VIII- DISCUSSION :
L'objectif de ce travail de recherche était de tester
si les différences liées à l'âge sur le plan
cognitif variaient en fonction du niveau de l'habileté créative
des personnes. Pour cela, 85 participants de 18 à 93 ans ont
participé à cette étude, âgés en moyenne de
44 ans. Chaque participant était évalué selon
différentes mesures cognitives (mémoire de travail, raisonnement,
vocabulaire et vitesse de traitement). La créativité a
été évalué à l'aide des épreuves de
créativité les plus courantes qui sont les tests de pensée
divergente et les épreuves d'insight.
Les résultats ont répliqué les effets de
l'âge sur la cognition observé dans la littérature. En
effet, une corrélation entre l'âge et les performances aux
différents tests cognitifs a été observée. Avec
l'avancée en âge, est observé un déclin des
fonctions cognitives sur les mesures de raisonnement, de vitesse de traitement,
de mémoire de travail. En revanche une corrélation entre
l'âge et le vocabulaire est significative positivement. Ce qui signifie
que les performances augmentent concernant le vocabulaire et les connaissances
en fonction de l'âge des participants. Les plus âgées
présentaient de meilleurs résultats que les plus jeunes. Ces
résultats rejoignent les résultats de l'étude de Horn et
Cattell (1967) qui ont comparé les performances de 297 sujets
d'âges variés et ont mis en évidence des performances
supérieures chez les adultes les plus âgés par rapport aux
plus jeunes, concernant les connaissances générales.
L'hypothèse selon laquelle il existerait une
corrélation entre créativité et mesures cognitives est
validée en partie concernant les tests cognitifs non verbaux. En effet,
une corrélation positive entre la fluidité, l'originalité,
le score total de la pensée divergente et la vitesse de traitement et le
raisonnement a été observé. Concernant les tests cognitifs
verbaux, un effet tendanciel a été observé entre la
fluidité et la mémoire de travail. Ces résultats
amènent à penser que la créativité a un effet
positif sur les fonctions cognitives. Les personnes qui ont des
habilités créatives plus prononcées sont davantage
stimulées cognitivement dans un même contexte que celles
manifestant une moindre propension à utiliser ce style de pensée
dit « divergent ». Les habiletés créatives stimulent
donc les fonctions cognitives, les personnes créatives présentent
une plus grande vitesse de traitement, de meilleures capacités de
raisonnement.
30
De plus, un effet significatif a été
observé concernant l'insight et le vocabulaire. Ce
résultat confirment, en partie, ceux de l'étude de De Young et
ses collaborateurs (2008) qui a démontré que l'insight
était significativement corrélés avec l'ensemble des
variables cognitives (analytique, vocabulaire, mémoire de travail). Par
contre, il n'a pas été trouvé de corrélations entre
la flexibilité de la pensée divergente et toutes les mesures
cognitives. Pourtant, dans l'étude de De Young (2008), la
flexibilité de la pensée divergente était
significativement corrélés avec l'ensemble des variables
cognitives (analytique, vocabulaire, mémoire de travail).
Enfin, il n'a été observé aucune
corrélation entre les trois différents indices de la
pensée divergente et l'insight. Alors que dans l'étude
de De Young, la flexibilité et la fluidité était
corrélés à l'insight. Cependant, son étude
regroupait des étudiants de 17 à 30 ans alors que cette recherche
regroupe des participants de 18 à 93 ans dont la plupart ne sont plus
étudiants. Cette variabilité au niveau de l'âge peut
expliquer ces résultats qui diffèrent d'une recherche à
une autre.
L'hypothèse selon laquelle il existerait des
différences liées à l'âge sur le plan cognitif plus
marquée chez les personnes manifestant les plus hauts scores de
créativité, est validée en partie concernant le test
vocabulaire. Des effets de l'âge sur le vocabulaire ont été
observés qui variaient en fonction du niveau de l'habileté
créative des personnes à savoir que l'avantage des
âgés par rapport aux jeunes sur des tâches de vocabulaire
est plus important chez les personnes manifestant de fortes habiletés
créatives. Par contre, il n'a été observé aucune
interaction pour la fluidité, la flexibilité et
l'originalité et les autres mesures cognitives ainsi qu'entre
l'âge et l'insight et les différents tests cognitifs.
