CHAPITRE II : LES FONDEMENTS DE LA SOUVERAINETE DES
ETATS
La souveraineté des Etats est la notion clef de la
structure de juxtaposition qui prévaut dans les relations
internationales. D'une manière générale, celle-ci met
l'accent sur les finalités sociales et morales du pouvoir
étatique. Plus précisément, elle a pour objet, en
introduisant un certain nombre de distinctions dans les pouvoirs de l'Etat, de
résoudre au mieux les problèmes qui naissent de la
multiplicité des Etats.45
La théorie de la souveraineté exige d'un Etat
qu'il respecte la souveraineté des Etats étrangers. C'est le
territoire qui est le support physique de la souveraineté et c'est donc
l'intégrité du territoire étranger qui est l'objet le plus
précis de l'obligation. Les Etats doivent alors respecter strictement le
territoire des autres Etats ; mais, le respect de la souveraineté des
autres Etats implique aussi que l'on laisse les Etats exercer librement leurs
compétences dans tous les domaines non touchés par le droit
international.46
Ce chapitre permettra donc de développer les principes
fondamentaux du droit international (Section 1) et la souveraineté de
l'Etat en pratique (Section 2).
Section 1. Les principes fondamentaux du droit
international
Dans la présente section, nous allons développer
cinq principes fondamentaux qui gouvernent le droit international à
savoir le principe de l'égalité souveraine, le principe de
l'intégrité territoriale, le principe de la bonne foi et le
principe de la nonintervention dans les affaires intérieures d'un autre
Etat ou principe de non-ingérence.
Ces principes traversent le temps depuis la création du
droit international jusqu'aujourd'hui et limitent l'autonomie de la
volonté des Etats.
45 P., REUTER, Droit International Public,
PUF, Paris, 1992, p. 181. 46Idem, p. 183.
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§1. Le principe de l'égalité
souveraine
L'organisation des Nations Unies est fondée sur le
principe de l'égalité souveraine. Ce principe représente
le dernier volet de la dimension juridique de la souveraineté. Il
constitue le principe de base des relations internationales contemporaines.
A la différence de la situation de droit interne
caractérisée par l'existence d'une puissance publique, l'absence
d'autorité supérieure à l'Etat souverain en droit
international implique l'égalité de statut juridique des Etats de
la société internationale.47 Il résulte de
cette égalité qu'aucun Etat ne peut imposer à un autre tel
ou tel autre comportement dans le système international dans lequel
chaque Etat est souverain.
La notion d'égalité souveraine des Etats
conçue de façon absolue paraît très critiquable du
point de vue de l'intérêt général international et
du réalisme juridique. Face à l'inégalité
matérielle, l'égalité juridique est une fiction
regrettable dans la mesure où elle est absolue et où elle
attribue à des Etats, dont le potentiel est très
différent, des responsabilités juridiques
identiques.48 Quelle autorité réelle peut avoir une
décision prise par une conférence ou une organisation
internationale sur la base de l'égalité de vote des Etats lorsque
cette décision est prise à la majorité, majorité
dans laquelle ne figurent que de petites puissances dépourvues de moyens
d'imposer effectivement l'exécution de la décision adoptée
?
§2. Le principe de l'intégrité
territoriale
Ce principe signifie qu'entre les Etats souverains et
égaux chacun doit respecter le territoire de l'autre. Chaque Etat a donc
le droit d'exercer les pleines prérogatives sur son territoire et a
l'obligation de laisser les autres d'en faire autant sur les leurs. Sous peine
d'être poursuivi pour violation d'intégrité territoriale,
les membres de l'organisation s'abstiennent, dans leurs relations
internationales, de recourir à la menace ou à l'emploi de la
force, soit contre l'intégrité territoriale ou
l'indépendance
47 R., RANJEVA et C. CADOUX, Droit international
public, EDICEF, Paris, 1992, p. 83.
48 P., VELLAS, Droit international public:
institutions internationales, méthodologie, Historique, sources, sujet
de la Société Internationale, Organisation Internationale,
LGDJ, 2è Ed., Paris, 1967, p. 248.
