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niveau ; les organisations faîtières de 3ème niveau ; les organisations intermédiaires et d'accompagnement ; et les organisations de base.

Les organisations de bases

Les organisations de base regroupent les coopératives, les organisations socio-économiques, les syndicats de paysans, les associations féminines, de jeunes, culturelles, sportives, groupements d'intérêt commun, etc. Constituées en milieu rural et urbain, sous l'initiative d'un groupe de personnes qui s'associent pour proposer des solutions conjointes à des problèmes du contexte local immédiat, défendre leurs droits ou améliorer leurs conditions de vie et d'accès aux services publics (santé, éducation, etc.).

De manière générale, les organisations de base semblent disposer d'un fort potentiel dans la recherche de solutions « collectivisées » aux nombreux problèmes posés par un contexte difficile, tant sur le plan de la pauvreté que de façon générale sur des problématiques politiques, sociales voire aussi sécuritaires, que la Côte d'Ivoire connait depuis quelques années (Floridi et Verdecchia,2010).

En première analyse, bon nombre de ces organisations dont l'origine se trouve dans la tentative de faire face à une crise qui, au niveau de certaines régions a été et continue à être, assez critique. En effet, même là où l'environnement semble favorable pour les activités du secteur primaire, et notamment pour l'agriculture, ce sont l'accès aux services basiques, en particulier la santé et l'éducation ainsi que l'écoulement et la commercialisation de produits divers qui représentent autant d'entraves au développement de ces zones et ce également du fait de la situation déficitaire sur le plan de la sécurité.

En réalité, les organisations de base n'échappent pas à la logique de la « sortie de crise » que nous évoquons depuis le début de notre propos. Au nom de laquelle les dynamiques sociales y compris à la base, semblent avoir pris une autre trajectoire, plus précisément celle liée aux logiques de l'intervention humanitaire. Cela semble assez évident à l'analyse du comportement des organisations de base autour de 5 axes fondamentaux ou variables tels que :

·

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La mission

· Le processus d'institutionnalisation et la consolidation

· L'ouverture de l'organisation vers l'extérieur

· Le système de financement

· Les besoins en renforcement de capacités

Le premier élément à prendre en compte est l'information relative à l'année de création des organisations de base. En effet, bien que certaines organisations soient nées avant le début de la crise on remarque qu'à partir de 2004, nous avons une importante croissance du nombre de création d'associations.

Contrairement aux autres pays de la sous-région, en Côte d'Ivoire la création des organisations de base semble être liée aux besoins des partenaires techniques et financiers ou des ONG nationales et internationales impliquées dans la conduite d'actions humanitaires plutôt qu'à la concrétisation d'une dynamique sociale et associative visant l'accès des populations aux services sociaux de base, l'augmentation des revenus des ménages et un meilleur respect des droits fondamentaux.

Ces différences témoignent d'un lien très fort entre la demande des partenaires techniques et financier et des ONG nationales et internationales et la mission dont se sont dotées les organisations de base. Si l'on prend par exemple la région de Korhogo en 2010, 31,8% des organisations ont déclaré avoir dans leur mission l'engagement en faveur de la situation des femmes, alors qu'aucune organisation d'Abidjan n'a mentionné cet aspect. Quant à la région de Bouaké, à peine 3,2% (en réalité 1 seule organisation) ont au coeur de leur mission les questions de genre.

En nous interrogeant sur une telle disparité existante au sein d'un même pays nous pouvons nous rendre compte que cette disparité provient très probablement d'un effet induit auprès des organisations de base par les exigences des partenaires techniques et financier et des ONG nationales. C'est en déterminant des conditions d'accès spécifiques aux financements que les partenaires techniques et financiers et ONG nationales comme internationales influent ainsi non seulement le processus de création des organisations de base mais aussi le fondement de leur mission (Floridi et Verdecchia,2010).

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A cela il faut ajouter qu'une bonne part des missions revendiquées par les organisations ne sont pas tellement compatibles avec la perception et les dynamiques propres à une organisation de ce type.

En effet, si le développement d'un village de l'ouest ou d'un quartier d'Abidjan dont l'entraide entre les membres et même l'assistance aux immigrés peuvent rentrer très fréquemment parmi les buts d'une organisation de base, il est beaucoup plus rare de trouver des aspects tels que les questions de genre, la protection de l'enfance ou les thématiques de la démocratie et la gouvernance qui sont plutôt propres à des organisations de deuxième niveau de structuration.

De même, l'importante ferveur autour de l'allocution « lutte contre la pauvreté » auprès des organisations de base ne reflète pas le rôle que d'habitude une organisation de base joue au sein de son contexte social. Ce qui nous amène à affirmer qu'une certaine tendance à se comporter comme des ONG est assez présente chez les organisations de base au moins sur le plan de l'intention (Floridi et Verdecchia,2010).

Les organisations de deuxième niveau

Le deuxième niveau de structuration est composé par les acteurs formellement constitués et avec un niveau avancé de structuration, orientés à la responsabilité sociale, qui travaillent au bénéfice de la population et de ses formes organisationnelles du premier niveau, qu'ils accompagnent. Les ONG de développement, les organisations à but non lucratif d'accompagnement de dynamiques de développement, les associations de Droits de l'Homme, les organisations syndicales, etc. appartiennent à cette typologie.

Quant au deuxième aspect qui nous sert à comprendre la mission des organisations deuxième niveau, celui des domaines d'intervention, le cadre général présente un double intérêt : d'une part le nombre de domaines d'intervention revendiqués et de l'autre le type de domaine de ces interventions.

