A. Comparaison avec le modèle rwandais
Il s'agira ici de comparer les dynamiques des
sociétés civiles ivoiriennes et rwandaises en matière
d'atteinte des ODD. Le choix du comparatif avec le Rwanda est motivé par
le fait que ce pays est considéré par les acteurs associatifs
ivoiriens et ouest africains comme le modèle à suivre en
matière de développement africain. De plus la Cote d'ivoire et le
Rwanda partage des similitudes qui nous permettent de comparer leurs politiques
publiques en matière de développement.
Le Rwanda est un pays qui a d'abord été
colonisé par les Allemands ensuite par les Belges et ce jusqu'à
son indépendance en 1962. L'indépendance est suivie par
l'instauration de la première République hutue de 1962 à
1973, et la seconde de 1973 à 1994. Au début des années
90, le pays est le théâtre d'une guerre civile qui oppose le
régime d'Habyarimana au Front Patriotique Rwandais (FPR), mouvement
politique créé par des réfugiés tutsis en exil, et
qui donna lieu au génocide de 1994. Ce dernier est
considéré comme l'un des évènements les plus
violents du 20ème siècle et de l'histoire
contemporaine.
Depuis la fin du génocide, le pays est dirigé par
le FPR et son président Paul Kagame. En 25 ans, le pays a
réalisé de nombreuses avancées sociétales. Selon
les autorités, cela s'explique par «la création d'emplois
dans le secteur non agricole, la croissance de la production agricole et un
degré accru de commercialisation de l'agriculture ». En outre, le
gouvernement a initié une transition démocratique avec la mise en
place d'élections locales en 1999, suivi en 2003 par les
élections parlementaires et présidentielles. Malgré ces
progrès, le pays est confronté à divers défis que
partage actuellement la Côte d'ivoire. (Swinnen, 2019)
Le premier est celui de la gestion des traumatismes
engendrés par la guerre civile (1990 -1994) et le génocide ainsi
que la réconciliation entre les Rwandais. Ces derniers sont encore
choqués par cette période et souffrent de séquelles
physiques et/ou psychiques. L'UNICEF évoque une «
génération traumatisée » dans son rapport de 1995.
Les personnes présentes comme absentes au moment des faits vivent dans
la crainte que les évènements se répètent. La
particularité du génocide des tutsis est qu'il s'agit d'un
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génocide de proximité, perpétré
à l'intérieur du cercle social par des membres de ce cercle. Cela
a eu pour conséquence de briser le lien social qui unissait le peuple
rwandais. A l'heure actuelle, il est essentiel pour les autorités de
traiter en priorité la question du « vivre ensemble » et de la
réconciliation nationale.
Le second concerne la forte croissance démographique.
En 2017, la population comptait de 12 208 000 habitants, c'est-à-dire
près de 498 personnes par km2 (Banque mondiale, 2019). Selon
l'étude prospective des Nations Unies de 2017, la population rwandaise
devrait doubler d'ici 32 ans (variante de fécondité
élevée), d'ici 40 ans (variante de fécondité
moyenne) et d'ici 42 ans (variante de fécondité faible).
Cependant les progrès effectués restent considérables. En
1994, le taux de fécondité est de 6 enfants par femme, et en 2016
de 4 enfants par femme, il y a donc eu une baisse du taux de
fécondité de 38,57% en l'espace de 22 ans (BM, 2019). Mais comme
en Côte d'ivoire, il s'agit d'une population jeune : les moins de 25 ans
représentent 60,45% de la population totale. Au cours de ces
dernières années, la pression démographique a
été un facteur déclencheur de conflits dans plusieurs pays
africains, la rareté des ressources intensifiant la concurrence et
exacerbant les tensions entre ethnies, religions et régions. Le clivage
intergénérationnel s'est également accentué lorsque
les jeunes ont compris les limites de la gérontocratie, à savoir
la préemption des biens du pays et des postes de pouvoir par une part de
la population vieillissante et plus en accord avec l'essentiel de la
population.
Le troisième défi est lié à la
qualité de l'éducation nationale. Les autorités ont
fortement encouragé la scolarisation, et le taux de
diplômés est en augmentation. Malheureusement, l'éducation
offerte n'est pas de bonne qualité. Beaucoup d'universitaires ne
trouvent pas d'emploi, soit parce qu'ils n'ont pas les compétences
requises soit parce que le marché de l'emploi n'est pas adapté
à l'offre croissante de main-d'oeuvre qualifiée. En 2017, le taux
de chômage représentait 17,36% de la force de travail (BM, 2019).