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politique de tout Etat, soit de toute autre manière
incompatible avec les buts des Nations Unies.49
Exemples de violations à ce principe :50
y' l'occupation d'un territoire étranger par une force
armée d'un autre Etat,
y' le démembrement d'un ancien territoire
extérieur et la création d'une nouvelle entité. (Chypre
turque envahie en 1974- proclamation unilatérale de la République
turque de chypre du Nord 1983, le Kosovo 1990) ;
y' l'entretien et l'encouragement de forces
sécessionnistes ; y' l'envoi de mercenaires ;
y' l'annexion totale ou partielle d'un territoire ;
y' l'exercice de la prérogative de la force publique
sur un territoire étranger sans le consentement de ce dernier.
§3. Le principe de la bonne foi
Le terme bona fides, dérivé de
fides et fido, semble étymologiquement descendre de la racine
indoeuropéenne bheidh/bhidh signigifiant lier, relier,
entrelacer, enlacer, tresser et du terme grec pisto/pistis, signifiant
foi, confiance. L'élément de confiance est donc une racine
essentielle du mot bonne foi. La bonne foi a été soutenue par la
Convention de Vienne sur le Droit des Traités (CVDT). C'est pourquoi
elle est reconnue par le droit international public.
Le droit international général est avant tout un
droit coordinatif et horizontal. Cela signifie qu'il est
caractérisé par l'absence d'autorité supérieure aux
sujets individuels qui composent la société internationale.
49 Charte des Nations Unies, art. 2, §4.
50I., NAHIGOMBEYE, Syllabus de cours du droit
International public, Université Sagesse d'Afrique, Faculté de
1ère
Droit, licence, AA2011-2012.
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La délimitation de la bonne foi par rapport
à des notions juridiques voisines
Le principe de la bonne foi est très proche de certains
autres principes de droit international tels que pacta sunt servanda
ou l'équité. La confusion n'est pas rare. Il importe
dès lors de fixer leurs sphères d'application respectives.
a) Bonne foi et pacta sunt servanda
Pour nombre d'auteurs, le principe de la bonne foi comprend,
domine et fonde la règle Pacta sunt servanda qui en est
l'expression exécutoire. Parfois la bonne foi va jusqu'à
éclipser le principe pacta sunt servanda : la bonne foi
régit à tel point la validité de
l'obligatoriété du traité qu'une formulation autonome du
principe pacta sunt servanda devient inutile.
Cette argumentation plonge ses racines dans la tradition
juridique la plus ancienne. Avant l'époque des lumières, quand
pacta sunt servanda devint un axiome péremptoire de la raison
abstraite, le principe était inconnu dans cette ampleur. Le ius
civile romain était un droit formaliste qui précisait
énumérativement les contrats protégés par la
loi.51
Les simples pactes (nuda pact), ne donnaient aucun
droit d'action ; le magistrat se bornait à concéder une exception
contre l'action d'un demandeur l'exceptio pacti.52 Le
formalisme du droit civil avait été progressivement
écarté avec l'avènement du ius
gentium.53 Ce droit régissant les rapports de citoyens
romains avec les ressortissants étrangers devait se libérer des
formalismes du ius civile dont l'étranger ne relevait pas.
Certains pactes commerciaux devinrent donc obligatoires sur la seule foi de la
parole donnée. La foi, la confiance donnée, était la cause
historique de l'obligatoriété de l'engagement. Il en
découle qu'en matière de ius gentium, c'est la bonne foi
qui fonde et légitime le principe pacta sunt
servanda.54
51 R., KOLD, La bonne foi en droit international
public, Ed. Bruylant, Bruxelles, 1998, p. 675.
52 Ibidem.
53 Ibidem.
54 Ibidem.
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b) Bonne foi et équité
Le problème de l'équité se situe dans
l'antinomie abstraction/individualisation des règles de droit. L'ordre
juridique est essentiellement un ordre composé de normes abstraites
(ratione materiae) et générales (ratione personae) capables de
régir les innombrables espèces susceptibles de se
présenter à l'avenir. Pour suffire à cette fonction, ces
règles doivent s'abstraire jusqu'à un certain point des
spécificités que les espèces peuvent manifester. Les
normes juridiques s'adressent à la « normalité », au
cas « typique ». Mais alors, leur application à des cas
où prédominent des caractéristiques très
particulières et atypiques pourrait produire un résultat injuste
: summum ius, summa iniuria. La somme des critères propres
à une justice pour de tels cas individuels constitue le corps de
l'équité. L'équité intervient dans ce cas à
la place du droit strict ou en tant que correcteur du droit strict, pour en
adoucir aux fins de l'espèce les injustes rigueurs.
