CHAPITRE QUATRIEME :
La protection des abords du patrimoine bâti dans
la politique patrimoniale algérienne et leur place dans les actions
d'urbanisme
Introduction
La première recherche de la reconnaissance des valeurs
des abords du patrimoine bâti en Algérie sera sur le plan
politique. Le patrimoine est un élément de l'identité
nationale et une source économique très importante, c'est une
essence à préserver. L'Algérie, comme tous autres pays,
consciente de la nécessité de la préservation et la
promotion du patrimoine dans toutes ses formes. Cette conscience politique peut
être mesurée par la puissance de la protection juridique et de la
production législative visant la protection du patrimoine, ainsi
qu'à leur mise en application sur le terrain.
La recherche de la place de la protection du patrimoine
bâti et ses abords dans la politique culturelle algérienne, en
général, sera l'appui de ce chapitre qui s'articule, ensuite,
avec l'analyse de la reconnaissance de l'importance des abords du patrimoine
bâti dans la politique patrimoniale nationale, à travers l'analyse
des textes législatifs, l'étude du rôle des acteurs et
institutions relatives. Pour mesurer l'application des textes portant sur la
protection du patrimoine bâti et de ses abords, en particulier, il est
nécessaire de vérifier la place de ces abords dans la politique
urbaine, où il sera déduit le niveau de respect de l'urbanisme et
de l'aménagement du territoire au patrimoine bâti et à ses
abords. Dans les pages à suivre, nous essayerons de discuter
l'importance des abords dans les systèmes et procédures
juridiques de la protection du patrimoine bâti, pour mesurer le
degré de la reconnaissance des valeurs perceptive, mémorielle et
paysagère des abords du patrimoine bâti de la part du pouvoir
politique, en matière de textes et leur application.
I. La politique culturelle algérienne, le
contexte général de la
protection du patrimoine bâti et ses abords
«Après 50 ans d'indépendance,
l'Algérie n'est toujours pas dotée d'une politique culturelle
claire, écrite noir sur blanc »94. Malgré
que l'Algérie soit un pays d'une grande richesse et diversité
culturelle, issue d'une immense interaction des civilisations et de
différentes
94 KESSAB Ammar et al, « la politique
culturelle de l'Algérie », Alger, 2013, GTPCA, P2.
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LA BASILIQUE ST-AUGUSTIN ET SES ABORDS A ANNABA
Pour une reconnaissance politique et sociale des valeurs des
abords du patrimoine bâti en Algérie
appartenances (Amazigh, Arabe, islamique, Maghrébine,
Africaine et Méditerranéenne), elle ne possède pas une
politique culturelle claire, expliquée dans un document ou un support
écrit prescrivant les conditions, les caractéristiques, les
modalités, et les moyens de la préservation de la culture et
l'identité nationales.
A l'instar de cette situation obscure, un ensemble
d'universitaires, de politiciens, d'artistes, d'écrivains,
d'étudiants et de citoyens ont été concertés par le
Groupe de Travail sur la Politique Culturelle en Algérie (GTPCA), afin
d'élaborer un document sur la politique culturelle de l'Algérie.
Pour deux longues années de travail, le GTPCA a pu, enfin,
présenter le 3 Février 2013, un document de quatorze chapitres
d'une quarantaine de pages intitulé « la politique culturelle de
l'Algérie ». Le projet sous la direction du Dr. Ammar Kessab, un
expert en politique culturelle, et Dr. Habiba Laloui, est un projet exemplaire
pour les autres nations, surtout arabes et maghrébines, illustrant une
expérience réussie de la rédaction de politique culturelle
par la société civile. « Ce n 'est pas des
déclarations ou des paroles, mais un texte écrit, légal,
qui précise en détails la définition et les objectifs de
la culture nationale » a déclaré Dr. H. Laloui lors de
la présentation du document à Alger le 3 Février
précédent. Le projet est, donc, un support écrit
décrivant la politique culturelle nationale, son évolution, ses
objectifs, ses principes et ses acteurs, tout en prescrivant les moyens de sa
préservation.
