PARTIE III
EVOLUTION DE LA SOCIETE ET CONSEQUENCES POUR
LES NOUVELLES GENERATIONS
![](La-mise-en-scene-de-la-sexualite-dans-les-spots-publicitaires-alimentaires-Du-cte-de-la-recep51.png)
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La mise en scène de la sexualité dans les spots
publicitaires alimentaires : du côté de la réception -
Villien Perrine
Chapitre 5 : Evolution de la société et
conséquences en termes de publicité
La mise en scène de la sexualité dans les spots
publicitaires alimentaires est à mettre en relation avec le contexte
historique de la France.
En effet, comme nous avons pu le voir dans la première
partie du mémoire, les évolutions sociales - qu'il s'agisse de
l'émergence d'une société de consommation et de loisirs,
des évènements de Mai 68 ou encore de la préoccupation
croissante du SIDA, voire de l'introduction des codes du porno chic dans des
publicités de produits n'appartenant pas au domaine de la haute couture
ou des marques de luxe - influencent les multiples scénarios
publicitaires. L'évolution de la société aurait donc son
rôle à jouer en matière de représentation de la
sexualité dans les publicités. Les pratiques sexuelles des
français influenceraient-elles les publicitaires lors de la
création de leurs spots ? Le cadre fictionnel de la publicité
serait-il un moyen de banaliser cette exposition à outrance des corps ou
des représentations très explicites de sexualité ?
Enfin, si les téléspectateurs sont sensibles
à la mise en scène de la sexualité dans les
publicités - du fait que cette thématique suscite en eux des
émotions fortes et leur permet parfois de s'identifier à des
situations, ou de fantasmer sur celles-ci - ce n'est pas pour autant qu'ils
vont a posteriori, consommer. Alors quand est-il réellement ? Les
téléspectateurs se lasseraient-ils de la sexualité dans
les publicités ? Son utilisation massive n'aurait-elle plus les effets
escomptés ? Les moeurs auraient-ils changé au point de forcer la
publicité à suivre ces modifications ?
A) Une évolution des moeurs ?
La mise en scène de la sexualité dans les spots
publicitaires ne peut être analysée hors contexte. Les
téléspectateurs jugent de l'impact d'une publicité sur
leur consommation en fonction de leur expérience personnelle, de leur
sensibilité, de leur éducation, de leur culture comme nous avons
déjà pu l'expliquer et le réexpliquer. Les rapports
sociaux âge, sexe, profession influent sur la perception de la mise en
scène de la sexualité. D'une génération à
l'autre, bien que les convergences ne soient pas énormes, nous pouvons
en constater
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La mise en scène de la sexualité dans les spots
publicitaires alimentaires : du côté de la réception -
Villien Perrine
quelques-unes. Seraient-elles dues à une
évolution de la société, des moeurs ? Oui, bien
entendu.
Si l'on reprend brièvement l'histoire de la France en
fait de sexualité, sans toutefois se perdre dans la complexité
des pratiques sexuelles des français, que Maryse Jaspard a grandement
analysées et synthétisées, de manière exhaustive
dans « La sexualité en France », on peut toutefois
dégager quelques grandes tendances caractérisant les
évolutions de la société, se reflétant dans la
publicité.
La révolution sexuelle à la veille des
années 70
Dans les années 60, les philosophes se sont
intéressés à la question du rôle de la famille sur
la sexualité des français. Cette notion s'est alors
retrouvée au coeur des discussions. Les mouvements féministes
remettent en cause la place de la femme et notamment la représentation
de la gente féminine dans la publicité, jugée très
sexiste. L'influence américaine vient remettre en question le lien entre
société et sexualité.
« Les signes annonciateurs de la contestation
étudiante se font jour dès 1966, lorsqu'un groupe
d'étudiants « situationnistes » de Strasbourg rédige et
diffuse une brochure intitulée De la misère sexuelle en
milieu étudiant f...] et de quelques moyens pour y remédier.