Les rapports entre bonne foi et équité souffrent
de quelque obscurité. Tantôt la bonne foi fait partie
intégrante de l'équité et constitue une
considération équitable ; tantôt c'est
l'équité qui émane de la bonne foi. Il est vrai que
l'aequitas, le ius gentium et les bonae didi iudicia
étaient liés dès le droit romain. L'indivision
relative de l'équité et de la bonne foi a aussi été
maintenue dans la jurisprudence ou dans les contrats quasi-internationaux
conclus par les sociétés commerciales avec les Etats sur les sols
desquels elles opèrent.55
§4. Le principe de la non-intervention dans les
affaires intérieures d'un autre Etat ou principe de
non-ingérence
Le principe de non-ingérence ou non intervention
représente le second corollaire du principe de souveraineté de
l'Etat. Il signifie le droit de chaque Etat souverain de jouir de
l'exclusivité de sa compétence dans les domaines relevant de sa
compétence nationale.56 A contrario, nulle autorité ne
peut se prévaloir d'un titre juridique quelconque pour intervenir ou
agir dans la sphère de compétence d'un Etat. Ce principe est
absolu en ce qui concerne l'étendue et la portée de son
opposabilité.
55 R., KOLD, op. cit, p.675.
56 R., RANJEVA et C., CADOUX, Op. cit, p.
84.
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Concernant l'étendue de l'opposabilité du
principe de non-ingérence, cela veut dire que la prohibition de
l'ingérence s'impose à tous les sujets de droit international :
Etats et organisations internationales. L'intervention directe ne
nécessite pas de développements particuliers, ce d'autant plus
que l'action directe reste exceptionnelle bien que parfois réelle avec
l'utilisation de la force armée. Quant à la portée, on
précise que sur le plan juridique, le principe de non-ingérence
des Etats tiers pose le problème des conflits de juridictions et des
lois, domaine par excellence du droit international privé. Les jugements
étrangers doivent être revêtus de l'exequatur du juge
national pour pouvoir produire ses effets.57
Dans sa sphère de liberté résiduelle,
chaque Etat est légalement protégé de l'immixtion des
tiers par le principe de non-ingérence, qui leur impose une stricte
obligation d'abstention.58 Le principe de non-ingérence des
tiers dans les affaires intérieures de l'Etat est très
directement liée à l'affirmation de son autonomie puisque d'une
part seul le droit international peut limiter la liberté d'action de
l'Etat, et que d'autre part, tantôt il lui reconnaît une
autorité exclusive pour régir une matière, tantôt il
ne la restreint que partiellement. Il en résulte que nul n'est
compétent pour se mêler dans ce que fait l'Etat à
l'intérieur de la sphère que le droit international laisse
à son autorité : ni les autres Etats, ni les institutions
internationales.59
Il a été énoncé à de
multiples reprises à la charge des Etats comme des organisations
internationales ; pour les premiers, la déclaration relative aux
principes du droit international touchant les relations amicales et la
coopération entre Etats, retient le « devoir de ne pas intervenir
dans les affaires relevant de la compétence nationale d'un Etat »,
pour les secondes, on cite habituellement l'article 2, Paragraphe 7 de la
Charte des Nations Unies dont, y est-il dit, aucune disposition de les autorise
à « intervenir dans les affaires qui relèvent
essentiellement de la compétence nationale d'un Etat
».60
57 R., RANJEVA et C., CADOUX, op. cit, p.
87.
58 5ème
J., COMBACAU et S., SUR, Droit international public,
Montchrestien, éd, Paris, 2001, p.260.
59 4ème
H., THIERRY, S., SUR, J., COMBACAU et CH., VALLEE, Droit
international public, Montchrestien, éd, Paris,
1984, p.234.
60 J., COMBACAU et S., SUR, op. cit, p.260.
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