d) La mauvaise qualité institutionnelle
L'une des explications de la malédiction des ressources
naturelles est la mauvaise qualité institutionnelle. Bien que la
malédiction s'observe empiriquement dans les régressions de
croissance sur tout les pays riches en ressources, lorsqu'on prend en compte la
qualité institutionnelle, deux groupes apparaissent : d'un coté,
les pays avec de mauvaises institutions apparaissent victimes de la
malédiction, tandis que de l'autre coté, les pays avec de bonnes
institutions réalisent des performances nettement supérieures
à celles du premier groupe (graphique 1). Mehlum et al. (2006) affirment
donc que la variance dans les performances de croissances entre les pays riches
en ressources est principalement due à la façon dont la rente est
distribuée via l'arrangement institutionnel. Ils distinguent ainsi des
institutions dans lesquelles production et recherche de rentes sont
complémentaires et des institutions ou la faiblesse des lois, le
dysfonctionnement de la bureaucratie, et la corruption occasionnent des gains
avec stratégies d'accaparement. Dans le premier cas les entrepreneurs
sont incités à produire et donc soutenir la croissance tandis que
dans le second cas, ils sont plutôt incités à quitter les
activités productives vers des activités improductives.
Les auteurs construisent alors un modèle
théorique qu'ils testent en utilisant les données de Sachs et
Warner (1997b) et en introduisant un « terme d'interaction »
correspondant à une pondération de l'abondance de ressource par
la qualité des institutions. Ils constatent alors que dans ces
conditions, la malédiction est d'autant plus faible que la
qualité institutionnelle est élevée. Lorsque la
qualité institutionnelle est supérieure au seuil de 0.93, la
malédiction n'opère pas. Ce qui correspond au cas de 15 des 87
pays de l'échantillon.
17
Figure 1 : ressources et
institutions
![](Ressources-non-renouvelables-et-developpement-soutenable-L-or-du-Burkina-est-il-vraiment-une-ben2.png)
Source : H. Mehlum, K. Moene & R. Torvik (2006) «
Institutions and the Resource Curse »,
page 2.
La qualité des institutions est mesurée par une
moyenne non pondérée de cinq indices basés sur des
données de Political Risk Services: un indice des règles de loi,
un indice de qualité de la bureaucratie, un indice de corruption dans le
gouvernement, un indice de risque d'expropriation et un indice sur la
répudiation des contrats par le gouvernement. Malgré les risques
de causalité inverse que les auteurs soulignent dans leur article, il
n'en demeure pas moins que ces résultats viennent remettre en cause la
position de Sachs et Warner (2001). Au sujet des institutions, ces derniers
soutenaient en effet que le manque d'évidences empiriques rend la piste
institutionnelle moins robuste pour expliquer la malédiction.
En outre, d'autres études viennent appuyer
l'hypothèse d'une malédiction par la mauvaise qualité des
institutions. Le succès du Botswana peut bien s'expliquer par ses bonnes
institutions (Acemoglu et al. 2002). Ce pays détient en effet les
meilleurs scores en terme de corruption et réalise depuis 1965, les taux
de croissance les plus élevés au monde malgré une part des
ressources naturelles de l'ordre de 40% du PIB. Lane et Tornell (1996,1999)
expliquent les mauvaises performances du Nigeria, du Venezuela et du Mexique
par un dysfonctionnement des institutions qui conduit à des
comportements d'accaparement.
18
Par ailleurs, Frankel (2012) identifie également
l'anarchie institutionnelle comme facteur explicatif de la malédiction.
Il regroupe sous cette rubrique les théories relatives à
l'exploitation insoutenable des ressources, les droits de
propriétés inapplicables, et les guerres civiles comme
mécanismes par lesquelles la malédiction opère.
La malédiction par l'épuisement rapide de la
ressource concerne surtout les cas ou la gestion anarchique de la ressource
conduit non seulement à son épuisement mais aussi au gaspillage
de la rente. Dans la plupart des cas, ce sont les gouvernements chargés
de la gestion de la ressource qui ont tendance à en extraire à un
taux supérieur à celui du sentier optimale d'extraction (Hartwick
1977, Solow 1986), soit par ce qu'il anticipe qu'ils ne vont plus être
réélu ou par ce qu'ils ont des préférences
très élevées pour le présent. Le manque de
réinvestissement de la rente et de diversification de l'économie
condamne les générations futures à souffrir d'une baisse
de consommation et de bien être. L'exemple de l'épuisement rapide
des gisements de Phosphate de l'ile de Nauru dans le sud du pacifique illustre
bien les effets pervers de l'abondance de ressources. Après avoir
été source de haut revenu, les terres qui abritaient ces
gisements ont été dévastées et l'île est
maintenant dans un état de précarité relative.
La tragédie des biens communs traduit également
des situations ou la faiblesse des droits de propriétés entraine
des situations d'épuisement rapide. L'incapacité de l'Etat
à définir les droits de propriété et à les
sécuriser est alors identifiée comme le principal moteur de la
malédiction. Lorsque la ressource est dispersée sur un vaste
territoire tel que le cas des aires de pêches, des zones de
pâturage ou des aquifères d'eau, une surexploitation collective de
la ressource conduit à son épuisement rapide, accompagné
d'une utilisation non contrôlé de la rente.
Le dernier mécanisme par lequel l'anarchie
institutionnelle explique la malédiction concerne l'apparition de
guerres civiles dans les Etats riches en ressources naturelles. Les analyses
contemporaines des guerres civiles voient dans les ressources naturelles un
déterminant majeur de l'apparition de guerres civiles : « Les
guerres civiles s'expliquent alors par un comportement rationnel des agents,...
(dont) les objectifs sont purement économiques » (Aknin 2009,
p 16). Pour reprendre les propos de Collier (2000, 3), cité dans Aknin
(2009), « les guerres civiles procèdent d'une «
prédation à grande échelle » sur des activités
économiques génératrices de revenus, dans le but de
financer la rébellion ». L'accaparement de la rente
liée aux ressources naturelles devient alors une condition sine qua non
de la survie de la rebellion, d'autant plus, que les ressources naturelles
issues de ces zones
19
de conflits sont « connectées aux marchés
mondiaux » (Aknin 2009). Wick et Bulte (2006) ont pu montrer que dans un
Etat sans ressources, la probabilité d'apparition de guerre civile se
situe autour de 0.5%, tandis que dans un Etat qui tire un quart de son P11B des
ressources naturelles, la probabilité d'apparition de conflit atteint
23%.
|