La souveraineté des états face à l'ingérence humanitaire.( Télécharger le fichier original )par Jean Baptiste SAHOKWASAMA Université Sagesse dà¢â‚¬â„¢Afrique, Bujumbura-Burundi - Licence en Droit 2015 |
CHAPITRE IV : LE DUEL SOUVERAINETE-INGERENCEComme déjà souligné dans l'introduction de ce mémoire, l'ingérence humanitaire a été expérimentée dans plusieurs parties du monde en proie à des violations massives des droits de la personne humaine ou à des catastrophes humanitaires et ce depuis les années 1970. Pour comprendre l'évolution de la pratique de l'ingérence humanitaire à la lumière du cas libyen, il convient d'analyser quelques cas qui l'ont précédé (section 1) avant de parler des contours de l'ingérence humanitaire. Section 1 : Les débuts de la mise en oeuvre de l'ingérence humanitaireAvant d'aborder le duel souveraineté-ingérence humanitaire en Libye suite à l'intervention de l'Organisation de l'Atlantique Nord « OTAN » pour enrayer les violations massives des droits de la personne alléguées à l'Etat libyen sur sa propre population, il importe d'analyser quelques endroits où l'ingérence humanitaire a fait recette. Le mouvement humanitaire né avec la Croix Rouge internationale s'est aussi diversifié par la création de multiples organisations non gouvernementales « ONG ». On prend souvent comme point de départ du développement de ce moment le conflit issu de la sécession du Biafra au Nigéria en 1967 où, en adoptant une attitude de neutralité, la Croix Rouge en accord avec ses principes, a été accusée d'immobilisme. En réaction, une quarantaine d'Eglises catholiques et protestantes mirent sur pied la Joint Church Aid (JCA), une organisation qui a permis de procéder à des envois directs aux victimes du conflit, sans attendre un accord entre les belligérants négocié par la Croix Rouge, au mépris même du Droit International Humanitaire et de la souveraineté du Nigéria.92 Les actions émanant d'initiatives d'associations privées se sont multipliées depuis cette date. Certains organismes se sont vus interdire l'accès aux victimes et ont été amenés à franchir clandestinement des frontières pour intervenir, sans toujours attendre le nécessaire accord des Etats. Cette pratique a donné naissance à la 92 P., BUIRETTE, op. cit, p.7. 49 notion du droit d'ingérence qui pourrait remettre en cause, en parie, les principes du Droit International Humanitaire classique.93 L'ingérence humanitaire est un nouveau concept en cours d'insertion dans le droit international contemporain à l'initiative de la France qui s'inscrit dans une vaste tendance allant dans le sens de la moralisation de ce droit et des relations internationales, mais qui à partir du moment où l'on veut en faire non seulement un droit mais même un devoir permettant le recours à la force armée entre fatalement en conflit avec le principe « sacro saint » de la non immixtion dans les affaires intérieures des Etats, corollaire de leur souveraineté nationale et n'échappe pas au risque de politisation.94 Il est à rappeler que le sujet qui nous intéresse est la souveraineté face à l'ingérence humanitaire. Le choix porté à cet Etat, ne tient pas compte des violations des droits de l'homme documentés par des médias et des différentes organisations non gouvernementales ou internationales, mais des conséquences sur la souveraineté découlant de la gestion de cette crise par la communauté internationale. L'intervention en Libye sera analysée sur base de deux résolutions du Conseil des Nations Unies notamment la résolution 1970 (2011) et la résolution 1973 (2011). Mais avant de passer à l'analyse de l'ingérence humanitaire en Libye, permettez de passer en revue certains cas qui l'ont connu bien avant. §1. L'Arménie Sur l'initiative de la France, les Nations Unies ont adopté le 8 décembre 1988 la résolution 43/131 portant sur l'assistance humanitaire aux victimes des catastrophes naturelles et situations d'urgence du même ordre. Cette résolution sera pour la première fois exploitée et appliquée en Arménie (de l'Union des Républiques Socialistes Soviétiques ou Union Soviétique) qui venait de subir une catastrophe naturelle due à un important séisme le 7 décembre 1988. Dans ce séisme d'une rare violence qui n'a duré que presque 8 secondes, les villes du nord de l'Arménie dont 93 PH., BRETTON, op. cit, p.70. 