Pour ce qui est du nombre de domaines d'intervention, il ressort très clairement que les organisations ivoiriennes de deuxième niveau manifestement des organisations «

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généralistes ». En effet si l'on prend en considération la moyenne de domaines de spécialisation revendiqués par ces organisations, la moyenne nationale est de 5 par organisation.

Cette donnée illustre très clairement ce qu'on peut nommer « dérive généraliste » des organisations ivoiriennes de deuxième niveau, dont le comportement n'est guidé que par la recherche des financements. Or, en réalité une organisation de 2ème niveau ne peut en principe opérationnelle de manière efficace que si elle s'engage dans 2 ou 3 domaines d'activités maximum. Au-delà de ce seuil pour ainsi dire « physiologique », l'action risque de ne plus être cohérente avec la mission vu qu'il est assez rare qu'au sein de l'organisation l'on puisse trouver les compétences, l'expérience et le temps pour opérer dans plus de trois domaines (Floridi et Verdecchia,2010).

En réalité, pour pallier à cette contrainte les organisations de deuxième niveau ont recours à un recrutement exogène, le personnel dont elles ont besoin pour la mise en oeuvre d'activités qui ne rentrent pas dans le cadre de leurs compétences. En agissant de la sorte, l'organisation prends le risque de se transformer en un petit bureau d'étude qui adopte une logique marchande plutôt que celle propre aux organisations de la société civile où la vision et la vocation revêtent une fonction primordiale aux fins de la survie même de l'organisation.

Bien évidemment, ce comportement ne pourrait pas s'expliquer uniquement par le fait d'une dynamique vicieuse exclusivement endogène. En effet, la présence de partenaires techniques et financiers qui agissent pour la plupart dans l'humanitaire et qui sont demandeurs de collaborations, souvent dans l'optique de la sous-traitance, représente de fait une incitation au rôle de prestataires de services des OSC plutôt que celui d'acteurs de développement.

Il s'agit en réalité d'une véritable « dérive généraliste » des OSC de 2ème niveau dont la plupart se positionnent comme des « fournisseurs » de services pour les partenaires techniques et financiers, ces derniers étant souvent trop cloués au statu quo de l'univers sémantique de la « sortie de crise » (Floridi et Verdecchia,2010).

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Les organisations de troisième niveau

Le troisième niveau est composé par les organisations faîtières fondamentalement coordinations, fédérations et réseaux, constituées par un collectif d'organisations qui décident de s'associer et de collaborer selon une logique thématique et/ou géographique. L'organisation découlant de cette collaboration est souvent conçue et perçue comme un espace d'échanges, de communication et de concertation entre les organisations membres, ainsi qu'un outil pour la prestation de services aux organisations membres dans des domaines comme le renforcement de capacités, la projection à l'extérieur, la défense des intérêts du collectif, etc.

Les organisations de quatrième niveau

Les plateformes et les espaces de concertation, qui composent le quatrième niveau, sont constitués d'organisations faîtières" (c'est à dire, composées souvent de réseaux, de coordinations nationales et locales, etc.) qui se caractérisent par leur degré de souplesse et de perméabilité (la structuration est pratiquement inexistante ; souvent il n'existe pas une formalisation de la relation entre les membres). Elles sont créées pour "faire front commun" face à une problématique externe commune ; face aux pouvoirs publics, etc.

Cette typologie des organisations de la société civile nous permet, finalement, de comprendre le positionnement des différentes organisations ainsi que les problèmes liés à chaque niveau et les solutions à préconiser dans le cadre d'un futur programme d'appui à la société civile. Si les vocations et les caractéristiques des 4 niveaux de structuration des OSC diffèrent de manière importante, l'analyse et les stratégies d'intervention et d'appui devront donc tenir compte du rôle que chaque niveau joue et peut jouer davantage dans le développement de la Côte d'Ivoire.

En effet, si les organisations de base de premier niveau peuvent assurer la mobilisation sociale et l'ancrage territorial, les organisations de deuxième niveau peuvent mettre à disposition leurs compétences parfois extrêmement pointues au service du développement.

Quant aux organisations faîtières de troisième niveau, elles peuvent faciliter l'accès aux ressources de leurs membres, l'information et surtout la capitalisation des expériences. Ce niveau est également fondamental pour assurer une vision nationale des

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problématiques de la gouvernance et du développement, outre des actions de plaidoyer et de lobbying tant au niveau des politiques que des conditions opérationnelles de leurs organisations membres.

Enfin, les organisations faîtières de quatrième niveau ont un rôle primordial non seulement dans le dialogue politique sur les stratégies nationales de développement mais aussi sur le plan de la coordination entre les différentes familles d'acteurs non étatiques (Floridi et Verdecchia,2010).

Chaque niveau de structuration, grâce à son rôle et son positionnement stratégique spécifiques, peut apporter sa propre contribution tant aux efforts du pays dans la bonne gouvernance et la lutte contre la pauvreté que dans cette phase de « sortie de crise » que le pays est en train de vivre. Cette stratégie de la différenciation s'avère donc pertinente et nécessaire pour que chaque niveau soit renforcé dans l'exercice de ses fonctions et dans ses prérogatives au service de l'intérêt collectif et du développement de la Côte d'Ivoire.

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2. Méthodologie et contexte de l'étude

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"Des chercheurs qui cherchent on en trouve, des chercheurs qui trouvent, on en cherche !"   Charles de Gaulle