Opportunité et stratégie du règlement consensuel des litiges au regard des actions collectives en droit européen de la concurrence( Télécharger le fichier original )par Edouard Bruc Université de Montpellier - DJCE 2016 |
Section 2 - La course au règlement consensuel175. Attraction renforcée. Le directive prévoit un régime propre pour les règlements consensuels et les actions en dommages et intérêts postérieurs. En outre, l'article 19 tout en respectant le droit à réparation intégrale intègre de facto une dérogation au régime de droit commun de partage de la responsabilité (1), créant ainsi une course forcée vers le règlement consensuel (2). §1) Reliquat de la demande et règlement consensuel antérieur 176. Combinaison. L'article 18 prévoyant une possible réduction de l'amende du fait d'un règlement consensuel peut se combiner parfaitement avec l'article 19 de la directive n°2014/104 qui vient organiser la répartition du surcoût entre des parties à une infraction lorsqu'une partie a déjà régler de manière consensuelle un litige. Il s'agit en effet de mettre l'entreprise dans une stratégie passive de collaboration intensive avec les autorités, cette stratégie peut être intéressante même en cas de clémence l'article 19 ayant attrait uniquement au préjudice du au regard du private enforcement. En outre, l'article 19 de la directive prévoit que : « 1. Les États membres veillent à ce que, à la suite d'un règlement consensuel, le montant de la demande de la partie lésée partie à ce règlement soit diminué de la part du préjudice causé à la partie lésée par l'infraction au droit de la concurrence qui est imputable au coauteur de l'infraction partie à ce règlement. » Ainsi, suite à un règlement consensuel, le montant de la demande de la victime partie à ce règlement est diminué de la part du préjudice imputable au coauteur de la violation du droit de la concurrence partie à ce règlement. Ainsi, une entreprise contrevenante partie à un règlement consensuel n'est pas dans une situation plus désavantageuse qu'elle ne l'aurait été en l'absence de règlement consensuel (en particulier si elle devait rester, même après le règlement consensuel, solidairement responsable de l'intégralité du préjudice causé par la violation). 177. La faveur du reliquat. Le deuxième paragraphe prévoit alors une véritable faveur à la partie ayant déjà réalisée un règlement amiable (par rapport à des actions postérieures) : « 2. Tout reliquat de la demande de la partie lésée partie au règlement consensuel ne peut être réclamé qu'à l'encontre des coauteurs de l'infraction qui ne sont pas parties à ce règlement. Les coauteurs de l'infraction qui ne sont pas parties à ce règlement ne sont pas autorisés à exiger du coauteur de l'infraction partie à ce règlement une contribution au reliquat de la demande. » 145 Ainsi, tout reliquat (différence entre ce qui a été payé et ce qui correspond au préjudice intégral) de la demande de la victime partie au règlement consensuel ne peut être réclamé qu'à l'encontre des coauteurs de l'infraction qui ne sont pas parties à ce règlement. L'auteur d'une violation partie à un règlement consensuel est alors en principe libéré de l'obligation de payer une contribution aux coauteurs de la violation ne participant pas à ladite procédure (lorsque ces derniers ont indemnisés la partie lésée avec laquelle l'auteur de la violation premier cité avait déjà trouvé un accord au moyen d'un règlement consensuel). Concrètement, toute action récursoire contre le coauteur partie au règlement est donc exclue. C'est donc une règle protectrice des entreprises qui versent des dommages et intérêts à leurs victimes dans le cadre d'un règlement consensuel des litiges. Le paragraphe 3 assure en toute hypothèse le droit à réparation intégrale pour la victime :
La directive prévoit ainsi les modalités techniques de la charge de la dette entre co-auteur (responsabilité à différencier : « du point de vue matériel, temporel ou géographique313 ») et l'effet du règlement consensuel sur cette répartition du préjudice. §2) Réduction du coût et course au règlement consensuel 178. Rapidité et transaction. « La promptitude est l'essence même de la guerre. Tirez parti du manque de préparation de l'ennemi ; empruntez des itinéraires imprévus et frappez-le là où il ne 313 directive n°2014/104, considérant 52 146 s'est pas prémuni » disait Sun Tzu dans L'Art de la guerre. Or, comme le pointe Nicole Coutrelis, 314 l'article 19 combiné avec l'article 18 paragraphe 3 de la directive risque de créer