Introduction
Quels liens entre citoyenneté et Développement
?
Figure 1 : Les Objectifs du développement durable (ONU
2020)
Le concept de « développement », apparait
après la seconde guerre mondiale et dans le contexte de la
décolonisation, visant au « rattrapage » d'un
hémisphère « Sud » sous développé
vis-à-vis d'un hémisphère « Nord »
industrialisé et de ce fait développé. En 2000, les
Nations unies adoptent huit Objectifs du Millénaire pour le
développement (OMD) à destination des « pays du Sud »,
recouvrant les principaux enjeux humanitaires pour l'horizon 2015.
Pendant quinze ans, ces OMD structurent la solidarité
internationale et la mobilisation de l'ensemble des acteurs de l'aide au
développement. Ils permettent ainsi d'enregistrer des
améliorations notables, bien qu'inégales et insuffisantes,
notamment dans les domaines de la scolarisation universelle, de la diminution
de la mortalité infantile et maternelle et dans la lutte contre les
grandes pandémies.
Concomitamment, les Sommets de la Terre, organisés tous
les 10 ans à partir de la conférence de Stockholm en 1972,
inscrivent progressivement au niveau mondial les principes de la
préservation de l'environnement, puis de la recherche d'un
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développement durable incluant également la
dimension sociale. La définition « Brundtland » de 1987 y
ajoute les principes de la satisfaction des besoins, notamment des plus
démunis, et des limites de la planète. Sur cette base, le Sommet
de Rio en 1992 mène à l'adoption de la convention sur la
diversité biologique, de la convention cadre des nations unies sur les
changements climatiques, et de celle sur la lutte contre la
désertification. Il est à mentionner la forte implication de la
France pour la bonne intégration des enjeux de genre, de couverture
sociale universelle, de bonne gouvernance et des enjeux environnementaux et
climatiques. C'est à la conférence de Rio de 2012, dite «
Rio+20 », que les États conviennent de l'élaboration des
"Objectifs de développement durable" (ODD) pour tous les pays.
Trois années de négociation permettent en
premier lieu d'acter que les ODD fusionnent avec les OMD « post-2015
» puis, au terme d'un processus participatif inédit par son ampleur
multilatérale, c'est-à-dire incluant l'ensemble des parties
prenantes" ou "groupes majeurs", dont les collectivités territoriales,
le secteur privé et la société civile, d' d'aboutir
à l'adoption le 25 septembre 2015 de 17 Objectifs de
Développement Durable couvrant pratiquement l'ensemble des questions de
société et du devenir de l'humanité. L'adoption des ODD
est étroitement liée à celle du plan d'action
d'Addis-Abeba pour le financement du développement de juillet 2015 et de
l'Accord de Paris pour le Climat de décembre 2015. Le champ et
l'ambition des ODD sont donc considérablement élargis et
renforcés par rapport aux OMD tout en offrant une caractérisation
plus précise du chemin à suivre que ne le faisait la
définition du développement durable reposant sur la «
rencontre des dimensions économiques, sociales et environnementales
». Le nouvel Agenda 2030 s'organise autour des « 5P », car il
est conçu dans l'optique d'être au service de la planète,
des populations, de la prospérité, de la paix et des
partenariats.
Les 17 ODD sont décomposés en 169 cibles plus
précises, qui en forment le coeur et en décrivent l'horizon
idéal pour 2030 d'un développement durable qui induit autant la
justice sociale que la croissance économique, la paix et la
solidarité que la préservation des écosystèmes. Sur
le plan social, nous pouvons mettre en exergue la présence d'un objectif
dédié à l'égalité de genres (ODD 5), d'un
objectif sur le droit au travail décent (ODD 8) ainsi que
l'éradication de la pauvreté (ODD 1) et la réduction des
inégalités sociales et internationales (ODD 10). S'agissant des
enjeux environnementaux et
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climatiques, on retrouve des ODD dédiés
spécifiquement à l'eau et à l'assainissement, à
l'énergie durable, aux villes durables, aux modes de consommation et de
production durables, au climat, aux océans et aux
écosystèmes terrestres.
L'ambition globale de l'Agenda 2030 se traduit aussi par sa
transversalité et par la reconnaissance des liens entre les
différentes dimensions du développement. Chaque ODD fait ainsi
référence aux autres objectifs à travers l'intitulé
de ses cibles. Par exemple, on retrouve les enjeux environnementaux dans des
cibles relatives à la lutte contre la pauvreté, l'agriculture, la
santé, l'éducation ou la croissance. À l'inverse, les ODD
environnementaux mettent l'accent sur les questions d'accessibilité aux
ressources naturelles, notamment des personnes les plus vulnérables. La
mise en oeuvre de l'Agenda 2030 doit donc prendre en compte ces connexions ou
« interrelations » entre les différents objectifs.