En parallèle, la dernière évaluation
intégrée des conditions de vie des ménages pour la
période 2016/17 révèle que le taux de pauvreté est
de 38,2%, dont 16% de pauvreté extrême, et le coefficient de Gini
est de 0.429. Il n'y a pas eu de changement significatif par rapport à
l'évaluation précédente comme ce fut le cas entre 2010/11
et 2013/14.
L'avant-dernier défi est relatif à la
ruralité de la société rwandaise. En effet, 80 % de la
population vit de l'agriculture. Cependant, le foncier est en tension car il
est de plus en
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plus difficile de trouver des terres arables disponibles.
Couplé à l'augmentation de la population, cela déclenche
une recrudescence des conflits fonciers. En 2005, les autorités ont
promulgué un ensemble de lois foncières dans le but de
sécuriser la propriété et de faciliter les transactions
foncières. Cette formalisation est à double tranchant, car la
titrisation des terres, l'absence de reconnaissance des parcelles dont la
taille est inférieure à un hectare et le manque de restriction
concernant la taille maximale favorisent les gros investisseurs en augmentant
leurs pouvoirs de négociation. Cela fragilise dans le même temps
la position des petits exploitants. Dans le pire des cas, cela pourrait
encourager l'accaparement des terres. En 2007, les autorités lancent un
nouveau programme d'intensification de la production agricole pour assurer la
sécurité alimentaire et atteindre l'autosuffisance alimentaire.
Le programme d'intensification agricole, qui promeut la monoculture, identifie
six cultures prioritaires orientées vers le marché international
et à haute valeur ajoutée.
Le dernier défi porte sur le régime politique et
ses carences démocratiques. Au pouvoir depuis 2000, le président
Kagame a été élu en 2017 pour un 3ème
mandat grâce à la modification de la Constitution. Bien que se
revendiquant démocratique, le Rwanda s'apparente à un
régime autoritaire. Le caractère démocratique des
élections a été remis en cause à plusieurs reprises
étant donné les résultats surprenants : depuis
l'instauration des élections, le président et son parti ont
été élus avec plus de 90% des voix.
La démocratie, comme projet sans cesse à
construire, implique la liberté d'opinion, le respect des droits des
minorités, la confrontation pacifique des intérêts, la
liberté d'organisation, l'État de droit, la responsabilité
des gouvernants, etc. Cela suppose pouvoirs et contre-pouvoirs et donc un
espace libre, celui d'une société civile forte,
indépendante du pouvoir de l'État et de celui de
l'économie (de l'argent). Ce qui n'est actuellement pas le cas selon
plusieurs défenseurs des droits humains. En effet, les autorités
politiques ne tolèrent que très peu les critiques qui peuvent
émaner des acteurs de la société civile. Les
libertés d'expression, de presse et d'association sont très
contrôlées et de fait limité. Le FPR fait régner un
climat de peur et de surveillance qui empêche les citoyens de critiquer
ouvertement les politiques mises en place par peur de représailles.
(Swinnen, 2019)
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Le principal argument du FPR pour justifier sa politique
autoritaire est la lutte contre le divisionnisme et l'idéologie
génocidaire (Front Line Rwanda [FLR], 2005). Les citoyens évitent
donc généralement la critique du pouvoir par peur de tomber dans
ce que le gouvernement pourrait qualifier de divisionnisme ou
d'idéologisme ethnique, d'où l'importance de s'en tenir au
discours public (Front Line Rwanda, 2005). Depuis plusieurs années, nous
assistons à la personnification du FPR sous les traits de Paul Kagame.
La concentration du pouvoir décisionnel entre les mains de
l'Exécutif, qui, selon les cas, se confond avec la Présidence,
aboutit souvent au ballottage de l'opposition, mais aussi au
ballottage des pouvoirs législatifs et judiciaires,
garants de gouvernance démocratique. Malgré les critiques, le
président Kagame est considéré par la plupart des Rwandais
comme un héros national, car il a su redresser le pays après
évènements de 1994. Dans la plupart des imaginaires, il est le
seul capable de gérer correctement le pays ce qui justifie certaines
dérives de son gouvernement. Les discours du FPR peuvent être
assimilés à ceux des régimes autoritaires asiatiques
puisqu'on y retrouve l'idée que : «la spécificité
multiethnique, les risques de division et l'incertitude économique du
monde sont autant de menaces potentielles qui justifient le pouvoir fort d'un
État paternaliste puissamment structuré, à l'opposé
du pluralisme politique ».
