15 CONCLUSION
Pour terminer, nous revenons ici sur les aspects qui nous ont
marqués, et dont, au regard de notre problématique, nous pensons
qu'ils aient un caractère conclusif.
Le pari de ce mémoire est celui de l'articulation entre
compétences interdisciplinaires et compétences attendus en E.P.S.
Il est actuellement à la base de plusieurs innovations didactiques tels
que les îlots bonifiés, l'écriture collaborative, les
tutorats, la démarche de projet. Il se propose d'illustrer comment un
texte transversal, comme le socle commun de connaissance et de
compétence, peut étayer et être étayé par le
programme d'une discipline.
C'est la médiation de l'enseignant entre
l'élève et les savoirs qui est étudiée.
Nous nous posions la question des effets d'un enseignement
valorisant la C.M.S 2 (rôles sociaux et prise de responsabilités)
sur les apprentissages des élèves. Ces effets ont
été étudiés par l'observation de la pratique des
enseignants, mais aussi de l'activité des élèves.
Au final, nous constatons que des effets sont bien
présents et prometteurs si les conditions propices sont mises en place
:
La médiation des savoirs est renforcée
grâce à un gain qualitatif de dévolution. Cette
dévolution s'exprime grâce à un meilleur équilibre
entre les types de situations adidactiques : d'action, de formulation de
stratégie et de validation. Cela alors que dans le cycle traditionnel,
l`enseignant valorise plutôt des situations d'action.
Cette meilleure dévolution prépare une
institutionnalisation des savoirs plus pertinente.
Nous avons repéré que les modifications induites
dans le milieu et le contrat didactique, par l'inclusion de la C.M.S 2 au sein
des situations d'apprentissage, valorise les productions des
élèves.
Par l'agencement des conditions de l'enseignement,
l'enseignant, soulagé de la gestion des consignes, peut davantage
centrer ses interventions sur les apprentissages. Les temps de pratiques
effectives s'allongent au fil des séances.
L'institutionnalisation prend des formes plus avantageuses
pour l'élève : perlée, articulée à
l'apprendre plutôt que juxtaposée comme dans un cycle
traditionnel.
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Analyse didactique des effets d'un enseignement valorisant les
C.M.S sur les apprentissages. Une étude de cas en Education
Physique et Sportive.
Les temps didactiques s'imbriquent et s'enchaînent.
Selon ce qu'observe l'enseignant ou ce que demande l'élève, au
sein d'un même milieu, de manière différenciée,
l'enseignant peut reprendre la main et re-didactiser tout ou partie du travail
des élèves.
Les élèves quant à eux, peuvent enrichir
leurs ressources grâce à la mutualisation des stratégies
qu'ils ont formulées, partagées ou reçues de
l'enseignant.
La meilleure qualité de médiation se
vérifie au travers de la montée en charge des médiations
réflexives et relationnelles (Rabardel & Samurçay, 2001b);
celles qui permettent davantage d'interactivité entre savoirs non
moteurs et savoirs moteurs, entre élèves et compétence
attendue en natation de vitesse.
En E.P.S, la compétence attendue tente de concilier les
C.M.S et les Compétences Propres. Cette intention institutionnelle est
facilitée lorsque la C.M.S 2 fait partie du fonctionnement des
situations. En ce sens, une telle démarche d'enseignement renforce
l'effectivité (Sénéchal, 2004b) de la finalité de
l'E.P.S.
En valorisant l'inclusion des C.M.S au sein des milieux
didactiques, la discipline Éducation Physique et Sportive contribue
à une meilleure formation des élèves. Elle
témoigne, dans le champ scolaire, de la densité et de
l'originalité de ses apports.
Nous remarquons en particuliers que la valorisation de la
C.M.S 2 dans les situations a permis d'optimiser le temps de pratique effective
dans une activité (la natation de vitesse) où cette
préoccupation est forte pour l'enseignant.
Ce dernier bénéficie d'un recul sur la pratique
des élèves qui lui permet d'enrichir la qualité de ses
interventions. Il doit cependant composer avec les aspects anxiogènes
d'un timing d'intervention qui n'aurait peut-être pas été
le sien spontanément.
Nous postulons (ce qu'il faudrait vérifier par une
étude longitudinale) que ces gains pourraient se reporter sur les autres
A.P.S.A du parcours de formation de l'élève, à condition
que cette démarche d'interpénétration des C.M.S à
la pratique de l'élève soit continue, pensée au sein des
projets pédagogiques d'E.P.S.
Le temps libéré soulage l'enseignant dans sa
pratique. Il lui évite de vivre son acte professionnel dans une urgence
permanente. Cette disponibilité engendre une satisfaction qui stimule le
sentiment de compétence professionnelle, encourage
l'autodétermination (donc la réflexion sur les pratiques
professionnelles).
