PARTIE 1 - RISQUE DES ACTIONS COLLECTIVES EN DROIT DE
LA CONCURRENCE
20. Risque actuel et risque potentiel. L'analyse
d'une opportunité et d'une stratégie du
règlement consensuel des litiges au regard des actions
collectives en droit européen de la concurrence nécessite un
préalable de détermination du risque en question constitué
par les actions collectives. Risque, c'est-à-dire possibilité,
probabilité d'un fait, d'un événement
considéré comme un mal ou un dommage qui s'incarne ici par
l'action collective.
Il ne sera pas nié qu'une « action collective
» ne puisse être qualifiée ontologiquement de risque, mais
comme il a été dit supra penser une stratégie
nécessite bel et bien d'adopter téléologiquement un point
de vue. Dès lors, le choix est fait de penser ce renforcement voulu
du private enforcement comme un risque pour les entreprises (du fait
d'une possible meilleure efficience de celui-ci par le biais des actions
collectives).
Ce risque, certes, n'est pas indépendant des faits de
l'entreprise (au sens large) subissant une action en justice, le demandeur
démontrant bel et bien un intérêt à agir contre
cette entreprise, néanmoins il s'agit ici non pas de caractériser
les comportements fautifs ou non, mais de gérer les demandes suite
à ces comportements. Dès lors, ce risque des actions collectives
en droit de la concurrence, nécessitera dans un premier temps de faire
un état des lieux du risque actuel (Titre 1), pour
ensuite, appréhender de manière spéculative le risque
potentiel encouru (Titre 2).
24
Titre 1 - Risque actuel
21. Droit de la concurrence européen et droits
internes de la concurrence. Derrière la
question des actions de groupe en droit de la concurrence se
pose indubitablement le droit de la concurrence applicable et son champ
d'application. En effet, « quel droit de la concurrence » pour les
actions collectives et « quelle action collective » ?
Quel droit de la concurrence ? La question semble
déjà laisser présager la réponse : le droit de la
concurrence européen. Néanmoins, faut-il rappeler qu'aucun
règlement ne régit les actions collectives en droit
européen et qu'en l'état actuel seule une directive qui sera
étudiée infra (cf. Titre 2) donne un
régime juridique concernant uniquement les actions en dommages et
intérêts, permettant une certaine harmonisation sur ce point.
Quelle action collective ? Les modalités juridiques des
actions collectives sont souvent dépendantes des traditions juridiques
de chaque État. Par exemple, il suffit de penser notamment aux dommages
punitifs toujours refusés dans la tradition juridique française
(se limitant à la réparation intégrale
49
du préjudice) alors qu'ils sont ancrés dans la
tradition du Common Law, ou encore à la procédure de
discovery ou au mareva injuction totalement inconnues en
droit latin. Se dégage ainsi au sein de
50 51
l'Union européenne une « diversité d'action
collective » qu'il sera nécessaire de regarder plus en profondeur
(tout de même dans un souci de clarté et de concision, tous les
systèmes juridiques ne seront pas regardés, l'Europe étant
constituée de plus de 28 pays et donc d'autant de systèmes
juridiques).
À ce titre, il semble opportun, en ce qui concerne le
risque actuel des actions collectives, d'éclaircir dans un premier
temps, les racines juridiques de cette modalité d'agir en droit de la
concurrence européen (Chapitre 1), pour ensuite se
pencher sur l'inégalité des droits substantiels et
procéduraux des actions collectives en concurrence dans les États
membres (Chapitre 2).
49 défini dans le Black's Law Dictionary comme : «
la sanction financière prononcée à l'encontre de la
partie succombante afin de sanctionner son comportement »
50 se caractérisant comme une modalité
procédurale employée par une partie lors d'une action au civil ou
au pénal, avant un procès, pour requérir de la partie
adverse de divulguer des informations qui sont essentielles pour la demande et
que seule l'autre partie connaît ou possède.