Un de leur leader, Raoul Vaneigem, dans son Traité de savoir
vivre à l'usage des jeunes générations, prône
une sexualité sans entrave, un « déchaînement du
plaisir sans restriction » [Mossuz-Lavau, 1991]. Sur le campus de
Nanterre, les étudiants se dressent contre le règlement des
cités universitaires en occupant le bâtiment des filles alors
interdit aux garçons. Daniel Cohn-Bendit, leader du mouvement de
contestation frôle l'expulsion après une altercation avec le
ministre de la jeunesse et des sports à propos de la sexualité
des jeunes. Au 3 mai 1968, prologue des « événements »,
la question sexuelle n'est pas prioritaire mais elle explose rapidement au
travers des slogans qui ornent les murs des facultés : «
L'imagination au pouvoir », « Il est interdit d'interdire »,
« Jouissons sans entrave », « Faites l'amour pas la guerre
». Si, dans l'euphorie de l'aventure, certains ont pu mettre en pratique
ces devises, à l'automne, la libération sexuelle n'est encore
qu'un mot d'ordre. Le cataclysme de mai 68 est le prélude aux vastes
mouvements aux multiples facettes, de la décennie 70, pendant lequel la
revendication politique de la libération sexuelle apparaît comme
un thème mobilisateur et rassembleur. »49
49 JASPARD Maryse. La sexualité en France.
Condé-sur-l'Escaut, La Découverte, 1997. 125 p.
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La mise en scène de la sexualité dans les spots
publicitaires alimentaires : du côté de la réception -
Villien Perrine
Mai 68 reste une date clé dans l'histoire de la
publicité. Elle signe une volonté de libération sexuelle
chez les jeunes notamment. Si les français, et particulièrement
les étudiants, sont partisans d'une libération sexuelle, le
traitement de la femme n'est pas en reste. Elle sort progressivement, au
début des années 70, du carcan ménager qui lui collait
à la peau. Les mouvements féministes se développent de
plus en plus, prônant une libération sexuelle de la femme par la
remise en question de sa condition au sein de la famille. La libération
sexuelle qui était un moyen d'émancipation pour la femme devient
un facteur de domination pour l'homme. La publicité s'empare de ces
évolutions. Elle conserve dans ses visuels une image réduite de
la femme. Les militantes féministes s'engagent donc fortement pour
défendre l'image de la femme bien trop souvent réduite, dans la
société comme dans la publicité. Nous pouvons rappeler la
campagne de La City « j'ai envie d'un pull ».50
« Dans les années 70, glissement de terrain. La
femme investit l'univers du travail. Jadis, dans les familles italiennes, on
versait symboliquement, à l'extérieur, le contenu d'une cruche
lorsqu'un garçon naissait, afin de démontrer que son destin se
jouerait dehors ; à l'inverse, l'eau était jetée au sein
du foyer, à la naissance d'une fille. Les années 70 assistent au
chamboulement de ces symboles ancestraux : les femmes sortent du foyer pour
explorer - puis se tailler une place - dans l'espace public, politique et
professionnel où régnaient jusqu'ici tous les hommes. [...]
Surtout la femme acquiert une liberté - et un pouvoir fondamentaux : la
maîtrise de sa fécondité grâce à la loi
Neuwirth de 1967 sur la contraception. Elle peut à présent
affirmer : « Tu seras père si je veux, quand je veux. » Une
vraie révolution, celle-ci, qui va bien au-delà du symbole.
Tout se déroule-t-il alors comme dans le meilleur des
mondes ? La réponse est loin d'être aussi simple. Certes, «
je me gare où je veux, marché, shopping, tout devient facile
», se félicite dans sa Fiat 500, la Nouvelle Femme. Mais le terme
« Nouvelle Femme » est sans nul doute simplificateur. Une certaine
ambivalence continue de prévaloir entre les différents
modèles. Et une période intermédiaire surgit où les
mérites de la femme au foyer persistent à jouer un rôle
essentiel dans l'inconscient collectif, tandis qu'un autre modèle se
fait jour, timidement, à la manière d'une chrysalide, celui d'une
femme indépendante, dont la vie a cessé d'être circonscrite
au seul foyer. »51
50 Partie I, chapitre 1, dernière sous partie.
51 JOANNIS Henri et BARNIER Virginie de. De la
stratégie Marketing à la Création Publicitaire
(3ème édition). Paris : Dunod, 2010. 471 p.