une course au règlement consensuel lorsqu'il y a des coauteurs à une pratique anticoncurrentielle. En effet, la partie qui sera la première parvenue à un règlement consensuel n'aura pas à supporter en principe (sauf incapacité des autres parties à l'infraction) la charge du reliquat (qui est la somme à percevoir ou à payer en vertu du principe de réparation intégral du préjudice tel qu'édicté par la directive). En effet, l'article 19 libère l'entreprise qui a transigé (ou utilisé un autre moyen de règlement amiable) la première de tout reliquat d'indemnisation qui pourrait par la suite être demandé à d'autres coauteurs. Il faut bien remarquer qu'existe du fait des concessions réciproques une différence entre ce qui est donné à la victime par le biais d'une transaction et le montant du préjudice que la personne qui a transigé aurait du payée en vertu du principe de réparation intégrale. Le reliquat reste ici à la charge des coauteurs à l'infraction qui sont donc pénalisés par rapport à la personne qui a su régler amiablement le litige. 179. Stratégie et reliquat. Il faut donc pour les parties coauteurs d'une pratique anticoncurrentielle qui cherchent stratégiquement à en diminuer le coût (dans une logique passive de coopération) : « concevoir, aussi vite que possible, une véritable stratégie contentieuse et/ou consensuelle à l'échelle de l'Europe ou même au-delà dans l'hypothèse où la pratique en cause a revêtu une dimension transfrontalière. Chaque entreprise contrevenante aux articles 101 et 102 du TFUE pourra ainsi tout mettre en oeuvre pour trouver individuellement un accord global avec les victimes et tenter de minimiser l'indemnisation due pour échapper aux risques de jugements plus sévères à son encontre. L'éventuel différentiel entre les deux sommes sera alors mis à la charge des autres coauteurs de l'infraction [sauf exception du paragraphe 3 de l'article 19]. Un tel cas est d'autant plus susceptible de se produire si, à ce stade du processus, la victime dispose de peu d'information et ne peut donc pas pleinement mesurer ses chances de former un recours devant le juge ni même d'obtenir réparation, et ne peut pas non plus s'appuyer sur une décision préalable d'une autorité de concurrence.315» Cette diminution du préjudice est d'autant plus forte en cas d'action collective du fait de l'agrégation des préjudices individuels, le reliquat devenant potentiellement plus important. Ceci incite véritablement à chercher à transiger rapidement, le gain potentiel étant par ailleurs plus visible en cas d'une multiplicité d'action collective (la reliquat de l'une pouvant hypothétiquement se loger dans l'autre). 314 TZU, Sun in L'art de la guerre, chapitre 11, page 230 315 COUTRELIS, Nicole et ZIVY, Fabien in Davantage d'avantages pour le règlement consensuel des litiges ou la négociation plutôt que la confrontation, Lamyline, numéro 44, juillet-septembre 2015, p. 102 147 180. Conclusion. La stratégie à prendre face au risque d'action collective peut être efficacement la voie extrajudiciaire. En effet, l'aléa judiciaire a un coût pour l'entreprise, face à celui-ci le règlement consensuel en mettant fin « une fois pour toute316» au contentieux est un outil utile (section 1§1). La diminution du coût de l'amende est une possibilité offerte aux autorités par la directive mais en réalité, elle s'inscrit dans une stratégie plus globale de coopération avec les autorités en charge de la concurrence pour être vraiment optimale (section 1§2). De plus, en cas d'infraction impliquant plusieurs auteurs, il semble que la directive est organisée un régime favorable aux entreprises qui règlent hors des tribunaux leurs litiges notamment au regard de la question du reliquat restant dû suite à un accord (section 2§1). Cette question du reliquat pourrait devenir la raison d'une forme de course entre les entreprises contrevenantes vers le règlement consensuel (section 2§2). La Commission met ainsi en place un cadre textuel favorable au règlement consensuel, elle le dit elle-même : « it's about compensation, not litigation ». 317 316 considérant 48 de la directive n°2014/104 317 Competition Policy Brief : The Damages Directive -Towards more effective enforcement of the EU competition rules, Issue 2015-1 | January 2015, page 3 318 The Commission, Compliance matters - What companies can do better to respect EU competition rules, nov. 2011, < http://ec.europa.eu/competition/antitrust/compliance/compliance_matters_en.pdf> 148 |
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