Chapitre 2 - Les modalités concrètes
d'utilisation des règlements consensuels
148. Modalité concrète. La
question de l'utilisation d'un mode de règlement amiable doit pouvoir se
faire sans que cela soit rédhibitoire aux parties, de ce fait la
directive n°2014/104 a prévu d'harmoniser la question de le la
prescription au regard des règlements amiables (Section
1). Qui plus est, il est opportun de se focaliser sur un processus de
règlement amiable en particulier : la transaction qui semble la plus
adéquate face aux recours collectifs (Section 2).
Section 1 - La nécessaire suspension de la
prescription
149. Uniformisation. La directive
n°2014/104 prévoit un avantage processuel considérable
à la mise en oeuvre des MARC : la suspension du délai de
prescription pendant toute la durée de la procédure (article 18).
Les États membres ont des règles différentes par rapport
à la prescription de l'action lors de la mise en oeuvre des
règlements alternatifs des conflits (1) que la directive va harmoniser
lors de sa transposition en droit interne294(2).
Il est à noter que l'article 18 point 2 de la
directive 2014/104 dispose que :
« Sans préjudice des dispositions du droit
national en matière d'arbitrage, les États membres veillent
à ce que les juridictions nationales saisies d'une action en dommages et
intérêts puissent suspendre leur procédure pendant une
période allant jusqu'à deux ans lorsque les parties à
celle-ci participent à une procédure de règlement
consensuel du litige concernant la demande couverte par l'action en dommages et
intérêts ».
Cela signifie que la directive s'applique concernant la
suspension du délai de prescription à défaut de
disposition relevant du droit interne des États membres en
matière d'arbitrage contraire. Le droit européen n'a pas vocation
à s'appliquer à l'arbitrage, cependant il ne faut pas que le
droit interne soit contraire à l'ordre public européen. Il faudra
donc que les États prennent en compte cette directive en matière
d'arbitrage pour se conformer à l'ordre public européen.
§1) Une diversité de
régimes
150. Suspension et interruption. L'Union
européenne est marquée par une diversité de pays ayant
chacun leurs propres droits internes marqués par des règles
différentes. La directive met en place une suspension du délai de
prescription lors d'une procédure de règlement alternatif des
litiges. Il faut étudier les différents droits internes avant la
nécessaire transposition de la directive concernant les délais de
prescription en général (article 10 de la directive) et au regard
de l'article 18 de la directive de 2014. L'article 18 de la directive utilise
le mot « suspension » qui doit être
différenciée de l' « interruption ». La
suspension arrête temporairement le délai de prescription sans
effacer le délai déjà couru. L'interruption met un terme
au délai de prescription qui reprendra de
294 avec comme date limite le 27 décembre 2016
132
zéro après la survenance d'un certain
événement. Ainsi, l'article 18 prévoit une suspension du
délai de prescription qui reprendra lors de la fin de la
procédure de règlement consensuel des litiges.
151. Allemagne. En droit allemand, quelques
modifications devront être nécessaires notamment concernant la
durée du délai de prescription. Le paragraphe 199 du Code civil
allemand dispose que le délai de prescription d'une action en dommage et
intérêt est de 3 ans. Ce délai de prescription va devoir
être porté à 5 ans pour que le droit allemand soit conforme
à la directive. Le point de départ de ce délai est le
même que celui précisé au sein de la directive. Le droit
allemand paraît même plus libéral car le délai
commence à partir du moment où le demandeur ignorant son droit
à réparation devrait en avoir eu connaissance sans «
négligence grossière ». Contrairement à la
directive, il laisse courir le délai de prescription à partie de
la connaissance du droit alors que la directive le fait courir à partir
du moment où l'infraction au droit de la concurrence a cessé.
Ensuite, par rapport à l'article 18 de la directive
n°2014/104, une suspension du délai de prescription en cas de
négociation menées par les parties concernant le droit à
réparation existe déjà ( 203 BGB). Le droit allemand
institue même un délai de réflexion à l'issue de la
négociation de trois mois, durant lesquels le délai de
prescription sera toujours suspendu et recommencera à courir à
l'issue de ces trois mois.
152. Italie. En droit italien, la
transposition de la directive aura un impact car le droit italien
prévoit une prescription quinquennale sans suspension de la
prescription. La Cour de cassation italienne dans un arrêt du 2
février 2007 affirme le principe selon lequel le point de départ
du délai de prescription commence à courir à compter du
jour de l'extériorisation du dommage et non du jour où la
conduite dommageable cesse. Le point de départ du délai de
prescription va donc dans le même sens que celui de la directive mais
nécessitera des précisions pour être conforme.