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La mise en scène de la sexualité dans les spots
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L'ambivalence, dont Jean Pierre Teyssier nous fait part, se
traduit dans la publicité. En effet, si l'on constate une
évolution sur le fait que la femme n'est plus assignée à
la maison, son apparition en tant que femme-objet prend de l'importance. Les
parties de son corps sont de plus en plus exposés, qu'ils s'agissent de
publicités alimentaires ou non.
La libération de la sexualité de la femme, son
émancipation dans les années 70 serait-elle uniquement due aux
mouvements contestataires de la société conformiste de cette
époque ? La recherche d'une égalité homme-femme ne
permet-elle pas aux publicitaires de poursuivre l'image machiste des hommes, en
ridiculisant les femmes dans des rôles, qui selon les
stéréotypes, ne leurs sont pas destinés ?
La contraception et l'avortement
Avec la légalisation de la contraception en 1967 (loi
Neuwirth) et la loi Veil autorisant l'avortement des femmes en 1975, on
constate une évolution de la société en termes de
pratiques sexuelles. En effet, comme il l'est très bien expliqué
dans le précédent passage, la femme peut, à partir de
1967, décider si l'homme qu'elle fréquente sera père ou
non. Toutefois si la loi vient suspendre l'article 3 de la loi de 1920 sur
l'interdiction de la contraception, les femmes ont très peu recours
à la contraception : la publicité contraceptive est toujours
interdite et, pour les mineures de 21 ans, la contraception nécessite un
accord des parents. Situation délicate pour les femmes qui revendiquent
leur libération sexuelle. Il faudra attendre 1974, pour observer une
libéralisation de la contraception, notamment grâce à
l'instauration de l'anonymat et de la gratuité pour les mineures.
L'avortement, quant à lui suscite de nombreuses
polémiques. La femme devrait être effectivement plus
libérée sexuellement, la médecine intervenant pour ne pas
tomber enceinte. La femme, jusque-là représentée par son
aspect maternel et son statut d'épouse parfaite, rangée, qui sait
tenir sa maison, devient finalement un objet sexuel permettant de vendre un
autre objet.
L'émancipation volontaire de la femme marquée
par les nombreux mouvements féministes qui tentent de défendre le
statut de la femme est très vite déjouée. En effet, les
enquêtes qui montraient très clairement que l'amour
prévalait sur la sexualité, dans les relations des jeunes
couples, est très rapidement remis en question :
« En cette fin de XXème siècle, les femmes
ayant acquis, par l'élévation de leur niveau d'études
et l'exercice d'une activité salariée, l'indépendance
matérielle, ne voient plus leur
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La mise en scène de la sexualité dans les spots
publicitaires alimentaires : du côté de la réception -
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avenir subordonné au mariage. Le couple se forme sur un
désir réciproque dans une optique égalitaire et le cycle
de la vie sexuelle se joue de l'illégitimité. La chambre des
époux n'est plus le seul lieu autorisé des ébats amoureux.
Toutefois, la sexualité demeure en grande partie conjugale et, si elle
peut s'exprimer sans souci, d'une grossesse non désirée, la venue
de l'enfant, aboutissement de l'union, refroidit l'ardeur amoureuse et restitue
chacun des conjoints dans ces fonctions familiales. »52
La femme réinvestit très vite son rôle de
mère et d'épouse. La publicité le montre parfaitement
bien. Si la libération sexuelle du début des années 70
aurait pu permettre un traitement différent de la femme, celle-ci reste,
bien trop souvent, représentée dans un univers qui traduit
toujours plus son rôle de bonne ménagère, de femme docile
et de bonne mère. Encore aujourd'hui, certains spots alimentaires qui
mettent en scène des enfants, mettent également en scène
une femme. La mère des enfants n'est jamais très loin et montre
la complicité entre les deux générations. Alors que
l'homme, même s'il est de plus en plus investi dans l'éducation
des enfants, demeure assez peu représenté dans les
publicités « familiales ».
