2. Influence de la diversité libanaise au sein du
territoire national
La situation géographique et historique du Liban rend
compte d'une diversité interne qui peut, en certaines occasions,
influencer les futurs graffeurs. Cette influence est finalement proche de celle
vécue par ceux dont les origines ou l'expérience familiale les
ont portés vers l'étranger. Leur provenance géographique,
au niveau national, est limitée à quelques régions, voire
quelques villes : Tyr pour le Liban sud (Bros crew), Mont-Liban, région
du Chouf (Spaz, Exist, Sup-C), voire Beyrouth même (Zed, Ashekman,
Yazan). Ces zones géographiques sont en réalité les plus
proches de la capitale ; elles sont, surtout, relativement
hétérogènes, même s'il existe toujours une
communauté plus ou moins majoritaire (maronite pour le Mont-Liban ou
druze pour le Chouf). En conséquence, il n'est pas étrange de
voir une sous-représentation des régions les plus
éloignées comme la Beqaa, le mohafazah12 de Nabatiyeh
(sud-est) ou encore Saida et Tripoli : éloignées
géographiquement certes, elles sont également peu
hétérogènes puisque Tripoli et Saida concentrent une
très large majorité de sunnites. Ces dernières abritent
par ailleurs certains bastions radicaux, à l'image du quartier de Bab
et-Tabbaneh à Tripoli. De plus, si un graffeur est actif à
Tripoli, il ne descend pas à la capitale et n'est pas
considéré comme un membre de la scène beyrouthine. Les
graffeurs proviennent en majorité du « village »
comme ils le répètent à de nombreuses reprises lors des
entretiens, toutefois lorsqu'on y regarde de plus près l'origine
provinciale est déjà distinctive selon que l'on se trouve
près ou non de Beyrouth, selon qu'il existe une diversité
communautaire ou non.
La différence se perçoit également entre
les Beyrouthins d'origine et ceux provenant du « village ».
Ces derniers distinguent clairement l'ambiance du village et celle de la ville
: « je venais d'un, d'une ville montagnarde quoi, tu as le, tu vois la
communauté un peu plus village, tu vois on traîne à
côté de l'high club, on joue au billard, on boit des bières
dehors et tout ça alors que ça, c'était pas ça
à Beyrouth du tout... » (Kabrit). Cette différence
d'origine dénote dans la manière dont l'activité sera
envisagée et construite, bien que cela reste relativement fluide. Si les
styles des Beyrouthins Zed, Yazan, voire Ashekman se rapprochent plus de la
fresque, les autres tendent à développer un style plus «
graff », plus en adéquation avec l'univers du graffiti tel qu'il a
pu être décrit par Frédéric Vagneron13 ou
Richard Lachmann14 : prédominance du tag, du flop, de la
pièce centrée sur le lettrage et le perso. Notons encore que
cette origine est analysée a posteriori, une fois que les
graffeurs sont entrés dans l'activité et présents à
Beyrouth ; elle ne peut dès lors être comprise comme un facteur
d'explication global, et ne représente qu'une variable parmi un ensemble
d'éléments explicatifs. Quoi qu'il en soit, cette apparente
hétérogénéité révèle
plutôt une
12 Le mohafazah, ou « gouvernorat » est une division
administrative que l'on peut apparenter à la région en France.
13 VAGNERON, Frédéric, « Le tag : un art de la
ville (observation) », Terrains & Travaux, 2003/2 (n°
5), p. 87-111.
14 LACHMANN, Richard, « Le graffiti comme carrière
et comme idéologie (traduction de Jean-Samuel Beuscart, Loïc
Lafargue de Grangeneuve, Claire Lemasne et Frédéric Vagneron)
», Terrains & Travaux, 2003/2, (n° 5), pp. 55-86.
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certaine constance dans les parcours identitaires de chacun :
que ce soit à l'international ou dans des villages où la
diversité communautaire reste présente, offrant un accès
facilité à la capitale, tous ont bénéficié
d'une socialisation primaire relativement tournée vers une
pluralité d'identités et d'échanges humains, à des
degrés plus ou moins élevés.
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