51 qui peut être défini comme : «
temporary injunction that freezes the assets of a party pending further
order or final resolution by the Court, so named after the case which allowed
the remedy », la sanction qui est le « contempt of court
» en fait la spécificité, celle-ci pouvant parfois
prendre la forme d'une sanction pénale (c.f. Mareva Compania
Naviera SA v. International Bulkcarriers SA, [1975] 2 Lloyd's Rep 509 (C.A. 23
June 1975). , [1980] 1 All ER 213)
25
Chapitre 1 - Risque éthéré des actions
collectives découlant du droit européen
22. Être et devoir-être.
Nonobstant la nécessité certaine du développement
du private enforcement par le biais des actions collectives est de
l'essence même du droit européen qui a vocation à saisir ce
contentieux (Section 1) et l'action majeure du droit
prétorien venue pallier la carence textuelle (Section
2), le droit européen reste aujourd'hui incapable d'offrir un
cadre légal efficient aux actions collectives comme cela peut être
statiquement le cas notamment aux États-Unis52.
Section 1 - Une vocation limitée du droit
européen à promouvoir les actions collectives
23. Droit substantiel et champ d'application.
Pour saisir l'applicabilité du droit européen
aux actions collectives en droit de la concurrence, il faut d'abord saisir
le droit de la concurrence objet de ces actions collectives. Or, pour s'en
saisir il apparaît impérieux d'une part, d'en peindre le champ
d'application (1) et d'autre part, de pointer le droit substantiel qui en est
l'objet (2).
§1) Champ d'application matériel du droit
européen concurrentiel
24. Union européen et droit de la concurrence.
Avant de plonger plus en avant dans le champ d'application
ratione loci de ce droit concurrentiel, source de l'action collective,
il faut regarder en quoi le droit de l'Union européenne a vocation
à s'appliquer à cette hypothèse. L'Europe en tant que
construction économique d'un « marché unique » a
utilisé le droit de la concurrence comme un outil régulateur, en
ce qu'il est normatif et dérégulateur, en ce qu'il permet de
mettre à mal le protectionisme et les barrières nationales. Le
droit de la concurrence européen est donc un outil essentiel à
l'uniformisation européenne. Derrière cette uniformisation se
transcrit une vision économique du marché économique tel
qu'il devrait être. Ce que l'on a ainsi dénommé «
l'économie sociale de marché » (Marktwirtschaft),
qui s'organisera ainsi autour d'une forme d'ordre économique,
appuyée sur des règles spécifiques. Suivant la tradition
ordo-libérale, l'État, garant de la liberté individuelle
dans la sphère économique, doit notamment empêcher que la
concurrence ne soit entravée par le comportement des agents dominants,
que ceux-ci soient privés ou publics.
Ainsi, textuellement, l'article 3.3 du Traité de
l'Union Européenne précise bien que:
« l'Union établit un marché
intérieur. Elle oeuvre pour le développement durable de l'Europe
fondé sur une croissance économique équilibrée et
sur la stabilité des prix, une économie sociale de
marché hautement compétitive ».
52 représentant environ 90% du volume contentieux total
selon Kathleen Maguire in Antitrust cases filed in U.S. District Courts, by
type of case 1975-2010 dans Sourcebook of Criminal Justice Statistics.
University at Albany, Hindelang Criminal Justice Research Center, (Table
5.41.2010).
26
Mouvement d'une prééminence du droit
européen qui a conduit à élargir son champ de
compétence au fur et à mesure du temps pour un intégration
renforcée. Ainsi, en décembre 1989, soit plus de trente ans
après la signature du Traité instituant la Communauté
économique européenne et deux ans seulement avant la date butoir
de 1992 assignée à l'achèvement du marché unique,
les pays membres sont parvenus à un accord, qui a
délégué à la Commission le pouvoir exclusif de
contrôler les opérations de concentration de dimension
communautaire. Par la suite, les diverses directives comme celle sur l'action
en dommages-et-intérêts ou notamment les règlements
concernant les accords de franchise , la procédure , les accords
verticaux constituant des ententes confirment
53 54 55
cette tendance (comme aujourd'hui concernant la proposition sur
le geo-blocking ).
