I.1.1.1.3. LA LITTERATURE SELON ROLAND BARTHES
Les écrits de Roland Barthes font partie des
référents habituels quand on veut définir le concept
« littérature ». Son premier souci, c'est, en effet,
le texte littéraire ; l'opposé des écrits culturels que
lisent la plupart des gens qui fréquentent des romans, cette
littérature de masse que Barthes range dans la catégorie des
textes "poisseux".
Ce qui peut nous questionner, c'est la façon
particulière qu'a Barthes d'aborder le rapport
lecture/littérature. Nous savons que la société et ses
institutions, notamment l'école, entretiennent la confusion entre
lecture et littérature au détriment des écrits sociaux ;
que, dès le primaire, la pratique de la lecture et son évaluation
sont trop souvent l'évaluation de la familiarité de
l'élève avec l'écrit littéraire, donc la mise en
oeuvre d'un processus inavoué de sélection autour de pratiques
culturelles « légitimes » et excluantes.
De même, avec les manuels, l'école secondaire
continue d'éliminer les « vrais textes » sociaux
pour leur substituer des extraits, voire de « faux textes »
pseudo-littéraires qui n'existent qu'à l'école.
Or, le lecteur d'aujourd'hui est obligé de
développer des stratégies multiformes adaptées à la
diversité des textes qu'il interroge ou rencontre.La lecture du texte
littéraire n'est certes pas la lecture, mais une certaine lecture d'un
certain type d'écrit, et le lecteur de romans met en jeu des
stratégies et (peut-être surtout) des attitudes face à
l'écrit très différentes de celles qui conviennent, par
exemple, à la lecture d'écrits utilitaires.
C'est de la rencontre entre le lecteur et son texte que
Barthes nous entretient. C'est là qu'il nous intéresse en
renversant l'ordre établi dans l'approche de l'écrit
littéraire.
C'est d'abord un renversement de l'opposition statique entre
"forme" et « contenu » au profit d'une dynamique où
la structuration du récit, elle-même productrice de sens, agit sur
le sens dénoté du texte par le jeu des connotations. Ce sont ces
connotations du sens, dans le récit, qui permettent une « lecture
plurielle, polysémique », donc variable selon les lecteurs.
Ensuite, et cela me paraît le plus important, Barthes
opère un renversement de l'ordre hiérarchique lecteur-auteur au
profit du lecteur, détenteur du véritable pouvoir sur le texte :
Mais l'aptitude à construire le sens ou, mieux, les sens, n'est-elle pas
une aptitude de lecteur indissolublement liée à la
capacité de parcourir l'espace texte avec le maximum de libre arbitre ?
Cette possibilité est interdite au déchiffreur prisonnier d'une
subvocalisation attentatoire à la perception du sens. Il est mis dans
l'incapacité de vivre le champ des possibles offert par la langue.
Le déchiffreur est d'abord coincé par la lenteur
et la rigidité de son entreprise d'oralisation. Mais il est tout autant
la victime d'un statut d'infériorisation sociale qui lui enjoint de
répondre à la sempiternelle question : « Que dit, qu'a
dit, que veut dire l'auteur ? »
Comme si le système scolaire s'était
évertué, de Bled à Lagarde et Michard, à
réduire au maximum ces potentialités de l'apprenti lecteur
à créer, imaginer, fantasmer lors de sa rencontre avec le texte
littéraire. Devenir lecteur, c'est donc aussi accéder à
une pluralité du sens qui ne peut pas s'accommoder de la domination
symbolique de l'auteur sur le lecteur.
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