3. L'utilisation de personnalités ou de
références symboliques au Liban
Enfin, l'adaptation locale du graffiti passe par l'utilisation
de références claires et largement diffusées dans la
culture libanaise qui contribueraient à développer, dans la
culture graffiti beyrouthine, un imaginaire libanais ou
libanité. Cela est particulièrement visible chez Yazan
Halwani, spécialisé dans le « mix entre portrait et
calligraphie ». On retrouve ainsi des figures «
emblématiques » (voir Annexe IX « Graffitis et
réappropriation de l'espace »), du Liban ou de la culture arabe et
particulièrement appréciés au pays du cèdre :
Fairouz, Dalida, Mahmoud Darwich, Asmahan... Il explique lui-même qu'il
souhaite remplir les murs de « figures qui font l'unanimité
à Beyrouth et dans le monde arabe ». Ashekman reprend parfois
le même type de sujet, comme la fresque de Fairouz réalisée
sur le boulevard Mar Mitr. D'autres éléments peuvent être
insérés : billets de banque libanais, tarbouche, etc. Quoique ces
adaptations soient comprises et émanent de la culture libanaise, on
perçoit une sorte d'aller-retour continuel entre territoire libanais
et
113 BOURDIEU, Pierre, op. cit., p. 428.
83
appartenance plus large à la « culture arabe
». La réalisation de pièces sur lesquelles figurent Fairouz
ou Mahmoud Darwich par Yazan en Tunisie montre que ce type de
référence culturelle paraît facilement transposable et
recevable d'un pays à l'autre. Cela nous amènera à nous
questionner sur ce qui pourrait véritablement faire de Beyrouth un
monde de l'art local car, si l'on peut parler d'une glocalisation
de la pratique du graffiti au regard des scènes européennes
et américaines par exemple, sa définition en tant que telle se
heurte aux ressemblances qui peuvent exister avec les pays voisins. En d'autres
termes, est-ce spécifiquement libanais, ou plutôt « arabe
» ?
Avant cela, rappelons que le Liban occupe une place unique au
Moyen-Orient, grâce à sa diversité communautaire et le
cosmopolitisme de sa capitale. Cette diversité est
réaffirmée par le graffiti, en particulier celui de Phat2. Il
s'attache à adapter ses graffitis au quartier dans lequel il
pose, ainsi qu'à sa culture. Ainsi, dans le quartier
arménien il modifie son blase, qui passe de Phat2 à «
Phatian », tout comme à Furn es-Chebbak, où une
importante communauté française réside, il se renomme
lui-même en « Jean-Phat » (voir Annexe IX), non sans
humour. Observer ce type d'adaptation nous renseigne abondamment sur ce que le
graffiti produit comme effets sur le communautarisme dans l'espace urbain. Si
ces adaptations rendent visibles les communautés résidant dans
tel ou tel quartier, elles n'opèrent pas tant dans une optique
communautaire ou confessionnelle (et donc de segmentarisation urbaine) que
culturelle et humoristique, sorte de clin d'oeil positif aux différentes
composantes du Liban.
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