Que conclure au sujet de tous ses résultats ?
Les connaissances sont le matériel sur lequel les
processus cognitifs vont opérer. Il a été explicité
que selon la théorie de Mednick (1960), la créativité est
dépendante de la structure des connaissances des individus et notamment
du lien entre ces connaissances, puisque pour lui les capacités
associatives sont à la source du potentiel créatif. Les
résultats montrent bien, à un âge avancé,
l'importance des capacités associatives des connaissances acquises qui
sont plus flexibles et fluides grâce au potentiel créatif des
personnes. Ce qui amène à la question de l'existence d'un lien
entre la créativité et l'intelligence.
31
Les résultats ont démontré une
corrélation entre la créativité et la cognition (effet
positifs avec le raisonnement, la vitesse de traitement et un effet tendanciel
avec la mémoire de travail) qui nous permet d'avoir une certaine
approche de cette intelligence et de voir une relation entre ses deux concepts.
De plus, il a été observé des différences
cognitives liées à l'âge sur des tâches de
vocabulaire en fonction du niveau de l'habileté créative des
personnes. Il est possible de penser qu'un lien existe donc entre
l'intelligence et la créativité.
La question est de savoir pourquoi il a été
démontré des effets de l'âge sur la cognition (vocabulaire)
qui varient en fonction du niveau de créativité des personnes
mais pas des effets de l'âge sur les autres fonctions cognitives ?
Peut-être parce qu'il a été observé dans les
résultats de cette recherche comme dans la littérature, une
corrélation entre l'âge et le vocabulaire significative
positivement. Les performances augmentent concernant le vocabulaire en fonction
de l'âge des participants. Les plus âgées
présentaient, dans cette étude, de meilleurs résultats que
les plus jeunes. Ainsi, avec l'avancée en âge, les personnes les
plus créatives peuvent plus facilement laisser s'exprimer cette
pensée divergente enrichit de ses connaissances.
De plus, selon Lemaire (2005), les études sur
l'expertise ont permis de montrer qu'il existe une capacité de
réserve cognitive chez les personnes âgées. Cette
capacité peut leurs permettre d'augmenter leur performances cognitives
dans certaines conditions comme lorsqu'elles sont motivées pour obtenir
de bonnes performances. Ce qui expliquerait ce résultat.
Ensuite, la possibilité de travailler sur un
échantillon suffisamment large a facilité la mise en application
des hypothèses. La possibilité d'étudier quatre variables
cognitives différentes a permis d'avoir une vision d'ensemble du
fonctionnement cognitif et donc d'appréhender son aspect
hétérogène.
Cependant, une évaluation complète de la
créativité permettrait une approche plus complète des
différences cognitives liées à l'âge en fonction du
niveau de l'habileté créative de la personne. Le test complet
pourrait montrer des effets de l'âge sur les autres fonctions cognitives.
Pour cela, le test de Torrance intégral comprend une partie «
figurale » en plus de la partie « verbale » Celle-ci utilise
trois images mesurées à l'aide de cinq indices:
originalité, fluidité, rupture de cadre, élaboration,
abstraction des titres.
32
De plus, le test d'insight comprend un test spatial
et de mathématiques avec plusieurs problèmes qui pourraient aussi
être utilisés. Ainsi il pourra être évalué si
les personnes qui déploient plus fortement des habiletés
créatives sur la totalité des tests présentent de
meilleures performances aux différents tests cognitifs. La relation
entre créativité et cognition serait encore plus limpide.
Cette étude peut aussi apporter un complément de
réponse à la question de la préservation du déclin
cognitif. La notion de réserve cognitive mentionnée confirme
l'intérêt d'exercer ses activités créatives afin de
préserver ses habilités cognitives le plus longtemps possible.
