Les conseils de développement entre « empowerment » et démocratie participative( Télécharger le fichier original )par Yannis ALAYA Université Reims Champagne Ardenne - Master Aménagement et Urbanisme 2017 |
4- Diffusion de la notion en France des années 1950 et 1960Si le terme n'apparait que récemment en France, un ensemble de pratiques et d'expériences émanant de différents courants d'idées, comme le christianisme social, les mouvements laïques ou certaines branches du mouvement socialiste, présente beaucoup de similitudes avec les démarches dites d'empowerment. En remontant plus avant dans l'histoire, on pourrait retrouver les traces d'une longue conversation engagée dès la fin du XIX siècle autour des idées de coopération, d'engagement et d'initiative qui, comme aux États Unis, parcourent les mouvements réformateurs français. Au cours des années 1950 et 1960, ces idées se concrétisent sous différentes formes, notamment celle du mouvement dit de l'éducation populaire. Loin de constituer un ensemble unifié, ce dernier a déjà une histoire longue et s'est construit en France sur divers héritages, de celui des Lumières aux réflexions de Condorcet sur l'éducation, à celles de Fourier ou de Proudhon. Après un essor important au cours de la période du Front populaire qui voit se constituer les premières grandes fédérations d'éducation populaire avec les Centre d'Entrainement aux Méthodes d'Éducation Active (CEMEA) et les Clubs Loisirs Actions Jeunes (CLAJ), il connaît une nouvelle étape de structuration à la Libération : de nouvelles associations comme Peuple et culture, Travail et culture ou la Fédération Léo Lagrange voient le jour alors que se met en place une politique nationale de la jeunesse. De nombreuses définitions de l'éducation populaire ont été proposées témoignant la diversité et les tensions interne formant cette notion. Portant une idée d'éducation du peuple ou d'une éducation du peuple ou d'une éducation populaire porteuse d'une culture émancipatrice alternative. Pour autant, dans cette période tout au moins, les associations d'éducation populaire partagent une certaine volonté d'indépendance par rapport à l'État. Elles développent des méthodes d'apprentissage fondées sur l'échange et l'autonomie en s'inspirant des méthodes d'éducation active. 24 Wong, 2003 25 Banque mondiale, 2001, p. 46 26 Banque mondiale, 2001, p. 133 26 Reposant essentiellement sur une implication militante et non professionnelle, elles s'adressent à un public « populaire ». Enfin, elles défendent des valeurs démocratiques et égalitaires issues de la période de la Résistance et développées dans des optiques et à partir d'expérience très diverses. De ces différents points de vue, elles s'inscrivent bien dans une perspective émancipatrice, à la fois individuelle et politique, proche de certaines visions radicales de l'empowerment qui s'affirmeront plus tard au États Unis. La philosophie du mouvement Agir Tous pour la Dignité (ATD)-Quart monde, crée en 1957 par le prêtre catholique français Joseph Wresinski, converge également avec les démarches d'empowerment qui émergent aux États Unis dans les mouvements des femmes battues au cours des années 1960 puis dans le travail social. Joseph Wresinski est parmi les premiers à avoir considéré la pauvreté comme une négation des droits fondamentaux et à avoir défendu que les pauvres, grâce au savoir de l'expérience, sont les mieux placés pour éradiquer la misère. Issu d'un milieu très pauvre, il a lui-même connu la misère. Devenu prêtre, il est envoyé dans le bidonville de Noisy-le-Grand en 1957, une de ses premières initiatives est d'en faire sortir les oeuvres caritatives (la soupe populaire notamment), qui selon lui enfoncent les pauvres dans l'indignité. Il y engage des activités collectives et la création de services communs, comme une bibliothéque ou un jardin d'enfants. La responsabilité des individus, se double de la reconnaissance des capacités et des savoirs des personnes vivant dans la misère, est au centre de sa démarche, articulant une réflexion sur le savoir, le pouvoir et l'émancipation : « Être responsable, pour vous , ce sera d'abord continuer à vous former, à vous instruire, à vous regrouper, pour réfléchir sur votre condition, pour exiger une école adaptée à vos enfants, un travail qui vous rende indépendants et qui garantisse aux vôtres une vie décente. E...] Être responsable, c'est aussi rejoindre les associations familiales, les associations de parents d'élèves, les comités de locataires, les syndicats, les partis politiques. »27 Dans la même lancé, il engage des expériences de co-formation réunissant des personnes vivant dans la pauvreté, des professionnels et des universitaires, qui déboucheront en 1972 sur la création de l'Université populaire Quart Monde, laquelle se constituera ensuite en réseau international. Elle se caractérise par une dimension humaniste : le coeur du projet est la destruction de la misère et non sa gestion. L'exemple de l'université populaire est suivi par de nombreuse autre école de pensée et expériences de mouvements sociaux caractérisant l'émergence de l'empowerment outre Atlantique. L'évènement majeur qui a marqué tous les esprits et a permis une relance de la pensée émancipatrice a été le raz-de-marée qu'ont été les mouvements populaires de 1968. 27 Joseph WRESINSKI, « Appel à la solidarité », Fête de la solidarité 17 novembre 1977(consultable sur www.quartmonde.fr). 