56
La construction européenne a donc dès le
départ posé le droit de la concurrence en pierre angulaire de sa
fondation et son renforcement comme moteur à sa fortification.
25. Champ d'application. Il apparaît
nécessaire de regarder l'assise territoriale du droit
européen de la concurrence.
En premier lieu, conformément à l'article 52 du
TUE qui dispose que le droit de la concurrence s'applique là ou le droit
de l'Union s'applique, le droit européen de la concurrence régit
les entreprises présentes sur le territoire de l'espace
économique européen57(l'Union européenne,
l'Islande, le Liechtenstein et la Norvège).
En deuxième lieu, il faut ajouter une extension
jurisprudentielle par le biais de la doctrine de l'effet. Selon cette
théorie, les règles de concurrence nationale sont applicables aux
entreprises étrangères, mais aussi aux entreprises nationales
établies en dehors du territoire national, lorsque leurs comportements
ou leurs opérations produisent un « effet » à
l'intérieur de ce territoire.
La nationalité des entreprises est dénuée
de pertinence en termes d'application des règles en matière
d'ententes, la théorie des effets vaut pour toutes les entreprises
quelle que soit leur nationalité.
La Cour de justice a appliqué cette théorie pour
une entente58 au travers plus spécifiquement de l'idée
de « mise en oeuvre » au sein de l'espace économique
européen par les entreprises, restreignant l'applicabilité au
seul « effet » au sein dudit espace. Par la suite, en ce qui
concerne les
53 Règlement (CEE) n°4087/88 de la Commission du
30 novembre 1988 concernant l'application de l'article 85 paragraphe 3 du
traité à des catégories d'accords de franchise
54 Règlement (CE) n° 1/2003 du Conseil du 16
décembre 2002 relatif à la mise en oeuvre des règles de
concurrence prévues aux articles 81 et 82 du traité (Texte
présentant de l'intérêt pour l'EEE)
55 Règlement (UE) n°33/2010 de la Commission du 20
avril 2010 concernant l'application de l'article 101, paragraphe 3, du
traité sur le fonctionnement de l'Union européenne à des
catégories d'accords verticaux et de pratiques concertées.
56 Proposal for a Regulation of the European Parliament and of
the Council on addressing geo-blocking and other forms of discrimination based
on customers' nationality, place of residence or place of establishment within
the internal market and amending Regulation (EC) No 2006/2004 and Directive
2009/22/EC
57 suivant l'article 3 du traité sur l'Union
européenne
58 notamment CJCE, arrêt du 27 septembre 1988,
Ahlström Osakeyhtiö e.a. contre Commission (« Pâtes de
bois »), affaires jointes 89, 104, 114, 116, 117 et 125 à 129 /
85
27
concentrations, le Tribunal de première instance a pu user
de cette théorie dans l'arrêt Gencor en
59
concluant que :
« lorsqu'il est prévisible qu'une
opération de concentration projetée par des entreprises
établies à l'extérieur de la Communauté
produise un effet immédiat et substantiel dans la
Communauté, l'application du règlement n° 4064/89
[règlement sur les concentrations] est justifiée au regard du
droit international public ».
En troisième lieu, il faut ajouter la théorie de
l'unité économique qui peut servir à imputer des
agissements de filiales à leurs sociétés-mères
établies en dehors de l'Union européenne, notamment l'arrêt
du 14 juillet 1972 de la Cour de justice de la Communauté
européenne (Imperial Chemical Industries Ltd. contre Commission des
Communautés européennes, affaire 48-69 qui précise au
point 139) :
« Qu'à défaut d'indications contraires,
il convient de penser qu'à l'occasion des hausses de 1965 et de 1967 la
requérante n'a pas agi autrement dans ses rapports avec ses filiales
établies dans le marché commun; Que, dans ces conditions,
la séparation formelle entres ces
sociétés, résultant de leur personnalité juridique
distincte, ne pourrait s'opposer à l'unité de leur
comportement sur le marché aux fins de l'application des règles
de concurrence; Qu'ainsi, c'est bien la requérante qui a
réalisé la pratique concertée à l'intérieur
du marché commun; Qu'il n'y a donc lieu de déclarer que le moyen
d'incompétence soulevé par la requérante n'est pas
fondé; ».
