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Le graffiti à  Beyrouth: trajectoires et enjeux d'un art urbain émergent

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par Joséphine PARENTHOU
Sciences Po Aix-en-Provence - Aix-Marseille Université - Diplôme de Sciences Politiques 2015
  

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2. Des trajectoires professionnelles toujours en formation

Peu de graffeurs occupent une profession stable en rapport direct avec le graffiti. Ceci s'explique d'abord par l'âge : beaucoup d'entre eux sont toujours en période d'études, les autres entrés depuis peu dans la vie active. Bien que certains vivent effectivement du graffiti, la plupart d'entre eux travaillent dans des secteurs plus ou moins liés à celui-ci. Meuh travaillait comme journaliste freelance et doublait des séries en français, Spaz travaille dans une entreprise d'animation, Exist paie ses études grâce à son job de vendeur dans un magasin de bombes de peinture, etc. Lorsque Kabrit expliquait son choix pour l'animation, il ajoutait qu'il souhaiterait effectivement continuer dans cette voie, alors même que le graffiti représente pour lui des revenus non négligeables. Il semble que cette déconnection apparente entre l'orientation professionnelle et la pratique du graffiti soit causée par le caractère instable de cette dernière, et le peu d'assurance d'un revenu régulier.

47 BEUSCART, Jean-Samuel, PEERBAYE, Ashveen, « Urbanité(s) (avant-propos) », Terrains & Travaux, 2003/2 (n° 5), p. 3-6, p. 4. 48Ibid., p. 51.

49 DARMON, Muriel, Devenir anorexique. Une approche sociologique, La Découverte, collection Poche, 2008, 349 p.

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La conciliation entre graffiti, souhaits personnels et orientation professionnelle s'avère compliquée ; lorsque Vagneron relate l'expérience de Chloé, une graffeuse d'Ivry, il considère qu'elle « n'envisage pas de sacrifier sa pratique à son avenir professionnel »50. La difficulté de faire du graffiti une profession à temps plein relèverait d'un calcul « coût - avantage » qui ne serait pas compris comme une décision purement rationnelle, mais comme la conscience d'une conciliation nécessaire. Ces acteurs adaptent alors, pas à pas, leur projet professionnel aux débouchés potentiels, débouchés qui sont également déterminés par leur niveau de reconnaissance. Lucie Bargel, dans son étude sur les carrières des jeunes militants du Mouvement des Jeunes Socialistes51, met en lumière la manière dont ces jeunes tentent de combiner ressources acquises, contraintes et projet professionnel : la difficulté des jeunes militants tient notamment à ce qu'ils doivent être capables de transformer des ressources partisanes militantes en ressources politiques dans le temps et l'espace donné du parti. Or, la plupart d'entre eux échouent par exemple à faire carrière et à devenir des professionnels de la politique et sont, de plus, durablement réduits à leur passé militant lorsqu'ils tentent de s'orienter vers le secteur privé. Un investissement total et exclusif, chez eux comme chez les graffeurs, les enfermerait dans une situation d'entre-deux dont il est malaisé de se défaire, sur le type de la Path Dependency. Il semble alors plus « souhaitable » de conserver une profession reconnue (et officiellement enseignée) que de s'investir à temps plein dans le graffiti, activité en pleine construction et dont la reconnaissance n'est pas assurée. Cela pourrait être un facteur d'explication de cette distanciation entre pratique artistique première - le graffiti - et la voie professionnelle choisie. Quant à ceux qui, comme Ashekman, Zed ou Eps, subviennent à leurs besoins grâce au graffiti, il est souvent complété par d'autres activités. Le graffiti d'Ashekman s'insère dans un concept plus large lié au hip-hop, puisque les jumeaux Kabbani ont également un groupe de rap et une ligne de vêtements. Zed est peintre, expose en galeries et répond à des commandes privées non liées au graffiti, tout comme Eps, dont les revenus se fondent presque intégralement sur les commandes de graffiti, mais travaille en parallèle pour une école et magasin de surf. Ainsi, même chez ceux pour qui le graffiti devient une profession, il ne s'agit pas d'une activité à temps plein ; la nécessité d'un revenu régulier les contraint à partitionner leur temps et faire valoir des aptitudes diverses.

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