Favoriser la créativité, la stimulation cognitive et la
motivation à travers des ateliers d'art-thérapie en
établissement d'hébergement pour personnes âgées
dépendantes (EHPAD) semble être une piste intéressante pour
une prise en charge du vieillissement cognitif pathologique.
33
Références
Amabile, T. M. (1996). Creativity in context. Boulder,
CO: Westview.
Behrer, L., Belleville, S., & Hudon, C. (2004). Le
déclin des fonctions exécutives au cours du vieillissement
normal, dans la maladie d'Alzheimer et dans la démence frontotemporale.
Psychologie et Neuropsychiatrie du vieillissement, 2 (3), pp. 1 -
9.
Bherer, L. (2004). Le vieillissement cognitif: Inévitable?
Psychologie Québec. 21, 25-28.
Bonnardel, N. (2006). Créativité et conception
: approches cognitives et ergonomiques. Marseille : Solal.
Cattell, R. B. (1987). Intelligence: Its structure,
growth, and action. Amstrerdam, North Holland: Elsevier Science
Publishers.
Charlot,V. & Feyereisen, P. (2005). Mémoire
épisodique et déficit d'inhibition au cours du vieillissement
cognitif : un examen de l'hypothèse frontale. L'année
psychologique, 105, pp. 323- 357.
Davidson, J. E., & Sternberg, R. J. (1986). What is insight?
Educational Horizons, 64, 177- 179.
Davidson, J. E. (2003). Insights about insightful problem
solving. In J. E. Davidson & R. J. Sternberg (Eds.), The psychology of
problem solving (pp. 149-175). New York: Cambridge University Press.
DeYoung, C.G., Flanders, J.L. & Peterson, J.B. (2008).
Cognitive Abilities Involved in Insight. Problem Solving: An Individual
Differences Model'. Creativity Research Journal, 20 (3), 278
- 290.
Dow, G. T. & Mayer, R.E. (2004). Teaching students to solve
insight problems: Evidence for domain specificity in creativity training.
Creativity Research Journal, 16, 389- 402.
34
Duncker, K. (1945).On problem-solving. Psychological
Monographs, 58(5, Whole No. 270).
Feldhusen, J. F. (1995). Creativity: A knowledge base,
metacognitive skills, and personality factors. Journal of Creative
Behavior, 29(4), 255-268.
Gelb, M. (1996). Thinking for a change: Discovering the power
to create, communicate and lead. New York : Crown Books.
Grégoire, J (1993). Intelligence et vieillissement au
WAIS-R. Une analyse transversale de l'échantillon d'étalonnage
français avec contrôle du niveau scolaire. L'année
psychologique, 93 (3), 379-400.
Guilford, J. P. (1950). Creativity. American
Psychologist, 5, 444-454.
Horn, J., & Cattell, R. (1967). Age differences in fluid and
crystallized intelligence. Acta psychologica , 26, pp. 107 - 129.
Jopp, D. & Hertzog, C. (2007). Activities, self-referent
memory beliefs, and cognitive performance: Evidence for direct and mediated
relations. Psychology and Aging 22 (4), 811- 825.
Kramer, A. F., Bherer, L., Colcombe, S., Dong, W. &
Greenough, W. T. (2004). Environmental influences on cognitive and brain
plasticity during aging. The Journal of Gerontology. A Biological Sciences
and Medical Sciences, 59(9), M, 940957.
Lauverjat, F., Pennequin, V., & Fontaine, R. (2005).
Vieillissement et raisonnement : ressources et déficits.
L'année psychologique, pp. 225 - 247.
Lemaire, P., Bherer, L., 2005. Style de vie, activités
professionnelles et vieillissement cognitive. In: Lemaire, P., Bherer, L.
(Eds.), Psychologie du vieillissement. Une perspective cognitive. De Boeck
Université, Bruxelles, pp. 259-284.
35
Lubart, T., & Sternberg, R. J. (1995). An investment
approach to creativity: Theory and data. In S. M. Smith, T. B. Ward & R. A.