Plus spécifiquement, les articles 101, 102 du TFUE sur
les ententes et abus de position dominante (cf. infra) s'appliquent
aux situations « susceptibles d'affecter le commerce entre
États membres ».
60
La notion de « commerce » n'est pas limitée
aux échanges transfrontaliers traditionnels de produits et de services,
mais a une portée plus large qui recouvre toute activité
économique internationale, y compris l'établissement. Cette
interprétation concorde avec l'objectif fondamental du traité
consistant à favoriser la libre circulation des biens, des services, des
personnes et des capitaux.
La condition de l'existence d'une affectation du commerce
« entre pays de l'Union européenne » suppose qu'il doit y
avoir une incidence sur les activités économiques
transfrontalières impliquant au moins deux pays de l'UE ; La notion
« susceptible d'affecter » met en exergue que l'accord en cause doit,
sur la base d'un ensemble d'éléments objectifs de droit ou de
fait, permettre d'envisager avec un degré de probabilité
suffisant qu'il puisse exercer une influence directe ou indirecte, actuelle ou
potentielle, sur les courants d'échanges entre pays de l'Union
européenne. De plus, il faut que cela affecte « de
manière sensible » le commerce (règle de
minimis61), par exemple, dans sa communication concernant les
accords d'importance mineure, la Commission déclare que les accords
entre petites et moyennes entreprises sont rarement en mesure d'affecter
sensiblement le
59 Tribunal de première instance (TPI), arrêt du 25
mars 1999, Gencor contre Commission, affaire n° T-102/96
60 Communication de la Commission - Lignes directrices
relatives à la notion d'affectation du commerce figurant aux articles 81
et 82 du traité [Journal officiel n° C 101 du 27.4.2004].
61 avec notamment des indications utiles comme le seuil de 40
millions de chiffre d'affaires hors taxe et du seuil de 5% de part de
marché
28
commerce entre pays de l'Union. Le lieu d'établissement
de l'entreprise ou de conclusion de l'accord est en toute état de cause
irrelevant . De ces deux textes, combinés avec l'article 106 du
62
TFUE (pour les entreprises publiques) apparaît l'essence
même du private enforcement (en dehors du droit des aides d'Etat
ou des concentrations) mais reste la question de leurs articulations avec les
juridictions et droits internes.
26. Prééminence du droit
européen. Comme le pointait déjà l'Avocat
général Warner : « le droit communautaire et le droit
national opèrent en combinaison, le dernier occupant le terrain lorsque
le premier le quitte ». D'un point de vue du partage de
compétence, après la réforme du
63
règlement 17/62 , il y a la mise en place d'un
système décentralisé d'application du droit
64
européen ; par le biais notamment d'une zone de
sécurité offerte par la mise en place d'exception légale
(exemption légale). Tout de même, la compétence de la
Commission reste exclusive de celle des juridictions ou autorités
administratives des Etats membres nommés sous le vocable
d'autorité nationale de concurrence (ANC)65, les Etats
membres ont donc une compétence subsidiaire.
Néanmoins, reste que les ANC doivent appliquer le
droit de la concurrence européen si les autorités
européennes ne l'appliquent pas et qu'il est applicable (traduisant la
décentralisation du contentieux concurrentiel), et ceci, en sus de
l'application du droit national de la concurrence (qui en tout état de
cause ne peut être contraire en droit européen). Le droit
européen s'impose donc comme un standard à suivre, une base
minimale du droit concurrentiel qui peut même servir de grille de lecture
au droit interne. Ainsi, existe une complémentarité du droit
interne et du droit européen même si celle-ci n'est que le
reliquat du la prééminence du droit européen.