Pour mesurer la place de la protection du patrimoine, surtout
bâti, dans la politique culturelle nationale, on se basera sur le
document de la GTPCA, ainsi que sur d'autres ouvrages. L'étude de
l'importance du patrimoine bâti dans la politique culturelle servira
comme un contexte général de la protection du patrimoine
bâti et ses abords en Algérie.
I.1. Le contexte historique de la politique culturelle
algérienne
Il est nécessaire d'analyser le contexte historique de
la politique culturelle en Algérie, du fait que l'évolution de
cette politique peut nous donner une vue d'ensemble sur les idéologies
culturelles en Algérie à travers des différentes
périodes historiques. En plus, l'évolution historique de la
politique culturelle nationale explique plus amplement les conditions et les
origines de la politique actuelle. La description de l'évolution de la
politique culturelle algérienne, est faite, principalement, sur deux
périodes déterminantes : la période de la colonisation
française et la période de l'après indépendance.
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La protection des abords du patrimoine bâti dans la
politique patrimoniale CHAPITRE algérienne et
leur place dans les actions d'urbanisme QUATRIEME
I.1.1. La période de la colonisation
française, 1830-1962
Lors de la colonisation française de l'Algérie,
l'action militaire était accompagnée par une politique
culturelle, afin de rendre cette colonisation la plus durable possible. Camille
Risler Analyse « la politique culturelle de la France en Algérie
» selon trois95 phases principales :
· La politique de « francisation
» ou « d'assimilation » : 1830-1870: cela ne
consistait pas uniquement à la marginalisation de la langue arabe en la
substituant par la langue française. Aux quarante premières
années, et en parallèle aux actions militaires, la France
pratiquait une politique de francisation et d'assimilation administrative,
politique et culturelle. La France se trouvait, à l'occupation de
l'Algérie, sur un territoire étranger et indépendant de
tout attachement ou appropriation relative à la culture
française. Dans le but de légitimer son existence sur le sol
algérien et de justifier sa déclaration de «l'Algérie
française », la France mobilisait l'ensemble de disciplines
artistiques, l'architecture, l'urbanisme et la langue française comme
les éléments officiels caractérisant la nouvelle culture
et la nouvelle identité pour l'Algérie. L'action de domination
culturelle ne s'arrêtait pas à ce seuil, la France marginalisait
le patrimoine immatériel de la population algérienne. Aussi, elle
se basait sur la valorisation et la promotion du patrimoine
archéologique romain, qui sert encore à justifier sa
présence sur le sol algérien. Avec l'assimilation administrative,
la France avait pu seconder l'action militaire avec l'installation du
régime civil, qui prouvait l'acquisition définitive de
l'Algérie.
· La « politique indiMène
» : 1870-1945: au début du XXe
siècle, la clase intellectuelle et politique commençait à
revisiter les principes de la politique de domination culturelle, ce qui a
créé une divergence de points de vue sur la meilleure et
l'efficace façon pour la colonisation durable de l'Algérie. En
190196, la politique d'assimilation était remplacée
par la politique indigène, qui consistait à desserrer la
domination culturelle en laissant substituer l'identité traditionnelle.
Cette politique est marquée par le changement d'attitude de la
colonisation française. La France voulait changer son image, aux yeux
des autochtones et du monde entier, de la France colonisatrice et
95 RISLER Camille, « la politique culturelle de
la France en Algérie » : les objectifs et les limites
(1830-1962), Paris, L'Harmattan, 2004, P15.
96 KESSAB Ammar, « d'une politique culturelle
coloniale à une politique culturelle hégémonique »,
[en ligne], 2012, URL :
http://nadorculture.unblog.fr/2012/10/25/dune-politique-culturelle-coloniale-a-une-politique-culturelle-hegemonique-par-ammar-kessab/,
consulté le 25/04/2013.