D'autant plus que les ODD ne sont opératoires que si le
principe d' « insécabilité des ODD », qui veut que
chaque objectif ne puisse et ne doit pas être relevé que pour sa
seule finalité sans considération des autres, est respecté
et appliqué (Roca, 2019). Par exemple, en agissant sur l'ODD 11 (villes
et communautés durables), on peut également agir en faveur de
l'ODD 5 (égalité entre les genres). Une approche genrée de
l'aménagement de la ville, permettant d'améliorer la
sécurité des femmes dans les espaces publics ou les
transports.
L'ensemble des 193 États membres de l'ONU ont
négociés ces 17 Objectifs de Développement Durable (ODD)
et leurs 169 cibles, tous se sont accordés pour les
adopter et tous se sont engagés à tout mettre en oeuvre pour les
atteindre. À ce titre, l'Agenda 2030 plus qu'une dimension
internationale prend donc une dimension universelle. Aucun pays n'atteint par
ailleurs l'ensemble des cibles, même si les chemins à parcourir
diffèrent selon les uns les autres. À ce titre, tous les pays
sont donc en voie de développement durable. Par ailleurs, le
succès de l'Agenda 2030 n'est pas que de la responsabilité des
gouvernements : Il dépend également de la contribution des
acteurs de la société civile, du secteur privé et
financier mais aussi des syndicats, des ONG, des autorités ou
gouvernements locaux, qui ont participé aux négociations des ODD
dans un processus participatif inédit de par sa
représentativité et sa multilatéralité.
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Enfin, tous les pays, du Nord comme du Sud, devront veiller
à intégrer les ODD dans leurs politiques et stratégies
nationales et seront invités à rendre compte annuellement de
leurs progrès devant les Nations unies, lors du Forum politique de Haut
Niveau (FPHN).
Les Objectifs du Développement Durable doivent
être atteints par tous les états membres de l'ONU d'ici à
2030. Cela signifie que tous les pays sont appelés à relever
conjointement les défis urgents de la planète. Il s'agit ici de
souligner l'urgence révélée par l'agenda 2030 de la mise
en oeuvre d'une citoyenneté planétaire. Et pour construire cette
citoyenneté, les états doivent mobiliser leurs populations dans
leurs ensembles. Que ce soit, celles qui sont déjà
engagées ; par le soutien d'initiatives multi-acteurs et
multilatérales, mais également par le renforcement de
capacités et de capabilités des plus vulnérables Ainsi
elles ne considéreront pas la globalisation comme une perte
d'identité et de ressources, mais au contraire comme l'occasion de
solidarités nouvelles. En fait, la question de l'anthropocène, la
question de la lutte contre le réchauffement climatique sont sans doute
nos seuls agendas universels. (Agenda 2030, 2020)
La citoyenneté environnementale est
particulièrement mise en avant ces dernières années avec
une réappropriation de l'espace public et notamment de l'espace naturel
qui est ressenti comme étant précisément un bien
commun.
Les Objectifs du Développement Durable permettent
l'élaboration de cet agenda universel. Il s'agit là de mobiliser
toutes les parties prenantes dans un objectif mondial de
prospérité sociale, notion supplantant celle de progrès,
remplacée au sens où elle révèle qu'il y a une face
sombre du progrès. L'enjeu est aussi d'inclure toute la protection, non
seulement des plus vulnérables, mais également de la
biosphère. Autrement dit, la citoyenneté construite à
travers les Objectifs de Développement Durable est le sens individuel et
collectif de l'agenda mondial. On peut alors en définir deux grands
enjeux. Le premier est un enjeu de préservation de l'État de
droit qui est indissociable d'un nouvel âge de la mondialisation. Il faut
rappeler l'importance démultipliée de la question migratoire pour
l'Europe et l'Occident plus globalement , qui est en train tout simplement de
rappeler tous les impensés, tous les manqués de la
mondialisation, à savoir : une mobilité contrainte, non choisie
pour les Hommes face à une expérience de schisme très
forte et très traumatisante entre les destins des travailleurs, les
destins des producteurs,
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les destins des consommateurs, les destins des citoyens. Et on
arrive à la fin, tout simplement, à la fin de ce système
qui consiste à déporter sur les autres l'impensé d'un
modèle de justice sociale. La Terre est ronde, elle n'est pas infinie et
l'Occident fait actuellement face au retour de bâton de son
développement. Donc, on a un État de droit qui risque
d'être détruit par l'intérieur et par l'extérieur
précisément parce qu'il se dessaisit trop de la question sociale
désormais indissociable de la question migratoire, elle-même
indissociable de la question environnementale. Il s'agira au cours de cet
étude d'interroger l'adéquation d'un modèle sociale
désiré ou du moins institué à l'échelle d'un
état avec une dynamique de mondialisation dont les récentes
crises démontrent nécessairement de l'utilité d'un nouvel
âge de régulation. Et l'état de l'art est
considérable : les économistes, les anthropologues, les juristes,
s'accordent autour de la dialectique des vulnérabilités ou
à l'inverse des capacités. Cependant si l'on veut
préserver une pensée et une réalisation possible de
l'État de droit, des États de droit, de ne pas dissocier ces
questions de celles de la justice sociale, de l'environnement et de la
gouvernance mondiale.