§2) Droit substantiel de la concurrence comme
assise à l'action individuelle
27. Entente/abus de position dominante et
préjudice individuel. Concrètement en ce qui concerne
le droit « substantiel » (en ce qu'il se distingue de la
procédure), il convient de regarder les abus au droit de la concurrence
au travers des abus de position dominante et les ententes.
En effet, c'est bien ces situations qui engendrent un
surcoût direct pour le consommateur et pourraient fonder son droit d'agir
en justice en se fondant sur le droit européen de la concurrence. Par
ces normes c'est le fondement même du droit européen de la
concurrence comme norme invocable par le citoyen qui est en jeu et donc
subsidiairement une possible action collective sur ce fondement. En outre, les
aides d'Etat relèvent d'un contentieux propre n'incluant pas la
possibilité
62 Lignes directrices relatives à la notion
d'affectation du commerce figurant aux articles 81 et 82 du traité
(Communication de la Commission) au considérant 100: « Les
articles 81 et 82 s'appliquent aux accords et pratiques susceptibles d'affecter
le commerce entre États membres, même si une ou plusieurs des
parties sont établies à l'extérieur de la
Communauté (78). Les articles 81 et 82 s'appliquent quel que
soit le lieu d'établissement des entreprises ou le lieu de conclusion de
l'accord, à condition que l'accord ou la pratique soit mis en
oeuvre (79) ou ait des effets (80) à l'intérieur de la
Communauté »
63 CJCE, arrêt du 16 décembre 1976, Rewe, aff.
33/76, Rec. 1989, et Comet, aff. 45/76, Rec. 2043, conclusions Warner.
64 CEE Conseil: Règlement n° 17: Premier
règlement d'application des articles 85 et 86 du traité
65 Règlement (CE) n° 1/2003 du Conseil du 16
décembre 2002 relatif à la mise en oeuvre des règles de
concurrence prévues aux articles 81 et 82 du traité (Texte
présentant de l'intérêt pour l'EEE)
29
directe pour un consommateur de s'ester en justice, celui-ci
n'étant pas la victime de la « rupture »
d'égalité concurrentielle. En ce qui concerne le contrôle
des concentrations, il s'agit d'un contrôle anticoncurrentiel a
priori, en toute hypothèse le contentieux relève de l'action
des ANC et de la Commission qui à défaut de notification peuvent
notamment ordonner des injonctions et des amendes subséquentes. Au
demeurant, de manière complémentaire, la sanction des
concentrations peut a posteriori s'effectuer au travers du droit des
ententes et des abus de position dominante. Ces deux hypothèses ne
seront donc peu ou prou pas développées, l'étude du risque
se faisant au travers du droit des pratiques comportementales de la concurrence
(et non structurelles).
En ce qui concerne, les ententes le professeur Dubouis les
définit comme : « les accords ou pratiques concertés
entre entreprises qui ont pour objet ou pour effet de restreindre la
concurrence, donc d'une manière certaine de cloisonner le marché
».
66
Autrement dit, il s'agit de tout partage de marché,
fixation de quota de production ou accord sur les prix entre entreprises pour
les maintenir artificiellement élevés. Ces différents
comportements faussent le marché, au détriment des consommateurs
et des autres producteurs victimes de ces pratiques, qui paient leurs biens de
consommation à un prix plus élevé ou sont
évincés.
L'article 101 § 1 et § 2 TFUE (remplacement
l'article 81 du Traité instituant la Communauté
européenne67) dispose ainsi que :
« 1. Sont incompatibles avec le marché
intérieur et interdits tous accords entre entreprises, toutes
décisions d'associations d'entreprises et toutes pratiques
concertées, qui sont susceptibles d'affecter le commerce entre
États membres et qui ont pour objet ou pour effet d'empêcher, de
restreindre ou de fausser le jeu de la concurrence à l'intérieur
du marché intérieur, et notamment ceux qui consistent
à:
a) fixer de façon directe ou indirecte les prix
d'achat ou de vente ou d'autres conditions de transaction,
b) limiter ou contrôler la production, les
débouchés, le développement technique ou les
investissements,
c) répartir les marchés ou les sources
d'approvisionnement,
d) appliquer, à l'égard de partenaires
commerciaux, des conditions inégales à des prestations
équivalentes en leur infligeant de ce fait un désavantage dans la
concurrence,
e) subordonner la conclusion de contrats à
l'acceptation, par les partenaires, de prestations supplémentaires qui,
par leur nature ou selon les usages commerciaux, n'ont pas de lien avec l'objet
de ces contrats.