Finke (Eds.), The creative cognition approach (pp. 271302). Cambridge:
MIT Press.
Lubart, T. (2003). Psychologie de la
créativité. Paris: Armand colin.
Lubart, T., Dubois A. et Borst G. (2006). Structures et
mécanismes sous tendant la créativité, Une revue de la
littérature, ANAE, p. 2- 31.
Mednick, S. A. (1962). The association basis of the creative
process, Psychology Review, 69(3), 220-232.
Park, D.C. & Gutchess, A.H. (2002). Aging, cognition, and
culture: A neuroscientific perspective. A.H. Neuroscience and Biobehavioral
Reviews, 26(7), 859-867.
Pretz, J. E., Naples, A. J. & Sternberg, R. J. (2003).
Recognizing, defining, and representing problems. In J. E. Davidson & R. J.
Sternberg (Ed.), The psychology of problem solving (pp. 3-30). New
York: Cambridge University Press.
Rey, A. (1964). L'examen clinique en psychologie. Paris
: Presse Universitaire de France.
Runco, M. A., & Chand, I. (1995). Cognition and creativity.
Educational Psychology Review, 7, 243-267.
Salthouse, T. A. (2004). Localizing age-related individual
differences in a hierarchical structure. Intelligence, 32, pp.
541-561.
Salthouse, T.A. (2006). Mental exercise and mental aging:
Evaluating the validity of the «Use it or lose it» hypothesis.
Perspectives on Psychological Science 1(1), 68-87.
Salthouse, T. A. (2009). When does age-related cognitive decline
begin. (Elsevier, Éd.) Neurobiology of aging, 30, pp.
507-514.
36
Salthouse, T. A. (2010). Selective review of cognitive aging.
Journal of the International Neuropsychological Society, 16,
754-760.
Schaie, K., & Baltes, P. (1998). Intellectual development
in adulthood. New York: The seattle longitudinal Study.
Schaie, K. (2005). Developmental Influences on Adult
Intelligence: The Seattle Longitudinal Study. Oxford University Press, New
York.
Small, B.J., Dixon, R.A., McArdle, J.J. & Grimm, K.J. (2011).
Do changes in lifestyle engagement moderate cognitive decline in normal aging?
Evidence from the Victoria Longitudinal Study. Neuropsychology,
à paraître.
Soubelet, A. (2009). Le vieillissement cognitif et
l'hypothèse de l'exercice mental révisée. Psychologie
Française, 54, 363-378.
Sternberg (Eds.), The psychology of problem solving (pp.
149-175). New York: Cambridge University Press.
Sternberg, R.J (1985). Beyond IQ: A Triarchic Theory of
Intelligence. New-York, Cambridge University Press.
Torrance, E.P. (1976). Test de pensée
créative. Paris : ECPA.
Torrance, E. P. (1988). The nature of creativity as manifest in
its testing. In R. J. Sternberg (Ed.), The nature of creativity (pp.
43-75). New York: Cambridge University Press.
Villeneuve, S. et Belleville, S. (2010). Cognitive reserve and
neuronal changes associated with aging. Psychologie et Neuropsychiatrie du
Vieillissement, 8(2), 133-140.
Wechsler, D., 1997. Échelle d'Intelligence de Wechsler
pour adultes, third ed. Les Éditions du Centre de psychologie
appliquée, Paris.
37
Weisberg, R. A. (1995). Prolegomena to theories of insight: A
taxonomy of problems. In R. J. Sternberg & J. E. Davidson (Eds.), The
nature of insight (pp. 157-196). Cambridge, MA: MIT Press.
Wiley, J. (1998). Expertise as mental set: The effects of
domain knowledge in creative problem solving. Memory and Cognition, 26(4),
716-730.
Wilson, R.S., Barnes, L. L. et Bennett, D.A. (2002). «
Assessment of lifetime participation in cognitively stimulating activities
». Participation in Cognitive Stimulating Activities and Risk of Incident
Alzheimer Disease. Journal of the American Medical Association,
287(6), 742748.
|