II. Qui constitue une innovation de continuité
pour la gestion de patrimoine
Comme défini par Clayton M. Christensen, «
l'innovation de rupture porte sur un produit ou un service qui finit par
remplacer les acteurs dominants sur un marché »20.
Ainsi, la substitution d'un modèle à un autre implique que le
service proposé par les deux soit équivalent. Pour comprendre
l'impact des robo-advisors sur le marché de la gestion de patrimoine, il
convient donc d'identifier le service sur lequel porte son innovation.
A. Son implication dans la planification patrimoniale
est
restreinte
1) Un service exclusivement financier
Le travail du gestionnaire de patrimoine se divise en deux
parties distinctes qui s'influencent mutuellement. D'une part, le conseiller a
un rôle à jouer dans la gestion d'actifs du client. Son but est de
proposer des investissements efficients, correspondant au profil du client, et
qui répondent à ses besoins patrimoniaux. La définition de
ces besoins se fait par le biais du conseil, deuxième partie du travail
du gestionnaire de patrimoine. Pour évaluer les besoins du client, il
est fait appel à la notion d'approche globale. Le conseiller va donc
évaluer l'ensemble du patrimoine possédé par le client,
mais également son statut marital, sa résidence fiscale, son
imposition et d'autres paramètres qui vont lui permettre de
définir les enjeux patrimoniaux du client bien au-delà de la
sphère uniquement financière. Le rôle du conseiller est
donc de définir une stratégie d'ensemble pour rendre un conseil
en cohérence avec la situation complète du client. Ce rôle
suppose une interaction entre les deux parties visant à mettre en
lumière les enjeux et surtout les expliciter au client qui n'en a pas
forcément conscience. C'est souvent le cas en ce qui concerne la
préparation à la transmission ou à la retraite. Peu de
gens savent qu'ils peuvent grandement optimiser le coût de leur
transmission en s'y prenant à l'avance. Ils se contentent donc de faire
un testament en toute hâte et rendent la succession compliquée,
alors qu'un conseiller pourrait leur préconiser des solutions qui
comportent notamment des investissements financiers dans des produits
adaptés, comme l'assurance-vie.
20 « The Innovator's Dilemma » - Clayton Christensen -
1997
34
Le robo-advisors n'a pas les capacités pour effectuer
un tel travail, il fait uniquement une approche besoin : le client exprime un
souhait par le biais du questionnaire client concernant un investissement
financier et le robo-advisors lui propose une solution qui se
matérialise par une allocation d'actifs. Il n'existe donc pas de notion
de conseil, à proprement parler, puisqu'il ne s'évertue pas
à motiver le besoin exprimé par le client. Cette activité
correspond à de la gestion pour compte de tiers plutôt que de la
gestion patrimoniale. A cet effet, la plupart des robo-advisors existants
dispose du statut de « société de gestion de portefeuille
» (SGP). Ceci signifie que le robo-advisors reste incapable, à
l'heure actuelle, de fournir des services équivalents à celui
d'un conseiller en gestion de patrimoine. Le conseiller exprime un conseil
global concernant la structuration du patrimoine, en vue de le constituer, de
le préserver, puis de la transmettre à la
génération future, ceci pouvant donner lieu à une
allocation d'actifs, tandis que le robo-advisors a pour unique vocation
d'effectuer une allocation d'actifs.
Or d'après Guillaume Piard, président directeur
d'Evest, « la valeur ajoutée de l'humain se situe au niveau du
conseil plutôt que de la gestion »21. Le fait de
révolutionner la gestion en imposant une méthode
automatisée n'affecte pas le conseil qui repose toujours sur la valeur
humaine. Le temps où un robot sera capable de comprendre l'ensemble des
problématiques qu'impose la gestion d'un patrimoine semble encore loin.
Le processus actuellement en cours concernant la gestion d'actifs ressemble
à celui qu'a connu l'automobile par le biais de Henry Ford. Certaines
tâches visant à la production d'un véhicule ont
commencé à être automatisé, par le biais de
machines. Le point commun à tous les processus d'automatisation est
qu'il porte sur une tâche unique. Même si la tâche est bien
plus complexe aujourd'hui concernant l'allocation d'actifs qu'elle ne
l'était hier concernant la fabrication d'une pièce de voiture,
elle reste unique. En soi, le modèle mis en place
par le robo-advisors consiste seulement à placer un
client sur une échelle de mesure allant de « peu risqué
» à « risqué » par le biais d'un questionnaire
d'une vingtaine de questions puis de proposer une allocation type en fonction
du placement sur l'échelle. Et encore, il faut savoir que beaucoup de
robo-advisors, comme Yomoni, ne constituent pas l'allocation
automatiquement, mais qu'elle dépend toujours de spécialistes
humains qui font des analyses. Quel est donc le réel apport de ces
sociétés par rapport à la gestion d'actifs traditionnels,
et nous ne parlons même pas de la gestion de patrimoine : le placement
automatique sur une échelle fait de façon encore hasardeuse (voir
antérieurement) qui permet de rationnaliser l'allocation d'actifs. Nous
pouvons avancer que le modèle actuellement mis en place par les
robo-advisors ne constitue pas une innovation de rupture,
21Conférence Fintech de CFA Society France,
« L'ère des Robo-advisors » - 12/04/2016
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en référence à la définition faite
par Clayton M. Christensen, car il ne remplace pas le service fourni par le
conseiller en gestion de patrimoine.
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