2. Les accords ou décisions interdits en vertu du
présent article sont nuls de plein droit. »
Cet article fonde le principe de la nullité de plein
droit des accords ou décisions interdites avec un effet direct.
Dès lors, il appartient aux juridictions nationales de constater la
nullité des dispositions concernées et d'en déterminer les
effets. De plus, cette nullité a un caractère absolue, ce qui
rend
66 DUBOUIS, Louis et BLUMANN, Claude in Droit matériel
de l'Union Européenne, 6ème Edition Domat droit public
Montchrestien, année 2012
67 en outre, lors de l'entrée en vigueur du
traité de Lisbonne le 1er décembre 2009, les articles
81 et 82 du traité instituant la Communauté européenne
sont devenus les articles 101 et 102 du traité sur le fonctionnement de
l'Union européenne restant identiques en substance
30
l'accord imposable aux tiers , et a, en principe, un
caractère rétroactif . Qui plus est, des sanctions
68 69
pécuniaires peuvent être infligées par la
Commission à l'entreprise contrevenante dans le cadre du public
enforcement.
En ce qui concerne les abus de position dominante, il s'agit
de la situation de puissance économique détenue par une
entreprise qui lui donne le pouvoir de faire obstacle au maintien d'une
concurrence effective sur un marché, en lui fournissant la
possibilité de comportements indépendants vis-à-vis de ses
concurrents. En outre, cette domination est appréciée in
concreto. Le fait qu'elle existe n'est pas en soi sanctionnable car
uniquement l'abus de position dominante est sanctionné (sans regarder
son caractère intentionnel ou non d'ailleurs ).
70
L'article 102 TFUE dispose quant à lui que :
« Est incompatible avec le marché
intérieur et interdit, dans la mesure où le commerce entre
États membres est susceptible d'en être affecté, le fait
pour une ou plusieurs entreprises d'exploiter de façon abusive une
position dominante sur le marché intérieur ou dans une partie
substantielle de celui-ci.
Ces pratiques abusives peuvent notamment consister à
:
a) imposer de façon directe ou indirecte des prix
d'achat ou de vente ou d'autres conditions de transaction non
équitables,
b) limiter la production, les débouchés ou le
développement technique au préjudice des consommateurs,
c) appliquer à l'égard de partenaires
commerciaux des conditions inégales à des prestations
équivalentes, en leur infligeant de ce fait un désavantage dans
la concurrence,
d) subordonner la conclusion de contrats à
l'acceptation, par les partenaires, de prestations supplémentaires qui,
par leur nature ou selon les usages commerciaux, n'ont pas de lien avec l'objet
de ces contrats. »
En outre, la sanction est prévue aux articles 5 et 7 du
règlement n°1/2003 prévoyant notamment que la Commission ou
les autorités nationales de concurrence (ANC) peuvent imposer des
sanctions pécuniaires en cas d'infraction.
La philosophie de ces textes s'inscrit dans un logique de
public enforcement ou « contentieux objectif », en effet, il
s'agit ontologiquement de fournir à la Commission les moyens juridiques
de
71
sanctionner un cloisonnement du marché mais pas de nourrir
le « contentieux subjectif ».
Cela apparaît par exemple au regard des sanctions qui
sont essentiellement la nullité et des amendes permettant uniquement de
rétablir l'ordre public économique.
68 CJCE, arrêt du 25 novembre 1971, Béquelin, 22/71
Rec. 549.
69 CJCE, arrêt du 6 février 1973, Brasserie de
Haecht, 48/72, Rec.77.
