Terrorisme et géopolitique en Afrique. Sens et contresens.( Télécharger le fichier original )par Sékou COULIBALY Alassane Ouattara de Côte dà¢â‚¬â„¢Ivoire - Master 2015 |
2. Du projet d'un nouvel ordre social aux violences terroristesPour Derrida et Habermas, la logique terroriste répond à une exigence sociale liée à la nature même de l'emploi systématique de la terreur. Au-delà du simple massacre, du vandalisme, le terrorisme ne vise-t-il pas un projet identitaire sans pareil ? Au demeurant, on pourrait croire que le terrorisme vise l'unification du genre humain autour de principes vitaux universels. C'estla négation de la négation identitaire. Comment cela peut paraître autrement si l'essence de la terreur est la négation de la différence, si on ne tue pas pour le simple acte de tuer mais pour contraindre des entités différentes à se confondre, à s'uniformiser? PourHabermas notamment, Quant à l'essence de la terreur, elle ne consiste pas dans l'élimination physique de quiconque est perçu comme différent, mais dans l'éradication de la différence au sein d'une population, à savoir de son individualité et de sa capacité à agir de façon autonome92(*). L'autonomie de l'individu, bien que mise en exergue dans ce passage, est contrariée par la négation de la différence qui structure la société. Elle est du coup déjà conditionnée par des principes antérieurs à elle. S'il en est ainsi, on peut dire que le terrorisme vise l'unification de la société autour des idéaux mono-culturalistes. Confondre la pluralité dans l'unité, tel est le projet social inavoué du terrorisme. De fait, il vise une redéfinition de l'identité. D'ordinaire, les révoltes politiques - apparaissant sous la forme de rébellion, de génocide ou sous toutes autres formeset perçues comme des actes terroristes parce que se dressant contre les institutions étatiques - sont l'oeuvre d'organisations politiques. Elles naissent pour la plupart des injustices et des rapports de dominations dont elles se présentent comme la révolution. Elles sous-tendent à rappeler aux dirigeants que« toute politique s'inscrit dans son temps, s'entreprend dans ce temps qu'on sait devoir s'achever »93(*), sa vocation, du reste, étant de produire des effets positifs qui durent et non qui perdurent. Cependant, la condition pour qu'éclate la violence entre groupes humains, est que dans un tel contexte, des leaders d'opinion, qu'ils détiennent ou non le pouvoir politique, proposent une lecture de cette situation et affirment : « voici ce qui nous arrive, voici qui est responsable de notre malheur. Ce sont "eux" qui sont la cause de nos souffrances. Il faut absolument nous en débarrasser. Nous vous promettons qu'ensuite tout ira mieux. Vous n'avez qu'à nous soutenir, plus : nous rejoindre, pour que nous en finissons avec cette peste94(*). Nous convenons avec Semelinlorsqu'il entend fonder ici, les origines des violences politiques en l'endoctrinement, en les dires haineux de certains opposants politiques. Dans un contexte africain, c'est véritablement ce type de dire politique, cachant un intérêt égoïste pour le pouvoir politique, qui occasionne les rivalités de pouvoirs sur les espaces. On en vient à mobiliser toute une population afin qu'elle se sente opprimée lorsque l'on est humilié. Et, de ce rapport, le catalyseur politique et ces populations, parlant désormais de la même chose, forme un et un seul corps. Il devient l'homme de la situation sans qui, plus rien ne reste à espérer. On assiste à un front entre idéologues politiques, avec même parfois l'appui de certains corps de l'État (police ou l'armée), chacun ayant pour ambition le contrôle du pouvoir politique. Combien sont-ils, les pays africains, qui n'ont pas connu, hélas, cette expérience ? Loin de nous le besoin de réveiller en les sud-africains les souvenirs d'un apartheid qui