En utilisant certains élèves comme ressources du
cours, et soi-même aussi, l'enseignant est appelé à
intervenir pour légitimer les savoirs nécessaires aux
élèves. Les allers-retours
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Analyse didactique des effets d'un enseignement valorisant les
C.M.S sur les apprentissages. Une étude de cas en Education
Physique et Sportive.
entre les statuts de référent des savoirs et de
ressource du cours soulagent le professeur de l'excitation de ses
fragilités narcissiques, des attaques implicites sur sa valeur
professionnelle.
Nous remarquons particulièrement que le type
d'enseignement dirigé par Jeanne dans notre travail, produit des effets
chez tous les élèves, mais en particuliers, chez ceux qui sont
les plus fragiles dans les apprentissages (B.E.P.).
En renforçant, l'apprentissage par les pairs, les
« bons » élèves restent aussi compétents
à l'arrivée. Par contre, ceux qui sont plus fragiles dans les
apprentissages bénéficient de conditions plus propices à
leur engagement, et à la valorisation de leurs ressources.
Cette conclusion est à replacer dans le contexte d'une
discipline qui se questionne depuis longtemps à propos du
problème de « l'éternel débutant » et du statut
de la performance physique.
Cette année 2015 fête les dix ans de la loi du 11
février 2005. L'inclusion scolaire questionne les enseignants. En E.P.S,
la symbolique du corps organise les conceptions des acteurs. Mettre les C.M.S
au plus proche de la motricité des élèves n'oblige pas
à un alignement des représentations des enseignants. Et cela a le
mérite de proposer une solution à la difficulté que
représente l'inclusion des élèves à Besoins
Éducatifs Particuliers.
Les élèves qui, intrinsèquement, ne
peuvent pas atteindre la compétence attendue, nous amènent
à renouveler le questionnement sur la place de la performance motrice,
en prenant appui davantage sur le potentiel de chacun, que sur ses
difficultés.
C'est de l'effort consenti pour réussir qu'il s'agit.
La valorisation de l'effort redonne du sens à l'épreuve par un
mouvement qui permet de ne plus envisager la performance comme essentiellement
motrice.
Réalisée grâce aux savoirs relatifs
à la méthode et à la socialisation, la performance de
l'élève témoigne d'un usage des A.P.S.A où
s'équilibrent les rôles de moyen et d'objet de l'E.P.S.
Le gain de temps, associé à la valorisation de
la C.M.S 2 au sein des situations, créent les conditions d'un apaisement
du climat de travail. Le moindre volume d'interventions à
caractère éducatif témoigne du maintien des
élèves en activité. A ceci près, que le profil des
remédiations nous montre, que chez Jeanne, cette activité est
davantage tournée vers les apprentissages que le fonctionnement.
Les déclarations des élèves à
l'issue des cycles témoignent que cet apaisement du climat de travail,
permet aux élèves de davantage se satisfaire, s'engager,
s'investir grâce au sens qu'ils injectent dans leurs pratiques.
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Analyse didactique des effets d'un enseignement valorisant les
C.M.S sur les apprentissages. Une étude de cas en Education
Physique et Sportive.
La question du temps, de la temporalité a
été permanente dans ce travail. C'est une autre forme de
chronogenèse qui est questionnée. Dans le cycle C.M.S 2 de
Jeanne, le temps de l'élève et le temps de l'enseignant
coexistent ; la temporalité de l'enseignant se rapproche de celle de
l'élève, et collabore aux apprentissages davantage que chez
Serge. Pour cela l'enseignant doit accepter que les élèves aient
le temps suffisant pour pratiquer voire se tromper.
En acceptant d'installer progressivement les conditions de son
lâcher-prise, le professeur renonce à une part de son
contrôle sur les élèves ; ce même contrôle pour
lequel il a été recruté. Accepter de témoigner
cette marque de confiance aux élèves peut être une
épreuve pour l'enseignant. Cela se construit et s'entretient.
De tels fonctionnements renouvellent les modes de
présentations de savoirs. L'effort de renouvellement est couteux. Il
nécessite la formalisation de ce qui est fait, voire l'explicitation de
sa pratique auprès de ses pairs. Il oblige à une part de
renoncement d'habitudes parfois péniblement installées. Par
contre, pratiqué en équipe, il est nourrissant, facilité.
C'est un effort qui suppose l'acceptation d'une mise en difficulté de
soi, alors même, qu'agent de l'institution, l'enseignant se sent parfois
mis en difficulté par sa tutelle.
L'effort de renouvellement des pratiques fait appel à
une imagination et à une déontologie qui se mettent en place en
formation initiale, s'éprouvent sur le terrain, et se renouvellent en
formation continue.
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Analyse didactique des effets d'un enseignement valorisant les
C.M.S sur les apprentissages. Une étude de cas en Education
Physique et Sportive.
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