153. France. En droit français, le
délai de prescription de l'action en dommage et intérêt est
de 5 ans :
295
« à compter du jour où le titulaire d'un
droit a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant de
l'exercer ».
Donc le point du départ du délai commence
à courir à compter du moment où la victime a eu
connaissance de l'infraction ou aurait du en avoir connaissance. Aucun
changement substantiel du fond du droit applicable ne sera nécessaire
(mais uniquement des précisions textuelles).
Concernant l'article 18 et la suspension du délai de
prescription en cas d'utilisation de règlement alternatif des litiges et
notamment de médiation ou de conciliation, le droit français par
son article 2238 du code civil instaure une suspension du délai de
prescription pendant tout le temps de la procédure de règlement
amiable.
295 article 2224 du Code civil
133
154. Panorama. Les divers États
membres de l'Union européenne ont des règlementations
différentes en droit interne concernant les délais de
prescription des actions en dommage et intérêt, le point de
départ de ces délai et l'impact des procédures de
règlement alternatif des litiges sur ces délais.
§2) Une harmonisation européenne
155. Prescription et suspension. La
directive met en avant les modes consensuels de règlement des
différents et pour les rendre plus attractifs elle leur attribue un
avantage processuel non-négligeable dans son article 18 : la suspension
du délai de prescription. Avant cela au sein de son article 10 elle tend
à harmoniser les délais de prescription concernant les actions en
dommages et intérêts dans les différents États, sans
cela son article 18 n'aurait pas de sens. En effet, si chaque États
avaient des délais de prescription différents mais transposaient
tous l'article 18 concernant la suspension, certains régimes internes
seraient donc plus intéressants que d'autres et lors de litiges
transfrontaliers on se retrouveraient avec deux délais différents
se confrontant.
156. Article 10 et 18. L'article 10.4 de la
directive dispose que : « Les États membres veillent à
ce que les délais de prescription applicables aux actions en dommages et
intérêts soient de cinq ans au minimum ».
La directive commence tout d'abord par harmoniser les
délais de prescription des actions en dommages et intérêts
avec un délai de 5 ans ; ce qui engendrera comme vu
précédemment une modification des délais de prescription
pour ces actions en Italie et en Allemagne notamment. Ensuite, la directive
pose la règle concernant le point de départ du délai de
prescription :
«Les délais de prescription ne commencent pas
à courir avant que l'infraction au droit de la concurrence ait
cessé et que le demandeur ait pris connaissance ou puisse
raisonnablement être considéré comme ayant connaissance
:
a) du comportement et du fait qu'il constitue une infraction
au droit de la concurrence;
b) du fait que l'infraction au droit de la concurrence lui a
causé un préjudice; et
c) de l'identité de l'auteur de
l'infraction.»
La directive commence tout d'abord par une définition
négative du point de départ du délai de prescription. Le
point de départ de ce délai commence à courir une fois que
l'infraction au droit de la concurrence à cesser et non avant (ce qui
est intéressant pour les victimes en cas d'infraction continue). Elle
énumère ensuite trois faits qui font démarrer le
délai de prescription, la connaissance soit du comportement
entraînant une infraction au droit de la concurrence, du fait que cette
infraction lui ait causé un préjudice et de l'identité de
l'auteur de l'infraction. La directive précise « puisse
raisonnablement être considéré comme ayant connaissance
» ce qui permet de sanctionner tout de même une
négligence excessive de la part de la victime de l'infraction.
L'article 18 de la directive dispose que :
134
« Les États membres veillent à ce que
le délai de prescription fixé pour intenter une action en
dommages et intérêts soit suspendu pendant la durée de
toute procédure de règlement consensuel du litige. Cette
suspension ne s'applique qu'à l'égard des parties qui participent
ou ont participé à ladite procédure ou y ont
été représentées »
La directive par cette disposition instaure une suspension du
délai de prescription durant la procédure de règlement
amiable en droit de la concurrence, ce qui est un nécessaire pour un bon
déroulement de ces procédures, renforçant ainsi son
attractivité. En effet, il ne faudrait pas que les parties ayant recours
à un mode consensuel de règlement des litiges soient
pénalisées si elles n'arrivent pas à trouver un terrain
d'entente. En cas de non aboutissement de la procédure consensuelle, il
faut que la voie judiciaire puisse rester ouverte. Et c'est dans ce but que la
directive a mis en place une suspension du délai de prescription pour
permettre une efficacité de la justice et préserver le droit
à indemnisation de la victime d'une infraction au droit de la
concurrence.
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