CHAPITRE 2 : PROBLÉMATIQUE
2.1. Problème de recherche 2.2. Questions de recherche
2.3. Objectifs de la recherche 2.4. Hypothèses de
recherche
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CHAPITRE 2 : PROBLÉMATIQUE
Le présent chapitre, composé de quatre parties,
situe en premier lieu le problème de recherche (2.1). Ensuite, il
présente les questions de recherche (2.2). Il décline les
objectifs de cette recherche en troisième position (2.3). Enfin, les
hypothèses de recherche (2.4) clôtureront ce chapitre.
2.1. Problème de recherche
Au Niger, comme dans beaucoup de pays de l'Afrique
subsaharienne, les programmes de formation des enseignants sont
exécutés en deux parties : les cours théoriques
dispensés dans les ENI et les stages pratiques effectués dans les
écoles primaires de la région sous le contrôle des
enseignants de terrain. Un programme de ce type vise à doter les futurs
maîtres de compétences nécessaires pour faire classe
efficacement.
Cependant, on constate dans les ENI que les cours
théoriques revêtent un caractère verbal et abstrait. C'est
pourquoi, dans bien des cas, les futurs maîtres ne perçoivent pas
clairement le rapport entre ces contenus et la pratique du terrain.
Quant aux stages, véritables opportunités de
familiarisation avec les techniques pédagogiques ou de conduite de
classe, leur rôle semble limité (Rissa, 2004). En effet, le
contrôle exercé sur les futurs maîtres pendant cette
période est très faible et superficiel. Il se trouve même
que les enseignants de terrain chargés d'assurer ce contrôle ne
sont pas suffisamment expérimentés et qualifiés
(Coulibaly, 2010).
Les formateurs des ENI, eux aussi, ne parviennent pas à
accorder toute l'attention nécessaire aux futurs maîtres du fait
de l'insuffisance du temps qui leur est alloué pour assurer la
supervision. De plus, les formateurs de terrain ne sont pas, parfois, en mesure
de fournir un feedback objectif concernant le comportement pédagogique
des futurs maîtres qu'ils supervisent du fait de leur manque
d'expérience. Or, un feedback objectif est indispensable pour motiver
les futurs maîtres et les aider à mieux maîtriser l'acte
pédagogique.
À ces problèmes d'encadrement, est venu
s'ajouter un autre non moins important. C'est celui des effectifs
pléthoriques. En effet, les futurs maîtres sont en surnombre par
rapport aux écoles d'accueil, ce qui réduit le temps de pratique
réelle de classe. Aussi l'arrivée
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des stagiaires dans ces écoles n'est-elle pas sans
conséquences sur le déroulement normal des cours et sur
l'apprentissage même des enfants.
Le nouveau modèle de formation initiale des
maîtres, centré sur un va-et-vient entre le terrain et le centre
de formation qu'est l'ENI, a pour but selon Altet (2005 b) : « une
professionnalisation de la formation des enseignants avec la construction de
compétences professionnelles autour du «savoir enseigner»
[...] » (p. 51). Ainsi, la formation initiale des enseignants du Niger
s'inscrit désormais dans l'optique d'une formation professionnelle
à finalité pratique. C'est une formation de ce type que
défend Berrier (2003) :
[...] Plutôt que de partir des théories, des
concepts, des principes et de la connaissance de méthodologies, on
pourrait envisager « d'immerger » le stagiaire dans une classe
pendant une heure (en le filmant) dès la première semaine de
formation (avec la possibilité d'une planification, tout de même)
et de le faire réfléchir ensuite sur sa pratique (en injectant
certains concepts quand ce sera utile), de lui faire reformuler des points
intrigants de son expérience et de lui faire dégager au fur et
à mesure sa propre théorie de l'enseignement [...] (p. 112).
Pour le MEN (2009), dorénavant : « la formation
professionnelle doit marquer une rupture avec les acquisitions livresques.
C'est pourquoi elle doit s'appuyer sur un modèle de pratique par
alternance » (p. 10).
C'est dans ce cadre que le nouveau curriculum des ENI a
proposé une initiation des futurs maîtres à la pratique par
le M-E. Selon ses fondateurs, Allen et Ryan (1969/1972), le M-E offre aux
maîtres :
[...] un cadre et une procédure pour leurs
leçons d'essai : un cadre grâce auquel les facteurs complexes
intervenant dans la situation de classe normale se trouvent sensiblement
simplifiés ; une procédure qui renforce le feedback reçu
par l'enseignant à la suite de sa leçon d'essai. Pour simplifier
les éléments complexes de la situation de classe normale, on
limite plusieurs de ses dimensions. La leçon se voit réduite en
durée et en contenu et, au lieu de 25 ou 30 élèves, c'est
un groupe restreint que le professeur enseignera (p. 2).