94 Ibidem. 50 Leninakan, Spitak et Kirovakan ont enregistré des pertes énormes estimées à plus de 60.000 morts, plus de 15524 blessés et plus de 530.000 sans abri.95 Face à l'ampleur de la catastrophe et dans l'incapacité d'organiser les secours, les autorités de l'Union des Républiques Socialistes Soviétiques, plusieurs jours après le drame acceptent l'aide internationale. Face à cette urgence, l'obligation de visa a été ignorée pour tous les sauveteurs. La résolution 43/131, bien qu'elle ne soit explicite, chemine vers la légitimation du droit d'ingérence humanitaire. Elle réaffirme certes, dans son préambule, la souveraineté, l'intégrité territoriale et l'unité nationale des Etats et reconnaît que c'est à chaque Etat qu'il incombe au premier chef de prendre soin des victimes de catastrophes naturelles et situations d'urgence du même ordre, se produisant sur son territoire. Elle exhorte les Etats à se prêter mutuellement assistance et prie tous les Etats à proximité de zones victimes de catastrophes naturelles et situations d'urgence de participer étroitement aux efforts internationaux de coopération avec les Etats touchés, en vue de faciliter, dans la mesure du possible le transit de l'assistance humanitaire. Le 14 décembre 1990, l'Assemblée Générale des Nations Unies adopte une deuxième résolution 45/100 qui étaye la résolution 43/131. Elle porte également sur l'Assistance humanitaire aux victimes des catastrophes naturelles et situations d'urgence du même ordre. A la différence de la première, elle fait apparaître un élément nouveau : les couloirs d'urgence. Suite à l'urgence qu'exigeait l'intervention humanitaire en Arménie, aucune autre résolution spécifique n'a été adoptée au sein des Nations Unies. Comme susdit, les autorités soviétiques, malgré leur réticence à l'accès sur leur territoire, ont accepté l'offre de secours des Etats et des organisations internationales aux populations en détresse. Les procédures d'entrée sur le sol soviétique ont été assouplies et tout sauveteur n'avait plus besoin de visa d'entrée. Cette ingérence humanitaire a ipso 95 Séisme de 1988 en 2015) Arménie : https://fr.wikipedia.org/wiki/S%C3%A9isme_de_1988_en_Arm%C3%A9nie (consulté le 11 avril 51 facto joui d'une légalité et d'une légitimité internationale. Elle a pu atteindre ses objectifs à savoir : l'assistance humanitaire aux victimes des catastrophes naturelles et situations d'urgence. L'intervention humanitaire en Arménie a été une réussite qui a marqué le jalon dans la légalisation du droit d'ingérence humanitaire ou encore de la responsabilité de protéger qui cadre bien avec la résolution 43/131. Il n'y a donc pas eu de débordements. Les sauveteurs ont correctement accompli leur devoir puisqu'ils n'ont jamais cherché à s'immiscer dans les affaires politiques de l'URSS. §2. La Somalie La désintégration de l'Etat de la Somalie a sonné le 21 janvier 1991, date qui correspond à la chute de son président, le Général Mohamed Siad Barre. Depuis lors, « le peuple est soumis à la lutte des clans, celui du général Aïdid et celui du président par intérim Ali Mahdi et de leurs milices, auxquels s'ajoute une multitude d'autres plus ou moins alliés des deux principaux ».96 L'Etat s'est retrouvé sous la gouverne de ces seigneurs de guerre sans idéologie politique, guidés par les butins de la guerre. L'idée de gouvernement central n'était pas à leur agenda et la population était abandonnée à elle-même. Cette crise politique s'accompagne d'une grave crise économique et d'une famine dramatique qui sollicitent une importante mobilisation de l'aide humanitaire internationale. Les survivants sont surtout ceux qui possèdent une arme. Tous les autres meurent de faim. Les secours difficilement acheminés à partir de Mogadiscio à l'intérieur des terres sont à la merci des factions autant que des émeutes suscitées par les miséreux en nombre supérieur aux portions alimentaires individuelles distribuées ».97 C'est sur base de ce drame humanitaire que le Conseil de Sécurité des Nations Unies à adopté la résolution 751 le 24 avril 1992, autorisant le déploiement d'une première mission de paix en Somalie dénommée Opération des 96 B., MARIO, op. cit, p.178. 