Jusqu'en 2012, le gouvernement encourage la bonne gouvernance
à travers le maintien de la paix et de la sécurité, la
réforme des systèmes judiciaires, fiscaux et financiers, la
décentralisation, mais aussi la promotion des libertés
d'expression et d'association. Ainsi, les autorités accordent de
l'importance aux actions des OSC et cherchent à les intégrer dans
la stratégie gouvernementale en renforçant leurs
compétences et capacités, et en promouvant un cadre légal
propice à leurs finalités .Depuis 2013 la vision du gouvernement
et des OSC est globalement que la gouvernance doit être
améliorée «en favorisant la participation et la mobilisation
des citoyens pour la prestation du développement, en renforçant
la responsabilité publique et en améliorant la prestation de
services». La responsabilité publique fait référence
d'une part au rôle de monitoring des politiques gouvernementales, des
citoyens, des communautés et des parties prenantes (OSC et bailleurs de
fonds), et d'autre part à la responsabilité vers le bas des
représentants élus (Swinnen,2019).
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En 2017, le plan septennal du gouvernement présente la
bonne gouvernance comme la prestation de services et le renforcement de la
participation des citoyens et des OSC via les mécanismes de
décentralisation. Un des objectifs est la création d'un
partenariat durable entre le secteur public, le secteur privé, les OSC
et les autorités afin d'accélérer le développement.
Pour atteindre leurs objectifs, les autorités prônent une
coordination à tous les niveaux, c'est-à-dire une coordination
horizontale entre les divers organes du pouvoir et une coordination verticale
entre les citoyens et les autorités ainsi qu'entre les OSC et les
autorités. Cette coordination passe principalement par une politique de
décentralisation initiée en 2005 dont l'objectif est de faciliter
l'implémentation des politiques nationales aux échelons locaux.
Les autorités préconisent également une coordination avec
les acteurs extérieurs en exigeant une harmonisation et un alignement
des bailleurs de fonds et des ONG internationales avec les priorités
nationales. Depuis l'arrivée au pouvoir du FPR, la politique
gouvernementale se focalise progressivement sur l'aspect économique de
la société. À titre d'exemple, en 2009, le Rwanda occupait
la 143èmeplace du classement Doing Business de la Banque mondiale,
aujourd'hui il occupe la 29èmeplace (BM, 2018). Dans les documents
stratégiques, cela se traduit par l'emploi d'un vocabulaire
entrepreneurial tandis que le vocabulaire en lien avec les libertés
n'apparaît plus.
« Pour le gouvernement rwandais, il ne s'agit plus de
faire de l'humanitaire, mais du développement. » (Swinnen,2019).
Dès lors, il y a un transfert de la société civile vers le
secteur privé. La société civile qui, pendant les
années précédentes, était le partenaire
privilégié des autorités est remplacée au profit du
secteur privé. Les OSC se trouvent donc concurrencées par un
secteur privé fortement soutenu par l'État. Pour les OSC, cette
stratégie de coordination se traduit, dans un premier temps, par la
formalisation et la professionnalisation, et par la suite par l'insertion des
OSC dans les stratégies du gouvernement. Ces transformations se sont
principalement opérées à travers l'adoption de lois et le
renforcement de structures étatiques responsables de la
société civile. Dès lors, les OSC sont perçues
comme un partenaire privilégié du gouvernement qui l'aide
à réaliser ses objectifs de développement local. Par
exemple, lorsque le gouvernement a mis en place le programme « une vache
par famille pauvre », ce sont des organisations de la
société civile qui l'ont mis en oeuvre. Les OSC doivent aussi
faire le monitoring des politiques gouvernementales et encourager la
participation des citoyens dans les
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décisions politiques locales. Aux niveaux locaux et
sectoriels, les OSC doivent aligner leurs actions avec les priorités des
Plans de Développement.
Dans le cadre de la formalisation et la professionnalisation
des OSC, divers structures et organes créées. La Rwanda Civil
Society Platform, les contrats de performance et les Joint Action Development
Fora ont été instaurés avant 2010, mais la participation
à ceux-ci a été fortement encouragée après.