Le M-E est donc un outil d'entraînement pratique
à la conduite de classe sur un mode progressif et simplifié. Le
tableau 4 présente les différentes étapes de
présentation et d'analyse d'une leçon de M-E.
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Tableau 4
Dispositif temporel de présentation et d'analyse
d'un exercice de M-E
Étapes Durée
Préparation
L'étudiant-enseignant précise ses objectifs aux
observateurs et au formateur :
- en termes d'aptitudes
- en termes de contenu
Micro-cours
L'étudiant-enseignant effectue l'exercice prévu.
L'exercice est observé et enregistré par C.F.T.V. Recueil
des informations
- Auto-observation (l'enseignant seul en studio)
- Synthèses des observateurs
- Synthèses des élèves
Mise en commun
- L'étudiant-enseignant communique son auto-analyse
- Rapport médiatisé (par le formateur) des avis des
participants
- Rapport des observateurs
Visionnement collectif
- Repérage plus précis des comportements
adéquats ou non.
- Recherche et suggestion de rémédiation.
- Discussion sur la (les) aptitude (s)...
|
10'
15'
15'
+- 20'
+- 20'
|
Durée totale 1h 20' à 1h 30'
Source: Wagner (1992, p. 182)
Dans le tableau ci-dessus, on parle
d'étudiant-enseignant pour désigner le futur maître. Ici,
la durée totale de l'exercice est estimée entre 1 heure 20
à 1 heure 30 minutes mais dans les ouvrages, quand on parle du temps
consacré au M-E, on ne voit que celui imparti au micro-cours,
c'est-à-dire 15 minutes sinon moins.
L'acte d'enseigner étant très complexe (Berrier,
2003), il est plus que nécessaire de prendre conscience de ses
composantes, d'en dégager un certain nombre de savoir-faire, d'aptitudes
spécifiques pour aider à construire des compétences. Pour
Altet et Britten (1983), il s'agit de faire « acquérir à un
enseignant en formation des aptitudes pédagogiques distinctes, bien
définies et non l'acte pédagogique dans toutes ses dimensions
» (p. 15).
Considérant l'intérêt pédagogique
du M-E reconnu par plusieurs auteurs (Allen et Ryan, 1969/1972 ; Altet et
Britten, 1983 ; Wagner, 1992), la présente recherche s'intéresse
à la problématique du M-E comme méthode d'enseignement
à l'ENI/TT en mettant particulièrement l'accent sur les
contraintes liées à sa mise en oeuvre. En effet, si Delors (1999)
considère que « chaque pays doit de temps à autre
procéder à une réforme de son
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système scolaire sur le plan des méthodes
pédagogiques, des contenus et de la gestion » (p. 203), il est
cependant admis que les réformes en matière d'éducation
nécessitent des changements de comportements des acteurs de terrain
(Draelants, 2009). À cet effet, Colet, dans sa préface au livre
de Roegiers (2012), souligne que :
[...] Il ne suffit pas d'avoir une vision affutée, de
recourir à des outils de développement ancrés dans la
recherche et inspirés des bonnes pratiques, de s'appuyer sur une
communauté internationale, d'avoir la reconnaissance et la
légitimité de la fonction pour mener à terme une
importante réforme. Il y a un risque réel à
négliger les résistances au changement et les problèmes de
leadership. Toutes les belles intentions peuvent s'écrouler face aux
peurs et inquiétudes suscitées par l'appel à innover (p.
11).
Pour combattre ces résistances, il faut impliquer
pleinement les acteurs de terrain, c'est-à-dire les formateurs. Par
conséquent, les formateurs de l'ENI/TT doivent être
impliqués dans la mise en oeuvre du M-E. Dans le même ordre
d'idées, Durkheim, cité par Draelants (2009), souligne que :
S'il est nécessaire de fixer avec discernement les
différentes matières de l'enseignement, de les doser avec
sagesse, de les proportionner avec soin, il est encore beaucoup plus essentiel
de communiquer aux maîtres qui seront appelés à donner cet
enseignement l'esprit qui doit les animer dans leur tâche. On a compris
qu'un programme ne vaut que par la manière dont il est appliqué ;
que, s'il est appliqué à contresens ou avec une
résignation passive, ou il tournera contre son but ou il restera lettre
morte. Il faut que les maîtres chargés d'en faire une
réalité le veuillent, s'y intéressent ; c'est à
condition de le vivre qu'ils le feront vivre (p. 7).
