Section 2 - Focus sur la transaction
157. Contre-modèle américain.
Par ailleurs penser l'opportunité des règlements
consensuels découlant des droits internes européens demande,
malgré le caractère paradoxal de la chose, d'étudier le
droit américain des actions collectives.
En effet, ce choix s'explique car le droit européen
des actions collectives s'est construit sur le modèle américain
ou du moins en « contre-modèle ». En effet aux
États-Unis ont une tradition
296
juridique ancienne sur le sujet, les premières
class actions furent consacrées en 1942, date à laquelle la
Cour américaine promulgua les règles fédérales
d'équité (aujourd'hui codifiée à l'article 23 des
Règles fédérales de procédure civile). Cette
tradition ancienne par la multiplicité des décisions et
l'affinement de son analyse par la doctrine, permet de donner de la «
matière » à une analyse de celui-ci, comparativement aux
balbutiements des class actions en Europe. Contre-modèle aussi,
car il inspire des critiques vives du fait de ses dérives et permet au
législateur d'imaginer des solutions à ses imperfections. Le
sujet est ici d'autant plus probant que comme déjà
expliqué 90% du contentieux privé se termine en transaction. Par
conséquent, il conviendra donc d'étudier en quoi la transaction
est le mode de règlement consensuel le plus adéquat (1) mais
aussi les risques inhérents à ce type de résolution
amiable (2).
§1) La transaction : un outil
adéquat
158. Exemple américain. Le
contentieux privé aux Etats-Unis se résout quasiment tout le
temps par des transactions. Comment expliquer cette statistique ? Comme le
relève le Livre Blanc à la page 10 :
296 Néanmoins, il faudra rappeler que la class
action a une origine anglaise et non américaine. En effet, les
juges anglais statuant en équité ont créé la
procédure du Bill of Peace au XVIIème siècle. Celle-ci
permet à de nombreux demandeurs ou défendeurs de faire juger une
question commune au cours d'une même instance (cf. YEAZELL,
Stephen C. in From Medieval Group litigation to the Modern Class Action,
1987).
135
« Il convient d'accorder une attention
particulière aux mécanismes favorisant un règlement rapide
des litiges, tels que les accords transactionnels. Ce type de
mécanisme pourrait réduire sensiblement voire supprimer les frais
liés au contentieux pour les parties ainsi que les coûts
supportés par le système judiciaire. »
159. Avantage de la transaction. Comme un
concurrent victime qui sera apte à saisir la juridiction « à
même de lui accorder une réparation satisfaisante », les
consommateurs ou les PME regroupés dans une action collective pourront
eux aussi prendre la voie judiciaire ou rechercher une indemnisation par le
biais de transactions .
298
Le succès de la transaction tient dans ses avantages
et le fait qu'elle correspond parfaitement aux demandes du contentieux
indemnitaire dans la plupart des hypothèses (notamment dans le cadre du
contentieux en follow-on). En effet, la transaction permet un
traitement amiable qui permet de limiter la durée et les coûts
liés à la procédure. Elle répond surtout à
l'essence même du contentieux si l'action collective est en
follow-on, en effet dans ce contexte, si la décision de
condamnation est définitive, apparaît par les articles de la
directive que la défense devienne très difficile. La question
n'est plus de savoir si l'entreprise est responsable mais dans quelle mesure ?
Mesure de la responsabilité qui peut prendre place autour d'un
débat économique sur l'importance de l'infraction et sa
répartition entre les coauteurs. Mesure qui va surtout se transformer en
une question de montant : combien ? Face à cette question, l'arbitrage
n'a peu ou prou pas d'intérêt car il s'apparente plus au
procès civile alors que la transaction, elle répond directement
par les concessions réciproques. Il s'agit d'abandonner un montant
réparant l'infraction en échange d'une renonciation à
l'action.
L'accord transactionnel a donc la faveur du
législateur européen qui doit en partie s'inspirer de
l'efficacité relative du private enforcement aux
Etats-Unis297.
160. Jeu. Renonciation qui prend la forme
d'une transaction donc, dont le véritable enjeu sera sur la
négociation du montant qui, elle, devra se faire en appuyant sur la
menace contentieuse. L'entreprise contrevenante peut ainsi par exemple pointer
sa capacité à retarder l'issue du litige, arguer du partage de
responsabilité avec des coauteurs ou encore jouer par le biais de
rapport d'expert. En rendant la décision plus aléatoire que
prévue elle fait ainsi baisser le montant à payer aux parties
à la transaction. Il s'agit d'un jeu de pressions réciproques des
parties qui vont toute à la fois faire jouer la menace contentieuse
toute en cherchant un accord extra-judiciaire pour chacune optimiser leur
chance de « gain ». Ainsi, apparaît l'utilité des
transactions qui connaissent un essor difficilement mesurable mais
sensible299.
297 l'efficacité du private enforcement
pouvant s'expliquer aussi par un public enforcement efficace mais
statistiquement moins important (du fait des actions en follow-on).
298 PRIETO, Catherine et BOSCO, David in Droit européen
de la concurrence. Ententes et abus de position dominante, 2013, p. 1423.
299 RODGER, B. J. in Private Enforcement of Competition Law,
The Hidden Story : Competition Litigation Settlements in the United Kingdom,
2000-2005 : ECLR, 2008, 29(2), p. 96 et s.
136
§2) La transaction : un outil dangereux
161. Transaction et équité. En
droit américain il y a un contrôle par le juge a posteriori
de l'accord transactionnel : « the judge must review and approve
any settlement as fair, reasonable, and adequate with respect to the class
». Cela s'explique comme le fait remarquer Adolf Wach :
« There must be norms ruling what parties are allowed to
do and what they aren't, as well
as norms ruling what they aren't allowed to do, although
they are mutually ready to allow it300 ».