70 CJCE, arrêt du 13 février 1979. Hoffmann-La Roche
& Co. AG contre Commission des Communautés européennes.
71 en ce que le préjudice causé
s'apprécie de manière objective et non subjective,
c'est-à-dire au regard d'un acteur en particulier
28.
31
Harmonisation de la politique européenne de
concurrence Le droit substantiel étudié ne peut
être efficient que s'il est appliqué de manière
homogène.
En outre, les directives successives et règlements
(notamment le règlement n°1/2003 sur la procédure) assurent
une harmonie législative certaine, renforcée par les lignes
directrices de la Commission qui servent de grille de lecture72 et
sont utilisées tant par les juridictions européennes qu'internes.
De plus, dans tous ces textes, le droit européen est fondé sur
des définitions propres, des notions « autonomes » qui sont
souvent différentes que celles des droits nationaux, la
définition donnée soit par les textes ou lignes directrices ou
par le juge européen permet une homogénéité
d'interprétation ; sans oublier que la plupart des dispositions sont
d'effet direct. Cette interprétation uniforme est surtout permise par
les questions préjudicielles, où une juridiction nationale
interroge la Cour de justice de l'Union européenne sur le droit de
l'Union européenne. Qui plus est, celle-ci est aussi assurée par
le Réseau européen de la concurrence (REC), structure informelle,
facilitant la coordination entre les autorités chargées de la
concurrence. Au demeurant, ce réseau est aussi essentiel en tant
qu'outil permettant une certaine homogénéité dans
l'application du droit de la concurrence européen par chaque Etat
membre.
Cette harmonisation permet une sécurité
juridique. En outre, l'étude de l'analyse économique de cette
norme (hard ou soft law) entre dans la nécessaire
gestion par l'acteur soumis à celle-ci (l'entreprise essentiellement) du
cadre analytique et de la grille de lecture à prendre en compte, au
delà même d'une opportunité, il s'agit d'une
nécessité. Dès lors, la stratégie ne pouvant se
déployer vis-à-vis de ces institutions, au-delà d'une
« stratégie de rupture », que par une communication dans la
même langue, le même dialecte et la règle doit mutatis
mutandis suivre une logique compréhensive, pour les sujets
de droit, sur un marché unique.
29. Rapport entre les articles 101 et 102 TFUE et
le private enforcement. Malgré ces textes normatifs
(articles 101 et 102 TFUE) prévoyant des normes concurrentielles,
apparaît le constat qu'avant la directive n°2014/104 aucun texte
européen n'avait prévu des modalités techniques de
possibles actions collectives pour violation desdits textes. Pire encore, aucun
texte ne prévoyait les modalités du private enforcement,
c'est-à-dire qu'aucun texte européen ne donnait un droit à
agir au consommateur lésé du fait d'une entente ou d'un abus de
position dominante. Il y avait donc un vide juridique sidéral dans
l'efficience même du droit antitrust européen.
Ainsi, le préjudice des entreprises victimes et des
consommateurs était laissé au seul droit interne des Etats
membres de l'Union européenne. Mais comment expliquer cette
incapacité à légiférer sur ce point crucial ? Ce
néant juridique pouvait s'expliquer en particulier par la volonté
d'établir en priorité l'efficience du marché unique par le
public enforcement et les quatre piliers : libre circulation des
biens, libre circulation des capitaux, libre circulation des services, libre
circulation des personnes (ceci au détriment du private
enforcement dont l'application est délocalisée dans les
ANC).
72 comme précisé par le Conseil Constitutionnel
français (Décision n° 00-D-82 du 26 février 2001) :
« règlement précité, sans être applicable
à une affaire dans laquelle seul le droit national a été
invoqué, peut constituer un guide d'analyse utile ».
32
Face à ce constat et à l'inaction du
législateur européen, le juge intervient donc pour
développer le contentieux subjectif . Pour cela, le juge communautaire a
fait preuve d'ingéniosité pour combler
73
le vide juridique et a créé de manière
prétorienne des droits subjectifs aux particuliers, victime d'une
violation de l'ordre public économique.
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