Cependant, Coulibaly (2010) affirme qu'au Niger « les
enseignants ne reçoivent ni une formation initiale ni une formation
continue susceptible de leur permettre de mener à bien leur mission
» (p. 43). Selon lui donc, il faut « impérativement recourir
à de nouvelles méthodes de formation des maîtres » (p.
43). Il (Coulibaly, 2013) note, par ailleurs, que si le Niger veut atteindre
les objectifs de l'EPT d'ici à 2015, il lui faut développer un
modèle de formation d'enseignants compétents et qualifiés
; dans le cas contraire, son pari de Dakar risque d'être une utopie.
Dans ces conditions, quatre ans après la mise en oeuvre
du M-E dans les ENI, on est en droit de s'interroger sur son fonctionnement
d'autant plus que c'est une nouvelle méthode de formation qui est
censée conduire à une formation initiale de qualité au
Niger.
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Du point de vue didactique, les séances de M-E offrent
des possibilités de développement et d'évaluation des
compétences, crédo du nouveau programme des ENI. L'identification
et l'analyse des difficultés liées à la mise en oeuvre du
M-E seraient, de ce fait, d'un apport considérable pour la formation
initiale des enseignants du Niger.
Analysant différents travaux sur les technologies et
leurs usages en matière de formation des personnes, Albero (2004)
dégage quatre grandes orientations. La première orientation
s'intéresse aux principes de conception, au développement et
à l'évaluation des produits. La seconde s'intéresse aux
usages sociaux des technologies. La troisième, elle, s'intéresse
aux finalités de l'innovation. Quant à la quatrième
orientation, elle interroge les cadres de références et les
conditions dans lesquelles les savoirs sont produits et diffusés. Notre
travail s'inscrit dans l'optique de la seconde orientation et s'invite à
réfléchir sur les conditions d'utilisation du M-E dans le domaine
de la formation initiale des enseignants à l'ENI/TT.
Perlberg (1970) avait affirmé déjà dans
un article que « comme beaucoup d'autres conceptions et innovations
pédagogiques, le micro-enseignement risque naturellement d'être
mal compris et mal employé » (p. 40).
Près d'un demi-siècle après, l'on est
tenté aujourd'hui de donner raison à cet auteur. En effet,
plusieurs signes de dysfonctionnement du M-E font croire que cette innovation
pédagogique est mal comprise et mal mise en oeuvre.
Ainsi, dans bien de cas, la procédure de base du M-E
(essai ? visionnement, feedback et analyse ? reprise ? deuxième
feedback) est loin d'être comprise et respectée par bon nombre de
formateurs.
Dans la pratique, on observe le cheminement suivant : essai ?
visionnement, feedback et analyse.
De plus, l'ignorance des fondements théoriques du M-E
fait que la plupart des formateurs n'accordent pas assez d'importance aux
conditions pédagogiques d'exercice des aptitudes par les futurs
maîtres.
Pire, ces aptitudes ne sont même pas connues des
formateurs qui sont censés s'en servir pour apprendre aux futurs
maîtres à enseigner.
Le M-E est pratiqué comme si on devrait
présenter une partie d'une leçon donnée à un groupe
restreint d'apprenants pour respecter la triple réduction du temps, du
contenu et du nombre d'élèves préconisée par la
méthode. Les modèles ni perceptuels ni symboliques ne sont
présentés aux futurs maîtres. Les films de M-E, dans les
cas où ils ont été réalisés, n'ont plus leur
rôle correctif des erreurs et de souci d'amélioration de la
prestation prochaine du futur maître.
Les résultantes de tous ces dysfonctionnements et
pratiques non conformes aux principes théoriques du M-E sont inlassables
dans le système éducatif. Ainsi, les futurs maîtres sortent
de leur centre de formation sans souvent apprendre une quelconque aptitude.
Dans les rares cas où l'initiation à ces aptitudes a lieu, elle
est à moitié tronquée. Du coup, le produit de cette
formation incomplète est lancé sur le marché du travail,
toutes choses qui contribueraient à nouveau à la
dégradation du système plutôt que de l'améliorer.
La présente étude, intitulée «
Analyse des obstacles à la mise en oeuvre du micro-enseignement à
l'École normale d'instituteurs Tanimoune de Tillabéry au Niger
», a pour souci majeur d'identifier et d'analyser les difficultés
qui empêchent aux formateurs de l'ENI/TT de faire du M-E une
réalité.
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