Section II : Théories de la relation entre
ouverture et croissance économique.
Les études économiques ont beaucoup enrichi la
littérature sur la relation ouverture commerciale-croissance
économique. Dans cette partie nous aborderons d'abord les études
théoriques sur la question avant d'examiner les travaux empiriques
réalisés.
Paragraphe I : Études théoriques
Les contributions sur la relation ouverture au commerce
international-croissance économique trouvent leurs fondements dans les
théories du commerce international et de la croissance
économique.
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L'intérêt sur la question remonte au
XIXème siècle avec l'émergence de la
théorie traditionnelle du commerce international. Fondée sur le
paradigme de la concurrence pure et parfaite et les rendements d'échelle
constants, la théorie traditionnelle prône l'ouverture des
économies car celle-ci permet d'augmenter la production domestique. En
orientant ses ressources vers les secteurs d'activités où il
détient un avantage absolu (Adam' Smith), un avantage comparatif (David
Ricardo) ou qui utilisent de manière intensive le facteur dont il est le
plus fortement doté (capital, travail qualifié ou travail non
qualifié : théorème de Heckscher, Ohlin, Samuelson), un
pays ouvert réalise des gains de productivité favorables à
la croissance économique. Cette vision rompt avec la pensée
mercantiliste de l'époque qui considère le commerce international
comme un jeu à somme nulle, c'est-à-dire une pratique dans
laquelle une nation ne se développe qu'au détriment d'une
autre.
Constatant l'échec des théories traditionnelles
dans l'explication des échanges entre pays de niveau de
développement similaire, des échanges intra branches et du
rôle des firmes multinationales dans les échanges internationaux,
de nouvelles théories du commerce international vont émerger dans
les années 1970 sous l'impulsion de Brander, Spencer et Krugman. Ces
théories se fondent sur les principes de la concurrence imparfaite et
des rendements d'échelle croissants qui postulent des économies
d'échelle et des externalités technologiques liées
à l'ouverture. Dès lors les gains de l'ouverture vont quitter le
cadre statique pour devenir de plus en plus dynamique. Parallèlement aux
études sur le commerce international, les études sur la
croissance économique ont connu également une progression.
A la suite des analyses de Ricardo (1817) sur le commerce
international, plusieurs auteurs se sont penchés sur la question de
l'origine de la croissance économique. Ils considèrent que la
production est une fonction du travail, du capital, de la terre et leurs
productivités.
Pour les théoriciens de la croissance exogène
issus du modèle de Solow (1957), cette productivité est
captée par le progrès technologique qu'ils considèrent
exogène10 dans le long terme. Partant de l'hypothèse
du taux d'épargne constant dans le court terme et du rendement marginal
décroissant de l'investissement, ils montrent que l'économie se
trouve permanemment entre deux états : un état de
10 Le progrès technique n'est pas
expliqué mais est considéré comme une donnée dont
on ne peut modifier ; telle « une manne tombée du ciel »
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départ marqué par une faiblesse du capital
physique et un état final où le capital physique est abondant.
C'est seulement pendant cette phase de transition que la politique commerciale
peut jouer un rôle d'accélérateur en accroissant le stock
de capital physique, moteur de la croissance. L'une des implications de ce
modèle est la convergence économique des nations11.
Toutefois face à l'absence de convergence entre pays en
développement (PED) et pays développés (PD), de nouvelles
théories de la croissance économique à savoir les
théories de la croissance endogène vont émerger vers la
fin des années 1970. Les théories de la croissance
endogène postulent que le changement technologique est endogène
car celui-ci émane du désir de profit des industriels qui
investissent dans les activités de recherche et de développement
(R&D). Ils remettent ainsi en cause la décroissance de la
productivité du capital physique en mettant en avant deux
phénomènes : d'une part l'existence de facteurs de production qui
ne connaissent pas de bornes à leur accumulation et
considérés comme moteurs potentiels de la croissance et d'autre
part l'existence d'effets externes au cours du processus de production.
A partir des années 1990, les études sur le
commerce international et la croissance économique jusqu'alors
menées séparément vont connaitre un rapprochement. La
fusion entre la théorie de la croissance endogène et la nouvelle
théorie du commerce international offre ainsi un nouveau cadre d'analyse
pertinent des effets de l'ouverture sur la croissance économique.