Cette vision du risque inhérent aux transactions
apparaît aussi en droit européen, ou du moins en droit mou, au
travers de la recommandation de 2013 sur les recours collectif qui
précise que :
« 28. Il convient que la légalité des
solutions contraignantes issues de transactions collectives soit
vérifiée par une juridiction, compte tenu de la
protection qu'il est opportun d'accorder aux intérêts et aux
droits de toutes les parties concernées. »
162. Principal-agent et contingency
fees. Pourquoi une telle défiance au regard d'un accord
consensuel ? Tout d'abord, existe le risque de recours abusifs et
infondés par des avocats peu scrupuleux dans l'unique but de soutirer de
l'argent par le biais d'une transaction à des entreprises solvables
ayant une certaine réputation et qui craignent une mauvaise
publicité du fait d'une class action même infondée
(technique dite de l'ambulance chasing). Spécifiquement dans
les actions
301
collectives, c'est aussi le problème connu de la
relation entre un principal et son préposé (dit «
principal-agent »). En outre, plus les membres d'un groupe sont
nombreux, plus ils sont limités dans leur aptitude à
contrôler la conduite de leur représentant, décalage qui
peut exister entre les motivations des membres d'un groupe et celles de
l'avocat qui les représente.
Quel intérêt pour l'avocat ?
L'intérêt c'est des honoraires de résultat, ce qui laisse
supposer qu'ils pourraient prendre leurs décisions non pas dans
l'intérêt de leur client mais dans leur propre
intérêt302. Face à ce risque des honoraires de
résultat qui viendrait priver les victimes d'une représentation
en justice efficace, la recommandation sur les recours collectifs
prévoit de les limiter ou de les contrôler :
« 29. Les États membres devraient veiller
à ce que la rémunération des avocats et son mode de calcul
ne créent aucune incitation à engager des
procédures judiciaires qui ne soient pas nécessaires dans
l'intérêt des parties.
30. Les États membres ne devraient pas permettre le
versement d'honoraires de résultat qui risquent de créer une
telle incitation. Les États membres qui, à titre
exceptionnel,
300 WACH, Adolf in Vorträge über die
Reichs-Civilprocessordnung. Gehalten vor prakt. Juristen im Frühjahr 1879
(1896), p. 53
301 dérive comportementale qui peut être
sanctionnée, par exemple en droit américain sous la Rule 7.3 du
American Bar Association Model Rules of Professional Conduct.
302 GILLES, Myriam et FRIEDMAN, Gary B. in Exploding the Class
Action Agency Costs Myth : The Social Utility of Entrepreneurial Lawyers,
(2007) 155 U Pa L Rev 103, p. 104
137
autorisent des honoraires de résultat devraient
prévoir une réglementation nationale appropriée de ces
honoraires en cas de recours collectif, compte tenu notamment du droit des
membres d'un groupe constituant la partie demanderesse à obtenir une
réparation intégrale. »
163. Coupon. Les coupon settlements
sont logiquement un enjeu au regard des transactions. Ainsi, lors d'une action
collective et son règlement transactionnel au lieu de recevoir un
chèque, les victimes reçoivent un bon de réduction chez le
défendeur (entreprise contrevenante) tandis que les avocats obtiennent
des millions de dollars en honoraires :
« Par exemple, après que le Department of
Justice avait terminé sa poursuite contre la société
Microsoft pour des infractions aux règles de la concurrence en 2001,
plusieurs avocats ont commencé une action privée dans la
Californie au nom et pour le compte des consommateurs californiens. La
société Microsoft et ses avocats ont négocié un
accord à l'amiable évalué d'un montant de $1,1 milliards.
Selon le règlement, tous ceux qui avaient acheté des produits
Microsoft entre les années 1995 et 2001 pouvaient réclamer
à cette société un bon d'achat en remplissant un
formulaire. La majorité de ces bons ne valaient pas plus de $20. En
revanche, l'avocat qui avait mené l'action a demandé la somme de
$97 millions pour services rendus et $197 millions supplémentaires
ont été demandés par les trente-quatre autres
avocats ayant travaillé sur ce dossier. Ces honoraires ne
dépassaient pas vingt-sept pour cent de la somme accordée aux
consommateurs, mais puisque la totalité d'une telle transaction est
rarement distribuée, ce pourcentage était probablement plus
grand303 ».
Pour l'entreprise, l'avantage est triple : elle paye une
amende moindre, va a posteriori recevoir une partie de ce qu'elle a
payé et voit revenir ses anciens clients chez elle (baisse du coût
réputationnel).
303 NEUMANN, Karl-Alexander et WADE MAGNUSSON, Landon in Pour
une action collective européenne dans le droit de la concurrence, 24.2
(2011) Revue québécoise de droit international, page 160
138
164. Conclusion. Les modalités
concrètes de la mise en place de mode de règlement consensuel se
font au travers d'une suspension du délai de prescription
nécessaire pour éviter que ces modes de règlement ne
soient trop désavantageux (section 1§2) ; cela permet de corriger
le régime antérieur où
l'hétérogénéité des régimes pouvaient
être cause d'inégalité de traitement dans le cadre de cette
deuxième voie alternative aux tribunaux (section 1§1).
Le cadre procédural étant posé, il est
opportun de se pencher sur la transaction qui est le mode de règlement
le plus adéquat aux actions collectives (section 2§1). Ce mode de
règlement très développé dans le cadre du
private enforcement aux Etats-Unis n'est pas sans questionner certains
abus qui en découlent (section 2§2), comme les coupon
settlement ou les contingency fees.
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