1985 : Le Sida
La libération sexuelle a rapidement été
relayée par la préoccupation du sida.
C'est dans un contexte sexuel propice que la première
enquête nationale s'intéressant aux pratiques sexuelles des
français a été réalisée par Pierre Simon.
L'enquête débute en 1969 alors que, cela fait deux ans que la loi
Neuwirth a été votée et, à l'Assemblée
Nationale, on est en pleine discussion, quant à la loi sur
l'interruption volontaire de grossesse.
« Les résultats publiés dans le Rapport
Simon constitue une « photographie des comportements et opinions en
matière de sexualité des français et des françaises
en 1970 » [Simon et al., 1972]. Le Rapport Simon n'a pas eu l'impact des
rapports américains sans aucun doute parce que, publié dans un
contexte où la sexualité se montrait au grand jour avec
exubérance, ces révélations apparaissent bien
mièvres, et les typologies qu'il proposait trop classificatoires.
Néanmoins, quelles qu'en soient les limites, cette enquête demeure
le seul outil de connaissance des comportements sexuels des français
à l'orée de la « révolution
52 JASPARD Maryse. La sexualité en France.
Condé-sur-l'Escaut, La Découverte, 1997. 125 p.
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La mise en scène de la sexualité dans les spots
publicitaires alimentaires : du côté de la réception -
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sexuelle ». Il a fallu que l'épidémie du sida
déclenche ses ravages pour que, à nouveau, la demande publique
s'oriente vers une étude quantitative de la sexualité.
»53
L'évolution de la société dans le domaine
de la sexualité s'inquiète alors du virus. De nombreuses
enquêtes qualitatives, quantitatives de contamination sont ainsi
menées auprès des populations. Certaines ont suivi des individus
sur dix ans. Les publicitaires, comme nous l'avons vu dans le premier chapitre,
s'emparent de ce fait social et le nombre de spots de prévention devient
impressionnant ; on assiste dans la deuxième moitié des
années 80 à une hémorragie publicitaire ayant pour
principal objet le sida. Les publicitaires ont un accès relativement
simple à la mise en scène de la sexualité. Mais attention,
cette utilisation n'est pas à mettre en relation avec les
publicités, alimentaires par exemple, qui usent du contexte
érotique pour vendre une barre Lion.
Non ! Le sexe, dans le contexte de prévention du SIDA
vient servir le message. Il n'est donc pas utilisé gratuitement.
Toutefois, l'acte sexuel mis en scène, et qui ne serait peut-être
pas accepté par les prospects, dans d'autres publicités, n'est-il
pas, lui aussi à soumettre à la question d'éthique ?
Accepterait-on plus facilement de telles représentations
(ci-après) dans ce genre de publicité ? Serait-ce la nature du
message qui définirait ce que l'on peut montrer ou non ?
![](La-mise-en-scene-de-la-sexualite-dans-les-spots-publicitaires-alimentaires-Du-cte-de-la-recep52.png)
Campagne suggestive suisse contre le SIDA - 2002
« Dans ce type de communication, on ne cherche pas
à vendre un produit en utilisant des images accrocheuses, mais à
faire passer un message de santé publique. Pour ce faire, tous les
moyens sont bons et si le visuel peut choquer certains il peut faire
réfléchir d'autres personnes et ainsi, éviter qu'elles ne
soient contaminées. L'éthique est une recherche du bien
53 Ibid.52
91
La mise en scène de la sexualité dans les spots
publicitaires alimentaires : du côté de la réception -
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et du juste lorsque l'on agit dans le cadre de sa profession,
c'est pourquoi le but dans lequel on fait campagne est important. »54
La mise en scène de la sexualité est donc
justifiée quand elle vise à faire de la prévention sur
tout ce qui gravite autour des maladies liées à la
sexualité des individus. « On parle de sexe, mais c'est bien de
ça qu'il s'agit ». Sans s'écarter du sujet revenons-en
à la cible.