En revanche, le Rwanda Governance Board est un organe créé en
2011.
En 2004, les autorités créent la Rwanda Civil
Society Platform (RCSP) pour soutenir, promouvoir et contrôler les
actions gouvernementales au sein de la société civile ainsi que
pour administrer les relations entre les collectifs et le gouvernement
(Swinnen,2019). Les collectifs sont des groupes de coordination qui regroupent
les organisations d'un même domaine. La RSCP, composée de 15
collectifs, gère les OSC de manière décentralisée
à travers le pays. De cette façon, les actions locales
s'inscrivent dans un programme national. Les acteurs de la
société civile rwandaise peuvent être classés en 4
niveaux : les groupes d'initiatives locales (coopératives, groupes de
jeunes, syndicats...), les ONG internationales et les organisations
basés sur la foi, les collectifs et la RCSP. Certaines organisations
dénoncent « une surveillance » exercée par la RSCP, car
ils y voient un moyen supplémentaire des autorités limiter
l'action de certaines OSC, agissant notamment sur les thématiques de
justice sociale et d'alternance démocratique. Cet avis n'est pourtant
pas partagé par tout le monde. Il serait réducteur de dire que
les collectifs servent uniquement de mécanismes de contrôle car
des OSC travaillent étroitement avec les autorités. Par exemple,
c'est de notoriété publique que l'ONG Pro-femme est proche du
pouvoir, mais cela ne l'empêche pas de produire de très bons
résultats, au contraire. Selon certains acteurs, la RSCP augmente la
force du plaidoyer puisqu'elle facilite l'accès à l'information
et la diffusion d'un message.
Les contrats de performance sont mis en place à partir
de 2006. Le contrat de performance (Imihigoen kinyarwanda) a pour but de
consolider le système de planification, le suivi et l'évaluation
des résultats prévus par les Plans de développement
à tous les niveaux de pouvoir à travers une démarche
participative. Dès que le contrat est signé par le
président, il est intégré dans les priorités des
entités décentralisées (du village au District). Ce
contrat est applicable aux hôpitaux, aux centres de santé, aux
écoles et aux
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ménages. À titre d'exemple, lorsqu'il a
été décidé que chaque ménage devait avoir
une mutuelle, des contrats de performance ont été mis en place au
niveau de la cellule familiale. À la fin de chaque année, le
contrat de performance est évalué via un formulaire. De plus,
certaines organisations sont sélectionnées pour des entrevues
complémentaires avec des représentants du gouvernement, des
membres de la société civile, des partenaires de
développement, et des spécialistes. Cependant, loin de
dépendre du hasard, ces entretiens complémentaires peuvent
être un moyen supplémentaire pour approcher les organisations
« qui dérangent » et les écarter. La mise en place de
ces contrats pose plusieurs problèmes. Tout d'abord, il faut souligner
la pression exercée sur le District pour que les résultats soient
atteints, car s'ils ne le sont pas, les membres du District sont démis
de leurs fonctions. De plus, au niveau local, « la responsabilité
vers le bas est très importante ». Par exemple, si un citoyen
dénonce une personne de l'administration locale pour corruption,
mauvaise gestion ou autre, elle sera quasi immédiatement démise
de ces fonctions si l'accusation est avérée. La pression
exercée sur l'administration locale est double : elle vient des
autorités et de la population. Pour avoir de bons résultats, les
Districts appliquent les objectifs de manière rigide sans tenir compte
des possibles effets néfastes ou pire, falsifient les résultats
(Swinnen,2019).
Pour lutter contre la falsification des résultats, les
autorités ont pris de nouvelles mesures plus strictes. Celles-ci
risquent d'accentuer les pressions exercées sur les autorités
locales. Ensuite, nous pouvons souligner la mise en place d'objectifs parfois
« irréalistes » et non adaptés au contexte local et de
politiques qui ne tiennent pas compte des besoins locaux. Dès lors, ces
contrats peuvent être perçus comme un autre moyen de surveiller et
contrôler ce qu'il se passe à l'échelle locale puisque les
résultats sont évalués à tous les niveaux
administratifs. Et pour finir, cette course aux résultats a un impact
sur l'exercice des OSC. Il arrive que les Districts octroient des fonds aux OSC
« bien cotées » pour qu'elles s'installent dans leur District,
et ce même si l'offre de ces ONG n'est pas en adéquation avec les
besoins du District. Nous pouvons également assister au «
parachutage » de nouvelles ONG créées uniquement pour
répondre à un besoin identifié par les autorités et
la disparition tout aussi soudaine de celles-ci. En outre, les contrats de
performance exigent des résultats « tangibles » et
quantifiable ce qui n'est pas toujours possible sur un délai «
post-projet » court.