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LA BASILIQUE ST-AUGUSTIN ET SES ABORDS A ANNABA
Pour une reconnaissance politique et sociale des valeurs des
abords du patrimoine bâti en Algérie
dominatrice de l'Algérie à la France
«protectrice» de l'Algérie. Cela était marqué,
principalement, par :
L'intérêt à la sauvegarde des
médinas et des vestiges arabo-musulmans avec l'arrêt de toute
destruction des centres urbains locaux (le M'Zab, la Casbah,...etc.).
L'exposition de ces vestiges pour promouvoir l'idée
que la France est protectrice de la culture locale.
Le néomauresque comme l'architecture et l'image
officielle de l'Algérie. Un style développé officiellement
par le gouverneur Jonnart, en adoptant un vocabulaire de l'architecture
islamique comme le langage architectural officiel.
La promotion de « l'habitat indigène » en
créant des nouvelles cités destinées aux autochtones, en
suivant l'urbanisme et l'architecture locale de l'Algérie
Cette période exprime, clairement, un changement
symbolique de la représentation paysagère identitaire de
l'Algérie. Cependant, et en parallèle à cela, la politique
culturelle coloniale en Algérie a continué à marginaliser
la culture locale, en particulier arabo-musulmane, surtout dans les lieux de
culte face à la crainte française de tout groupement local savant
et pouvant déclencher une volonté de révolution.
· La censure théâtrale et
artistique face à l'idée d'émancipation de la population
autochtone : 1945-1962: pour plusieurs raisons,
économiques, sociales, politiques, nationales et internationales, les
algériens ont commencé, à partir de 1945, à
révéler le vrai visage du racisme et de domination de la culture
coloniale. L'idée de l'émancipation s'est rapidement
propagée parmi la population algérienne, comme réaction
à la politique française injuste. La politique culturelle de la
France en Algérie prenait, à cet effet, une nouvelle orientation
à double action. La première consistait à la censure du
théâtre et de la littérature, lors du moindre doute sur les
opinions politiques des porteurs de ces projets. La seconde action consistait
au patronage et la mise sous tutelle de toute action culturelle menée
par les algériens. Camille Risler explique que « Le
théâtre était une arme de plus en plus redoutable et
l'administration préféra sans aucun doute l'utiliser que la subir
! Les pouvoirs publics reconnaissaient ainsi «l'intérêt
considérable au triple point de vue politique, culturel et
économique» que présentait la création, sous une
direction française et sous le patronage (qui pourrait être) celui
du ministère de l'Education nationale et des Beaux-arts
»97.
97 Ibid.
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La protection des abords du patrimoine bâti dans la
politique patrimoniale CHAPITRE algérienne et
leur place dans les actions d'urbanisme QUATRIEME
Pendant ces trois phases de la politique culturelle coloniale
en Algérie «La France, animait par une volonté
destructrice de domination, a instauré une stratégie
acculturatrice particulièrement avancée, basée sur une
politique culturelle de colonisation pensée dans ses moindre de
détails. Cette politique culturelle s'est basée essentiellement
sur un ensemble d'actions comme de la folklorisassions des cultures populaires
locales, de la censure, du patronage de l'ensemble des activités
culturelles et artistiques initiées par les Algériens. Mais cette
politique, aussi ficelée, pensée et bien financée
soit-elle, s'est désagrégée au moment où le peuple
Algériens a pris conscience qu'il ne pouvait plus vivre sous la
domination de colons dont l'objectif premier était de l'exploiter
»98. Cette politique culturelle prenait sa fin face
à la guerre de la libération nationale (1954-1962). Malgré
les actions cruelles et destructrices de la politique culturelle coloniale en
Algérie, elle a pu, quand même, laissé des empreintes
profondes, qui vont être reconduites dans la politique de
l'Algérie indépendante.
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