L'évolution des moeurs constatée par les
consommateurs
Une fois de plus, les prospects, qu'ils soient hommes, femmes,
âgés de 18/25 ans ou de 35/45 ans, sont quasiment du même
avis sur le fait que les moeurs de la société ont
évolué. Cette évolution influencerait la publicité,
mais pas entièrement. Elle se traduirait, d'après mes
interviewés par une atténuation de la violence dans les couples -
rappelons tout de même que le viol n'est considéré comme
crime que depuis 1980 et qu'il est reconnu dans la sphère familiale
seulement depuis 2001. Mais, la pub n'a pas changé dans ses enjeux, dans
son but : il s'agit bien de séduire les prospects pour les faire
consommer.55 D'autres y voient une banalisation de la
sexualité dans les publicités du fait de la libération
sexuelle et d'une plus grande ouverture d'esprit peut-être. Le sexe
serait rentré dans les moeurs et ne choquerait plus, reste à
savoir comment ce phénomène se traduit au niveau de la
publicité, puis de la consommation.56 Par ailleurs, les
jeunes et notamment les enfants, sont de plus en plus exposés à
la pornographie ou, si ce n'est le cas, à la mise en scène de la
sexualité. Peut-être que les gens sont aussi plus naïfs et
cachent moins les sujets tabous. Il est nécessaire de bousculer, de
provoquer le téléspectateur pour que celui-ci soit davantage
séduit et susceptible de consommer.57
Les moeurs évoluent, les publicités suivent
cette évolution et influent à nouveau la société.
La publicité, et notamment dans les publicités alimentaires,
parie de plus en plus sur des scénarios où les hommes
célibataires sont mis en avant (plats tout faits par exemple) ou alors
des familles monoparentales ou recomposées ; certes, ça ne
pèse pas lourd dans le paysage publicitaire qui, en
général, met en scène des familles idéales et
parfaites.
54 ENDRES William - HUG Christophe. Publicité et
Sexe : Enjeux psychologiques, culturels et éthiques. Juin 2004. 36
p.
55 Référence à l'entretien Cédric
Ravel
56 Référence à l'entretien Chantal Grange
57 Référence à l'entretien Thibaut
Ferraro
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La mise en scène de la sexualité dans les spots
publicitaires alimentaires : du côté de la réception -
Villien Perrine
En matière de sexualité, l'évolution de
la société, la libération sexuelle ne se traduit pas
forcément par une exposition à outrance de la nudité, mais
l'évolution se fait sur le développement de la suggestion plus
que de la représentation même :
« Tu vas prendre la dernière en date celle de
Céréales, c'est du suggestif, y'a pas du visuel réel !
C'est-à-dire que tu n'as pas de visuel comme la bouteille de Perrier qui
gonfle [...] t'as pas d'objet, voilà, on va dire que y'a pas d'objet qui
représente le sexe de la fille ou du garçon [...] donc oui je
pense qu'aujourd'hui on va être plus dans l'érotisation, dans la
sensualité et dans la suggestion plutôt que dans la visualisation
de l'objet. [...] j'pense que oui, la société a
évolué là-dessus. Donc, finalement on détourne.
[...] un produit, un bien de consommation qui aura tendance visuellement
à être suggestif vis-à-vis d'un sexe ou de l'autre et bien,
on ne va pas forcément l'érotiser dans la société
puisque ça risque de rentrer dans la polémique. »58
« Je pense qu'on définissait hommes et femmes par
rapport à des fonctions dans le cadre de la famille, par rapport
à des fonctions dans le cadre de la société, avec un
caractère machiste bien sûr, parce qu'encore une fois, moi j'me
rappelle, ça doit être dix ou quinze ans en arrière, ces
pubs pour les liquides vaisselles, pour les lessives, etc. ... où on
avait toujours la bonne mère de famille, qui lavait bien son linge, qui
l'étendait, qui était bien blanc, son souci était que ses
enfants aient du linge bien propre, bon y'avait tout ça, quand on
montrait ses mains, y'avait toujours une alliance très visible sur ces
doigts, donc on était vraiment dans un cadre où, la famille
ça fonctionnait très bien, c'était bien joli, etc. ...