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En 2007 apparaissent les Joint Action Development Fora (JADF).
Ces plateformes ont pour mission de garantir le développement
socio-économique et la qualité des prestations de services.
Celles-ci sont chargées de la communication entre le gouvernement, la
société civile et le secteur privé. Les OSC ont des
obligations envers le JADF puisqu'elles sont tenues d'y participer ainsi qu'aux
plans de développement districtuels et sectoriels et aux contrats de
performance annuels. La participation à la plateforme JADF, aux plans de
développement locaux et aux contrats de performance peut modifier
complètement les activités des OSC selon la façon dont
elles sont perçues par les autorités locales (une
opportunité ou une obligation). Dans le cas des ONG internationale,
cette participation, bien que non obligatoire légalement peut être
une condition sine qua non à l'obtention de la lettre de
recommandation, nécessaire à l'enregistrement et à la
reconnaissance de l'organisation (Swinnen,2019).
En 2011, le Rwanda Governance Board (RGB) est
créé. Il se définit comme un organe étatique
indépendant dont la principale préoccupation est la bonne
gouvernance. Cette position indépendante est critiquée puisque
selon certaines sources, le RGB et les autorités entretiennent une
étroite collaboration. Au fil des modifications législatives, le
rôle du RGB au sein de la société civile rwandaise prend de
l'ampleur. Peu après la mise en place du RGB, des nouvelles lois sur
l'organisation et le fonctionnement des ONG et ONG internationales sont
publiées et la loi relative aux associations sans but lucratif. Cela
conduit à la disparition du statut d'association. Depuis, le
gouvernement ne reconnaît que trois acteurs principaux de la
société civile à savoir les organisations basées
sur la foi (OBF) et les ONG nationales et internationales. Ces mesures semblent
avoir été prise pour, d'une part, limiter et freiner la
multiplication des OSC, et d'autre part, pour augmenter l'effectivité de
celles-ci. La restructuration du milieu associatif était
nécessaire et cela a permis un meilleur contrôle. Lors d'une
discussion, nous avons appris que la disparition de certaines associations
était perçue par certains acteurs comme une autre
stratégie des autorités pour limiter l'autonomie des
organisations en leur imposant de nouvelles contraintes administratives. Le RGB
est chargé d'enregistrer les OSC et de leur accorder une
personnalité juridique. Il s'occupe aussi du suivi et de
l'évaluation de la société civile rwandaise. Tandis que le
gouvernement le considère comme un partenaire privilégié
de la société civile rwandaise, plusieurs chercheurs et acteurs
dénoncent la mainmise qu'il a sur les OSC puisqu'il est établi
que le RGB peut demander
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des explications relatives à la gouvernance, à
la performance et à la prestation de services des institutions publiques
et privées et éventuellement les sanctionner administrativement.
Cela peut aller de l'avertissement à la suspension du droit d'exercer
(Swinnen,2019).
Depuis 2013, les JADF sont coordonnés par le RGB
(Décret ministériel n° 004/03 du 27/12/2013, 2013). Et
depuis2016, le RGB est responsable de l'enregistrement et du suivi des
activités des ONG internationale qui jusque-là dépendaient
de la direction générale de l'immigration et de
l'émigration (Loi n°05/2012 du 17/02/2012). En 2018, la loi portant
sur l'organisation et le fonctionnement des Organisations basées sur la
foi est abrogée par la loi n°72/18. Une nouvelle loi concernant les
ONG et les collectifs est en train d'être formulée en
collaboration avec la RSCP et d'autres organisations. Entre la première
version et la seconde, le référencement aux lois internationales
de défense des libertés a été supprimé. Dans
ce projet de loi, le RGB peut imposer des conditions supplémentaires
pour l'octroi de la personnalité juridique et pour les conditions
d'enregistrements des organisations si elle le juge nécessaire. En
fonction du type d'organisation, un certificat de collaboration ou des lettres
de recommandation du District seront demandés. Bref, l'augmentation de
conditions concernant la création et le fonctionnement des organisations
nationales (ONG, collectifs, syndicats, fondations...) réduit le champ
de définition et d'action de ces organisations. Ces nouvelles
restrictions sont une façon d'évincer les OSC qui posent un
problème à l'élite politique et économique au
pouvoir. De manière générale, les initiatives telles que
la RSCP, les contrats de performance, les JADF peuvent améliorer
l'action des OSC. Cependant, il faut s'interroger sur les réels
objectifs de ces initiatives : Est-ce qu'il s'agit de lutter contre la
corruption et l'inefficacité ? Ou est-ce qu'il s'agit de contrôler
et d'instrumentaliser les OSC ? Il faut aussi se demander : Quelle est la
limite entre coordination et contrôle ? De plus, à partir du
moment où il est impossible de sortir du cadre imposé, il y a un
problème d'atteinte aux libertés.