traine à s'effacer des mémoires ouen d'autres peuples l'angoisse degénocides quisévirent partout en Afrique. Pour nous, l'enjeu de la violence, dans une telle logique, reste politique en ce qu'il s'agisse soit du partage de pouvoirs, soit, tout simplement, du renversement de la tendance qui prévaut. Par ricochet, les violences terroristes en Afrique naissent de troubles politiques et visent l'instauration de nouvel ordre social et politique. Il s'agit de la volonté des peuples, avec à leur tête des catalyseurs, de mettre un terme à une injustice sociale, à un déséquilibre ou à un mode de gouvernement jugé ou reconnu pour son despotisme. Les mouvements récents « y'en a marre »95(*) au Sénégal, au Burkina et dans bien de pays africains en sont efficients. Seulement, dans bien de cas, ces révoltes donnent lieu à l'émergence de violences terroristes sous des formes les plus inattendues. À preuve, suite au printemps arabe96(*) ou à l'èredes révolutions arabes marquées par la chute, après une guerre civilemilitarisée, enLybie97(*), du régime de Kadhafi, le terrorisme prend une autre envergure et se repend de plus en plus en Afrique. On pourrait même croire que Les récentes révoltes populaires maghrébines ne sont, certes, pas conçues ni contrôlées par les islamistes radicaux. Mais il apparait, [et nous y croyons] clairement qu'AQMI cherche à explorer le chaos, qui accompagne inévitablement ce genre de soulèvements populaires, pour mettre à exécution sa nouvelle stratégie et amorcer, ainsi, son « reflux » au nord, vers la Tunisie et la Lybie, dans un premier temps, et demain - peut-être - vers d'autres pays de la région menacés par la contagion de la révolte populaire98(*). Le terrorisme en Afrique peut s'expliquer par l'échec du printemps arabe. C'est d'ailleurs ce qui pourrait expliquer que la révolte touareg au Mali (initialement une lutte pour la reconnaissance) visant l'établissement d'un nouvel ordre social, donne lieu, à la suite de la Lybie, à une guérilla : Al-Qaïda au Maghreb Islamique contre le peuple malien, non !Disons plutôt contre le monde entier. De ces contresens des révolutions politiques, l'enjeu politique se transforme, on pouvait s'y attendre, en desenjeux idéologiques. * 92Jacques DERRIDA et Jürgen HABERMAS, op.cit., Paris, Galilée, 2004, p. 28. * 93Frédéric ENCEL, op.cit., Paris, Seuil, 2009,p. 25. * 94 Jacques SEMELIN, op.cit., p. 33. * 95 Inspiré d'une chanson de Tiken Jah Fakoly et un sentiment de ras-le-bol général, suite au projet de loi sénégalais, aux délestages, aux coupures électriques incessantes, que des jeunes adoptent ce slogan en fin février 2011, sous la houlette de jeunes rappeurs de Keur Gui (Thiat et MalalTall) et de journaliste (Cheikh Fadel Barro), comme signe de ralliement et de contestation du despotisme de Abdoulaye Wade, par ailleurs président du Sénégal. http:// m.slateafrica.com/5137 pour en savoir plus. Le mouvement prend de l'ampleur en Afrique surtout que l'espace africain est sous domination de régimes despotiques. Les partisans de ce mouvement le considèrent comme « les sentinelles de la démocratie » en Afrique. * 96 Le monde arabo-musulman a connu en 2011, un mouvement de révolte sans précédent. S'opposant aux modalités de gouvernements autoritaires auxquelles elles sont soumises depuis des décennies, le printemps arabe part de la Tunisie vers l'Égypte puis atteint plusieurs pays du Maghreb et du Moyen-Orient. * 97 Reconnu comme l'un des sept pays (Cuba, l'Iran, L'Irak, la Lybie, la Coré du Nord, le Soudan la Syrie) qui soutiennent le terrorisme dans le monde selon Bruce Hoffman dans La mécanique terroriste, Paris, Nouveaux Horizons, 2002, p.237. * 98Atmane TAZAGHART, AQMI, Enquête sur les héritiers de Ben Laden, préface de Roland Jacquard, Abidjan, FRAT MAT, 2011, p. IV. |
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