97 Ibidem. 52 Nations Unies en Somalie « ONUSOM I » comprenant 54 observateurs et 900 militaires.98 Cette mission avait pour objectif initial de veiller au respect d'un cessez-le-feu à Mogadiscio conclu entre les seigneurs de guerre. En août 1992, les effectifs de l'ONUSOM I ont été revus à la hausse pour lui permettre de protéger les convois d'aides humanitaires jusqu'aux centres de distribution. Suite aux difficultés dans l'accomplissement des missions sur terrain, le Conseil de Sécurité des Nations Unies crée la Force d'Intervention Unifiée « FIU » par la résolution 794 du 3 décembre 1992. Cette force avait le mandat d'épauler les opérations de l'ONUSOM I mais sous le commandement des Etats ayant fournis les troupes. Cette force avait obtenu du Conseil des Nations Unies l'autorisation d'« employer tous les moyens nécessaires pour instaurer aussitôt que possible des conditions de sécurité pour les opérations de secours humanitaire en Somalie».99 Les effectifs, engagés par la Force Internationale Unifiée (FIU) dans le cadre de l'opération Restore Hope, atteindront en 1993, 28.870 hommes, dont 20.515 Américains et 8.355 appartenant à dix-neuf autres Etats.100 Malgré les efforts des Nations Unies, la situation sécuritaire allait de mal en pis. C'est à ce titre que la résolution 814 est adoptée le 26 mars 1993. Elle met en place l'ONUSOM II en remplacement de l'ONUSOM I. Par cette résolution, les effectifs sont revus à la hausse. L'ingérence humanitaire encadrée par les Nations Unies a connu une fin tragique et soudaine. En effet, face à l'enlisement, les américains ont décidé unilatéralement, le 8 août 1993, à déployer des troupes d'élite (les rangers) pour traquer le seigneur de guerre Mohamed Farah Aïdid. Dans une opération baptisée Gothic Serpent du 3 et 4 octobre 1993 visant à capturer deux de ses proches en réunion à Mogadiscio, 19 soldats sont tués, dont 18 américains. 98 2015) Historique de l'opération ONUSOM I : http://www.operationspaix.net/127-historique-onusom-i.html (10 avril 99 Résolution 794 sur la Somalie, point 10. 100 B., MARIO, op. cit, p.192. 53 C'est cette bataille perdue qui provoquera le retrait précipité des troupes américaines et françaises dès février 1994. Depuis lors, les opérations de l'ONUSOM II ont commencé à vaciller et ont officiellement pris fin le 2 mars 1995 livrant ainsi la population somalienne à elle-même alors qu'elle était en proie à une guerre civile omniprésente. Les premières opérations des Nations Unies en Somalie (ONUSOM I, ONUSOM II) ont été un fiasco. Initiées et encadrées par le Conseil de Sécurité des Nations Unies, ces opérations jouissaient de la légalité et de la légitimité internationales. Toutefois, le fait qu'elles n'aient pas été en mesure de faire cesser les violations massives des droits de la personne humaine dont étaient victimes les somaliens confirme à suffisance son échec. Certes l'Etat n'avait pas d'autorité centrale, mais le fait d'aller au-delà du mandat des Nations Unies en cherchant à capturer les seigneurs de guerre et à s'immiscer dans l'organisation politique de l'Etat somalien est en soi une véritable atteinte à sa souveraineté. C'est d'ailleurs la goutte qui a fait déborder le vase ; « ... au fur et à mesure que surgissaient les difficultés en Somalie, s'estompait la distinction entre protection humanitaire et rétablissement de l'ordre public ».101 §3 Le Kurdistan irakien Alors que les Etats Unis venaient à peine de libérer le Koweït de l'occupation des troupes militaires irakiennes sous la présidence de Saddam Hussein, le Kurdistan irakien se soulève contre le pouvoir central en mars 1991. La répression de ce soulèvement fut sanglante et entraîna des conséquences désastreuses sur la vie de la population à cause des armes chimiques utilisées. Il a été établi qu'il y a eu plus de cent quatre-vingt deux mille personnes décimées, plus de deux mille villages détruits et plus de deux millions de réfugiés dans les Etats voisins notamment en Turquie, en Iran et en Syrie.102 101 B., MARIO, op. cit, p.193. 