27 De nombreux chercheurs ont écrit sur le changement de la vie politique et sociale, suite à 1968, comme Michel Foucault, Jacques Donzelot28, Robert Castel29, Ivan Illich30, Alexander Neill31 complétant les écrits en la matière. La politique de la ville des années 1980 et 1990 Amorcée à la fin des années 1970 et véritablement engagée au cours des années 1980, cette politique est en effet inspirée pour partie par l'expérience des Model Cities32 aux États-Unis, mais elle est aussi soutenue par des valeurs émanant de la gauche autogestionnaire et des réflexions tiers-mondistes sur le développement local. Lancé en 1982 sur une vingtaine de sites expérimentaux, baptisés « îlots sensibles » s'organisent sur des premières expériences et les cadrages politique et théorique couplé à des feux de contestation urbaines des années 70, comme les groupes d'action municipal (GAM) ou les ateliers publics d'urbanisme. Le rapport Dubedout, qui en trace les grandes orientations en 1983, évoque un scénario d'auto développement des quartiers, vus comme « lieux de conflits mais aussi de solidarité, lieux de pauvreté matérielle, mais aussi lieux du foisonnement de cultures populaires, lieux de différences, mais aussi de métissage, lieux du rejet, mais aussi d'insertion sociale ». Mis en oeuvre dans une période d'affaiblissement des formes traditionnelles de structuration du monde ouvrier, elle reste une politique conduite et décidée « par le haut », avant tout initiée par des professionnels. Marie-Hélène Bacqué parle d'un « rendez-vous manqué entre la gauche et les habitants des quartiers populaires en raison de l'évolution même de la politique de la ville, qui rétrécit rapidement le terrain du changement social à celui de la modernisation de l'action publique et diminue ainsi sa portée politique ». Il est constaté durant les années 1990, le projet de moderniser l'État et les collectivités territoriales au coeur de la politique de la ville. On voit naitre le projet de décentralisation à destination des collectivités territoriales et un projet d'intégration européenne, qui impose une mutation de l'organisation des services publics à destination d'un État central et l'abondant des efforts alloués au politique local pour intégrer davantage les habitants dans l'écriture des projets. « Ce rendez-vous manqué » autant comme résultat de généraliser un mode de gestion spécifique des quartiers pauvres et à en faire une politique de la ville s'appliquant plus largement aux territoires en difficulté. Les quartiers difficiles deviennent des quartiers d'exclusion créant le stéréotype de « zone » concentrant des handicaps. 28 La Police des familles, 1977 29 L'ordre psychiatrique,1977 30 Une société sans école,1971 31 Libres Enfants de Summerhill,1960 32 Programme à destination des habitants afin de s'élever socialement 28 À travers cette première partie nous avons pu dresser un portrait de ce que représente la notion d'empowerment à l'échelle internationale et à une échelle nationale telle que la France. Les écrits de Marc Zimmerman, Mary Parker Follett, Marie Hélène Bacqué, Carole Biewener et Deepa Narayan Parker nous montrent la richesse de terme et de courant de pensée qu'a pu représenter la définition à travers les lieux, les époques et les disciplines. La représentation d'une notion qui reste en perpétuel changement et aux fonctionnements singuliers. Cette fois-ci en mettant le focus sur la seconde notion qu'est la démocratie participative souvent rapprocher de l'empowerment mais aussi, source de désaccords. Comme nous avons pu le voir à travers l'intervention d'Yves Sintomer, Professeur de science politique à l'antenne de France inter en septembre 2014, en réponse à la question « la démocratie participative peut faire partie de l'empowerment ? ». Il dit que celle-ci « peut en faire partie, tout dépend de la définition que nous faisons de la démocratie participative [...]. Si cette définition comprend une consultation plus ou moins dynamique des citoyens, dans ce cas ce n'est pas de l'empowerment. Pour que ce soit de l'empowerment, il doit y avoir don d'un pouvoir d'agir ou bien faciliter, ce pouvoir d'agir aux populations de la société civile. ». Cette définition que fait Yves Sintomer correspond tout à fait aux possibles représentations partielles que représente également la notion de démocratie dite « participative » prônant une démocratie avec plus d'implication des citoyens en contradiction à une démocratie pas assez à l'écoute des citoyens. On compte de nombreux degrés de la participation, on parle de démocratie représentative, démocratie directe, démocratie participative et délibérative. Chacune de ces démocraties s'organise autour d'un niveau d'échelle de participation différent. La démocratie directe et la démocratie représentative s'opposent par la place qu'occupe le peuple dans le pouvoir législatif. La démocratie directe participe activement et directement dans les décisions politiques contrairement à la démocratie représentative où les citoyens élisent des représentants qui ont mandat d'exercer le pouvoir en leur nom et en leur place pour une durée limitée. La démocratie participative s'organise autour de l'ensemble des dispositifs et des procédures qui permettent d'augmenter l'implication des citoyens dans la vie politique et d'accroître leur rôle dans la prise de décision La démocratie participative affirme que la prise de décision ne doit pas être réservée aux seuls élus et experts. Dans la même idée la démocratie délibérative, suppose qu'une décision politique n'est légitime que si elle résulte d'un débat public qui a confronté librement les différents points de vue et a permis de dégager un relatif consensus. Où les décisions doivent être prise par la délibération. La démocratie directe et représentative comporte chacune leur limite et il me semble plus dans l'actualité d'analyser le modèle actuellement en place, qui est celui-ci se rapprochant de la démocratie participative. 29 |
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