Les relations entre le Rwanda et les pays occidentaux sont
parfois tendus. Des critiques surgissent quant à la façon dont le
pays est gouverné par le président Kagame et son parti politique,
mais aussi sur les relations avec ses pays limitrophes. Lorsqu'il s'agit de
répondre aux critiques, nous remarquons que les autorités
rwandaises utilisent trois
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types d'arguments : la position de la communauté
internationale lors du génocide, la situation particulière
rwandaise et la vision anticolonialiste.
Avec son premier argument, le FPR accuse certains pays d'avoir
participé au génocide du fait de l'absence d'intervention de la
communauté internationale malgré les appels à l'aide. En
ayant recours à cet argument, le FPR joue avec le sentiment de
culpabilité des pays occidentaux. Le second argument fait
référence à l'état de ruine du pays après
1994 et à l'ensemble des progrès réalisés depuis.
Pour Kagame, étant donné le passé lourd, le pays
nécessite des mesures particulières. Grâce à cet
argument, la communauté internationale a tendance à fermer les
yeux sur les abus du FPR. Comme indiqué précédemment les
dérives autoritaires sont souvent acceptées au nom du
progrès économique. De plus, Kagame parle d'une démocratie
adaptée aux particularités rwandaises. En 2017, Kagame s'exprime
: « C'est un principe auquel chacun de nous veut être
associé, du moment que le contexte, l'histoire et la culture d'un pays
le permettent. Mais l'Occident dit à tout le monde de rentrer dans le
moule de la démocratie occidentale ». (Swinnen,2019). Le
troisième argument critique la position paternaliste des pays
occidentaux, voire colonisatrice, vis-à-vis des pays africains ainsi que
son attitude moralisatrice. En 2012, la ministre rwandaise des Affaires
étrangères et de la Coopération a accusé les pays
occidentaux «de se servir de l'aide accordée aux pays pauvres pour
les considérer comme de petits enfants » et a ajouté
qu'« une relation semblable au paternalisme devrait
s'arrêter...». En 2016, Kagame souligne la tendance de certains
États à s'immiscer dans la souveraineté des États
africains : « Certains participants au système international ont
tendance à considérer ce changement comme un défi à
leur leadership historique. Ils continuent à revendiquer le droit de
définir des objectifs et d'imposer des résultats, sans
consultation véritable des personnes concernées. »
(Swinnen,2019).
Bien que le Rwanda et la Côte d'ivoire présentent
des similitudes en matière de développement, la principale
différence réside dans la mise en oeuvre de politiques publiques
en matière de développement. Une politique publique est un
concept de science politique qui désigne les « interventions d'une
autorité investie de puissance publique et de légitimité
gouvernementale sur un domaine spécifique de la société ou
du territoire ».
Le Rwanda, modèle de développement pour une
nouvelle génération de leaders et d'acteurs associatif, s'appuie
sur l'autoritarisme de son Etat, qui loin d'être parfait
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présente au moins l'avantage de permettre la mise en
oeuvre de dynamique vertueuse et observable de développement.
Contrairement au président Ouattara, Paul Kagame semble parvenir
à l'achèvement du processus de réconciliation national
indispensable à la légitimité d'un pouvoir autoritaire,
qui loin d'être exécrer par la plupart des acteurs de la
société civile africaine, peut être plébisciter
à condition qu'il soit vertueux. Par là nous entendons que
l'autoritarisme n'est pas inéluctablement associé au manque
d'alternance démocratique et à la privation des libertés
citoyennes mais bien à la capacité de coercition de l'état
en cas de manquement citoyen à la mise en oeuvre de dynamique vertueuse
de développement.
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