La base du contrat social, c'est la nature. Elle est le
premier pilier du contrat social et de ce fait opposer contrat social et
contrat naturel n'a que peu de sens. Nous vivons grâce aux services
écosystémiques, c'est-à-dire à ces services de la
nature rendus à l'Homme. Cependant il est à présent
impératif de repenser nos modèles de gouvernance afin d'inventer
des modes de gouvernance nouveaux et de nouvelles combinaisons de
souverainetés.
C'est ce que Cynthia Fleury nomme «
rematérialisation » de la gouvernance mondiale :
c'est-à-dire, que nous allons vers un âge de la mondialisation qui
non pas, porte plus de technocraties, mais au contraire, reterritorialise et
relocalise la mondialisation. On ne reviendra pas à l'âge d'antan,
mais on doit absolument penser des modèles de justices sociales et
environnementales qui sont adaptés à des territoires, et qui dans
le même temps, dialoguent toujours, sans cesse avec la question de la
gouvernance mondiale. L'enjeu de ces combinaisons de souverainetés
réside donc dans l'articulation entre d'un côté
l'État de droit national, et de l'autre côté la gouvernance
mondiale.
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La citoyenneté en Géographie
Un sujet portant sur la citoyenneté peut sembler
être éloigné de la géographie si celle-ci n'est pas
appréciée au-delà de la seule question paysagère.
Pourtant elle demeure une incitation, pour ceux et celles qui ont l'esprit
scientifique, à une réflexion sur la relation Nature/Homme et
Homme/Nature. Pour d'autres ce sont les techniques de gestion
politico-administrative, résumées par « l'aménagement
du territoire » qui passionnent. Yves Lacoste en 1976, affirmait
même que la géographie servait « d'abord à faire la
guerre ». Toutes ces facettes, apparemment diverses, se regroupent
pourtant dans une même réflexion sur la citoyenneté : la
citoyenneté est liée au paysage, aux relations avec le milieu
naturel, à l'organisation de l'espace social, et à sa
défense éventuellement. C'est ce concept clé qui sous-tend
et justifie la pensée géographique. Cependant évoquer la
« citoyenneté » ne semble plus être un geste innocent
à l'heure où la citoyenneté est devenue un thème de
prédilection du discours politique. C'est une notion polysémique,
mais sa polysémie s'efface au profit d'un sens pseudo-politique dont la
vulgarisation médiatique est plus que jamais remise en cause.
Juridiquement, il s'agit simplement de « l'attribution de droits par un
pouvoir politique en compensation d'un certain nombre de devoirs
vis-à-vis de ce pouvoir ». Avec la volonté de
dépasser ces débats, nous considérerons, plus simplement,
que « la citoyenneté » c'est avant tout la participation
active à la vie d'une cellule territoriale qui, dans le contexte des
19ème et 20ème siècle, a
été la structure étatique. La citoyenneté n'est pas
qu'une question de civisme, mais bien de civisme actif, et c'est plus
généralement l'intérêt porté à la
« chose publique », au débat public, c'est se sentir
responsable et participant d'une démarche collective, à quelque
échelle géographique que ce soit. C'est à partir de
là que la géographie peut intervenir. Cet intérêt
n'est pas nécessairement contestataire et extérieur aux
décisions du « pouvoir ». Il peut s'exprimer par l'insertion
dans des organismes administratifs, politiques et gouvernementaux, mais en
gardant une capacité de jugement et d'appréciation critique.