Aujourd'hui la pub s'est adaptée aussi aux mutations de la
société, c'est-à-dire qu'aujourd'hui, dans les pubs, on
n'sait pas si les gens sont mariés par exemple, parce que
peut-être les unions libres se sont développées, les
familles éclatées, ça s'est développée donc
voilà ! Après est-ce que c'est plus suggestif, plus cochon, plus
sexy entre guillemets, ouais parce que ça suit aussi un mouvement
où aujourd'hui en fait, euh ... et ça on le ressent chez les ados
aujourd'hui, par rapport à y'a dix, quinze ans, j't'assure... c'est
phénoménal où euh ... la fille euh ... c'est un objet
qu'on regarde, donc elle se doit de respecter certains codes de coiffures, de
tenues [...] c'est hyper sensible. Les filles ne sortent pas dehors, si il
pleut parce que ça va mouiller leur cheveux, ça va les faire
friser et elles ont passé une heure avec leur lisseur le matin... donc
euh ... elles n'vont pas se mouiller les cheveux... alors par contre certains
phénomènes qui existaient il y a dix ou quinze ans n'existent
plus. On peut voir une autre influence et quand on dit y'a moins de morale
aujourd'hui, y'a aussi plus d'influence de lobby religieux sur les jeunes.
Aujourd'hui on voit plus de ficelle dépasser des pantalons, on voit plus
de nombril à
58 Entretien Isabelle Torre
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La mise en scène de la sexualité dans les spots
publicitaires alimentaires : du côté de la réception -
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l'air ... par contre, on voit plus de voiles. Aujourd'hui y'a
un retour en force de l'influence de lobby qui est en train de marquer
fortement les esprits chez les jeunes euh ... plus l'influence dans les
médias de certains personnages malsains ... je citerai Dieudonné
et compagnie, qui jouent un rôle très important auprès des
jeunes, qui ont aujourd'hui un manque de repères, manque de
repères familiaux, des fois, complètement largués à
l'école et qui cherchent un modèle à suivre. Donc euh
...faut pas imaginer qu'on soit plus immorale aujourd'hui, j'pense que les ados
entre eux sont capables de parler plus facilement d'actes sexuels qui auraient
choqués leurs parents mais en même temps, y'a aussi des signes qui
montrent que, ne serait-ce que dans leur tenue, ils sont comment dire euh ...
beaucoup moins délurés et en particulier chez les filles qui
à dix, quinze ans il y avait une volonté de montrer le corps qui
est moins présente, plus suggérée aujourd'hui mais
à mon avis surtout, qui plus euh ...comment dire noyauté par des
formes de morales autres que celles de la famille, qui viennent s'exercer,
franchement. »59
La mise en scène de la sexualité a donc
évolué parallèlement à l'évolution de la
société. Les frontières du publicitairement correct sont
repoussées et les codes déontologiques de la publicité,
comme les codes moraux de la société suivent ces modifications.
Cette double influence banalise la mise en scène de la sexualité.
La publicité cherche à réveiller les émotions des
consommateurs et ceux-ci se prêtent au jeu. La mise en scène de la
sexualité parle au plus grand nombre, mais celui-ci a-t-il conscience du
cadre fictionnel des spots ?
Le cadre fictionnel
La publicité cherche à vendre du rêve dans
le but d'attirer et de s'inscrire dans les imaginaires collectifs. Pour
susciter ces émotions, le publicitaire n'hésite pas à user
du critère d'empathie. Ce critère est le « lien
spontané qui se créé entre le message publicitaire et le
consommateur. »60 La proximité ressentie entre le
publicitaire et le spectateur devient importante dans la mesure où le
prospect sent l'intérêt que lui porte le concepteur
rédacteur. Mais la publicité ne nous vend-elle pas du rêve,
ne nous vend-elle pas un monde utopique, fantasmé et, viendrait
relativiser l'emploi de visuels à connotations sexuelles ?