Plusieurs études théoriques majeures seront
effectuées au cours de cette période. Feenstra (1990) et Grossman
et Helpman (1990) affirment qu'il existe deux effets opposés de
l'ouverture sur la croissance. D'un côté, l'ouverture commerciale
accroît la taille du marché et donc incite les firmes à
investir pour bénéficier des économies d'échelle et
de l'autre côté, l'ouverture intensifie la concurrence et
réduit donc l'incitation à innover. Dans ces conditions un petit
pays aura tendance à innover moins à long terme qu'en situation
d'autarcie. Ces deux effets s'annulent pour un grand pays.
PAGE (1991) note que l'ouverture est censée agir
à travers deux modes d'ajustement. Non seulement elle permet aux
entreprises déjà efficientes d'allouer
11 L'hypothèse de convergence correspond
à l'idée que les pays en voie de développement
évoluent rapidement et finissent par arriver à un niveau
quasi-égal à celui des pays développés
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correctement leurs ressources grâce aux signaux du
marché, mais elle contribue également à renforcer
l'efficacité interne de celles qui sont défaillantes, moins aptes
à répondre aux lois du marché.
Grossman et Helpman (1991) démontrent à nouveau
que l'ouverture permet d'augmenter les importations domestiques de biens et
services qui incluent de nouvelles technologies. Grâce à
l'apprentissage par la pratique et le transfert de technologies, le pays
connait un progrès technologique, sa production devient plus efficiente
et sa productivité augmente. On s'attend alors à ce que les
économies les plus ouvertes croissent à un rythme plus rapide que
celles protectionnistes. Cependant, les auteurs rajoutent que ces gains
dépendent de plusieurs facteurs, dont la situation initiale. Cette
dernière détermine la nature de la spécialisation du pays
dans le long terme et donc son taux de croissance. L'ouverture d'une petite
économie peut la conduire à se spécialiser dans un secteur
de faible croissance, contribuant plutôt à laisser le pays dans le
sous développement. Dans ce cas, le pays devrait adopter des politiques
protectionnistes durant les premières étapes de son
développement, pour ensuite opter pour des politiques d'ouverture
appropriées. Cette vision est en phase avec la théorie de
l'industrie naissante.
Selon l'étude de Levine et Renelt (1992), la relation
de causalité entre l'ouverture et la croissance se fait à travers
l'investissement. Si l'ouverture au commerce international permet
l'accès à des biens d'investissement, cela mènera à
une croissance de long terme. Un pays libéralisant ses échanges
s'attirera des flux d'investissement étranger. Cependant, cela risque
d'engendrer une baisse de l'investissement domestique due à une plus
forte concurrence internationale.
Grossman et Helpman (1992) avancent par ailleurs qu'un pays
protégeant son économie peut stimuler sa croissance
économique. Cela est possible dans le cas où l'intervention
gouvernementale encourage l'investissement domestique selon les avantages
comparatifs du pays.
Aubin (1994) prolongeant les travaux de Rivera-Batiz et Romer
(1991) montre que les gains de l'ouverture en termes de croissance sont
beaucoup plus importants lorsqu'il existe une coordination des politiques
économiques entre pays. C'est-à-dire une intervention publique
recherchant l'optimum non pas dans le cadre des économies prises
séparément mais dans le cadre de leur union. Dans ce sens,
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l'intégration des marchés ne suffit pas pour
obtenir une croissance optimale mais doit être accompagnée d'une
intégration des politiques économiques.
Selon Harrison (1995) les arguments théoriques relatifs
aux gains provenant de l'ouverture commerciale sont traditionnellement
liés à l'efficience allocative, dans les pays détenteurs
d'avantages comparatifs.
Pour Krugman et Obstfeld (1995), en présence de
rendements croissants, un pays plus efficient peut en effet ne pas pouvoir
entrer sur le marché d'un produit du fait de la présence d'un
second pays qui dispose d'une rente de situation sur ce produit.
Fontagné et Guerin (1997) ont indiqué que les
conditions internes déterminent les résultats de l'ouverture d'un
pays. Si le pays dispose de certaines conditions (capital humain
qualifié, bonnes institutions, etc.), l'ouverture commerciale joue un
rôle catalyseur sur la croissance en activant l'économie face aux
chocs extérieurs.
En résumé, les travaux théoriques n'ont
pas réussi à trancher définitivement sur un effet
favorable ou défavorable de l'ouverture sur la croissance
économique. Ils se résument à indiquer les canaux par
lesquels elle peut favoriser ou entraver la croissance. De plus, les
résultats de chaque modèle dépendent fortement de sa
structure et de ses hypothèses. Le débat reste donc ouvert sur ce
point auquel les études empiriques tentent d'apporter des
éléments de réponse.
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