Dans notre société en mutation, la
géographie a la vocation d'aider à reconstruire les rapports qui
unissent les hommes aux lieux. En ce sens Yves Guermond nous dit que « la
géographie, ça sert à faire des citoyens »
(Guermond,2018). Au cours de l'Histoire récente ces rapports ont connu
des évolutions, qui sont sans doute autant un reflet de
l'évolution de la société qu'une simple évolution
de la préoccupation géographique. Ils se
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développent d'abord dans le cadre de l'Etat-Nation mais
progressivement, à la fin du 20ème siècle, le
nationalisme s'est atténué le temps de la reconstruction en
Europe, par rapport au reste du monde, au profit d'une ouverture internationale
facilitée par la fin du conflit européen, puis par la fin de la
guerre froide. Sans devenir vraiment « citoyens du monde », les
individus ont pris conscience de leurs responsabilités dans le cadre de
structures supranationales, à l'échelle régionale ou
même mondiale. Cette ouverture planétaire, qui a suscité de
grands espoirs, a rencontré à son tour des interrogations et des
craintes devant l'uniformisation du monde et la perte des repères
identitaires, et elle conduit, dans le cadre de crises politiques, à un
retour en force des nationalismes. Plus profondément elle a conduit
aussi à un certain repli sur la microsociété, les
communautés locales et accentuée de l'entre-soi. Il semble vain
de chercher là une quelconque « évolution historique ».
Toutes ces configurations coexistent dans la société
contemporaine, elles se renforcent ou s'atténuent selon les
événements politiques et sociaux. Il reste que chacun de ces
cadres territoriaux suscite une forme spécifique de citoyenneté,
de lien entre la prise de responsabilité collective et le cadrage
géographique, sans qu'aucune de ces formes ne surpasse l'autre, car
elles ont toutes également leur côté positif, qui est la
prise en charge par l'individu du destin collectif. C'est l'investissement des
géographes dans ces diverses échelles spatiales d'attitude
citoyenne que nous devons chercher à mieux comprendre et à bien
interpréter (Guermond, 2018)
Pourquoi m'intéresser à la citoyenneté
?
Quelle que soient les évolutions de la
citoyenneté, le phénomène marquant est le
développement de la démocratisation informatique.
L'évolution technique et surtout l'amélioration de la
convivialité des logiciels, de même que la disponibilité
accrue des données en open source, conditionnent de plus en plus la
participation citoyenne à l'élaboration, mais aussi à la
critique, des politiques d'aménagement de l'espace. La « veille
démocratique » renforce le suivi des politiques publiques et de
leur impact sur les espaces régionaux, et les outils techniques
favorisent la participation plus générale à la recherche,
notamment dans le domaine écologique sur lequel les données sont
actuellement mal connues et discutées. La responsabilité
citoyenne du géographe, qui émerge progressivement depuis un
siècle ou deux sous diverses formes se développe d'année
en année et ce, parce qu'elle est inhérente aux objectifs
fondamentaux de la
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discipline. Elle se développe même d'autant plus
que, dans le cadre d'une société mondiale confrontée
à la finitude de l'espace terrestre, les questions d'organisation de
l'espace social prennent une place de plus en plus importante dans les
préoccupations des sociétés, à des rythmes
différents selon les continents.
Plus que de décrire la citoyenneté dans le
monde, ce qui serait alors une « géographie de la
citoyenneté », ce qu'on peut attendre du géographe c'est
bien la promotion d'une «
citoyenneté géographique ». Au sens
où la géographie n'est pas l'étude de la façon dont
l'homme occupe l'espace terrestre, mais bien l'étude de l'agencement de
l'espace par l'homme. (Guermond, 2018).
A propos de la citoyenneté en Côte
d'ivoire
Le 6 août 2020, Alassane Ouattara a annoncé sa
décision de concourir à un troisième mandat
présidentiel en octobre prochain. Agé de 78 ans le chef de
l'État ivoirien a pris cette décision au mépris de la
Constitution que lui-même a fait modifier. Cette situation demeure
à la fois surprenante et inquiétante. Surprenante car elle
intervient suite à de nombreuses interventions du président en
faveur de l'alternance démocratique et de la fin d'une ère
politique ivoirienne. Inquiétante car le spectre d'un nouveau conflit
civil plane de nouveau sur un pays qui depuis 2011 connait une forme de paix
mais n'est toujours pas parvenu à la résolution des tensions
sociales ni à la définition d'un contrat social liant tous les
ivoiriens et favorisant un « vivre ensemble » durable.
Après les printemps arabes, le balai citoyen ou encore
y'en a marre, il semble que ce soit au tour des citoyens ivoiriens d'être
à nouveau face au choix de la démocratie. L'acteur citoyen majeur
que constitue la société civile apparait plus que jamais
outillé pour prévenir de la déconvenue démocratique
des années 60 ou encore de la brutalisation des années 2000 ou
encore de celle de 2011.
Il s'agira à travers l'étude de la construction
de la représentation de la citoyenneté en Occident et en Afrique
Sub-Saharienne puis du processus de construction de la citoyenneté
ivoirienne de définir et d'analyser les actions de la
société civile ivoirienne actuelle afin de répondre au
questionnement suivant :
Dans quelle mesure les organisations de la
société civile ivoiriennes agissent dans un contexte favorisant
la finalité de leurs actions, à savoir le changement social ?
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