102 Insurrection en Irak (1991) : https://fr.wikipedia.org/wiki/InsurrectionenIrak%281991%29 (consulté le 13 avril 2015) 103 B., MARIO, op. cit, p.187. 54 Sur base de l'esprit des deux résolutions 43/131 et 45/100 susmentionnées, les Nations Unies ont essayé de juguler ce drame humanitaire. C'est ainsi que le Conseil de Sécurité vote, le 5 avril 1991, la résolution 688 qui condamne la répression contre les Kurdes d'Irak. La résolution a été votée en conformité avec les dispositions de la Charte des Nations Unies spécialement en son article 2 paragraphe 7. Le Conseil de Sécurité a pris conscience que ce conflit était susceptible de porter atteinte à la paix et à la sécurité internationales. C'est ainsi qu'en son premier point, le Conseil de Sécurité « condamne la répression des populations civiles irakiennes dans de nombreuses parties de l'Irak, y compris très récemment dans les zones de peuplement kurde, qui a pour conséquence de menacer la paix et la sécurité internationales dans la région ». Sur base de cette résolution, une coalition d'Etats dont les Etats-Unis, le Royaume Uni, la France, l'Australie, les Pays-Bas et la Turquie ont mené des actions militaires dans le cadre de porter secours aux kurdes d'Irak sous l'opération Provide Comfort. Cette opération a débuté avec avril 1991 pour prendre fin en décembre 1996. Dans la résolution 45/100 de l'Assemblée Générale des Nations Unies, il est expressément prévu en son paragraphe 6 « .... la possibilité de créer, à titre temporaire, là où il est nécessaire et de manière concertée entre les gouvernements touchés et les organisations intergouvernementales, gouvernementales et non gouvernementales intéressés, des couloirs d'urgence pour la distribution d'aide médicale et alimentaire d'urgence ». Au Kurdistan irakien, la coalition s'est vite empressée de créer une zone d'exclusion aérienne qui ressemble bien à un couloir d'urgence ci-évoquée. Au regard de la résolution 688, force est de constater que l'opération Provide Comfort initiée par la coalition était dépourvue de base juridique. Mario Bettati s'exprime en ces termes « les commentaires de cette résolution ont même parfois affirmé qu'elle n'autorisait en aucune façon l'emploi de la force à des fins humanitaires et que par conséquent, elle ne pouvait fonder l'intervention des alliés dans le cadre de l'opération Provide comfort ».103 Il en est de même de l'instauration 55 d'une zone d'exclusion aérienne au Kurdistan irakien. La résolution n'en mentionne nulle part. Elle mentionne seulement, en son paragraphe 3 que le Conseil de Sécurité « insiste pour que l'Irak permette un accès immédiat des organisations humanitaires internationales à tous ceux qui ont besoin d'assistance dans toutes les parties de l'Irak et qu'il mette à leur disposition tous les moyens nécessaires à leur action ». Les actions militaires mises en oeuvre au Kurdistan irakien n'étaient pas une émanation du Conseil de Sécurité des Nations Unies. Au travers de sa résolution 688, spécialement en son paragraphe 6, le Conseil de Sécurité lançait seulement « un appel à tous les Etats membres et à toutes les organisations humanitaires pour qu'ils participent à ces efforts d'assistance humanitaire ». Les actions de la coalition ne peuvent donc pas se justifier juridiquement puisqu'elles ont été menées en dehors de la résolution 688 du Conseil de Sécurité des Nations Unies qui condamnait la répression exercée par le gouvernement central. Il s'agissait purement et simplement d'une violation de fait de la souveraineté de l'Etat irakien. |
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