Reprenons les publicités de Caprice des Dieux et de
Céréales Lion, le fantasme de l'acte sexuel dans un avion ou dans
une télécabine, réveille bien entendu des émotions
chez le
59 Entretien Eric Barriol
60 JOANNIS Henri et BARNIER Virginie de. De la
stratégie Marketing à la Création Publicitaire
(3ème édition). Paris : Dunod, 2010. 471 p.
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La mise en scène de la sexualité dans les spots
publicitaires alimentaires : du côté de la réception -
Villien Perrine
consommateur, mais n'a-t-il pas conscience qu'il s'agit d'une
publicité et donc d'un scénario, d'une fiction... ?
S'instaure alors un pacte entre le publicitaire et le
consommateur, comme s'élabore un pacte entre un lecteur et un auteur. Le
lecteur se prend au jeu, il a conscience que l'histoire à laquelle il
est confronté, est une fiction, et pourtant, il se laisse volontairement
emporter par l'identification au personnage principal, au héros. Cette
projection est d'actualité pour ce qui est de la publicité. Le
consommateur a conscience du cadre fictionnel - et presque trop parfait pour
être réaliste - dans lequel il prend un malin plaisir à se
projeter et à s'identifier.
La publicité Gini est assez explicite sur ce point.
Avec une musique très connotative : « love me baby », le spot
met en scène, comme nous l'avons précédemment vu dans les
visuels,61 une femme sexy prenant du plaisir pendant l'acte sexuel.
Deux jeunes couples sortent sur leur terrasse et les deux hommes, une cannette
de la boisson à la main, se regardent en se disant « nous assurons
ce soir ». C'est alors que sur un autre balcon, un homme lance un regard
étonné aux deux autres couples qui n'en sont qu'à leur
deuxième cannette, alors que lui, pose sur sa rambarde la
septième. La publicité s'adresse donc en priorité aux
couples dont l'activité sexuelle est « au point mort » !
L'argument de vente, l'ébat sexuel, s'inscrit dans l'esprit du
téléspectateur lui faisant croire que la boisson Gini ravive les
pulsions de la femme et que, même si l'homme n'a pas un physique de
rêve, il peut faire l'amour à une femme, toute la nuit grâce
à « la plus chaude des boissons froides ».
Il en est de même pour les publicités Yop qui
visent les adolescents, leur faisant croire qu'ils peuvent draguer et conclure
avec une fille en buvant du Yop. Mais les spectateurs ne sont pas dupes, ils
ont accepté le cadre fictionnel, l'identification est d'autant plus
facile et fantasmée.
Les moeurs évoluent, la société
évolue, la publicité suit le mouvement. La perception de la mise
en scène de la sexualité dans les spots publicitaires et pas
seulement alimentaires semble banalisée. Les consommateurs gardent un
oeil bien ouvert et sont conscients de cette exposition des corps, à
plus ou moins faible degré. Mais nous pourrions éventuellement
remettre en cause la publicité elle-même. Nombreux sont ceux qui
considèrent que la publicité est le reflet de la
société, mais qu'elle garde un impact sur la
société. L'influence serait donc double, comme nous avons
déjà pu le voir.
61 Partie I, chapitre 1, Les années 90, les
années du porno chic
95
La mise en scène de la sexualité dans les spots
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La sexualité est une grande thématique qui
suscite des émotions fortes, il faut séduire, il est donc
nécessaire de frapper les imaginaires collectifs. Cependant, de
nombreuses personnes s'accordent à dire que si la sexualité fait
partie de notre langage quotidien, et parfois de manière assez «
trash », si l'on ironise ou blague parfois sur la sexualité, une
majorité de personnes restent quelque peu choquées par certaines
expositions, jugées assez vulgaires. La société
serait-elle paradoxalement plus coincée ?
Enfin, la mise en scène de la sexualité, qui au
départ s'avérait être une griffe créatrice de la
part des publicitaires et un moyen de se démarquer des autres marques,
de par sa banalisation, a-t-elle les mêmes effets escomptés qu'il
y a quelques années ? La perte d'attention vis-à-vis de certains
produits usant du registre de l'érotisme ne serait-elle pas due à
une évolution des attentes des potentiels consommateurs ? Au final, ne
se lasserait-on pas du sexe ?
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